HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE

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HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE
  • INTRODUCTION

  • L'Islam dans la République

  • Avant-propos : la République et les cultes

  • L'Etat et les Eglises en France

  • 1-1 Les principes de la loi de 1905 : liberté religieuse et séparation des Eglises et de l'Etat

  • 1-2 La mise en œuvre de la loi de 1905 : des traductions différentes selon les religions et les territoires

  • 2-1 L’Islam : un fait religieux, social et culturel.

  • 2-1-1 Un fait religieux

  • Le sunnisme comprend quatre écoles différentes.

  • Les quatre écoles juridiques sunnites

  • 2-1-2 Un fait social et culturel

  • 2-1-2-1 Islam, intégration et identité des populations musulmanes en France

  • 2-1-2-2 La diversité des manières de vivre l'Islam parmi les nouvelles générations

  • 2-1-3 Des demandes variables

  • 2-2 Les musulmans de France : une population mal définie

  • 2-2-2 Des évaluations statistiques variables

  • 2-3-1 Un tissu associatif dynamique : des critères de constitution nationaux, théologiques, générationnels et régionaux.

  • 2-3-1-1 Un tissu associatif d'une grande diversité .

  • L'émiettement du tissu associatif résulte en outre des trois facteurs suivants.

  • Le mouvement des scouts musulmans de Franc

  • 2-3-1-2 Un mode d'engagement qui privilégie la forme de l'association loi 1901

  • Les associations se sont donc imposées comme le principal mode d'action collective des communautés musulmanes.

  • 2-3-2 Des fédérations nationales concurrentes

  • Les principales fédérations musulmanes

  • L'institut musulman de la mosquée de Paris.

  • L'union des organisations Islamiques de France (UOIF)

  • Fédération nationale des musulmans de France (FNMF)

  • Chapitre III : L'Islam en France

  • 3-1 Des obstacles à l'exercice du culte

  • 3-1-1 Les lieux de culte

  • 3-1-1-1 Une offre insuffisante

  • 3-1-1-2 Les réponses apportées par les pouvoirs publics.

  • 3-1-2 Les imams

  • 3-1-2-1 Le statut de l’imam

  • 3-1-2-2 Un rôle d’ordre religieux et social

  • 3-1-2-3 Les aumôneries

  • 3-1-3 Le rituel mortuaire

  • 3-1-4 Les cimetières

  • 3-2 L’alimentation

  • 3-2-1 Le marché de la viande halal en France

  • 3-2-2 Des efforts d’organisation de l’abattage rituel insuffisants

  • 3-2-3 Des difficultés accrues au moment de l’Aïd el Kébir.

  • L’expérience de la région Nord Pas de Calais

  • 3-3 La vie à l’école

  • 3-3-1 La restauration collective

  • 3-3-2 La tenue vestimentaire

  • Le foulard

  • 3-3-3 Les rythmes scolaires

  • 3-3-4 Programmes et activités scolaires

  • 3-3-5 Comportements

  • 3-3-6 Des manifestations autant culturelles que religieuses

  • 3-4 Le statut personnel

  • Chapitre IV : Recommandations et propositions

  • 4-1 Champ d’intervention des pouvoirs publics

  • 4-1-1 Les principes fondant la légitimité de l’Etat à intervenir

  • 4-1-1-1 Le principe d’égalité

  • 4-1-1-2 La laïcité et la liberté de conscience

  • La neutralité de l’enseignement public

  • 4-1-1-3 Le respect de l’ordre et de la santé publics

  • 4-1-2 Des domaines échappant par nature à l’intervention de l’Etat

  • 4-1-3 L’intégration, un objectif à poursuivre

  • 4-2 Un devoir d’intervention

  • 4-2-1 Garantir le respect de la liberté religieuse

  • Impôts commerciaux (impôt sur les sociétés et TVA) :

  • 4-2-2 Assurer l’ordre et la santé publics

  • 4-2-2 Assurer l’ordre et la santé publics

  • 4-3 Un souci d’accompagnement

  • 4-3-1 Favoriser l'organisation de la communauté musulmane à l'échelon local

  • L'expérience menée à Dunkerque apparaît à plus d'un titre exemplaire.

  • 4-3-2 Parvenir à une organisation de l’Islam au plan national

  • 4-3-3 Offrir un cadre universitaire adapté à la formation des cadres religieux

  • 4-3-3-1 Les imams en France : un besoin de formation

  • 4-3-3-2 Un offre de formation inadaptée aux besoins

  • 4-4 Contribuer à l’intégration à l’école

  • 4-4-1 Les droits à garantir.

  • 4-4-2 Les accommodements à consentir.

  • 4-4-3 Les revendications inacceptables.

  • 4-4-4 Aller au-delà du traitement juridique des problèmes.

  • 4-4-5 Dépasser une approche seulement religieuse des problèmes.

  • Conclusion

  • ANNEXES

  • Annexe 1

  • Annexe 2

  • Liste des personnes auditionnées par le Haut Conseil à l’Intégration

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HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE

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Français
INTRODUCTION HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE

HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE

L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE

Novembre 2000
INTRODUCTION
La France respecte toutes les croyances

(article 1° de la Constitution)

Le Haut Conseil à l'Intégration occupe une place spécifique parmi les nombreux organismes investis par l'Etat d'un rôle dans la politique de l'immigration.
Il est déjà porteur d'une tradition puisqu'il a été créé il y a juste dix ans par le gouvernement de Michel Rocard. Il bénéficie d'autre part, selon les termes de son décret fondateur, d'une compétence générale sur l'ensemble des questions relatives à l'intégration des résidents étrangers ou d'origine étrangère. S'il est vrai qu'il est dépourvu de tout pouvoir concret, il détient celui de conseiller le Premier Ministre et son autorité réelle est née au fil des ans de la sagesse généralement reconnue de ses avis. Enfin, ses dix sept membres actuels assument des responsabilités dans le monde politique, administratif, universitaire, associatif et économique et un tiers d'entre eux, innovation récente et majeure, est issu des différentes familles de l'immigration.

Ses méthodes de travail ont peu varié depuis sa création et font alterner les auditions de personnalités, les déplacements sur le terrain au contact d'expériences jugées particulièrement significatives ou exemplaires et les débats internes au Conseil complétés par des contributions écrites de ses membres.

Le Haut Conseil a choisi il y a environ deux ans, comme thème de ses travaux, " l'Islam dans la République ", jugeant nécessaire d'aborder de front ce problème aux multiples facettes, central pour l'intégration harmonieuse dans la communauté française d'un très grand nombre de personnes étrangères ou d'origine étrangère proche ou lointaine.

L'étude du sujet et l'élaboration du présent rapport a donné lieu à des discussions approfondies et parfois vives au sein du Conseil, mais il a été adopté en définitive à la quasi-unanimité, un seul de ses membres ayant exprimé un désaccord global sur son contenu.

D'autre part, les recommandations relatives au port du voile par de jeunes musulmanes ont fait l'objet de la part de quelques-uns de nos collègues de fortes réserves qui seront évoquées plus loin.

Au-delà des analyses et des réflexions de tout ordre qui sont rassemblées dans ce rapport, il apparaît que la présence, historiquement nouvelle, d'une forte population musulmane installée durablement sur notre sol devrait nous conduire à nous interroger, littéralement à " revisiter " trois concepts fondamentaux de notre tradition française et républicaine, non pour les récuser mais au contraire pour en dégager les richesses pour notre pays : ce sont la laïcité, la citoyenneté, et finalement l'égalité.

Certains s'étonneront peut-être que le rapport consacre un long chapitre d'introduction à la loi du 9 décembre 1905, fondement de la séparation des Eglises et de l'Etat, élément essentiel de la laïcité, et en évoque la préhistoire sous la forme d'une chronique résumée des rapports souvent conflictuels que l'Etat français a entretenus avec les communautés religieuses et particulièrement avec l'Eglise catholique, au cours des derniers siècles.

Parce que ces conflits sont aujourd'hui heureusement résolus, cette histoire est peu connue, en particulier, on le comprend, par les fidèles de l'Islam, auxquels pourtant le cadre législatif qui en est issu s'applique comme aux autres communautés religieuses.

La loi de 1905, après les compléments que lui ont apportés la jurisprudence et les avis du Conseil d'Etat, a très bien vieilli et apparaît, après un siècle, comme un texte étonnamment moderne, inspirée par un souci de tolérance et assez souple pour répondre aux exigences particulières de chaque communauté, y compris l'Islam. Les ajustements nécessaires dans le cadre de la loi, dont le rapport a cité quelques exemples significatifs, relèvent de l'imagination, de la bonne volonté et de la force de conviction des acteurs locaux.

Les abus, s'il s'en trouve, ne mettent pas en cause la législation mais la vigilance des autorités chargées du contrôle de la légalité. En tout cas le Conseil, dans son ensemble, a considéré que le temps n'est pas venu pour une refondation du régime cultuel français, mais il estime qu'un effort doit être entrepris pour que le droit actuel français soit mieux connu, avec ses limites et ses souplesses, par les responsables des communautés musulmanes.
En définitive, la recommandation du Haut Conseil est de ne céder en ces matières ni à la complaisance ni à la méfiance : c'est ainsi que certains principes, tels que le respect d'autrui, dans sa personne et ses convictions, l'égalité des sexes, la liberté d'expression et de recherche sont intangibles. En particulier, et pour aborder le problème de l'école, il ne serait pas tolérable que des élèves ou des parents récusent, au nom d'une croyance religieuse, telle ou telle partie des programmes concernant la biologie, la littérature, la philosophie voire le dessin ou globalement l'éducation physique.

Mais en même temps, le simple respect de la règle de droit peut rester une solution de facilité, voire de paresse si elle ne s'accompagne pas, vis à vis des enfants et des familles concernés, d'une démarche de compréhension, de dialogue et de persuasion en quoi se résume la pédagogie.
A cet égard, le Haut Conseil a longuement débattu du problème du port du voile islamique. La question est d'importance en ce qu'il est le symbole emblématique des tensions évoquées plus haut et aussi, tout simplement, parce que la question du voile reste ouverte en raison, en particulier, des agissements de certains réseaux prompts à exploiter des revendications identitaires de la part des jeunes musulmanes.

Quelques membres du Haut Conseil souhaitent l'interdiction générale et absolue du port du voile à l'école ainsi que de tout signe d'appartenance religieuse, à l'exemple de ce qui se pratique en Turquie et en Tunisie : tolérer cette pratique serait, selon eux, accepter, à l'encontre du mouvement général des sociétés modernes vers l'émancipation des femmes, le symbole d'une discrimination éminemment sexiste, porter atteinte au principe de la laïcité qui institue, dans l'enceinte de l'école, un lieu de neutralité propre à protéger la liberté des enfants et enfin perpétuer les incertitudes des chefs d'établissements et des enseignants confrontés à ces problèmes.

Ces arguments, qui méritent d'être pris au sérieux, n'ont cependant pas entraîné l'assentiment de la majorité du Haut Conseil ; celui-ci estime qu'une mesure générale d'interdiction, exigerait une disposition législative dont la conformité à la Constitution et aux conventions internationales signées par la France, serait plus que douteuse.

Mais surtout les témoignages de plusieurs acteurs de terrains indiquent que l'expulsion pure et simple de la communauté scolaire des jeunes filles obstinées à porter le voile, contribuerait à les confiner encore davantage dans leur particularisme, quels que soient les motifs, éminemment variés chez une adolescente, de son affichage. Et surtout, une mesure aussi radicale contribuerait à accentuer la différence de traitement entre les garçons et les filles, les premiers pouvant fréquenter l'école quelle que soit leur tenue vestimentaire. Ce serait là une double discrimination que la majorité du Haut Conseil, dans son souci fondamental d'intégration et dans sa confiance envers l'influence émancipatrice de la communauté scolaire, a refusé, préférant s'en remettre à la jurisprudence équilibrée établie par le Conseil d'Etat.

Il a retrouvé néanmoins son unanimité pour reconnaître qu'un effort particulier d'accompagnement et de médiation soit engagé vis à vis des jeunes filles attachées au port du voile et de leurs familles et aussi qu'un large débat soit ouvert entre les enseignants, les élèves, leurs familles et les autorités concernées, afin que chacun soit éclairé sur ses enjeux.

Le deuxième concept qui mérite d'être exploré est celui même de citoyenneté parce qu'il occupe une place sans pareille dans notre tradition historique et politique. Loin d'évoquer je ne sais quelle uniformisation jacobine, la citoyenneté implique l'adhésion active aux valeurs qui fondent la communauté nationale sans que soient gommés pour autant les diversités religieuses et culturelles et le pluralisme des convictions et des identités.

Intégrer les musulmans vivant sur notre sol dans la République, c'est enrichir la nation française de nouveaux apports religieux et culturels et continuer ainsi ce perpétuel travail de recomposition et d'hybridation qui l'a constituée depuis les débuts de sa longue histoire. Remarquons dans ce contexte que l'expression courante " français de souche " n'a guère de sens et que les désignations symétriques de ceux qui sont supposés ne pas l'être, " Musulmans ", "Arabes, " Maghrébins " ou " Immigrés " ne sont que des simplifications abusives vis à vis de personnes dont les références ne sont pas essentiellement religieuses, dont les origines géographiques sont très diverses et qui, de plus en plus, sont nées en France de parents eux-mêmes français. Notre communauté nationale ne se définit pas comme une mosaïque de communautés mais plus que jamais par le plébiscite quotidien de nos concitoyens dont parlait Renan.

Nous avons eu à cet égard la satisfaction d'entendre à plusieurs reprises des témoignages de jeunes musulmans qui ont exprimé devant nous avec une tranquille simplicité leur attachement à l'Islam et à toutes les traditions héritées de leurs pères en même temps que leur bonheur d'être français. Nous avons, à leur exemple, tout à gagner à favoriser, en même temps que la liberté d'exercer leur culte garantie par la loi, l'expression des richesses culturelles dont ils sont porteurs et leur intégration à notre propre culture. Les étonnantes créations musicales nées de la rencontre de folklores algériens et français sont un exemple particulièrement réussi de ce syncrétisme culturel. Souhaitons seulement que notre éducation nationale, à tous les niveaux, travaille à familiariser, au sens propre du mot, nos compatriotes avec l'Islam pour qu'il apparaisse comme une richesse plutôt que comme une menace. Enfin aurons-nous peut-être aussi à réviser notre conception de l'égalité pour qu'elle soit capable de répondre aux exigences d'une population moins homogène que naguère.

Intégrer l'Islam dans la République, c'est donner concrètement aux musulmans toutes les chances de promotion à l'intérieur de la société française. L'accession à la citoyenneté ne serait qu'un leurre si elle n'ouvrait pas l'accès à la plénitude d'une intégration culturelle, sociale et économique : c'est une question d'équité et de dignité.

Nos systèmes statistiques ne livrent guère d'informations sur la place des immigrés à l'intérieur des différents corps sociaux sauf à constater, au vu de données fragmentaires, que l'ascension sociale des immigrés et de leurs enfants est lente et difficile, beaucoup plus que ne le fut il y a un siècle celle des fils de paysans français que la République, grâce en grande partie à l'école, a progressivement intégrés dans ses classes dirigeantes.
Les discriminations dont sont victimes ces populations sont patentes en particulier dans le domaine de l'emploi et du logement et elles expliquent en partie les replis identitaires qui sont évoqués dans le présent rapport. Le Haut Conseil renouvelle son souhait, réitéré dans chacune de ses publications, que ces délits soient plus énergiquement poursuivis et sanctionnés. Dans ses prochains travaux, il reviendra sur cette question et s'efforcera également de discerner les obstacles moins visibles qui, dans la formation ou le recrutement des cadres de la nation, excluent de fait ceux qui n'ont pas eu la chance d'apprendre à déchiffrer les codes dont la clef est chez nous une des conditions de la réussite sociale. Notre société a ses rigidités propres à un vieux peuple : puisse l'immigration nous aider à les surmonter.

Roger FAUROUX

L'Islam dans la République
Avant-propos : la République et les cultes
L'Etat et les Eglises en France
Le régime français de séparation des Eglises et de l'Etat est un modèle peu fréquent en Occident et son enracinement en France même est encore récent. Conséquence de la constitution de la Nation en tant que corps politique autonome soucieux de maîtriser ses relations avec les autres pouvoirs spirituels et temporels, ce régime a succédé à une longue période d'imbrication de l'Etat et de l'Eglise et est le fruit des ajustements parfois violents qui intervinrent à compter de la période révolutionnaire et jusqu'au vote de la loi du 9 décembre 1905.

Pendant huit cents ans, de 987 à 1789, la question religieuse est marquée par le primat du catholicisme, religion d'Etat. Deux problèmes récurrents dominent cette longue période : la gestion du rapport de dépendance réciproque entre Rome et le Royaume de France ; et celle de la place qu'il convient d'accorder aux autres religions (religion juive et, à partir du XVIème siècle, religion réformée).

La rupture révolutionnaire bouleverse cette situation, pour des raisons tant philosophiques que politiques. Au plan philosophique, les idéaux de liberté civile et d'égalité rendent désormais inacceptable l'idée d'une religion officielle et sa contrepartie, l'oppression des autres cultes. Au plan politique, la réaction violente de Rome et de l'Europe aux événements révolutionnaires précipite la rupture. 1789 inaugure une période d'incertitude qui voit se succéder plusieurs formes de relations entre les Eglises et l'Etat.

Commencée dans la liberté, poursuivie dans l'oppression, la Révolution s'achève, pour les Eglises, par un gallicanisme rénové et autoritaire. L'article 10 de la déclaration du 26 août 1789 souligne la rupture voulue par ses rédacteurs : il proclame que "nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses". La liberté et l'égalité religieuses trouvent rapidement une traduction. L'émancipation des juifs est acquise en trois étapes : décret du 28 janvier 1790 pour les juifs portugais et espagnols, décisions locales à Avignon dans les autres villes du Comtat en juin-juillet 1791, décret du 27 septembre 1791 pour tous les autres juifs. Devenus électeurs et éligibles depuis 1789, les protestants avaient recouvré un état civil depuis un édit de 1787.

Intervenue à la fin de 1789, la nationalisation des biens du clergé met à la charge de la nation le fait "de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres". Suivent la suppression des congrégations (février 1790) sauf pour les ordres enseignants et hospitaliers, qui seront abolis en août 1792 et surtout la Constitution civile du clergé (juillet 1790). Cette dénonciation unilatérale du concordat de 1516 bouleverse la carte des diocèses et des paroisses, prévoit l'élection des évêques, curés et vicaires. Le serment des clercs est exigé en janvier 1791. Après la condamnation par le Pape (mars-avril 1791), il en résulte un schisme. Les prêtres réfractaires sont bientôt contraints d'émigrer, quand ils ne sont pas incarcérés ou assassinés. En septembre 1792, au moment de la proclamation de la République, l'état civil est retiré au clergé, première mesure de laïcisation d'un service public. Sous le régime du comité de salut public, une politique inédite de déchristianisation est engagée, qu'illustrent notamment l'adoption du culte de l'Etre suprême et du calendrier révolutionnaire, l'instauration du baptême et de l'enterrement républicains ou la " reconversion " des lieux de culte.
La convention thermidorienne et le Directoire appliquent une politique religieuse nuancée. Trois tendances coexistent :

- la séparation. Le décret du 18 septembre 1794 dispose que "la Nation ne salarie aucun culte", supprimant ainsi le salaire du clergé constitutionnel, disposition reprise par les décrets des 21 février et 29 septembre 1795 ;

- le libre exercice des cultes ;

- la surveillance étroite des autorités. Un serment de "soumission et obéissance aux lois de la République" est exigé des ministres du culte. Les cérémonies extérieures et le port du costume ecclésiastique sont interdits.

L'autoritarisme pragmatique de l'Empire se traduit, pour les cultes, par la maintien de la liberté religieuse assorti d'un contrôle rigoureux sur les hiérarchies ecclésiastiques. Guidé par le souci de préserver les principaux acquis de la révolution mais aussi de mettre un terme aux querelles religieuses, le concordat de 1801, conclu entre Bonaparte et le pape Pie VII, procède d'une ambition clairement gallicane. Promulgué le 8 avril 1802, le concordat fixe le statut de l'Eglise catholique et définit la religion catholique, apostolique et romaine comme "la religion de la grande majorité des Français". Des lois postérieures donneront un statut aux églises protestantes et au culte israélite. L'organisation du culte protestant est ainsi calquée sur le modèle catholique, les pasteurs étant salariés et placés sous le contrôle de l'Etat en 1804.

Le régime concordataire affirme le principe de la liberté des cultes. Certains bénéficient d'une reconnaissance officielle : catholicisme, protestantismes calviniste et luthérien et judaïsme ; les autres sont simplement licites. Le Concordat assure le maintien de l'héritage révolutionnaire (état civil, divorce, égalité entre les cultes) et le clergé, à nouveau pensionné par l'Etat, doit prêter un serment de fidélité : les évêques sont désormais nommés par le gouvernement, cependant que les évêques réfractaires doivent abandonner leur charge. En rupture avec l'héritage révolutionnaire, les principales fêtes chrétiennes et le dimanche recouvrent leur caractère chômé. Les congrégations féminines, dissoutes le 18 août 1792, sont intégrées au concordat en raison de leur utilité sociale.

En ce qui concerne le judaïsme, Napoléon convoque successivement une assemblée des notables (1806) et un Grand Sanhédrin (1807), tous deux composés de rabbins et de laïcs. Il s'agit de tester et d'attester la capacité et la volonté d'intégration des juifs à la société française (mariages mixtes, primat des lois de l'Etat sur les lois religieuses) et de réorganiser le culte et l'enseignement religieux. Sont créés en 1808 une structure hiérarchisée, le consistoire central, à Paris, et des consistoires départementaux. Un autre décret de 1808, dit "décret infâme" édicte, pour dix ans, plusieurs mesures discriminatoires envers les juifs, à l'exception de ceux de Bordeaux, de la Gironde et des Landes. Divers cas de réduction ou d'annulation de leurs créances sont prévus. Les commerçants juifs doivent fournir, chaque année, une patente du préfet subordonnée à un certificat du conseil municipal constatant que l'intéressé ne s'est livré ni à l'usure ni à un trafic illicite ainsi qu'un certificat du consistoire local attestant sa "bonne conduite et sa probité. L'immigration des juifs dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin est interdite. Leur installation dans les autres départements est subordonnée à l'acquisition d'une propriété rurale et à l'exercice d'une activité agricole sans qu'il soit possible de se mêler à aucun commerce, négoce ou trafic, sauf autorisation spéciale. Les conscrits juifs ne peuvent, contrairement aux autres, payer un remplaçant.

Il faut attendre 1831 pour que les rabbins soient salariés et 1846 pour que le serment soit aboli par la Cour de cassation.

De 1815 à 1905, la question scolaire est l'occasion de nouvelles luttes entre l'Etat et les Eglises.

ہ partir de la Restauration, la situation des cultes semble stabilisée autour d'un modèle libéral dans son esprit et gallican dans son organisation. Mais la question de l'école, enjeu symbolique autant que politique, va cristalliser les oppositions entre républicains et catholiques, et mener à une série de crises que seule la loi de 1905 permettra de résoudre.

De 1830 à 1850, la question de la liberté de l'enseignement fait l'objet d'un important débat. Cette liberté est acquise pour l'enseignement primaire grâce à la loi Guizot (1833) et, pour l'enseignement secondaire, par la loi Falloux (1850). Cette dernière loi institue un outre une présence et un contrôle de l'Eglise catholique sur l'enseignement public. Elle limite enfin les subventions des collectivités locales aux établissements d'enseignement privés.

Le Second Empire, soucieux de préserver de bonnes relations avec Rome, multiplie les autorisations aux congrégations religieuses et encourage le développement de l'enseignement confessionnel, ce qui conduit l'opposition républicaine à réclamer la laïcisation de l'enseignement et la séparation de l'Eglise et de l'Etat, que le syllabus de 1864, catalogue pontifical des " principales erreurs de notre temps ", condamne explicitement.

L'absence de reconnaissance par les catholiques de la forme républicaine du gouvernement, adoptée à une voix de majorité en 1875, accrédite l'hypothèse d'une volonté de revanche de la part de l'Eglise. La consolidation de la République conduit à partir de 1880 à l'adoption de mesures emblématiques : retrait des crucifix des salles de classe, loi du 28 mars 1882 n'autorisant l'enseignement religieux qu'en dehors des heures de classe et substituant l'instruction morale et civique à la morale religieuse, loi du 5 avril 1884 interdisant la séparation entre cultes dans les cimetières municipaux, abolition du repos obligatoire du dimanche, rétablissement du divorce.

Après qu'en 1890, le cardinal Lavigerie, évêque d'Alger, eut porté un toast à la République, l'encyclique Au milieu des sollicitudes invite en 1892 les catholiques au ralliement, sans que celui-ci devienne pour autant effectif. Après l'affaire Dreyfus, une nouvelle offensive laïque se développe, visant essentiellement à lutter contre l'enseignement congrégationniste. En 1900, la congrégation des assomptionnistes est dissoute et en 1901 est votée la loi sur les associations, qui soumet les congrégations à un statut spécial et les oblige à demander une autorisation aux deux chambres. Le 7 juillet 1904, une loi interdit l'enseignement aux congrégationnistes, tandis que les relations diplomatiques sont rompues entre le Vatican et la République française.

Chapitre I : la loi du 9 décembre 1905, une tentative de stabilisation des relations entre la République et les cultes


Faisant suite à plus d'un siècle de tensions, la loi de 1905 se présente comme une tentative de stabilisation des relations entre la République et les cultes.

1-1 Les principes de la loi de 1905 : liberté religieuse et séparation des Eglises et de l'Etat
Le cadre juridique actuel de l'exercice des religions est défini par la loi du 9 décembre 1905, et par les lois qui l'ont suivie pour décliner les principes qu'elle a posés. L'adoption de la loi du 9 décembre 1905 a lieu dans un contexte difficile, marqué par la crispation croissante, après la rupture des relations diplomatiques, du camp laïque et des autorités vaticanes autour des questions de l'école et de la nomination des évêques. Il apparaît alors, même aux radicaux modérés, qu'une loi de séparation qui laisserait intacte la liberté religieuse proclamée à la Révolution serait le seul moyen de résoudre la crise. Novatrice par son contenu, la loi de 1905 l'est aussi par sa méthode : elle marque la fin de l'esprit concordataire et la volonté de l'Etat de décider désormais unilatéralement du statut des Eglises - ce qui n'exclut pas la concertation comme le montrent les échanges de lettres de 1923-1924 avec le Vatican sur la question des associations diocésaines.

La loi de 1905, issue d'un conflit entre la République et l'Eglise catholique, est devenue le socle durable de l'exercice de tous les cultes en France, sans que ses principes soient fondamentalement remis en cause. Pour la réception d'une religion nouvelle en France comme l'Islam, cette loi offre un cadre libéral mais pose aussi des contraintes qui sont la contrepartie de la laïcité de l'Etat.

La loi de 1905 est en effet avant tout une loi de liberté. Enracinant dans le droit positif la liberté religieuse, elle a été, depuis son adoption, confortée par des dispositions constitutionnelles et de droit international. La liberté religieuse affirmée par cette loi et les textes qui l'ont suivie comprend trois composantes, dont tout adepte d'une religion peut revendiquer le respect.

La première est la liberté individuelle de conscience, qui permet à tout individu d'avoir la croyance de son choix. Elle est affirmée de façon particulièrement nette à l'article 1er de la loi : "La République assure la liberté de conscience".

La deuxième est la liberté collective d'exercice du culte, qui implique que la pratique de la religion puisse s'exprimer sans entrave dans un espace social et public, et qui est également affirmée à l'article 1er de la loi. Les retouches apportées à la loi de 1905 ont visé à renforcer l'effectivité de cette liberté : si l'exercice du culte était initialement autorisé dans le seul cadre d'une association créée conformément à la loi de 1905, la loi du 2 janvier 1907 l'a rendu possible dans le cadre d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou simplement sur le fondement d'initiatives individuelles.

La troisième composante de la liberté religieuse reconnue par la République est le principe d'égalité et de non-discrimination entre les religions. Implicitement contenu dans la loi de 1905, qui traite des "cultes" de façon indifférenciée, il est explicitement énoncé par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La République respecte toutes les croyances". Ce principe est d'ailleurs repris par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Un projet de protocole additionnel à cette convention contient en outre une clause générale de non-discrimination.

L'autre caractéristique de la loi du 9 décembre 1905 est d'être, ainsi que l'indique son titre, une loi de séparation. L'égalité des cultes implique, dans la conception française, une abstention identique à l'égard de tous. Ainsi la loi implique, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, que l'Etat ne puisse s'immiscer dans l'organisation interne des Eglises. Il est tenu de prendre acte des décisions de celles-ci concernant par exemple la dévolution des biens ou la perte de la qualité d'aumônier.

Ne pouvant intervenir directement dans les affaires des Eglises, l'Etat s'est borné à définir les structures juridiques utilisables pour l'exercice du culte : ce sont les associations prévues par la loi de 1901 (associations de droit commun) ou par la loi de 1905 (associations ayant exclusivement pour objet l'exercice d'un culte). L'Etat a également défini un cadre juridique pour la création de communautés religieuses (loi sur les congrégations du 8 avril 1942, assouplissant considérablement le régime initial de la loi de 1901). Ces lois offrent un cadre libéral à l'exercice des religions : les associations régies par la loi de 1901 se créent librement sans nécessité d'un aval administratif ; le régime issu de la loi de 1905 ouvre en outre aux associations cultuelles des droits spécifiques, à savoir la possibilité de recevoir des dons et legs (art. 19 de la loi de 1905) et l'exonération d'impôt foncier pour les édifices du culte qu'elles possèdent (art. 1382 du code général des impôts). La contrepartie de ces droits est un contrôle financier par l'Etat.

L'aspect le plus visible de la séparation instituée par la loi de 1905 est la séparation immobilière entre les Eglises et l'Etat. Le schéma retenu en 1905 prévoyait, d'une part, que les immeubles affectés à l'exercice du culte et nationalisés sous la Révolution restaient la propriété des collectivités publiques et étaient mis à disposition des associations cultuelles et, d'autre part, que les immeubles possédés par les Eglises avant le vote de la loi de 1905 étaient attribués en pleine propriété aux associations constituées conformément à cette loi. Dans le premier cas, l'entretien des immeubles est à la charge de la collectivité, dans le second à la charge de l'association propriétaire. Devant le refus de l'Eglise catholique de créer des associations cultuelles, la loi du 13 avril 1908 a prévu le retour aux collectivités publiques des immeubles dont cette Eglise ne demandait pas l'attribution.

Enfin le principe de séparation implique l'absence de soutien financier des collectivités publiques aux Eglises (article 2 de la loi de 1905 : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte"). A ce principe législatif, il ne peut être dérogé que par la voie législative, comme cela a été le cas lorsque le Parlement vota la loi du 19 août 1920 autorisant le versement d'une subvention de 500.000 F pour la construction de la Mosquée de Paris. Ce principe est appliqué strictement par la juridiction administrative.

Sont interdites les subventions directes aux cultes, comme le versement d'un traitement au ministre du culte, l'attribution d'une subvention à une association régie par la loi de 1905, ou à une association régie par la loi de 1901 qui a à la fois des activités cultuelles et des activités à caractère social et culturel. Sont également prohibées les subventions indirectes, comme la location d'un édifice à un prix inférieur à la valeur locative réelle. La loi crée toutefois quelques dérogations à cette interdiction : les collectivités publiques peuvent participer aux dépenses d'aumônerie (art. 2 de la loi de 1905), aux dépenses de réparation, d'entretien et de conservation des édifices du culte leur appartenant (art. 13 et 19 de la loi de 1905) et aux dépenses de réparation des édifices du culte appartenant à des associations régies par la loi de 1905 (art. 19 de la loi).

1-2 La mise en œuvre de la loi de 1905 : des traductions différentes selon les religions et les territoires
Alors que la loi de 1905 était censée créer un statut unique pour toutes les religions sur l'ensemble du territoire, sa mise en œuvre s'est traduite historiquement par des différences de fait et de droit entre les cultes.

La "crise" de la séparation s'est manifestée de la façon la plus visible lors du transfert des biens immobiliers. Devant l'absence de réponse uniforme des Eglises, les pouvoirs publics ont dû adapter la loi, créant des situations différentes qui perdurent encore. Près d'un siècle après le vote de la loi, trois situations différentes peuvent ainsi être distinguées :

- les Eglises qui avaient accepté la logique initiale de la loi (religions juive et protestante) et créé des associations cultuelles dès 1906 sont propriétaires de leurs édifices religieux dont elles doivent assurer l'entretien ;

- l'Eglise catholique, qui a refusé jusqu'en 1924 de se couler dans le moule des associations cultuelles, a la jouissance de bâtiments religieux dont les collectivités publiques doivent assurer l'entretien ;

- quant aux "ministres du culte" et fidèles des religions nouvellement apparues, ils construisent et gèrent leur parc immobilier exclusivement selon les règles du droit privé et avec leurs propres moyens.

Un deuxième élément de différence tient à l'exclusion de certaines régions françaises du champ d'application de la loi de 1905. Si, en vertu de décrets de 1911 et 1913, la loi de 1905 est applicable en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion, la Guyane et les autres collectivités d'outre-mer relèvent de régimes particuliers. Mais le particularisme n'est pas réservé à l'outre-mer.

Le retour à la France des départements d'Alsace-Moselle s'est accompagné du maintien dans ces trois départements du régime des cultes appliqué entre 1870 et 1918, c'est-à-dire du concordat de 1801 et des articles organiques édictés par Napoléon, combinés au droit allemand des associations. Ce régime se distingue sur plusieurs points du régime de séparation issu de la loi de 1905. Il ne s'applique pas à l'ensemble des cultes, mais seulement aux "cultes reconnus", c'est-à-dire expressément agréés et réglementés par l'autorité publique. Depuis l'origine, quatre cultes reconnus existent en Alsace-Moselle : catholique, luthérien, calviniste et juif. L'Islam n'y figure pas. La reconnaissance implique notamment la rémunération des ministres du culte par l'Etat et la participation des collectivités publiques aux dépenses du culte. En outre, le principe de laïcité de l'enseignement ne s'applique pas comme sur le reste du territoire national : l'enseignement religieux des cultes reconnus est assuré pendant les heures de cours, et deux facultés théologiques publiques, une catholique et une protestante, existent à Strasbourg.

Un troisième exemple d'application inégale de la loi de 1905 concerne plus particulièrement l'Islam : il s'agit de la politique suivie par les pouvoirs publics en Algérie avant la décolonisation, caractérisée par ce que F. Frégosi, chercheur à l'université Robert Schuman de Strasbourg, appelle une "exception musulmane à la laïcité".

L'absence d'application de la loi de 1905 aux départements algériens (1905-1962)

Malgré l'extension des dispositions de la loi de 1905 aux trois départements algériens par le décret du 27 septembre 1907, l'Etat n'a jamais cessé d'exercer en fait un contrôle prononcé sur l'exercice du culte musulman, en accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie d'agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées domaniales (circulaire Michel du 16 février 1933).

Les milieux musulmans locaux réagirent en exigeant de bénéficier de la même liberté que les cultes métropolitains. L'Emir Khaled adressa le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Edouard Herriot, président du Conseil. Par la suite, l'Association des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis formula un ensemble de propositions destinées à appliquer à l'Islam algérien le statut de droit commun des religions, qui furent reprises par la plupart des formations politiques musulmanes dès les années 1930 : création d'associations cultuelles et d'un Conseil supérieur islamique, convocation d'un congrès religieux chargé de définir l'organisation définitive du culte musulman conformément à la loi de 1905. Ces initiatives ne trouvèrent aucun écho auprès des autorités métropolitaines.

Bien que la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l'Algérie ait réaffirmé l'indépendance du culte musulman à l'égard de l'Etat dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques ont perduré jusqu'à l'indépendance. L'attitude de la République était dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses. Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux musulmans, les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la dépendance de l'Etat pour mieux en contrôler l'exercice.

Cet épisode de non-application de la loi de 1905 est parfois présenté comme symptomatique de l'incapacité de la République française à considérer l'Islam sur un pied d'égalité avec les autres religions. Il a en tout état de cause eu pour effet de créer un lien entre le religieux et le civil dont on retrouve encore les traces aujourd'hui.

Le régime issu de la loi de 1905 et des lois qui l'ont complétée a donc deux faces. D'un côté, un régime juridique uniforme caractérisé par une grande permanence et qui a permis l'enracinement sur la plus grande partie du territoire de principes reconnus comme au fondement du pacte républicain : liberté religieuse et non-intervention de l'Etat dans les affaires des Eglises. De l'autre, des situations de fait et de droit hétérogènes, selon le sort réservé aux différentes Eglises à l'époque de la séparation, selon le lieu où sont situés les édifices, selon l'époque.

Il reste à examiner comment l'Islam, dont la présence en France métropolitaine est récente, peut être, à travers ce régime, intégré à la société française au même titre que les autres religions.

Chapitre II : les musulmans en France
La République doit être indifférente aux religions en tant que dogme. Elle ne peut légitimement intervenir que pour réglementer leurs manifestations dans l’espace public. Aussi l’analyse des relations entre l’Islam et la République ne peut-elle partir que de l’étude de la situation des musulmans en France, des origines jusqu’aux pratiques actuelles.

Dans cette perspective, il apparaît que les musulmans constituent une population mal définie, aux représentations multiples. Ces difficultés d’approche sont encore accrues par le fait que l’Islam doit être appréhendé comme un fait non seulement religieux mais aussi social et culturel.

Parce que les relations entre l’Islam et la République sont encore aujourd’hui largement marquées par l’histoire de la colonisation, comme par les conditions de l’immigration massive de populations de culture musulmane, il apparaît nécessaire de rappeler, sommairement, les grandes étapes de l’implantation musulmane sur le territoire français.

Les étapes de l’implantation musulmane en France

L’implantation de la religion musulmane en France a été le fruit de vagues d’immigration successives, encouragées en général par les autorités publiques.

Au début du XXème siècle, l’Islam est très peu présent en métropole. A la veille de la première Guerre mondiale, on y compte seulement 4.000 à 5.000 Algériens. L’Islam reste un fait colonial, marqueur d’une identité différente et intimement lié au statut personnel.

La première Guerre mondiale entraîne les premières arrivées massives de populations musulmanes sur le sol métropolitain. D’une part, des troupes sont recrutées dans les populations indigènes d’Afrique du Nord : 170.000 Algériens et 135.000 marocains seront ainsi mobilisés. On compte près de 100.000 morts et blessés musulmans du côté français lors de ce conflit. Cette contribution à l’effort national suscitera, après la guerre, des gestes symboliques de la part de la République :
création de cimetières musulmans, construction de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée en 1924, ouverture de l’hôpital Avicenne à Bobigny. D’autre part, 130.000 musulmans sont recrutés entre 1914 et 1918 pour remplacer les travailleurs partis au front.

Le mouvement d’immigration de main d’œuvre s’accroît après la guerre. Il est soutenu par les pouvoirs publics et le patronat et favorisé par la suppression à l’égard des Algériens, en 1919, du permis de voyage. Si cette politique est stoppée à partir de 1924, en raison de la montée du chômage, l’immigration musulmane se poursuit malgré tout. En 1939, on compte 200.000 Algériens en métropole.

Après la seconde Guerre mondiale, deux éléments renforcent cette présence. La reconstruction du pays impose de faire appel à de la main d’œuvre étrangère. Ceci se traduit par la modernisation des conditions d’entrée sur le territoire métropolitain (adoption de l’ordonnance du 2 novembre 1945) et par le retour à la liberté de circulation pour les Algériens. L’immigration algérienne est prépondérante jusqu’à l’indépendance de ce pays (on compte 330.000 Algériens en métropole en 1962) et reste significative après la décolonisation. ? partir de 1960 se développe également une immigration marocaine. En 1975, on compte 260.000 ressortissants marocains sur le sol français. Jusqu’aux années 1970, ces populations connaissent un fort taux de rotation. N’ayant pas vocation à s’enraciner, elles s’accommodent, pour leur pratique religieuse, de conditions provisoires. L’Islam est désormais présent sur le sol français, mais encore peu visible.

D’autre part, le rapatriement après la guerre d’Algérie de 80.000 harkis crée la première communauté de “Français musulmans” sur le sol métropolitain. L’Islam est alors, pour les autres Français, l’une des caractéristiques de cette communauté.

La suspension de l’immigration de travail en 1974 n’empêche pas la diversification de la communauté musulmane, par arrivée de familles originaires de Turquie et d’Afrique sub-saharienne. Surtout, la nouvelle situation favorise l’expression d’un Islam jusqu’alors discret. Le gouvernement soutient dans les années 1970 la création de lieux de culte musulmans dans les foyers d’accueil, les grandes entreprises de main d’œuvre et les immeubles HLM. Cette politique répond à un objectif de paix sociale, d’intégration des populations destinées à s’enraciner, mais elle vise aussi à maintenir un lien avec leur culture chez ceux qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine. A cette attitude répond celle des familles qui choisissent de s’installer en France. Pour elles, la transmission des valeurs religieuses reste un des éléments essentiels du respect de leur patrimoine culturel dans un contexte étranger. Les enfants issus de ces familles étant en général de nationalité française, cette situation aboutit à l’émergence d’un Islam français, qui ne se dissimule plus et cherche sa place dans le paysage religieux national.

2-1 L’Islam : un fait religieux, social et culturel.
Comme toutes les religions, l’Islam ne peut être appréhendé dans sa seule dimension spirituelle. La réalité de l’Islam en France doit être également saisie aux plans social et culturel.

2-1-1 Un fait religieux
Si la diversité des pratiques de l’Islam dans le monde musulman interdit de dresser un portrait exhaustif et fidèle de celles des musulmans de France, l’exercice du culte est, quelles que soient les interprétations, nombreuses, qui peuvent en être faites, structuré par le respect des cinq piliers de l’Islam.

Les cinq piliers de l’Islam, pratiques obligatoires et codifiées, sont la profession de foi, l’aumône légale, le jeûne du mois de ramadan, la prière et le grand pèlerinage à La Mecque.

La profession de foi consiste en l’énonciation, en arabe, de la formule : “ j’atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mohamed est l’envoyé de Dieu ”. Prononcée devant deux témoins musulmans, elle suffit à faire entrer dans la Communauté des Croyants. Elle a une double signification : la croyance au monothéisme et celle en la mission de Mohamed.

L’aumône légale, versée par tout musulman qui en a la possibilité à la Communauté des Croyants, frappe toutes les formes de revenu. Elle est fondée sur le principe, essentiel dans l’Islam, de la solidarité communautaire.

Le jeûne du mois de Ramadan, le neuvième de l’année musulmane, consiste à ne pas manger, ne pas boire, ne pas fumer, ne pas avoir de relation sexuelle du lever au coucher du soleil. A cette abstinence physiologique, le musulman doit associer une modération dans le comportement. La rupture quotidienne du jeûne est un moment de fête, de célébration familiale. L’Aïd-el-Fitr, première journée où l’on peut se nourrir normalement, est célébrée par une grande prière collective. Sa date correspond à la réapparition du premier filet de croissant de lune.

La prière canonique est une obligation quotidienne du musulman, elle ne peut se faire qu’en état de pureté rituelle. Les ablutions sont codifiées. Le croyant se tourne vers La Mecque pour chacune des cinq prières quotidiennes. Suivant les moments, les prières sont plus ou moins longues (elles comportent un nombre variable de raka, unités de prière) et elles sont dites à voix haute ou silencieusement, en arabe, puisque c’est dans cette langue que Dieu s’est adressé aux hommes.

L’appel à la prière est la voix humaine. Le lieu de la prière peut être la mosquée mais ce n’est pas une obligation sauf pour les hommes le vendredi midi.

Le grand pèlerinage à La Mecque est un rite exceptionnel que le musulman doit accomplir une fois dans sa vie, si sa santé et ses moyens le lui permettent. Il se déroule pendant le mois où a lieu l’Aïd-el-Kébir, la grande fête musulmane qui commémore le sacrifice d’Abraham. Le hadj (pèlerin) se voit reconnaître une piété particulière parce qu’il s’est rendu et a respiré au lieu de naissance de l’Islam, là-même où était descendue la Parole divine. Cette signification considérable du grand pèlerinage se traduit par l’accomplissement de nombreux rites symboliques.

Si ces piliers sont communs à l’ensemble du monde musulman, plusieurs écoles se sont développées à partir de l’enseignement de Mohamed. L’Islam est ainsi composé de différents courants : les sunnites, les chi’ites et les kharijites.

Les différents courants de l’Islam

L’existence de différents courants procède d’une querelle sur le choix du chef de la communauté, le Calife. Premier converti, cousin germain puis, par Fatima, gendre du Prophète, Ali est élu quatrième Calife, en 656, en concurrence avec un membre du clan des Omeyades, Mu’awiya. Afin d’éviter l’affrontement, Ali accepte un arbitrage sur l’attribution du califat au résultat duquel il ne se soumet pas.

Lors de l’arbitrage décidé à Siffîn (en 656), les sunnites se sont soumis à la victoire de Mu’awiya tandis que les partisans d’Ali, calife destitué, devinrent les chi’ites. Le sunnisme se définit comme la communauté du “juste milieu”. Elle est définie par le Coran, les hadiths, c’est-à-dire les dits, faits et gestes du prophète rapportés par ses compagnons immédiats, auxquels se rajoutent ceux des quatre premiers califes et les suivants immédiats.

Les chi’ites sont à l’origine des partisans d’Ali. Dans le chi’isme, l’imam est le successeur spirituel du prophète. Des divisions significatives à l’intérieur du chi’isme sont apparues au moment de la succession du sixième imam, avec l’émergence du chi’isme duodécimain (présent en Iran, en Irak et au sud du Liban) pour lequel la lignée d’Ali s’arrête au douzième imam et l’ismaélisme (présent sur la côte occidentale de l’Inde), pour lequel elle s’arrête au septième imam, Ismaël, considéré comme “ caché ” et qui doit revenir à la fin des temps. En matière de droit, le chi’isme n’est pas fondamentalement différent du sunnisme avec cependant quelques variantes. Le Coran, les hadiths du Prophète, auxquels se rajoutent ceux des imams, constituent les deux premières sources du droit, vient ensuite le consensus de la communauté (ijma) mais conditionnée par l’approbation de l’imam. Autre différence avec le sunnisme : les chi’ites ont maintenu ouvertes les portes de l’interprétation. Sur le plan cultuel, les pratiques sont semblables à l’exception du mariage qui peut être temporaire pour les chi’ites.

Les kharijites sont présents dans le sultanat d’Oman mais aussi au Maghreb (Tunisie, Algérie, Lybie), ils réuniraient un million de personnes. Ils sont les héritiers des musulmans qui firent scission au moment de la bataille de Siffîn, au sujet de la succession du prophète. A l’origine partisans d’Ali, ils s’en sont séparés lorsque celui-ci accepta l’arbitrage humain pour décider de la succession du Prophète. Dans ce courant de l’Islam, l’origine de l’imam est indifférente si ses vertus le qualifient pour une telle charge.

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Le sunnisme comprend quatre écoles différentes. HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE Le sunnisme comprend quatre écoles différentes.

Les quatre écoles juridiques sunnites
L'école hanafite tire son nom de son créateur l'imam Abu Hanifa (mort en l'an 150 de l'hégire -767), et fut créée à Bagdad. Elle s'appuie sur le Coran, la sunna et le raisonnement par analogie (qiyas). Cette école connut son apogée à l'époque abasside et dans l'empire ottoman. Aujourd'hui, son influence s'étend surtout en Turquie, en Inde et en Chine.

L'école malékite tire son nom de l'imam Malik ibn Anas (mort en l'an 179 de l'hégire -795-). Elle privilégie le consensus (ijma) des docteurs ou savants de chaque époque (oulémas), puis le raisonnement par analogie (qiyas) et enfin le jugement personnel (ra'y). Elle fait également une large place à la coutume locale ('urf). Son influence est presque totale sur le Maghreb et l'Afrique subsaharienne.

L'école shafi'ite, qui apparaît en l'an 204 de l'hégire (820), tire son nom de Mohammed Idrîs Al Shafi'i, qui étudia d'abord auprès de Malik à Médine puis auprès des disciples d'Abu Hanifa en Irak. Les partisans de cette école privilégient le consensus (ijma), se méfient du jugement personnel (ra'y) auquel ils préfèrent le raisonnement par analogie. Cette école est présente en Arabie du Sud mais aussi en Indonésie et en Malaisie.

L'école hanbalite de Ahmad ibn Hanbal (mort en 241 de l'hégire -855-), créée à Bagdad, préconise la fidélité rigoureuse à la " religion pure des Anciens ", elle est hostile à la liberté du raisonnement. Cette école a été réactualisée au XVIIIème siècle par le mouvement wahabite, actuellement école officielle du royaume saoudien.

2-1-2 Un fait social et culturel
Une approche seulement religieuse ne suffit pas à saisir la réalité des musulmans en France aujourd'hui. Le débat sur l'Islam et la laïcité conduit parfois à reléguer l'analyse du rapport entre l'Islam et l'intégration des populations musulmanes au second plan. Pourtant, l'appartenance à la religion musulmane apparaît également comme un phénomène social et culturel qu'A. Lamchichi propose d'appréhender "comme une interaction entre croyances, pratiques, normes et conduites sociales ".

Il n'est pas question pour le HCI de prétendre ici réduire l'appartenance à une religion à sa seule dimension sociale. Mais, il apparaît indispensable, pour les pouvoirs publics comme pour la société française dans son ensemble, de ne pas se borner à concevoir l'Islam uniquement dans sa dimension spirituelle. La République n'a pas à intégrer les religions. En revanche, la politique d'intégration s'applique aux musulmans, comme aux autres membres de la population, dont les pratiques religieuses, qui renvoient autant à la culture d'origine qu'au dogme lui-même, contribuent à forger l'identité.


2-1-2-1 Islam, intégration et identité des populations musulmanes en France
Il s'agit pour les musulmans des deuxième et troisième générations de trouver une place dans la société qui a accueilli leurs parents tout en préservant leur identité spécifique.

Or, la dynamique d'intégration des populations immigrées bouleverse en profondeur les manières de vivre l'Islam des différentes générations de musulmans en France. Alors que l'Islam des parents demeure attaché aux traditions des pays d'origine, celui des jeunes, sécularisé ou néocommunautaire, s'inscrit davantage dans l'histoire et la société françaises.

Dans cette démarche, la religion constitue un élément de socialisation et d'identification parmi d'autres. Elle peut revêtir différentes fonctions sociales dans le processus d'intégration. Les pratiques religieuses telles que le jeûne du ramadan ou la célébration de l'Aïd el Kébir ont ainsi une très forte signification sociale et identitaire au-delà de leur stricte signification religieuse. Pour beaucoup de musulmans, l'Islam est autant un patrimoine symbolique collectif, culturel et identitaire, une tradition qu'un ensemble de codes moraux et normatifs strictement et exclusivement religieux. L'Islam participe ainsi à la réinvention permanente de l'identité des individus engagés dans un processus d'intégration.

Cette dynamique agit en retour sur l'Islam de France, qui constitue un "lieu de tensions et de réajustements continus tant au plan symbolique qu'au niveau des pratiques sociales".


2-1-2-2 La diversité des manières de vivre l'Islam parmi les nouvelles générations
Pour la très grande majorité des musulmans, la référence à l'Islam constitue surtout une part de l'héritage familial et culturel : il s'agit alors d'un Islam sécularisé. Sans toujours se conformer strictement aux règles du culte, ils considèrent l'Islam à la fois comme source de valeurs et comme un élément fort de leur identité culturelle. L'Islam sécularisé concerne des personnes nées ou scolarisées en France fortement imprégnées par les valeurs individualistes et qui opèrent clairement la distinction entre leur foi et l'expression rituelle ou publique de celle-ci. Cette privatisation de la croyance et la liberté revendiquée face aux institutions religieuses les amènent à formuler une critique sévère des magistères religieux classiques et à leur préférer la construction d'une morale personnelle à partir des principes de l'Islam. Elles manifestent leur religiosité à l'occasion du jeûne du ramadan et de l'Aïd el Kébir.

D'autres musulmans, en revanche, découvrent, souvent hors du milieu familial, un Islam plus orthodoxe que celui de leurs parents et dont la pratique emprunte plus ou moins au pays d'origine. Ce "renouveau Islamiste" ou encore cette "réislamisation" ne peut pas être analysé comme un repli identitaire tant ses formes se distinguent de celles de l'Islam des générations précédentes. Minoritaire parmi les musulmans de France, il s'incarne d'abord dans des réseaux d'activistes radicaux, dont les engagements bénéficient d'une visibilité médiatique sans rapport avec leur importance réelle. De manière plus significative, cette réislamisation a favorisé l'émergence de mouvements néofondamentalistes, à l'origine d'un Islam associatif néo-communautaire, alimenté notamment par la fin des mouvements "beurs". On observe de manière générale, chez ces jeunes musulmans, une tendance à régler leur conduite sociale sur la morale religieuse plutôt que sur la morale civique (prohibition de la mixité, complémentarité des sexes plutôt qu'égalité). La pratique du ramadan réapparaît ainsi avec force alors qu'elle était plus rare parmi leurs aînés, et contribue à une forte valorisation sociale de leur image. La seule volonté d'être identifié comme musulman semble parfois motiver l'adhésion à l'Islam.

2-1-3 Des demandes variables
Alors que pendant les années 1960 et 1970, l'Islam des immigrés musulmans se caractérisait à la fois par une très grande discrétion et par de faibles revendications d'amélioration des conditions d'exercice du culte, conditions pourtant très précaires mais qui étaient supportées grâce à l'idée du retour dans le pays d'origine, l'Islam des deuxième et troisième générations, dont la visibilité témoigne de la sédentarisation des populations immigrées, ne se laisse pas facilement saisir.

La faiblesse de la pratique religieuse des jeunes issus de l'immigration est tout à fait comparable à celle du reste de la société, en particulier la fréquentation des lieux de culte, notamment parmi les musulmans d'origine algérienne pour lesquels on observe un fort ajustement des comportements dès la première génération des enfants nés en France. Le fait que, parallèlement, certaines pratiques soient de plus en plus répandues comme l'Aïd-el-Kebir, le jeûne du ramadan et le respect des interdits alimentaires concernant la viande de porc, semble confirmer l'hypothèse que pour de nombreux musulmans en France, l'attachement culturel à l'Islam l'emporte sur le fait religieux.

Il reste que l'Islam suscite des demandes plus en plus précises sur les lieux de prière, les carrés musulmans dans les cimetières, la possibilité de respecter les interdits alimentaires dans la restauration collective, au moins en ce qui concerne la viande de porc. Les revendications relatives aux conditions matérielles décentes d'exercice du culte sont "davantage révélatrices d'un changement d'attitude par rapport à la société française que d'une intensification de la pratique ". Ce changement d'attitude découle à la fois, dans des proportions variables selon les individus, de l'installation durable en France des populations immigrées et de leur volonté d'identification en tant que musulman.


2-2 Les musulmans de France : une population mal définie
La définition de la population musulmane en France se heurte à des difficultés de méthodes qui expliquent, pour partie, l'existence d'évaluations statistiques variables.
2-2-1 Des difficultés méthodologiques
A la différence d'autres pays, la France n'autorise pas la production de statistiques sur les groupes religieux.
Le droit ne permet pas de distinguer ni de recenser les citoyens ou les résidents en fonction de leur foi, le dernier recensement posant la question de la confession d'appartenance datant de 1872 - et dans le cas des départements d'Alsace-Moselle de 1962. Est en effet interdit tout dénombrement indiquant l'appartenance confessionnelle, qu'elle repose sur une déclaration de l'intéressé ou sur une estimation des pouvoirs publics.

Les évaluations de démographes, sociologues et historiens, qui rencontrent de nombreuses difficultés méthodologiques et éthiques, permettent seules d'approcher une connaissance des phénomènes religieux.

Dans le cas de l'Islam de France, les mouvements de population et l'acquisition de la nationalité française rendent de surcroît les tentatives de chiffrage inévitablement circonstancielles. En outre, l'identité religieuse n'est pas une donnée fixe. Conversions, désengagement religieux ou retour vers la foi sont autant de phénomènes dont il est difficile de quantifier les effets. Il convient donc d'analyser avec précaution les réalités extrêmement diverses que recouvre le sentiment religieux, expérience individuelle se traduisant par une grande variété d'attitudes en matière de foi et de pratique, a fortiori au sein de communautés musulmanes qui doivent construire leur identité dans une société sécularisée où leur foi est minoritaire.

La comptabilité du nombre de musulmans vivant en France suppose donc une grande prudence. Comme le note Jocelyne Césari, " tout le monde pense savoir ou croit savoir qu'il y a un certain nombre de rites, de pratiques et de croyances qui font que si quelqu'un est musulman, il est obligatoirement musulman de cette manière. C'est une dérive totalisante, essentialiste, qui ne tient jamais compte de la personne que l'on a face à soi (...) Dès qu'un certain nombre de personnes ne se conforment pas à ces prescriptions ou à ces codes rituels, les observateurs, perturbés, commencent à déclarer qui est musulman ou qui ne l'est pas : c'est le faux débat par excellence ".


2-2-2 Des évaluations statistiques variables
S'il est impossible de parvenir à un décompte précis, les estimations convergent vers un même ordre de grandeur : il y aurait en France plus de quatre millions de musulmans. F. Fregosi avance même le chiffre de 5 millions de musulmans dont un tiers à la moitié seraient de nationalité française. Il faut noter que ces différentes évaluations recensent comme musulmans toute personne de "culture musulmane".

Deux évaluations statistiques parmi d'autres

1- En se fondant sur les pays d'origine et en ignorant le degré de pratique ou la revendication par ces populations de leur identité religieuse, A. Boyer avance le chiffre de 4 155 000 musulmans en France :
Musulmans d'origine maghrébine : 2 900 000
Dont d'origine algérienne : 1 550 000 Dont d'origine marocaine : 1 000 000 Dont d'origine tunisienne : 350 000
Arabes du Moyen-Orient : 100 000
Turcs : 315 000

Afrique Noire : 250 000

Convertis : 40 000

Demandeurs d'asile et clandestins : 350 000
Asiatiques : 100 000
Autres : 100 000 Total : 4 155 000
2- A. Boyer suggère une autre approche à partir des statistiques de la population étrangère par pays d'origine, supposée d'appartenance musulmane. Ces estimations reposent sur des extrapolations à partir des données du recensement relatives à la nationalité des individus. En retenant les principaux pays musulmans d'émigration, le recensement de 1990 comptabiliserait 1 671 914 musulmans étrangers en France dont près de 1 400 000 maghrébins. Il faut cependant leur ajouter les ressortissants d'autres pays non pris en compte dans cette première estimation (Pakistan, Iran...) ou provenant d'Etats pour lesquels la part des musulmans au sein de la population est plus difficile à déterminer : Liban, Yougoslavie, Inde...

Il faut enfin prendre en compte les musulmans de nationalité française dont le nombre ne peut être connu précisément :
- les harkis et leurs descendants soit 450 000 selon la Délégation aux rapatriés en 1997 ;
- les enfants et petits-enfants d'immigrés ayant acquis la nationalité française;
- les Français convertis à l'Islam, pour lesquels les évaluations vont de 10 000 à 100 000 ;
- les musulmans originaires des DOM-TOM : Antillais convertis, populations musulmanes de la Réunion et de Mayotte.

Selon cette estimation, le total serait légèrement supérieur à quatre millions de personnes

Sur la base de ces estimations, l'Islam est présentée comme la deuxième religion de France. Dans le cadre de ses travaux, le HCI a, pour sa part, cherché à distinguer les personnes "de culture musulmane" des personnes qui, pratiquant de manière plus ou moins régulière leur culte, peuvent être recensés comme de "religion musulmane" au sens strict.

Les chiffres disponibles à partir des données du recensement de 1990 permettent une estimation sommaire de la population devant être regardée comme de "culture musulmane" à partir du lien de parenté avec le chef de famille, du pays de naissance et de la nationalité actuelle ou antérieure. En appliquant aux effectifs ainsi déterminés les taux de fréquentation religieuse les plus élevés trouvés dans l'enquête MGIS de 1992, on aboutirait à un total de personnes de "religion musulmanse" sans doute inférieur au million.

Cependant, cette approximation permet davantage de relativiser la fiabilité des estimations les plus répandues que de donner une photographie pertinente de l'Islam en France. Il faut d'abord reconnaître que le critère retenu, la fréquentation des lieux de culte, pour définir la pratique de l'Islam dans cette estimation peut être discuté. La fréquentation de la mosquée, qui n'a pas d'ailleurs le caractère sacré des églises catholiques, n'est pas en effet une obligation religieuse : de nombreux musulmans, croyants et pratiquants, ne s'y rendent qu'exceptionnellement. En outre, l'insuffisance des lieux de culte limite de fait cette pratique. Enfin, rappelons que cette pratique, essentiellement masculine, ne dit rien des femmes musulmanes. Le jeûne du Ramadan ou le respect des interdits alimentaires semblent plus près de la réalité des pratiques mais, plus difficiles à mesurer, ils échappent à la rationalité statistique.

Le HCI ne prétend pas trancher entre ces différentes évaluations. Il se borne à relever que l'on peut aboutir à des données et même à des ordres de grandeur très différents des quatre millions régulièrement cités dès lors que l'on essaie de distinguer culture musulmane et pratique de l'Islam.
2-3 Une communauté aux représentations multiples.

La, ou plutôt, les communautés musulmanes se caractérisent, à la base, par un tissu associatif dynamique et, au niveau national, par l'existence de fédérations multiples.

2-3-1 Un tissu associatif dynamique : des critères de constitution nationaux, théologiques, générationnels et régionaux.
La communauté des musulmans de France a été, pendant l'entre-deux guerres, structurée par des confréries, notamment l'Association des étudiants nord-africains et l'Association des oulémas algériens. Après la seconde guerre mondiale, le monde associatif musulman est marqué par la jeunesse étudiante, notamment avec l'Union générale des étudiants musulmans algériens et l'Association des étudiants islamiques de France. Vers la fin des années 1960, après la décolonisation, se développent, notamment à l'initiative des travailleurs immigrés, des associations à caractère religieux dont la première a été l'Association cultuelle islamique. Les années 1970-1980 sont marquées par une certaine effervescence du monde associatif. Aujourd'hui, le tissu associatif se caractérise par une grande diversité.

2-3-1-1 Un tissu associatif d'une grande diversité .
La diversité du monde associatif musulman s'explique d'abord par la variété des doctrines théologiques, des courants et des écoles propres à l'Islam (voir supra 2-1-1).

L'émiettement du tissu associatif résulte en outre des trois facteurs suivants.
En premier lieu, la diversité des origines nationales et le maintien des références aux pays d'origine contribuent à colorer l'Islam des musulmans de France d'une touche autant culturelle et ethnique que religieuse.

Une grande partie des musulmans de France sont encore de nationalité étrangère et la présence des Etats d'émigration dans le paysage de l'Islam français résulte tant de leur volonté de conserver un lien avec leurs ressortissants que des demandes émanant des communautés immigrées. L'envoi d'imams, les soutiens financiers ou l'implication dans les institutions regroupant les musulmans de France permettent aux Etats de préserver une influence parmi leurs expatriés. En sens inverse, ceux-ci, récemment détachés de leur pays de naissance et fréquemment empreints d'une culture où religion et Etat étaient intimement liés, y voient la garantie du maintien des liens avec le pays d'origine et de la cohésion interne de leur communauté.

Au plan local, cette identité à la fois nationale et religieuse s'exprime dans des lieux de culte le plus souvent marqués ethniquement ou nationalement où se recrée l'atmosphère de l'Islam du pays d'origine. Un président d'association comorien marseillais faisait ainsi la remarque qu'il lui fallait surveiller "les infiltrations qui risqueraient de donner une autre couleur à la manière de prier des comoriens". La part prépondérante que prennent les pères de famille primo-migrants dans la gestion des salles de prière explique la persistance de ces identités nationales, ainsi que les conflits qui ne manquent pas d'apparaître lorsqu'émergent des projets de "grandes mosquées" dans des villes où la population musulmane est divisée entre communautés de poids équivalents.

L'échec du projet d'une grande mosquée de Marseille ou les atermoiements autour de la mosquée de Strasbourg s'expliquent notamment par ce facteur.

L'Islam turc est plus encore que d'autres relié au pays d'origine, les luttes d'influence entre l'Etat et le mouvement Islamiste étant reproduites, toutes proportions gardées, en France : à l'influence dans nombre de mosquées de langue turque du DITIB (union turco-Islamique d'affaires théologiques), qui dépend de l'ambassade de Turquie, répond l'action de l'institut des musulmans de France, proche des partis Islamistes initiés par N. Erbakan (Refah, Fazilet), ou de la tendance Kaplan, tenante d'un Islam plus radical.

L'Islam turc

Forte d'environ 300 000 personnes, la communauté d'origine turque connaît un double clivage, comme la population turque elle-même : un clivage ethnique entre Turcs et Kurdes d'une part, et un clivage religieux entre sunnites et fidèles de la confession alévie-bektachi d'autre part.

La représentation des Turcs sunnites en Europe recoupe la distinction entre les fédérations liées au gouvernement et les unions fondamentalistes dans l'opposition : on trouve d'un côté le DITIB (union dépendant du secrétariat d'Etat aux affaires religieuses) et de l'autre le Milli Gِrüs, ou "Le Point de vue national", qui est la branche européenne de l'ex-parti islamiste de la prospérité, interdit en 1998 et reconstitué sous le nom de "Parti de la vertu". Ce mouvement a connu une scission importante avec la création du mouvement suleymaniste, implanté à l'étranger depuis 1974, et du mouvement Kaplan, regroupant des ultra-orthodoxes sunnites pro-iraniens, également implanté en Europe.

L'alévisme qui est lointainement apparenté au chiisme regroupe un quart de la population turque. Cette école n'est pas encore officiellement reconnue par le gouvernement turc mais est actuellement dans une phase de légitimation par les autorités.

De toutes les communautés musulmanes installées en France, la communauté turque est, selon A. Boyer, celle qui formule le moins de demandes de naturalisation, ce qui paraît s'expliquer par le dynamisme de la vie communautaire. La pratique religieuse y est systématique pour la première génération d'immigration, et s'atténue dans les générations suivantes. Selon un sondage cité par A. Gokalp, directeur de recherche au CNRS, 38% des jeunes d'origine turque déclarent faire la prière occasionnellement, 35% ne jamais la faire. Près de 60% pratiquent le ramadan. Ce sondage mêlait toutes les confessions, ce qui implique, compte tenu de la pratique à peu près nulle de la prière et du ramadan chez les alévis, que la pratique des jeunes sunnites est supérieure à ces chiffres. La pratique religieuse est, sauf pour ce qui concerne les jeunes liés aux réseaux fondamentalistes, davantage liée à la proximité familiale et sociale qu'à des revendications identitaires. Comme les autres communautés, les Turcs pratiquent l'Islam en autarcie, ne fréquentant pas les mosquées des maghrébins et des africains, et pratiquent dans des salles de prières aménagées par des associations régies par la loi de 1901, le plus souvent des amicales de travailleurs immigrés. Les locaux appartiennent à la Fondation des oeuvres pieuses, émanation du secrétariat d'Etat aux affaires religieuses turc.

La spécificité de l'Islam de l'Afrique sub-saharienne, doublement minoritaire au sein d'une société majoritairement chrétienne et au sein d'une communauté de foi majoritairement maghrébine, s'illustre dans des regroupements nationaux (La Tijanniya ou les Mourids du Sénégal) ou ethniques (Fédération des associations Islamiques d'Afrique, des Comores et des Antilles créée en 1989 et devenue en avril 2000 Fédération française).

La "dahira", cercle en arabe, est une association religieuse qui prend en charge, à l'échelle des villages africains, l'organisation des différentes cérémonies (chants, lecture du Coran) dont le modèle est reproduit en France parmi les populations d'origine africaine.

En deuxième lieu, des critères générationnels contribuent au caractère pluriel de l'expression de l'Islam de France. Imprégnés de la sécularisation de la société où ils sont nés, ayant un rapport plus individualiste à la foi et à la pratique, les jeunes sont également moins inscrits dans le monde communautaire de leurs parents. Pour les jeunes qui s'investissent dans des associations se revendiquant musulmanes, l'engagement doit aussi fournir une réponse aux difficultés qui sont les leurs - et qui ne sont pas celles de la première génération. Le lieu fédérateur de cet Islam des jeunes est moins la mosquée que l'association de quartier, l'association sportive ou de soutien scolaire, où se développe une action plus collective et plus préoccupée des questions culturelles et identitaires. A Lyon, l'union des jeunes musulmans (fondée en 1987) témoigne de cette ambition. Cette césure générationnelle marque très profondément le passage d'une religion incarnée dans une culture dominante à une religion vécue comme un choix individuel.

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Le mouvement des scouts musulmans de Franc
Créé en 1990, le mouvement des scouts musulmans de France compte aujourd'hui 1 500 membres de 8 à 21 ans. Ce mouvement a affiché sa volonté de s'inscrire pleinement dans la dynamique du scoutisme. Reconnu en 1992 comme association d'éducation populaire par le Ministère de la Jeunesse et des Sports, bénéficiant du soutien financier du fonds d'action sociale, le mouvement des scouts musulmans de France organise chaque année de nombreux rassemblements de jeunes, musulmans ou non, filles et garçons, autour d'activités sportives, culturelles et d'éducation religieuse ouverte, dans la lignée des autres mouvements scouts confessionnels.

En dernier lieu, le caractère régional de l'Islam de France doit être souligné. Les associations et les communautés qu'elles animent empruntent des traits à leur environnement social et religieux. Comme le souligne Farhad Khosrokhavar, " la banlieue lyonnaise est connue pour l'histoire de sa lutte pour l'égalité des droits, Strasbourg pour sa capacité d'ouverture à l'Islam à partir de sa tradition concordataire, Marseille pour son culturalisme, Lille pour l'activité de sa principale mosquée qui discute volontiers avec les autorités municipales ". Dans ce contexte, les grandes mosquées de Paris, Lille ou Evry jouent fréquemment le rôle de fédérations régionales et imprègnent le tissu associatif local par l'action des personnels qu'elles ont formés ou qu'elles ont désignés, par la réponse qu'elles apportent aux problèmes que rencontrent les petites communautés au sein des hôpitaux, pour la construction des mosquées ou la désignation d'aumôniers.

2-3-1-2 Un mode d'engagement qui privilégie la forme de l'association loi 1901
Les associations se sont donc imposées comme le principal mode d'action collective des communautés musulmanes.
Le développement du mouvement associatif s'explique aussi par la suppression du régime d'autorisation préalable qui prévalait, pour les associations étrangères, jusqu'à la loi du 9 octobre 1981.

L'engagement associatif permet le développement d'actions de proximité et induit une reconnaissance nouvelle de la part des institutions, mais demeure ambigu au regard de l'intégration : à la fois affirmation d'une identité culturelle et signe d'adaptation à la société française, il traduit une volonté d'agir dans le champ public mais sur des bases particularistes. Dans tous les cas, il importe pour les acteurs publics de parfaire leur connaissance de ces acteurs et d'encourager celles de leurs actions qui correspondent à des objectifs d'intégration, quand trop souvent leur appellation musulmane limite les appuis dont elles pourraient bénéficier et que leurs projets mériteraient.

2-3-2 Des fédérations nationales concurrentes
Peu d'associations disposent de la surface financière ou de la légitimité nécessaires pour apporter des réponses aux questions complexes qui se posent pour le culte musulman. Dans bien des cas, beaucoup n'ont pas la possibilité de rémunérer un imam. Très vite s'est donc imposée la nécessité de regroupement en fédérations régionales et d'organisation par des associations nationales.


Les principales fédérations musulmanes
L'institut musulman de la mosquée de Paris.
La mosquée de Paris a été inaugurée en 1926 par le président Doumergue et le sultan Moulay Youssef. Bénéficiant de son antériorité et de ses liens traditionnels avec l'Etat algérien, l'IMMP entend être à la fois un lieu de rayonnement de la culture Islamique et un lieu de rassemblement de la communauté. L'institut revendique l'autorité sur 150 imams par le biais de cinq muftis régionaux et prétend contrôler près de 200 lieux de culte. Il a été particulièrement actif, mais sans succès, dans la recherche d'une organisation de la communauté : création en avril 1993 de la coordination nationale des musulmans de France puis en décembre 1994 du conseil consultatif des musulmans de France, avant de contribuer en janvier 1995 à la charte du culte musulman en France. Le retrait du monopole qui lui fut un temps accordé pour l'organisation de l'abattage rituel et les graves dissensions internes de 1995-1996 n'ont pas empêché la mosquée de Paris de demeurer un acteur essentiel de l'Islam en France.

L'union des organisations Islamiques de France (UOIF)
Branche française de l'union des organisations Islamiques en Europe, fondée en 1983. Proche des Frères Musulmans, elle bénéficierait du soutien financier de fondations religieuses des Etats du Golfe. L'UOIF revendique rassembler plus de 200 associations et se trouve au coeur d'un maillage associatif très dense et catégorisé (Jeunes musulmans de France (JMF), Ligue française des femmes musulmanes, organisations d'étudiants....). Cette organisation rassemble autour d'une vision conservatrice de l'Islam. En avril 1999, son congrès annuel au Bourget a rassemblé environ 5000 personnes. Elle anime l'institut européen des sciences humaines de St-Léger de Fougeret (Nièvre).

Fédération nationale des musulmans de France (FNMF)
Fondée en 1985 par des dissidents de la mosquée de Paris et des représentants de plusieurs communautés dont beaucoup se sont par la suite retirés, affaiblissant cette organisation et lui laissant une forte coloration marocaine. En 1997, la FNMF a initié une Coordination nationale des imams et guides religieux.

Tabl( Tabligh (branche française de Jama'at al Tabligh).

Mouvement fondamentaliste d'origine pakistanaise pratiquant un prosélytisme actif et se développant surtout dans les banlieues défavorisées, le Tabligh est aujourd'hui scindé en deux mouvements : Tablih wa dawa il Allah et l'Association Foi et pratique.

A ces différentes fédérations, il faut ajouter un certain nombre d'organisations turques parmi lesquelles l'Union turco-islamique d'affaires théologiques (DITIB), l'Union islamique de France, de tendance fondamentaliste et l'Union des associations et communautés islamiques dit "Mouvement Kaplan", également fondamentaliste.

Il n'existe pas de contentieux théologique ou politique tel qu'il interdise absolument des modes de coopération et de dialogue entre ces différentes fédérations. Mais les rivalités personnelles et les luttes d'influence, notamment entre l'Algérie ou du Maroc jouent un rôle prédominant dans l'absence d'une fédération représentant l'Islam de France d'une manière consensuelle.

Cependant, la concurrence qui existe de fait entre ces organisations accuse les effets de l'absence de structure représentative de l'Islam au plan national.

En premier lieu, cette situation prive les pouvoirs publics d'un interlocuteur institutionnel reconnu comme légitime par tous les musulmans. Dès lors, chaque structure cherche à devenir l'interlocuteur obligé en matière d'Islam (présence sur les lieux en cas d'affaire de foulard ; compétition pour disposer de l'émission religieuse programmée par France-Télévision...).

En deuxième lieu, cette concurrence conduit à l'accaparement par une minorité engagée dans les questions religieuses de la parole de la majorité, les associations musulmanes tendant à s'exprimer, parfois faute d'autres interlocuteurs identifiés, au nom de la communauté maghrébine - laquelle n'a pas nécessairement les mêmes préoccupations. Cette prise de parole a aussi pour effet de surévaluer la demande religieuse dans un contexte où l'Islam de France se cherche et où les besoins qu'éprouveront en ce domaine les nouvelles générations nées en France ne peuvent être évalués.

En troisième lieu, le HCI a relevé, lors de ses visites ou de ses auditions, un certain sentiment de lassitude de la part des acteurs locaux qui observent parfois avec scepticisme les luttes de pouvoir pour le contrôle des grandes mosquées et ne se reconnaissent pas nécessairement dans les combats menés par les fédérations nationales.

Chapitre III : L'Islam en France
Une fois cet état des lieux dressé, l'étude des relations entre l'Islam et la République débouche, d'une part, sur la question de la compatibilité entre la religion musulmane et les valeurs républicaines et, d'autre part, sur l'enjeu que constitue l'intégration des populations musulmanes dans la société française.

Parce que la République ne peut s'intéresser au dogme en tant que tel mais seulement aux pratiques quotidiennes des fidèles, parce que les débats, souvent médiatiques, toujours réducteurs sur la capacité de l'Islam à se "dissoudre" dans la République procèdent d'une lecture réductrice des exigences de la laïcité, s'interroger sur la réalité de l'Islam en France renvoie aux conditions concrètes dans lesquelles les musulmans vivent leur foi, pratiquent leur culte ou encore manifestent leur identité en France.

A partir des nombreuses auditions qu'il a menées et des visites effectuées sur le terrain, le Haut Conseil à l'Intégration a donc cherché à prendre la mesure du vécu musulman aujourd'hui. C'est notamment à partir d'exemples concrets, de témoignages ou de revendications qu'il est amené à dresser le diagnostic suivant sur la situation de l'Islam en France.

Les principaux problèmes peuvent être regroupés autour des trois questions suivantes : l'exercice du culte, les rituels alimentaires et la vie à l'école, sans que cette typologie prétende être exhaustive.

3-1 Des obstacles à l'exercice du culte
La loi de 1905, et le principe de neutralité de l'Etat à l'égard des religions qui caractérise le droit public français, se révèlent source d'inégalités, comme il a été dit plus haut : les Eglises présentes en 1905 bénéficient, via la propriété publique des édifices du culte et l'obligation d'entretien, d'un avantage dont ne jouissent pas les religions nouvellement installées. Pour le reste, les caractéristiques du culte musulman, qui trouvent leur expression dans l'espace public, paraissent, dans l'ensemble, conciliables avec le principe de neutralité et les exigences de l'ordre public.

3-1-1 Les lieux de culte
3-1-1-1 Une offre insuffisante
Dans toute religion, le lieu de culte est le lieu du rassemblement des fidèles et de l'exercice des rites. La mosquée joue toutefois un rôle spécifique en Islam. "Une mosquée n'est pas une église où l'on délivre des sacrements. C'est à la fois moins - n'importe quel site délimité et orienté suffit à un groupe de fidèles même privés d'imam - et plus. En effet, à côté de l'espace rituel d'adoration et de louange de Dieu, une mosquée assure la fonction de centre culturel (médersa) et social de la communauté, car la dimension du croyant ne s'épuise pas dans la prière mais fait appel au devoir de connaissance et à celui de solidarité". Souvent lieu communautaire de solidarité et de "reconstitution", la salle de prière est aussi un lieu éducatif, dispensant dans biens des cas un apprentissage de l'arabe et une initiation théologique.

L'ensemble des acteurs concernés font état d'un nombre insuffisant de lieux de culte musulmans sur le territoire français. Les chiffres fournis par le ministère de l'intérieur sont les suivants : 1558 lieux de culte (mosquées et salles de prière) encadrés par 1126 associations gestionnaires. Si le ministère de l'intérieur ne s'avance pas à proposer une répartition entre associations cultuelles sous le régime de la loi de 1905 et associations loi 1901, il ne fait guère de doute que l'immense majorité des lieux de culte sont gérés par ce dernier type de structure. En se fondant sur le nom des associations et au risque d'omettre certaines d'entre elles ayant des objets sociaux culturels, éducatifs ou folkloriques, A.Boyer et A.Brisacier estiment à 46 le nombre d'associations cultuelles musulmanes et à plus de 1050 celui des associations musulmanes loi 1901.

Les motifs qui expliquent le recours privilégié à la forme associative la plus simple sont multiples : manque de formation juridique des intéressés, contraintes supposées du dispositif de la loi de 1905, impact de la loi du 9 octobre 1981 qui a supprimé le régime d'autorisation préalable pour les associations présidées par des étrangers. Il faut en outre ajouter que le culte est pratiqué sans assise associative d'aucune sorte dans des lieux dont le nombre est estimé à environ 400 par le ministère de l'intérieur.

Ces chiffres, à rapporter aux 4 millions de personnes de culture musulmane, démontrent la situation particulièrement défavorable de la population musulmane, si on les compare aux 40.000 édifices cultuels catholiques, aux 957 temples et aux 82 synagogues et oratoires. Il convient, en premier lieu, de souligner que ces chiffres sont avant tout une conséquence de l'histoire.

Si, compte tenu des précautions évoquées plus haut à propos du dénombrement des fidèles de la religion musulmane, on doit analyser ces proportions avec prudence, il reste que la situation des lieux de culte musulmans apparaît, en tout état de cause, par comparaison avec celle des autres cultes, peu favorable.

A cette faiblesse numérique s'ajoute une répartition très déséquilibrée selon la taille des lieux. Selon le ministère de l'intérieur, plus des deux tiers de ces lieux de culte sont de simples salles de prière accueillant moins de 150 fidèles, 300 accueillent de 150 à 500 fidèles, 34 de 500 à 1.000 fidèles, et 13 mosquées plus de mille fidèles.

Dans leur immense majorité, ces salles et mosquées occupent des locaux préexistant reconvertis à cette nouvelle affectation.

Cette situation soulève, du point de vue de la liberté religieuse et de la bonne intégration de l'Islam, plusieurs problèmes.

En premier lieu, la relégation de la pratique de l'Islam dans des locaux, désaffectés de leur précédente activité, parfois trop étroits et peu ou mal aménagés, alors que les religions plus anciennement installées sont pratiquées dans des conditions matérielles visiblement plus favorables, pose un problème de principe, qui est celui de la situation différente des religions dans l'accès au culte.

Ensuite, cette situation crée, notamment chez les jeunes, un sentiment d'injustice qui se retourne contre les pouvoirs publics. Citons les propos tenus par différents fidèles lors d'une visite du lieu de prière des Tarterets, à Corbeil-Essonne, constitué d'un appartement en rez-de-chaussée de quatre pièces dont une sert à la prière : "... La France doit ouvrir ses portes sur certaines choses... On n'a pas de mosquée, seulement un hall d'immeuble ...Le local est exigu, ne peut contenir que dix-neuf personnes, alors que l'assistance est plus nombreuse... Quelquefois, il y a cent ou deux cents personnes à la prière du vendredi. Ca déborde dehors... On accueille les enfants pour faire de l'aide aux devoirs et pendant les petites vacances scolaires... Viennent cent-vingt à cent-cinquante enfants...". Le sentiment de frustration aboutit parfois à des revendications symboliques allant au-delà de la seule question matérielle, comme le note cet acteur de la politique de la ville rencontré à Lille : "Les pères revendiquent des lieux de culte corrects et en nombre suffisant. Les jeunes se positionnent radicalement en termes de visibilité dans l'espace public. Les pères ne sont pas très enthousiastes pour les grandes mosquées, les jeunes, si."

Du point de vue de l'ordre public enfin, le développement de lieux de culte dans des locaux non destinés à cette affectation peut soulever des difficultés importantes. Ces lieux ne répondent pas toujours aux critères de sécurité posés par la législation sur les établissements recevant du public. Leurs abords ne sont pas toujours aménagés pour permettre la circulation et le stationnement des fidèles, ce qui peut créer des situations critiques lors des fêtes religieuses. Les remarques de M. Gérard Hamon, conseiller municipal de Rennes, à propos du centre culturel Islamique de Rennes, montrent le caractère délicat de telles situations : "La ville a reçu des courriers concernant le stationnement anarchique à l'heure de la principale prière du vendredi et aussi lors des grandes fêtes (Aïd el Kébir, fin de Ramadan, Aït el Fitr...). Les responsables du centre ont toujours signalé aux autorités de police ces manifestations et n'ont de cesse de demander la verbalisation des "mauvais citoyens", les questions de stationnement ne relevant pas des musulmans mais du sens civique des personnes. Les tergiversations des responsables municipaux du stationnement m'ont montré le travail qu'il y a encore à mener pour que les musulmans soient perçus comme des citoyens comme les autres. Il a en effet fallu longtemps insister pour décider leur action (et surmonter) la crainte de réactions très négatives ou des accusations de racisme."

La faiblesse quantitative et qualitative du parc de mosquées et de salles de prières a appelé des réponses diverses de la part des pouvoirs publics.

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3-1-1-2 Les réponses apportées par les pouvoirs publics. HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE 3-1-1-2 Les réponses apportées par les pouvoirs publics.

L'acceptation de la construction de mosquées ou de salles de prière par les pouvoirs locaux n'a pas toujours été aisée ; des oppositions violentes se sont parfois manifestées. Ainsi à Charvieu-Chavagneux (Isère), en 1989, le maire avait commencé à faire détruire par une pelleteuse mécanique la salle de prière de la ville. En 1991, le maire de Libercourt (Nord) organisait un référendum local sur l'agrandissement de la mosquée, rejeté à 83,5% des votants. De telles attitudes, qui ne peuvent que contribuer à accroître les tensions, semblent toutefois en régression. Dans les années récentes, de nombreuses mosquées ont été construites avec le soutien affiché des pouvoirs publics nationaux et locaux : tel a été le cas à Lyon, Rennes, et Evry. La ville de Strasbourg se propose de soutenir, grâce aux possibilités de subvention offertes par le droit local, deux projets de "grande mosquée" sur son territoire.

Juridiquement, la construction de lieux de culte n'est soumise à aucune règle spécifique et doit seulement respecter le droit commun de l'urbanisme. Si les coups d'éclat des années 1980 ne sont plus de mise, les pouvoirs locaux détournent encore parfois les moyens juridiques dont ils disposent pour empêcher l'édification de salles de prière : en refusant illégalement un permis de construire, ou en réalisant la préemption ou l'expropriation du terrain sur lequel une association musulmane souhaite construire une mosquée. De telles situations sont souvent insolubles pour les associations, qui n'ont pas toujours les moyens d'agir en justice et ne veulent en outre pas courir le risque de détériorer définitivement leurs relations avec les collectivités locales.

L'exemple qui suit est particulièrement représentatif de nombreuses situations. Le Haut Conseil a auditionné un représentant de l'association Islamique d'Elbeuf, agglomération de 10.000 habitants située près de Rouen. La mosquée gérée par cette association est actuellement installée dans une friche industrielle reconvertie, que la mairie a déclarée en 1995 non conforme à la législation sur les établissements recevant du public. L'association souhaite construire une nouvelle mosquée, elle dispose des financements nécessaires à cet effet mais a besoin, pour ce faire, que l'une des communes du district lui attribue un terrain. Mais les communes se défaussent les unes sur les autres, créant ainsi une situation d'impasse que la proximité des élections municipales ne contribuera vraisemblablement pas à débloquer. Sans que des illégalités soient commises, l'inertie des collectivités locales, que le régime de l'intercommunalité ne permet pas de surmonter, constitue donc un obstacle objectif au libre exercice du culte.

Dans les hypothèses, heureusement de plus en plus nombreuses, où les collectivités jouent le jeu de l'intégration des salles de prières dans la vie locale, le principal problème reste celui du financement. Si les projets de grandes mosquées, tels ceux de Strasbourg, avoisinent les 100 MF, les projets plus modestes et plus nombreux ont un coût moindre mais que les communautés locales arrivent rarement à financer seules. Le "bouclage" est souvent assuré par des Etats étrangers à travers leur représentation officielle en France ou des associations religieuses.

Soucieuses de favoriser l'intégration de l'Islam dans la cité, des collectivités cherchent les moyens d'aider financièrement à la construction ou à la transformation de locaux en salles de prière. Leur capacité est contrainte par les dispositions de la loi de 1905 en vertu de laquelle la République ne peut subventionner aucun culte.

Plusieurs possibilités sont toutefois ouvertes par la loi, dans des conditions et limites assez précises :

- les communes ont la possibilité de conclure des baux emphytéotiques avec une association cultuelle afin de lui permettre la jouissance à long terme d'un terrain communal sur lequel l'association construit un édifice religieux (dans l'idée implicite que le contrat sera reconduit à l'identique à son terme). Cette pratique, inaugurée par un accord de 1936 entre Léon Blum, Président du conseil, et le cardinal Verdier, archevêque de Paris, n'est toutefois conforme à la loi que si le loyer est fixé au prix du marché, faute de quoi le bail doit être regardé comme une subvention déguisée

- la collectivité peut également louer par convention un édifice à une association religieuse, au prix du marché pour éviter toute subvention indirecte ;

- l'article 11 de la loi de finances rectificative du 29 juillet 1961 permet aux collectivités publiques de garantir les emprunts contractés par les associations cultuelles ou d'autres groupements pour la construction d'édifices religieux ;

- si les collectivités ne peuvent financer ni les associations cultuelles, régies par la loi de 1905, ni les associations à objet mixte (culturel et cultuel), elles peuvent en revanche subventionner les associations à objet purement culturel : centre culturel, bibliothèque, salle de réunion... Cette possibilité a été utilisée lors de la construction de plusieurs édifices religieux, telles la Mosquée et la cathédrale d'Evry, qui ont vu la création de deux associations à objet distinct. Ceci implique toutefois une séparation financière et fonctionnelle étanche entre les activités cultuelles et culturelles ;

- enfin les collectivités ont la faculté de subventionner les réparations des édifices affectés à l'exercice public du culte et gérés par une association relevant de la loi de 1905 (art. 19 de la loi de 1905).

La souplesse de la loi, qui ne permet pas d'éviter le développement de pratiques illégales, n'offre toutefois pas, on le voit, de réponse réellement satisfaisante à la situation de fait créée par la loi de 1905, caractérisée par le gel du patrimoine public religieux tel qu'il existait au début du 20e siècle, et par l'impossibilité d'accorder des aides publiques permettant de compenser, en faveur des musulmans, l'inégalité immobilière ainsi créée.

3-1-2 Les imams
3-1-2-1 Le statut de l’imam
“L’absence effective d’un “clergé musulman”, au sens catholique du terme, (...) n’implique pas pour autant l’absence, d’une part, d’autres formes de “clercs” sans cléricature, d’autre part, en Islam, d’un corps de professionnels de la religion”.

S’il existe souvent dans les pays musulmans un clergé fonctionnant sur une base nationale, ce type d’organisations ne se retrouvent généralement pas en France en raison du relâchement, variable selon les cas, des relations entre les communautés émigrées et les clergés d’origine. De surcroît, dans la perspective d’un Islam majoritairement français, de tels liens ont vocation à perdre leur légitimité.

Dans le même temps, l’éclatement de la communauté musulmane fait qu’une structure ecclésiastique unique est encore hors de vue. Pour toutes ces raisons, les imams ne peuvent être aujourd’hui en France des ministres du culte appartenant à une hiérarchie ecclésiastique qui les a formés et qui les reconnaît comme siens. L’imamat n’est pas nécessairement une fonction permanente et certaines mosquées voient ainsi des imams se succéder tout au long de l’année. Il faut en effet distinguer entre l’imam des cinq prières qui réside en permanence à la mosquée et l’imam de la prédication (khatib) qui prononce le prêche du vendredi sans exercer de fonctions pastorales.

Les imams exerçant en France se trouvent donc dans des situations fort variées : certains exercent, par ailleurs, des métiers et ne sont imams qu’à titre bénévole ; certains sont salariés d’une association qui est censée assurer leur couverture sociale, charge dont beaucoup ne peuvent s’acquitter. Selon les estimations de A. Boyer, seule une cinquantaine d’imams sur cinq cents environ exerçant à temps plein serait affiliée au régime spécial de sécurité sociale des cultes créé par la loi du 2 janvier 1978. Ainsi, de nombreux imams ne sont pas couverts par un régime de protection sociale.

L’absence d’instance représentative de l’Islam est, en ce qui concerne la protection sociale des imams, préjudiciable à la fois aux imams dont les intérêts ne sont pas spécifiquement défendus et aux caisses qui sont privées d’interlocuteur. Ainsi, contrairement à ce que prévoient les textes, aucun représentant du culte musulman ne siège au conseil d’administration des deux caisses. Par ailleurs, les caisses ne sont pas en mesure de contester l’affiliation de certains imams au motif qu’ils ne répondraient pas à des critères objectifs dans la mesure où il n’existe pas d’autorité centralisée du culte musulman susceptible de définir un véritable statut de l’imam.

En 1990, sur les 500 imams recensés exerçant leurs fonctions à temps plein, 4% seulement étaient citoyens français, le reste se répartissant entre 40% de Marocains, 25% d’Algériens, 13% de Turcs, 5% de Tunisiens et 13% d’autres nationalités. La plupart des imams formés l’ont été à l’étranger. Comme le note T. Ramadan, “ il faut que la transmission [de la tradition religieuse] tienne compte du nouveau contexte français. Les défis de la personnalité et de l’intimité sont totalement différents dans le monde moderne ”

3-1-2-2 Un rôle d’ordre religieux et social
S’il n’existe pas, à proprement parler, de statut de l’imâmat, la fonction remplie par les imams est à la fois d’ordre religieux et d’ordre social. Les imams sont à la fois des guides de prière, des enseignants de la langue arabe et des conseillers moraux et spirituels. Lors de son audition devant le HCI, le recteur de la mosquée de Paris distinguait trois niveaux d’imâmat : la simple direction de la prière, la connaissance du droit musulman, la capacité à enseigner la théologie. En effet, si une minorité des imams installés en France exercent un magistère intellectuel, la majorité se bornent à ce rôle de directeur de la prière, que le recteur de la mosquée de Marseille définit ainsi : “ l’imam n’est pas un directeur de conscience ; il ne donne pas de bénédiction, de pardon, ni de condamnation divine. C’est celui qui est devant et qui dit la prière mais il ne prie pas pour les fidèles ”. Les imams interviennent cependant pour certains actes rétribués à l’occasion de mariages ou d’enterrements, lors de la délivrance d’un certificat de conversion....

L’absence de statut de l’imam comme la difficulté à en définir précisément la fonction d’imam rend son appréhension difficile pour l’application des textes.

Ainsi, l’application des textes définissant les conditions de recrutement des aumôniers est délicate.

3-1-2-3 Les aumôneries
L’aumônerie publique vise à permettre aux personnes empêchées de se rendre dans un édifice cultuel de bénéficier de la liberté religieuse. Les aumôneries sont l’un des rares domaines dans lesquels la laïcité s’exprime non par une égale abstention de l’Etat à l’égard des religions, mais par une égale action en leur faveur.

La loi de 1905 déroge ainsi au principe de non subvention des cultes dans le cas des aumôneries. Différents textes organisent maintenant le recrutement et la prise en charge d’aumôniers par les administrations : c’est le cas pour les prisons (chapitre X du code de procédure pénale), les armées (décret du 1er juin 1964), les établissements publics de santé (code de la santé publique). En ce qui concerne les écoles, le 3e alinea de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1959 dispose que l’Etat “prend toutes dispositions utiles pour assurer aux élèves de l’enseignement public la liberté des cultes et de l’instruction religieuse”. Dans le cas des collèges et lycées, le décret du 22 avril 1960 permet la création d’aumôneries à la demande de parents d’élèves. Selon l’article 8 de ce décret, les frais d’aumônerie sont à la charge des familles, sans préjudice de la possibilité de subvention ouverte aux communes par la loi de 1905.

Dans le cas de l’Islam, les aumôneries posent la difficile question du choix des personnes appelées à remplir cette fonction. La plupart des textes visés ci-dessus prévoient que les aumôniers, qui sont des ministres du culte, sont choisis en concertation avec l’autorité religieuse compétente. En l’absence de structures de représentation de l’Islam et de hiérarchie ecclésiastique, se pose la question de savoir qui doit choisir les aumôniers musulmans. Les pouvoirs publics doivent être sûrs du caractère consensuel des aumôniers choisis, ainsi que de leur moralité, au même titre que pour les autres agents publics. L’absence d’interlocuteurs les empêche souvent de s’assurer de ce consensus et de trouver les garanties qu’ils sont en droit de rechercher.

L’une des conséquences de cette situation est le très petit nombre d’aumôniers musulmans. Il ne semble y en avoir pratiquement pas dans les hôpitaux et à l’armée. Un nombre très insuffisant (une dizaine) est présent dans les prisons. Cette situation est d’autant plus regrettable quand on connaît l’importance de l’accomplissement des rites dans l’Islam.

3-1-3 Le rituel mortuaire
La religion musulmane définit un ensemble de rites qui accompagnent la mort et doivent permettre au mourant de se présenter pur au moment du jugement.

Les deux principaux rites, la prière et la toilette funéraire, nécessitent la présence auprès du mourant de son entourage et de personnes consacrées. Ces exigences, qui peuvent être ressenties d’autant plus fortement par la famille dans un moment de peine et où l’accompagnement de la personne selon son rite répond à la volonté de préserver sa mémoire, sont-elles compatibles avec le fonctionnement des établissements publics de santé? La conception ouverte de la laïcité issue de la loi de 1905 a pour corollaire que le libre exercice des cultes et des rites doit être garanti à l’intérieur des établissements : tel est le sens de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Cette liberté s’exerce toutefois sous réserve des conditions suivantes : l’égalité entre les cultes, le respect des croyances d’autrui (y compris à l’égard des non croyants), la prise en compte des exigences de l’ordre public et des nécessités du service.

Rien ne s’oppose donc, sous ces réserves, à ce que les musulmans puissent pratiquer les rites susdécrits. Ainsi l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris a précisé dans un ouvrage à destination de ses services les principes à respecter.

Principes à respecter à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris

- une liste des ministres du culte doit être en permanence à la disposition des familles;

- les rites doivent résulter de la volonté expresse du défunt ou de sa famille ;

- les rites doivent être menés de façon discrète et en conformité avec les règles de sécurité. Ils doivent être exercés dans la chambre mortuaire, aménagée à cet effet, et des solutions alternatives doivent être proposées (sortie sans mise en bière, transfert du corps dans une chambre funéraire) lorsqu’elles sont possibles ;

- la toilette mortuaire doit être facilitée.

De même, le centre hospitalier de Douai a mis au point une fiche relative à la “prise en charge du défunt et de sa famille” qui traite notamment de la prise en charge des rites mortuaires des personnes musulmanes.

Comme le montrent ces exemples, qui traduisent le libéralisme raisonné résultant de la loi ainsi que la réelle bonne volonté des autorités sanitaires, il n’y a aucun obstacle de principe à ce que les rites funéraires musulmans soient, comme ceux des autres religions, pratiqués dans les hôpitaux publics.

3-1-4 Les cimetières
La question de l’inhumation est d’autant plus importante que le rapatriement des corps dans le pays d’origine, dernier témoignage d’une fidélité aux racines familiales, est d’un coût tel que certaines familles doivent y renoncer, malgré la volonté du défunt.

La religion musulmane pose plusieurs exigences inédites pour la tradition occidentale moderne dont certaines se heurtent directement aux règles de santé publique et d’organisation du service public.

En particulier, selon les préceptes islamiques, le corps doit reposer en pleine terre, sans cercueil et sans tombeau. Il est posé sur le côté droit, la poitrine tournée vers la Mecque. En outre, l’Islam proscrit l’exhumation des corps.

L’exigence d’enterrement en pleine terre va directement à l’encontre des règles de santé publique selon lesquelles l’inhumation doit être effectuée dans un cercueil. Il semble toutefois que les familles musulmanes acceptent sans trop de difficultés cette adaptation, dès lors qu’est préservée l’orientation du corps vers la Mecque.

Ce second point est plus délicat car il crée une obligation d’orientation des tombes spécifique au culte musulman. Depuis le décret du 23 Prairial An XII, les communes ont le monopole de la création et de la gestion des cimetières. Les seuls cimetières privés légaux sont les cimetières juifs qui préexistaient au décret du 23 Prairial An XII, lequel n’a pas reconnu aux juifs la possibilité d’organiser des funérailles religieuses dans les cimetières communaux.

Réalisée à titre isolée, l’orientation d’une tombe vers la Mecque dans un cimetière communal ne heurte aucune règle, dès lors que la loi du 9 décembre 1905 va jusqu’à autoriser l’apposition de signes religieux sur les terrains de sépulture (art. 28). Mais pour des raisons compréhensibles de rationalisation de l’espace dans les cimetières, les maires sont amenés à regrouper les caveaux ayant une même orientation, créant par là même des “carrés musulmans” de fait. Or l’article 97-4 de la loi communale du 5 avril 1884, aujourd’hui codifié à l’article 2213-9 du code général des collectivités territoriales, prévoit que le maire, dans l’exercice de son pouvoir de police des cimetières, ne peut “établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt, ou des circonstances qui ont accompagné sa mort”. Cette disposition fait obstacle à ce que les tombes soient regroupées selon la religion des défunts. Toutefois, les maires ont une attitude souple en la matière. Les familles de religion juive, traditionnellement attachées au regroupement communautaire des défunts, ont souvent obtenu la création d’espaces réservés. De même le phénomène des “carrés musulmans” se généralise, encouragé par deux circulaires récentes des 28 novembre 1975 et 14 février 1991 du ministre de l’intérieur. Cette tolérance ne semble pas contrevenir à l’esprit de la loi, dès lors qu’elle se traduit seulement par une facilité offerte dans les faits, sans séparation matérielle des tombes musulmanes et sans obligation de regroupement confessionnel. Rappelons que, selon la jurisprudence du Conseil d’Etat, les maires ne peuvent, sans déroger au fonctionnement laïque du cimetière, exiger des familles la preuve de l’appartenance religieuse du défunt avant son inhumation dans un tel “carré”.

La question la plus sensible concerne l’exhumation. Devant la rareté de l’espace funéraire, les communes ont souvent édicté, dans le cadre fixé par la loi, un système de modulation de la durée d’occupation des concessions. Généralement le service ordinaire se traduit par la gratuité de la concession et par la possibilité pour la commune de reprendre l’emplacement quelques années après l’enterrement, ce qui entraîne le déplacement des os en ossuaire. La concession peut aussi être louée pour une durée variable, pouvant aller de quelques dizaines d’années à la perpétuité, pour un coût proportionnel à cette durée. Même dans le cas de la perpétuité, le maire peut, en cas d’abandon de la sépulture, récupérer celle-ci pour la réaffecter.

Ces pratiques sont difficilement acceptées par les populations musulmanes d’origine étrangère, car l’Islam proscrit l’exhumation des défunts, ce qui amène, dans la tradition musulmane, à conserver les restes mortuaires dans le caveau en cas de nouvelle concession, alors que la tombe doit être vidée en cas de changement de titulaire selon la loi française. En outre, la sépulture est en général gratuite dans les pays d’origine des familles, dont les moyens financiers ne permettent pas de louer une concession à perpétuité. Ces contradictions ont créé des conflits parfois violents. Certaines difficultés ont ainsi surgi au cimetière de Bobigny. Le cimetière musulman de Bobigny, seul cimetière uniquement consacré à l’Islam en France, a été créé en 1931 en tant que lieu d’accueil des personnes décédées à l’hôpital franco-musulman Avicenne de Bobigny.


Il est aujourd’hui géré par un syndicat intercommunal. Les difficultés auxquelles ont donné lieu les déplacements de corps rendus nécessaires par des travaux entrepris en 1999 permettent se comprendre à quel point la question des concessions funéraires est l’une des plus sensibles et des plus douloureuses parmi celles liées à l’installation durable de l’Islam en France.

3-2 L’alimentation
La République n’a pas à intervenir, par principe, dans les pratiques alimentaires qu’imposent certaines prescriptions rituelles. Il n’en reste pas moins que les pouvoirs publics ne peuvent se désintéresser, pour des raisons d’ordre public, des difficultés que suscite le respect des rituels alimentaires propres à l’Islam. Sont particulièrement en cause le marché de la viande halal et l’abattage rituel.

3-2-1 Le marché de la viande halal en France
Pour que la viande soit halal, c’est-à-dire licite et consommable par le musulman, le sacrifice de l’animal doit être le plus rapide et le moins douloureux possible, le sang doit être évacué et le sacrificateur musulman doit prononcer la formule “ au nom de Dieu, Dieu est le plus grand” en égorgeant l’animal face à La Mecque. L’abattage rituel est donc la première condition de production de la viande halal. Mais il faut ensuite que cette viande ne soit pas mélangée avec de la viande non halal, cela signifie ainsi que les chaînes d’abattage utilisées ne doivent pas, en toute rigueur, avoir été utilisées pour de la viande porcine. Cette deuxième caractéristique de la viande halal pose ainsi des contraintes particulières en matière de distribution.

Aucun état des lieux exhaustif du marché de la viande halal n’est aujourd’hui disponible en France. La consommation est estimée à environ 200 000 tonnes par an dans une étude de la SOFRES. Les statistiques relatives au nombre de musulmans en France souffrant elles-mêmes de nombreuses lacunes (cf chapitre 2-2-2), ces estimations doivent être prises avec précaution. On observe la coexistence de trois circuits de production et de distribution de la viande halal d'importance très inégale :

- le circuit artisanal marchand, composé des réseaux de boucheries musulmanes, représenterait, selon des estimations, environ 80 % du marché de la viande halal achetée par les musulmans en France. Le nombre de boucheries musulmanes lui-même n’est pas connu avec précision : il y en aurait entre 1 500 et 2 000 en France métropolitaine ;

- le circuit industriel, constitué des grandes et moyennes surfaces, ne représenterait qu’environ 10 % de la consommation de viande halal en France. Face à la concurrence des boucheries musulmanes, les quelques tentatives d’occupation de ce segment du marché de la viande se sont soldées par des échecs. Plusieurs hypothèses sont avancées pour l’expliquer : les grandes et moyennes surfaces ne satisfont pas l’attente de socialisation et d’identification culturelle des acheteurs ; alors que les boucheries musulmanes bénéficient auprès de leurs clients d’une présomption positive sur le caractère halal de la viande vendue, les grandes et moyennes surfaces devraient apporter la preuve que les viandes n’ont pas été au contact de produits non halal ;

- le “circuit domestique élargi”, clandestin, est celui qui pose le plus de difficultés. Les consommateurs de ce circuit court souhaitent s’assurer en propre du caractère halal de la viande, ils procèdent donc à des achats en vif auprès d’éleveurs et de négociants d’animaux qu’ils abattent ensuite hors des abattoirs. Ce circuit représenterait entre 20 000 et 30 000 tonnes de viande par an soit entre 10 et 15 % du marché de la viande halal en France.

Si l’organisation d’un marché de la viande halal, par définition privé, ne relève pas de la responsabilité de l’Etat, les pouvoirs publics sont néanmoins concernés eu égard aux conséquences du développement des circuits clandestins en matière de santé publique.

3-2-2 Des efforts d’organisation de l’abattage rituel insuffisants
Du point de vue des pouvoirs publics, la question de l’abattage rituel soulève des questions d’ordre et de santé publics : hygiène publique, sécurité alimentaire, sauvegarde de l’environnement et protection animale.

L’organisation actuelle de l’abattage rituel en France repose sur les dispositions du décret nE 97-903 du 1er octobre 1997 qui transpose la directive 93/119/CE du Conseil du 22 décembre 1993 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort. Si l’abattage rituel bénéficie d’une dérogation à l’obligation générale d’étourdissement des animaux avant leur mise à mort en vertu de l’article 8 de ce décret, ceux-ci doivent cependant être immobilisés avant l’abattage et pendant toute la saignée (articles 7 et 12) et surtout être abattus dans un abattoir (article 11).

Afin de garantir le respect de garanties sanitaires minimales, seuls des sacrificateurs musulmans habilités par un organisme religieux agréé par l’Etat peuvent pratiquer l’abattage rituel.

Les organismes religieux agréés pour habiliter les sacrificateurs sont la Grande mosquée de Paris, en application d’un arrêté du 15 décembre 1994 et les mosquées de Lyon et d’Evry, en application d’un arrêté du 27 juin 1996. Les agents des services vétérinaires, chargés du contrôle du respect des règles de protection animale et de l’inspection des carcasses, vérifient l’habilitation des sacrificateurs. Le décret du 1er octobre 1997 prévoit cependant, dans son article 13, que si aucun organisme religieux n’a été agréé, le préfet du département dans lequel se déroule l’abattage peut accorder des autorisations individuelles sur demande motivée des intéressés.


Il est à noter que la Cour européenne des droits de l’homme vient de juger que la circonstance que la pratique de l’abattage rituel soit réservé, en France, aux seuls sacrificateurs habilités par des organismes religieux agréés était compatible avec la liberté de manifester sa religion.

La méconnaissance des dispositions du décret est passible de contraventions en particulier l’abattage d’animaux en dehors d’abattoirs ainsi que la mise à disposition de moyens à cette fin (locaux, terrains, matériels…).

Ainsi l’encadrement juridique de l’abattage rituel devrait garantir, en toute hypothèse, à la fois la liberté de l’exercice du culte et le respect des règles de sécurité sanitaire. L’intervention des pouvoirs publics, via l’agrément des organismes habilitateurs, se fonde d’ailleurs uniquement sur des motifs de santé publique.

En réalité, le nombre insuffisant et la localisation des abattoirs ne permet pas de respecter la principale obligation imposée par les textes à savoir l’abattage en abattoir.

3-2-3 Des difficultés accrues au moment de l’Aïd el Kébir.
Les difficultés que suscite l’organisation de l’abattage rituel prennent une ampleur particulière au moment de l’Aïd-el-Kebir en raison du sacrifice d’un nombre considérable d’ovins.

Le dixième jour du mois du grand pèlerinage, les musulmans commémorent l’alliance d’Abraham avec Dieu en sacrifiant un animal selon un rituel relativement strict. L’Aïd el Kébir est la plus grande fête de l’Islam. Au-delà de sa très forte signification religieuse –elle inscrit l’Islam dans la tradition abrahamique-, cette fête représente également pour les musulmans en France un moment essentiel de la vie de la communauté des croyants. Avec la fin du Ramadan, l’Aïd el Kébir est certainement l’une des pratiques les plus répandues (voir 2-1-3).

Les sacrifices en une seule journée de plusieurs milliers d’ovins en France créent des difficultés considérables et qui n’ont pas trouvé jusqu’ici de solutions satisfaisantes. Ils renchérissent en outre les risques en matière de santé publique.

Chaque année, les ministres de l’Intérieur et de l’Agriculture transmettent une lettre circulaire aux préfets –communiquée pour information aux exploitants d’abattoirs- dans laquelle ils sont invités à déployer tous les efforts nécessaires pour concilier, dans leur département, l’attachement de la communauté musulmane à cette célébration et le respect des dispositions réglementaires en matière de protection animale, d’hygiène alimentaire et de protection de l’environnement.

En fonction des circonstances locales (offre d’abattoirs et concentration de la population musulmane) particulièrement difficiles en milieu urbain, les préfets sont chargés d’organiser une concertation entre les élus locaux, les associations musulmanes du département, les professionnels du secteur de la viande, les associations de protection animale et les administrations concernées. Les difficultés sont aggravées par la distorsion qui existe entre la ventilation territoriale des abattoirs qui sont situés en majorité à l’ouest du pays et la répartition géographique des populations musulmanes.

L’objectif prioritaire est d’éviter les abattages clandestins. Pour cela, les préfets peuvent envisager la réouverture d’abattoirs récemment fermés, et, dans des cas extrêmes, l’aménagement de locaux d’abattage ponctuels. Ainsi des installations provisoires, exceptionnellement et temporairement aménagées, ont été tolérées en 1999 lorsqu’il était établi qu’aucun abattoir situé à une distance raisonnable des principales implantations de populations musulmanes n’était susceptible d’accueillir l’abattage rituel. Cette relative souplesse des pouvoirs publics les place dans une situation délicate au regard de la législation communautaire ; elle pourrait en outre conduire nombre de familles musulmanes à se satisfaire de lieux d’abattage précaires et les détourner à terme de solutions plus conformes aux règles sanitaires et de protection des animaux. C’est la raison pour laquelle il a été demandé aux préfets lors de la célébration de l’Aïd el Kébir 2000 de stabiliser le nombre de locaux de subsitution et de réaffirmer systématiquement la règle en la matière, à savoir l’abattage des animaux en abattoirs.

Les difficultés rencontrées dans la région Nord Pas de Calais, et ce malgré une démarche active de concertation menée par plusieurs villes de la région, témoignent de la complexité de ce problème de l’Islam en France.

L’expérience de la région Nord Pas de Calais
Face à la saturation des abattoirs du département du Nord situés à Dunkerque, Douai, Aulnoye-Aymeries ( il n’y a aucun abattoir dans l’arrondissement de Lille), les pouvoirs publics rencontrent des difficultés à réorienter une partie de la demande locale vers les deux abattoirs du Pas de Calais, à Noeux-les-Mines et Boulogne sur Mer qui ont d’ailleurs subi une désaffection surprenante en 2000 alors même qu’une partie de la population musulmane de ce département se dirigeait vers ceux du Nord. L’année 2000 aurait ainsi été marquée par le développement de l’abattage clandestin selon les services de la préfecture de région.

Cette situation, malgré les efforts de coopération interdépartementale, révèle bien la complexité des déterminants du choix d’un abattoir par les familles musulmanes lors de l’Aïd el Kébir. L’augmentation de l’offre de lieux d’abattage ne suffit pas : comme l’ont montré les analyses du marché de la viande halal, les facteurs identitaires et la confiance que l’acheteur accorde à certains fournisseurs défient la simple loi de l’adéquation de l’offre et de la demande.

3-3 La vie à l’école
Premiers lieux de rencontre avec une autorité établie, les établissements d’enseignement connaissent aujourd’hui un nombre croissant de difficultés et les relations entre les enseignants et leurs élèves dépassent bien souvent le cadre de la transmission des savoirs. Malgré l’irruption d’un certain nombre de comportements délinquants, l’école doit rester le lieu de l’apprentissage du “vivre-ensemble”. C’est pour toutes ces raisons que les manifestations identitaires trouvent un écho amplifié au sein de l’institution scolaire. Se manifestent ainsi à l’école, de manière particulièrement vive, un certain nombre de tensions entre les manifestations d’appartenance à l’Islam d’une part et les exigences qui découlent du respect du principe d’égalité et des lois de la République. La place de l’Islam à l’école pose en effet un certain nombre de questions pour lesquelles des solutions ont été apportées mais des revendications sont toujours formulées. Les difficultés concrètes rencontrées à l’école sont de plusieurs ordres : restauration collective, tenue vestimentaire, rythme scolaire, programmes et activités.

3-3-1 La restauration collective
La restauration collective pose la question du respect des rituels alimentaires en collectivité. En règle générale, l’interdit de consommation du porc est respecté à la cantine, à la demande des parents, y compris dans les classes de nature et les séjours linguistiques. Dans la plupart des établissements, pour les “repas sans porc”, la viande est remplacée par un autre apport en protéines.

Mais aucune position générale n’a été dégagée. Le témoignage du chargé des affaires scolaires à Bobigny est particulièrement éclairant : “les demandes arrivent par les délégués de parents d’élèves. Ce sont des demandes ponctuelles qui posent débat. On répond à l’une pas à l’autre. Nous servons des repas substitutifs quand il y a du porc. Les demandes sans porc représentent à peu près 30 % des repas sachant que dans certains quartiers, elles dépassent 50 %. Dans certaines écoles, on demande de la viande casher ou des repas végétariens. On n’a pas de position systématique. Trois écoles ont décidé qu’elles cesseraient de proposer des repas de substitution. Cela posait des problèmes à l’école laïque qui pour des raisons de commodité regroupait les enfants musulmans autour d’une même table. Dans ces écoles, les enfants ne mangent pas le plat principal mais compensent par des légumes. Des parents ont protesté”.

On observe que s’ajoute, de plus en plus fréquemment, à l’interdit du porc l’exigence de viande halal. Cette demande, formulée par un nombre croissant de parents au moment de l’inscription à la cantine et reprise à leur compte par certaines associations, n’a pas encore reçu de réponse de la part de l’institution scolaire.

3-3-2 La tenue vestimentaire
La tenue vestimentaire est le signe le plus spectaculaire d’appartenance religieuse. Si le fait que certains jeunes garçons cherchent à être identifiés comme musulmans en se laissant pousser la barbe, même naissante, ne pose guère de problème, le port, par certaines jeunes filles, d’un voile leur enserrant le visage et leur couvrant les oreilles, le cou et les cheveux est beaucoup plus délicat à gérer.

La question du foulard symbolise, plus que toute autre, les tensions qu’est susceptible de provoquer la réception de l’Islam par l’école française.

Le foulard
Suite à une première affaire survenue au collège de Creil à l’automne 1989, le ministre de l’Education Nationale a saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur la compatibilité à l’école publique, du port de signes d’appartenance à une communauté religieuse avec le principe de laïcité.

Par un avis d’Assemblée générale plénière du 27 novembre 1989, le Conseil d’Etat a posé le principe pour les élèves du droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires tout en dressant des limites à cette liberté : “Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses mais cette liberté ne saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement normal du service public”. Statuant au contentieux, le Conseil d’Etat a confirmé cette position (2 novembre 1992 Kherouaa).

La neutralité de l’école doit en effet garantir la liberté de conscience des élèves et de manifestation de leur foi. Saisi de nombreux cas de sanctions ou d’exclusions à la suite du port du voile, le juge administratif n’hésite pas à annuler les décisions de l’administration. Ainsi sur les 49 affaires contentieuses parvenues jusqu’au Conseil d’Etat entre 1992 et 1999, 41 ont débouché sur l’annulation de la décision prise par l’administration à l’encontre d’une jeune fille.

La liberté des élèves n’en est pas pour autant totale. S’il ne peut y avoir d’interdiction générale et absolue du port de signe d’appartenance religieuse, notamment dans le règlement intérieur d’un établissement scolaire, dès lors que le comportement de l’élève se heurte aux interdictions posées par la jurisprudence, il justifie, par là-même, le prononcé d’une sanction disciplinaire. Sont ainsi sanctionnés des absences répétées aux cours d’éducation physique (27 novembre 1996 Epoux Wisaadane), des actes de prosélytisme (27 novembre 1996 Ligue islamique du Nord) ou le port de tenues incompatibles avec le bon déroulement des cours (10 mars 1995 Epoux Aoukili). Dans une affaire récente (20 octobre 1999 Ministre de l’éducation nationale c/ Epoux Aït Ahmad), le Conseil d’Etat a jugé que l’administration n’avait pas à justifier l’interdiction du port du foulard en cours d’éducation physique ou technologique en établissant, dans chaque cas particulier, l’existence d’un danger pour l’élève ou pour les autres usagers de l’établissement. Il y a donc, dans ces cas particuliers, une obligation, en matière de tenue vestimentaire, que les élèves sont tenus de respecter.

En rappelant que, pour les élèves, la laïcité constitue la garantie de leur liberté de conscience et de leur droit de manifester leur foi, dans la stricte limite de l’ordre public scolaire, le Conseil d’Etat a défini un cadre juridique de nature à aider l’administration à prévenir et à résoudre dans la légalité les difficultés liées au port du foulard.

Mais il faut reconnaître que cette position, parfois imparfaitement reprise par l’administration, comme dans la circulaire du 20 septembre 1994 dont la teneur se veut excessivement plus restrictive que la jurisprudence, n’est pas toujours admise dans le monde enseignant. Rappelons que le recteur Armel Pecheul avait été jusqu’à déclarer dans le Figaro du 3 novembre 1992 : “Le Conseil d’Etat se voile la face”. Les réticences d’un certain nombre d’enseignants révèlent la distorsion qui existe entre la vision socio-culturelle dominante attachée à la laïcité et son contenu juridique.

Les tensions semblent s’être aujourd’hui déplacées : aux épreuves de force opposant l’institution scolaire et les adolescentes succède parfois l’incompréhension des enseignants voire des chefs d’établissement devant les implications du principe de laïcité.

A ces difficultés s’ajoute l’hétérogénéité des réponses apportées aux mêmes problèmes. Certes, la responsabilité incombe aux chefs d’établissement de décider au cas par cas des suites à donner au port du voile. Comme l’expliquait David Kessler dans ses conclusions sur l’affaire Kherouaa du 2 novembre 1992 : “(...) la question du foulard Islamique n’est pas une affaire de principe mais une affaire d’espèce et (...) parce qu’elle est une affaire d’espèce, aucune interdiction d’ordre général ne peut être tolérée”. Mais en invitant les autorités décentralisées à apporter des réponses pragmatiques et négociées, la ligne générale qui se dégage de la jurisprudence laisse la voie ouverte à des écarts de pratique que le juge n’est pas toujours en mesure de corriger.

3-3-3 Les rythmes scolaires
Si le calendrier des fêtes légales coïncide pour une grande part avec celui des fêtes chrétiennes permettant ainsi à ceux qui le souhaitent de concilier temps religieux et obligation scolaire, tel n'est pas le cas pour les fêtes musulmanes. Toutefois, le calendrier des fêtes religieuses est connu des établissements scolaires et les élèves peuvent obtenir des autorisations d'absence. L'administration recommande d'ailleurs d'éviter examens et contrôles ces jours-là. Mais là encore, aucune règle générale n'a été édictée.

Les établissements scolaires sont confrontés à une pratique de plus en plus massive et de plus en plus visible de la religion. Le nombre d'élèves à fêter l'Aïd-el-Kebir est de plus en plus important. Ainsi, dans le collège Edgar Quinet, dans le centre-ville de Marseille, seuls 32 élèves sur 650 sont venus en classe le jour de l'Aïd en 1999.


Aucun aménagement du rythme scolaire n'étant prévu pendant la période de ramadan, le respect du jeûne a des effets notables : manque d'attention et fatigue des élèves, augmentation de l'absentéisme et baisse des résultats scolaires. Une autre difficulté surgit à l'heure à laquelle il faut "casser le Ramadan", certains élèves demandant à quitter le cours en même temps.

3-3-4 Programmes et activités scolaires

La place offerte par l'enseignement public à l'Islam est nécessairement cantonnée par l'obligation de neutralité religieuse de l'école laïque. Au collège, le programme d'histoire-géographie de la classe de 5e comporte un enseignement consacré aux religions, notamment à l'Islam.

D'un tout autre ordre est la remise en cause au nom de l'Islam du contenu pédagogique délivré à l'école. Certains cours sont ainsi contestés par les élèves, notamment ceux de philosophie et de biologie en tant qu'ils seraient contraires au dogme. En outre, l'école est confrontée au refus de certaines familles de laisser les jeunes filles participer à des activités sportives les obligeant à dévoiler une partie de leur corps, comme la piscine. De nombreuses familles fournissent des certificats médicaux dont il n'est pas interdit de penser qu'un certain nombre sont de complaisance. L'ordre des médecins a d'ailleurs été saisi à ce sujet par plusieurs rectorats. Pour la même raison, la mixité, notamment dans le cadre des activités sportives, est parfois refusée.

3-3-5 Comportements
Il n'est pas aisé de faire le départ, en matière de comportement à l'école, entre ce qui serait spécifique à certains élèves musulmans et ce qui s'explique par l'appartenance à un milieu socio-culturel. Certains phénomènes s'expliquent ainsi par la forte concentration, au sein d'un même établissement, de jeunes issus de milieux défavorisés et de familles immigrées.

Certaines attitudes procèdent toutefois, plus ou moins directement, de l'appartenance à la religion musulmane. Certains élèves, généralement des garçons, s'expriment par des tracts, des pétitions ou des rassemblements publics. Certains parents ou élèves adoptent des comportements différents selon le sexe de l'enseignant. Les témoignages sont parfois édifiants. Les enseignants rencontrés par le HCI à Marseille ont ainsi évoqué une "pression sociale psycho-religieuse".
Dans le collège Edgar Quinet, dans le centre-ville, les élèves, qui sont tous musulmans, suivent dans leur quasi-totalité le ramadan et si un enfant mange dans son coin, le principal adjoint rapporte "qu'il se trouve toujours un camarade pour lui faire le signe de l'égorgement". De tels comportements révèlent le risque que se développent entre élèves une surenchère en matière de religiosité. Une institutrice en CM2 dans une école du centre-ville explique qu'il "arrive qu'une fille lève le doigt puis l'abaisse si un garçon lève le doigt en même temps".

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3-3-6 Des manifestations autant culturelles que religieuses HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE 3-3-6 Des manifestations autant culturelles que religieuses

Qu’elles concernent l’alimentation ou la tenue vestimentaire ou qu’elles empiètent directement sur l’organisation scolaire (questions de programme ou de présence), les difficultés que pose l’Islam à l’école ne sauraient être exclusivement appréhendées sous l’angle religieux. Certes, ces comportements tendent à remettre en cause la frontière en espace public et espace privé au nom du respect d’une pratique religieuse. En tant qu’ils se présentent comme des signes d’appartenance à une religion, ces comportements interrogent en effet l’école laïque et invitent à tracer une nouvelle frontière entre la liberté de conscience et le respect des règles autour desquelles s’organise l’espace scolaire. Notons toutefois que si éventuelle redéfinition du pacte laïque il devait y avoir, celle-ci concernerait le statut de toutes les religions dans la sphère publique et pas seulement celui de l’Islam.

Mais ces attitudes et ces comportements renvoient également à la recherche, chez de jeunes élèves, parfois en situation d’échec scolaire voire de détresse sociale, d’identités de substitution. Que cette “ré-Islamisation” vise, à travers une définition exclusive par la religion, à rejeter la culture française ou à renier la culture d’origine, elle conduit à imposer l’Islam comme l’identité fédératrice qui absorbe ou remplace tous les autres référents identitaires.

Comme l’explique Hanifa Cherifi (“Les enjeux de l’intégration” in Educations n° 16) : “ Les comportements communautaires ou ethnicistes des jeunes gens, le port du voile chez les jeunes filles, la violence dans les écoles de mineurs, hostiles à l’autorité institutionnelle, la fréquentation par les jeunes de lieux communautaires plus ou moins occultes, éclatés en une multitude de chapelles fédérées par un Islam orthodoxe, le rassemblement massif dans les banlieues de populations immigrées, majoritairement jeunes, sur le critère de la religion sont des comportements qui révèlent l’ampleur des problèmes nouveaux d’intégration auxquels l’école comme la société tout entière doivent faire face aujourd’hui”. En quelque sorte, il ne s’agit pas tant de parvenir à combiner l’expression de l’appartenance à une religion et le respect des règles de fonctionnement de l’école républicaine que de réussir à intégrer de jeunes musulmans en France. C’est en cela que la dimension identitaire et culturelle des manifestations d’appartenance à la religion musulmane doit être appréhendée au même titre que sa signification spirituelle.

Cette dimension plurielle de l’Islam n’explique pas à elle-seule la variété des réponses apportées aux difficultés rencontrées à l’école. Celles-ci sont également fonction de la sensibilité des acteurs publics et de leur localisation. Lors des déplacements du HCI, il est apparu que les solutions offertes étaient diverses, parfois contraires et que, même pour des pratiques sur lesquelles un consensus avait été obtenu, le débat restait vif et ouvert.

3-4 Le statut personnel
Les règles propres au statut personnel, qui englobent l’état et la capacité des personnes ainsi que les relations de famille posent de délicates questions de droit international privé.
En droit français, toute personne, quel que soit son lieu de résidence, est soumise, pour son statut personnel, à la loi du pays dont elle possède la nationalité. Cette règle a donné naissance au système de “conflits de lois”.

Les juridictions françaises sont donc amenées à faire application de règles de droit étrangères dans la limite toutefois du respect de l’ordre public français. Le juge refuse en effet d’appliquer des règles incompatibles avec l’ordre juridique interne. Il s’agit de l’exception d’ordre public. La jurisprudence distingue “l’effet de l’ordre public” selon qu’il est lui donné une pleine portée ou une portée atténuée. Cela conduit notamment le juge à écarter l’application des lois étrangères relatives à la répudiation, la polygamie ou encore les empêchements au mariage. Encore faut-il distinguer parmi les hypothèses : si un mariage polygame ne saurait être contracté en France, un tel mariage contracté à l’étranger est susceptible de produire des effets sur notre territoire. Deux catégories de personnes sont particulièrement exposées au regard de l’application des codes de statut personnel en vigueur dans des pays où l’Islam est la religion majoritaire : les femmes et les enfants.

Il n’en reste pas moins important de rappeler qu’il n’est pas envisageable que l’ordre juridique français, en tant qu’il reflète l’état des valeurs essentielles de la société française et des principes fondateurs de la République, soit méconnu.

Dans son rapport de 1992, le HCI préconisait déjà la renégociation des conventions bilatérales lorsque celles-ci comportent des dispositions manifestement contraires à l’ordre public français et citait notamment la convention franco-marocaine du 10 août 1981 qui prévoit que les ressortissants marocains conservent le bénéfice de leur code de statut personnel qui est largement inspiré du droit musulman, en particulier sur la question de la répudiation.

Doit être fermement réaffirmé, en matière de statut personnel, le nécessaire respect des principes suivants : l’égalité des sexes et la protection de l’enfant. Doit être également rappelée l’interdiction de célébrer un mariage religieux avant le mariage civil.

Il est d’ailleurs à noter que la protection de ces droits est également assurée par un certain nombre d’engagements internationaux de la France parmi lesquels la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou encore la convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur la protection des mineurs.

Enfin, il faut dissocier la situation des musulmans français régis par le seul droit civil français et celle des musulmans étrangers résidant en France. En ce qui concerne le cas particuliers des doubles nationaux, le HCI rappelle la seule règle applicable : les doubles nationaux résidant en France ne peuvent se voir appliquer que la loi française.

De cette revue de détails, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, le HCI retire la conviction que la question de l’Islam en France doit échapper à la fois à toute affirmation de principe sur une supposée incompatibilité de la religion musulmane avec la République et à toute “victimisation” systématique des musulmans. Poursuivre l’objectif d’intégration des musulmans suppose en effet de sortir d’une telle alternative dont les deux branches, également réductrices, échouent à refléter la complexité des enjeux. Certaines situations qui placent les musulmans dans une inégalité de fait par rapport aux fidèles des autres cultes, sont inadmissibles. Certaines revendications, voire certains comportements se heurtent au respect des valeurs républicaines. Mais seule une démarche souple est susceptible de résoudre ces difficultés : s’il revient aux pouvoirs publics de réaffirmer le bloc de principes dont le respect ne saurait être négocié, il leur appartient, dans le même temps, de créer les conditions d’une relation juste et apaisée entre la République et l’Islam.

Chapitre IV : Recommandations et propositions
4-1 Champ d’intervention des pouvoirs publics
De l’état des lieux dressé par le Haut Conseil et des difficultés recensées que rencontre ou que pose l’Islam en France, il ressort que la place de l’Islam dans la République est indissociable de la place que la société française réserve aux musulmans, qu’ils soient citoyens français ou résidents étrangers.

Si, comme il a déjà été dit, les pouvoirs publics sont incompétents pour traiter des affaires religieuses en tant qu’elles renvoient à la liberté de conscience et au libre exercice du culte, ils ne sauraient toutefois se désintéresser des conséquences, dans l’espace public, de l’appartenance à l’Islam. Les problématiques liées, d’une part, à la nécessité de concilier l’Islam et la laïcité et, d’autre part, à l’intégration des musulmans sont donc intimement liées. Si elles déterminent le champ d’application de l’action publique, elles n’appellent toutefois pas le même type d’interventions.

En ce qui concerne l’Islam et la République, le HCI préconise que l’intervention des pouvoirs publics se décline de la manière suivante, de façon à éviter le double écueil du volontarisme d’Etat et du laisser-faire :

- dans les domaines où l’Etat est légitime à agir, doit prévaloir un devoir d’intervention;

- dans les domaines qui échappent par nature à l’intervention de l’Etat, doit être néanmoins privilégié le souci d’accompagnement. Le Haut Conseil souligne la difficulté pour l’Etat à intervenir dans un domaine où les attentes des acteurs institutionnels comme des musulmans eux-mêmes restent encore parfois ambivalentes, naviguant, pour ces derniers, entre la demande d’intervention et la revendication d’une autonomie ;

- reste qu’en tout état de cause, dans les domaines où se joue l’intégration des musulmans en France, cet objectif doit être prioritairement poursuivi.

4-1-1 Les principes fondant la légitimité de l’Etat à intervenir
Les pouvoirs publics sont légitimes à intervenir au nom d’un certain nombre de principes fondamentaux dont le respect doit être garanti sans distinction. Ces principes fondateurs du pacte républicain sont le principe d’égalité, la laïcité ainsi que le respect de l’ordre public.

4-1-1-1 Le principe d’égalité
La République se doit de garantir au premier chef l’égalité de tous. Le préambule de la Constitution proclame que tout être humain possède des droits inaliénables et sacrés “sans distinction de race, de religion ni de croyance” et l’article 1er de la Constitution de la Ve République rappelle que la France assure “l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion”.

Le respect du principe d’égalité implique la prohibition de toute forme de discrimination. L’article 225-1 du code pénal définit une discrimination comme “toute distinction opérée entre les personnes physiques ou morales”, notamment à raison de “leur appartenance ou de leur non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée”. Une telle définition est cohérente avec la lettre de l’article 13 du Traité de la Communauté Européenne qui vise les “discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle”. Une directive du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique a été adoptée sur le fondement de l’article 13 du traité, le 29 juin 2000.

N’entrent pas dans le champ du présent rapport les discriminations dont sont victimes les personnes de “culture musulmane” non du fait de leur appartenance religieuse mais en raison d’attitudes xénophobes. Ces discriminations qui touchent les populations étrangères ou d’origine étrangère, notamment en matière d’emploi ou de logement, sont cependant nombreuses. Les ruptures d’égalité qui sont au coeur de la présente réflexion frappent les musulmans à la fois dans l’expression de leur foi et dans l’exercice de leur culte. C’est toute la force de la République laïque de devoir assurer, dans le respect d’une stricte neutralité, non seulement l’égalité entre toutes les religions mais aussi l’égalité entre tous les fidèles.

4-1-1-2 La laïcité et la liberté de conscience
La laïcité, et son corollaire la liberté de conscience, constituent précisément la deuxième série de principes au nom desquels l’Etat doit intervenir.

Le principe de laïcité de l’Etat s’est affirmé au début de la IIIe République : dans le domaine de l’enseignement d’abord avec les lois Ferry de 1882 et 1886 puis avec la loi du 9 décembre 1905 qui procède à la séparation des Eglises et de l’Etat. Le Préambule de la Constitution de 1946 fait de “l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés un devoir de l’Etat”. Le principe de laïcité est ensuite consacré, de manière générale, par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 aux termes duquel : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances”.

La laïcité, principe fondamental de l’organisation républicaine, se traduit par la nécessaire neutralité religieuse des services publics. Cette neutralité vaut d’ailleurs à l’égard de toute forme d’opinions ou de croyances. L’obligation de neutralisation de ses convictions par chaque agent public se justifie par la nécessité d’assurer l’égalité de traitement de tous les usagers du service public.

La neutralité de l’enseignement public
S’agissant du service de l’enseignement public, l’impératif de neutralité est renforcé par la nature même des usagers : les élèves. Le devoir de neutralité s’impose non seulement au personnel du service de l’enseignement public à titre individuel mais aussi au service dans son ensemble : c’est l’enseignement qui doit rester neutre.

Dans un récent avis (Melle Marteaux 3 mai 2000), le Conseil d’Etat a clairement énoncé la règle suivante : tout signe d’appartenance à une religion par un agent du service de l’enseignement public “dans l’exercice de ses fonctions” est un manquement à ses obligations.

Les agents et les élèves sont donc placés dans une situation radicalement différente du point de vue des implications du principe de laïcité. Aux premiers incombe la tâche d’assurer la neutralité du service ; aux seconds en revient le bénéfice afin d’assurer le respect de leur liberté de conscience.

Laïcité et liberté de conscience sont indissociables. Ainsi, la loi du 9 décembre 1905 affirme que “la République assure la liberté de conscience” et “garantit le libre exercice des cultes”. La liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République, est proclamée de manière générale et absolue à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : “Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses” et rappelée dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : “Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances”.

Notons que là encore le droit interne et les engagements internationaux de la France coïncident. L’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales stipule en effet que : “1.Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites”.

Comme l’écrivait déjà le HCI dans son rapport de 1992 : “Conditions juridiques et culturelles de l’intégration” : “C’est dans la tension permanente entre ces deux pôles - affirmation du principe de la séparation, et protection effective d’une liberté riche de contenu - que se dessine le visage original de la laïcité en France.”

Mais là encore, l’équilibre est difficile à trouver entre la nécessaire garantie à apporter à la liberté de conscience et l’impératif qui existe à éviter toute instrumentalisation de la religion à des fins préjudiciables à l’intégration.

4-1-1-3 Le respect de l’ordre et de la santé publics
La garantie que l’Etat doit à chacun d’assurer le respect du principe d’égalité et de la liberté de conscience doit toutefois être combinée avec le respect de l’ordre public. Les textes prévoient tous de légitimes restrictions à l’exercice de ces libertés. Ces restrictions qui sont prévues par le droit national et international ne sont licites que si elles respectent les principes de proportionnalité, de sécurité juridique et d’adéquation à un but légitime.

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise ainsi que la manifestation des opinions ne doit pas “troubler l’ordre établi par la loi”. De même, la loi de 1905 prévoit que le libre exercice des cultes est garanti “sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public”. L’article 9 de la convention européenne des droits de l’homme énonce, dans son second paragraphe, les restrictions qu’il convient d’apporter à la liberté de conscience : “La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.”.

En ce qui concerne l’Islam, les pouvoirs publics ont donc le devoir d’intervenir, le cas échéant en s’ingérant dans les pratiques religieuses des musulmans, afin de faire respecter l’ordre et la santé publics.

4-1-2 Des domaines échappant par nature à l’intervention de l’Etat
S’il est des principes dont le respect appelle l’action des pouvoirs publics, il existe des domaines dans lesquels l’Etat ne saurait s’ingérer. Il ne peut toutefois, du point de vue de l’intérêt général, totalement s’en désintéresser.

Le pacte laïque renvoie ainsi à la sphère privée la gestion du culte à proprement parler ainsi que l’organisation des communautés religieuses.

Bien que ces questions échappent par nature à l’intervention de l’Etat, celui-ci se doit toutefois d’accompagner les musulmans, lorsque ceux-ci en font la demande, dans la recherche de solutions de nature à faciliter l’exercice de leur culte en France et la structuration d’une communauté dont l’éclatement reste préjudiciable aux relations qu’elle doit entretenir avec ses différents interlocuteurs, à l’échelon local comme au plan national.

A ce titre, il revient aux pouvoirs publics de remplir une double fonction de catalyseur et de soutien.

L’action des pouvoirs publics se décompose donc entre intervention et accompagnement. Une telle typologie est cependant sans préjudice de l’objectif que l’Etat se doit, en tout état de cause, de poursuivre : l’intégration des populations de culture musulmane.

4-1-3 L’intégration, un objectif à poursuivre
Appréhendée sous l’angle de l’intégration, la question des relations entre l’Islam et la République renvoie en effet à la place des musulmans dans la société française. Loin des modèles communautaristes, le modèle français repose sur l’indivisibilité de la République qui implique que l’intégration ne se fonde pas sur la reconnaissance de communautés devant cohabiter entre elles mais sur la participation active et volontaire à la communauté nationale de différents individus. Il ne s’agit donc pas d’intégrer des groupes dont l’identité serait définie par l’appartenance à une religion mais des individus dont la confession n’est toutefois pas sans incidence sur leurs relations avec la société française.

L’impératif d’intégration des musulmans recouvre également la part qui revient aux pouvoirs publics dans la nécessaire lutte contre l’intolérance et le rejet de l’autre. Une partie de la société française n’est pas prête à accueillir de nouvelles formes d’expression religieuse. Parce que l’Islam est majoritairement connoté comme une “religion venant de l’étranger”, parce que prévaut encore, notamment dans certains discours politiques ou certaines représentations médiatiques, la caricature qui fait de chaque musulman un islamiste et de chaque islamiste un terroriste en puissance, parce que la perception de la différence religieuse mais aussi culturelle repose parfois encore sur des approches globalisantes, un effort de pédagogie est indispensable qui permette à l’opinion publique de modifier sa perception de l’Islam, en améliorant la connaissance qu’elle doit avoir d’une religion dont le rôle au sein de la société française est appelé à s’affirmer et en encourageant le respect mutuel et la tolérance.

C’est à l’école, lieu privilégié de rencontre des cultures, que se joue en premier lieu l’intégration des jeunes musulmans en France. C’est là que l’objectif d’intégration doit être prioritairement poursuivi dans la recherche d’un équilibre entre le respect des valeurs républicaines, la prise en compte du pluralisme culturel et la recherche d’une tolérance mutuelle.

4-2 Un devoir d’intervention
La nécessaire intervention des pouvoirs publics vise, d’une part, à garantir le respect de la liberté religieuse et, d’autre part, à assurer l’ordre et la santé publics.

4-2-1 Garantir le respect de la liberté religieuse
L’Etat et les collectivités locales ont pour mission non seulement de ne pas attenter à la liberté religieuse reconnue par les lois de la République, mais aussi d’en assurer le respect effectif, sous ses trois composantes : liberté de conscience, liberté du culte, non-discrimination entre les religions.

Une neutralité absolue de l’Etat pourrait en effet contrarier les croyances individuelles. Or, les pouvoirs publics ne sauraient laisser une catégorie de personnes hors d’état de vivre conformément à sa conscience. Si l’accès au culte est moins aisé en France pour les musulmans que pour les fidèles des autres religions, et s’il y a en cela atteinte à l’égalité entre les religions, cette situation ne peut toutefois être, en raison des principes laïques, résolue par des mesures de soutien juridiques et matérielles en faveur du seul culte musulman.

Si l’on souhaitait remettre en cause une telle situation, il faudrait en effet modifier la loi de 1905 pour autoriser le soutien financier et matériel de toutes les religions, conformément au principe constitutionnel d’égalité. Un tel revirement législatif, à supposer qu’il fût souhaitable, aurait pour conséquence de remettre au premier plan les passions et les conflits récurrents que suscite dans notre pays la question religieuse. Il placerait en outre l’Islam dans la situation inédite d’une religion dont la réception en France impliquerait sinon la remise en cause du moins l’adaptation du régime juridique qui encadre, dans le consensus, les relations entre la République et les cultes depuis le début du vingtième siècle. Le Haut Conseil estime que cette voie n’est ni praticable, ni opportune.

Le Haut Conseil recommande, dans le cadre législatif actuel, d’orienter les pratiques administratives de façon à résoudre les problèmes les plus préoccupants. En vertu du principe d’égalité, ces mesures doivent être conçues comme applicables à toutes les religions sans distinction. Ainsi, comme souvent lorsqu’un problème nouveau se pose dans une matière ancienne, l’enracinement de l’Islam en France peut fournir l’occasion d’une modernisation de l’action des pouvoirs publics à l’égard des religions dans leur ensemble.

En premier lieu, les collectivités publiques doivent améliorer la prise en compte des problèmes spécifiques aux musulmans par des mesures d’organisation et d’orientation des services publics. Ainsi, les administrations centrales et locales ayant en charge des services pouvant faire appel à des aumôniers doivent inciter ces services à recenser leurs besoins dans ce domaine, et à prendre attache avec les autorités religieuses situées dans leur ressort. Lorsque, comme pour les musulmans, aucune structure ecclésiastique officielle n’est présente, les représentants de ces services doivent être incités à travailler en concertation avec les collectivités et les associations afin de pouvoir choisir des aumôniers acceptés par tous.

Dans le domaine funéraire, des instructions doivent être données aux établissements publics de santé, sur le modèle de ce que pratique l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, pour rappeler aux personnels que l’exercice du culte et le respect des rites funéraires sont des droits garantis aux patients par la loi. Des aménagements doivent être apportés aux locaux chaque fois que possible, notamment dans les chambres mortuaires pour permettre la pratique de la toilette du défunt.

Confrontées au premier chef aux problèmes que suscite l’enracinement de l’Islam et aux réactions qu’il provoque, les collectivités locales apparaissent parfois désarmées, quand elles ne font pas preuve d’une hostilité plus ou moins affichée à laquelle les considérations électorales ne sont pas toujours étrangères. Les préfets ont, dans ce domaine, un rôle essentiel à jouer en matière de conseil et de “diplomatie administrative”.

Pour pallier la mauvaise volonté des collectivités à délivrer des permis de construire pour construire les mosquées et salles de prière, il est parfois suggéré de redonner cette compétence à l’Etat, qui serait plus à même d’assurer la neutralité et la légalité des décisions d’octroi et d’autorisation. A court terme, un tel changement permettrait peut-être de débloquer quelques dossiers enlisés, mais son effet à plus long terme serait vraisemblablement négatif, les municipalités, désormais déresponsabilisées, pouvant être tentées de conforter les manifestations d’hostilité à l’égard de l’Islam et d’accentuer par là même les conflits.
Il paraît plus opportun de laisser les communes en première ligne, car ce seront elles qui devront travailler au consensus local nécessaire à la bonne intégration de l’Islam et des musulmans.

Les services de l’Etat doivent néanmoins porter une attention particulière à la question des lieux de culte, en favorisant les contacts entre les associations et les collectivités, en rappelant à ces dernières les principes de la loi, et en exerçant avec une attention particulière le contrôle de légalité des décisions intervenant en la matière. Le HCI invite les préfets à ne pas hésiter à recourir à la voie, qui leur est ouverte par la loi du 2 mars 1982 (aujourd’hui codifiée au code général des collectivités locales), de la procédure d’urgence de sursis à exécution, dans l’hypothèse d’une décision d’une collectivité décentralisée compromettant “l’exercice d’une liberté publique ou individuelle”.

S’agissant des aides des collectivités à l’édification des lieux de culte, une variante de la formule des baux emphytéotiques est parfois évoquée : à la fin du bail, l’édifice entrerait dans le droit commun des édifices publics affectés à l’exercice d’un culte (mise à disposition des fidèles ainsi que conservation et entretien par la collectivité). Mais cette solution, qui peut apparaître opportune en tant qu’elle permettrait la mise à niveau du parc immobilier musulman, n’est pas conforme aux lois de 1905 et 1908 qui ne prévoient que la mise à disposition des édifices remis aux collectivités en application desdites lois. Elle ne peut donc pas être envisagée à droit constant.

Un renforcement de la concertation avec les associations musulmanes peut également permettre d’assurer une liberté religieuse effective. L’objectif est ici de trouver des compromis sur les questions à propos desquelles des divergences parfois radicales apparaissent entre la doctrine musulmane et les lois de la République.

S’agissant des cimetières, il n’est pas possible en pratique, compte tenu de la rareté de l’espace funéraire, de remettre en cause le principe de limitation dans le temps des concessions. Il n’apparaît toutefois pas hors de propos d’exiger des communes et des agents des cimetières un “devoir de délicatesse” afin d’éviter que des tombes soient ouvertes et vidées sans même que les familles soient informées. Il revient aux services de l’Etat de sensibiliser les collectivités sur ce point. Le HCI recommande en outre de rechercher, de façon nationale ou décentralisée, les pratiques qui permettraient de préserver les principes de la foi Islamique lors de la récupération des concessions, en facilitant l’intervention d’imams, en sollicitant des autorités religieuses un avis sur les adaptations nécessaires aux principes de l’Islam, et en aménageant les ossuaires en fonction des compromis ainsi trouvés. Le ministère de l’intérieur devrait chercher à dégager un consensus sur cette question.

Le recours quasi-exclusif à la forme de l’association loi 1901 prive les structures ayant vocation à gérer un lieu de culte des nombreux avantages liés au statut d’association cultuelle de la loi de 1905 : exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les dons et legs consentis, exonération de la taxe foncière pour les propriétés bâties où sont édifiés des édifices affectés à l’exercice du culte, possibilité de voir les collectivités participer à la réparation des lieux de culte. De même, le statut de la loi de 1901 ne leur permet pas de bénéficier des déductions fiscales créées par la loi du 23 juin 1987 relative au mécénat.
Régime fiscal comparé des associations régies par la loi de 1901 et des associations régies par la loi de 1905

Impôts commerciaux (impôt sur les sociétés et TVA) :
Les deux types d’association sont soumises au même régime, qui est indifférent à la nature de l’association et s’intéresse aux seules activités. Les activités lucratives (caractérisées par la recherche d’excédents, l’usage de la publicité, et la réalisation d’actes payants à usage des membres) sont soumises aux impôts commerciaux, sauf si ces activités sont clairement subsidiaires aux activités non lucratives et si les recettes qui en sont tirées sont inférieures à 250.000 F. L’article 261-4-9° du code général des impôts exonère en outre de TVA, sous certaines conditions, les livraisons de biens et services réalisées par les associations à objet religieux à destination de leurs membres. Les activités non lucratives des deux types d’association sont exonérées des impôts commerciaux.

Taxe foncière

L’article 1382-4° du CGI exonère de taxe foncière les édifices du culte attribués à des associations régies par la loi de 1905 ou acquis ou édifiés par de telles associations. Les associations régies par la loi de 1901 ne bénéficient pas de cette exonération.

Droits de mutation à titre gratuit

Les associations régies par la loi de 1905 peuvent recevoir des dons et legs après autorisation par l’autorité administrative. Ces dons et legs sont exonérés de droits de mutation en vertu de l’article 795-10° du CGI.

Les associations régies par la loi de 1901 ne peuvent recevoir de dons et legs à l’exception des dons manuels et des dons reçus d’établissements reconnus d’utilité publique. Ces dons sont soumis au droit de mutation à titre gratuit au taux de 60%.

Mécénat

Les versements des particuliers aux associations régies par la loi de 1905 ouvrent droit à une réduction d’impôt égale à 50% du montant versé dans la limite de 6% du revenu imposable. Les versements des particuliers aux associations régies par la loi de 1901 n’ouvrent droit à aucun avantage.

Les entreprises peuvent déduire de leur résultat les versements effectués au profit des associations régies par la loi de 1905, dans la limite de 3,25 pour mille de leur chiffre d’affaires. Elles peuvent déduire les versements au profit d’associations régies par la loi de 1901 dans la limite de 2,25 pour mille de leur chiffre d’affaires.

Source : Min. de l’intérieur, Journal de la consultation des musulmans de France, n° 3.
Il n’est pas question d’imposer, en revenant au régime initial de la loi de 1905, le recours au statut d’association cultuelle. Un effort de pédagogie apparaît toutefois nécessaire afin de lever les appréhensions relatives à l’adoption d’un tel statut.
Il faut à cet égard bien préciser que l’association 1901 et l’association 1905 ne diffèrent que par leur objet et les conséquences qui en découlent. Une association déclarée en application de la loi de 1901 peut ainsi devenir une association cultuelle par une modification de ses statuts, simple formalité à effectuer en préfecture.

Il revient aux pouvoirs publics d’assurer une meilleure information des acteurs locaux afin de leur permettre de mieux opérer la balance entre ces avantages et les contraintes propres au statut d’association cultuelle.

4-2-2 Assurer l’ordre et la santé publics
Les enjeux dont traite le présent rapport, sous l’angle de l’ordre public recoupent exclusivement la question de l’abattage rituel.

La réglementation sanitaire des abattoirs est, comme on l’a vu ci-dessus, très stricte ; le nombre d’abattoirs en France a considérablement diminué en partie à cause des coûts liés à l’application de cette réglementation. Il semble donc illusoire d’imaginer que ce nombre pourrait augmenter de façon suffisamment significative pour répondre à la demande très forte d’abattage le jour de l’Aïd-el-Kebir.

On se retrouve donc dans une situation paradoxale : les exigences de sécurité sanitaire limitent de fait la possibilité de développer l’offre de lieux d’abattage satisfaisants et leur nombre insuffisant favorise l’abattage clandestin qui échappe entièrement au contrôle sanitaire. Or, la position pragmatique des autorités locales qui tolèrent l’aménagement de sites dérogatoires ne pourra guère être longtemps poursuivie face aux pressions communautaires.

Les marges d’amélioration sont donc très étroites. Or, la situation actuelle ne saurait persister eu égard aux risques qu’elle engendre en matière de santé publique. La coordination interdépartementale par les préfets de région est à ce titre essentielle, la solution appropriée étant de mettre en place un système de réservation par les familles d’animaux vivants dont le transport vers un abattoir départemental ou extradépartemental serait assuré par des professionnels qui prendraient également en charge, après le sacrifice, le retour des carcasses au lieu de réservation initial.

Certaines expériences locales méritent ainsi d’être étendues à d’autres régions.

Ainsi les Hauts de Seine, département urbain à forte concentration musulmane et sans abattoir, est parvenu à trouver des solutions d’équilibre dont le succès réside en grande partie sur la concertation préalable avec des associations cultuelles.

L’organisation de l’Aïd el Kebir dans les Hauts de Seine

Depuis 1995, les services du cabinet du préfet adressent un courrier aux représentants de la communauté musulmane les informant des dispositions prises pour assurer le bon déroulement de la fête de l’Aïd el Kebir. Sont mis à disposition de professionnels disposant d’un contrat avec un abattoir situé dans un autre déparement des sites d’exposition d’animaux vivants. Les fidèles choisissent sur place un mouton vivant qui est transporté pour être abattu en abattoir et dont la carcasse est rapportée en camion frigorifique.

Chaque année, deux ou trois lieux de vente sont autorisés. Sont présents les services vétérinaires du département, les services de police, la direction départementale de l’équipement et la société protectrice des animaux. Les services vétérinaires contrôlent notamment le retour des carcasses des deux abattoirs (Forge-les-Eaux et L’isle Jourdain) qui intervient en fin de matinée afin que la distribution des animaux aux familles puisse se dérouler dans l’après-midi.

En 2000, pour chacun des lieux de vente autorisés, à Nanterre et à Gennevilliers, deux périodes de réservation des animaux par les familles ont été aménagées dans les deux semaines qui ont précédé la fête, le 16 mars. Au total, 632 moutons ont été vendus.

En dépit des contraintes qu’il impose aux services de l’Etat, ce système permet de concilier les besoins de la communauté musulmane et les règles d’hygiène, de protection de la santé des consommateurs, de protection des animaux et de l’environnement ainsi que l’ordre public, dans le respect des règles nationales et communautaires.

Seule une représentation plurielle et démocratique des musulmans en France, qui pourrait réguler le marché grâce à des procédures de certification halal, permettrait à la fois de recueillir la confiance des consommateurs musulmans, condition du succès d’une rationalisation du marché de la viande halal, et de satisfaire les exigences communautaires sur la libre-concurrence et la sécurité sanitaire. Un tel système permettrait en outre d’établir une véritable transparence sur les circuits financiers, d’une importance non négligeable, induits par ce marché.

4-3 Un souci d’accompagnement
Au premier plan de ce souci d’accompagnement figure le rôle que peuvent jouer, au plan local, les pouvoirs publics, à la demande des musulmans, dans l’organisation de la communauté. La consultation engagée depuis près d’un an par le ministère de l’intérieur relève de cette démarche de soutien dans le respect du principe de laïcité.

4-3-1 Favoriser l'organisation de la communauté musulmane à l'échelon local
Les pouvoirs publics peuvent, en premier lieu, être amenés à favoriser l'organisation de la communauté musulmane à l'échelon local. La responsabilité des acteurs de terrains, élus locaux et administrations déconcentrées est, dans ce domaine, essentielle. Rappelons qu'il ne s'agit en rien de s'immiscer dans l'organisation interne de structures propres aux musulmans. Le rôle qui incombe aux pouvoirs publics consiste à établir des points de rencontre entre institutions et représentants religieux de nature à instaurer des relations institutionnelles, à permettre l'association des musulmans aux manifestations publiques et enfin à favoriser le dialogue inter-religieux.

Au niveau local, les demandes des musulmans tiennent pour l'essentiel à une mise à niveau des moyens d'exercice de la religion et au respect de l'égalité entre les cultes. La suspicion et la méfiance que suscitent trop souvent les manifestations religieuses musulmanes constituent un frein évident à l'intégration de cette religion et de ses fidèles. Face à des communautés diverses et dont les requêtes sont parfois méconnues ou mal interprétées, il importe de privilégier un dialogue sans exclusive dans un but d'intégration de l'Islam et des musulmans à la vie collective de la cité. Le HCI constate que la mise en place de ce dialogue et de ces échanges achoppe parfois sur la méconnaissance réciproque qu'ont les partenaires potentiels les uns des autres.

Les maires ont besoin d'interlocuteurs précis et reconnus pour aborder les questions de la construction des mosquées ou de la création de carrés musulmans dans les cimetières, mais aussi pour pouvoir organiser des activités collectives auxquelles participent tous les habitants. Or leur connaissance du tissu local est parfois imprécise. Dans une ville de banlieue parisienne visitée par le HCI et comportant cinq lieux de culte, le maire avouait connaître un imam et rester évasif quant aux quatre autres structures. Ce type de situation limite les capacités d'entraînement des pouvoirs publics et peut également troubler les musulmans : l'interlocuteur unique de la mairie aura tôt fait d'être considéré comme l'homme de la mairie.

Ainsi, la volonté de dialogue se heurte parfois aux problèmes internes à la communauté musulmane. A Rennes, la création dès 1980 d'un centre culturel Islamique, destiné à accueillir des rencontres et des activités culturelles, a rencontré des difficultés liées à l'absence d'une structure de gestion adéquate et de dirigeants rassembleurs : les dissensions au sein de l'association gestionnaire ont rapidement conduit à la création d'associations fondées sur l'origine nationale.

En sens inverse, les pouvoirs publics se plaignent parfois de la faible connaissance du fonctionnement des institutions et des règles de la laïcité de certains de leurs interlocuteurs. Celle-ci se traduit soit par un surinvestissement dans les relations avec les pouvoirs locaux soit au contraire par un repli hors de la sphère publique. Dans tous les cas, un effort d'explication doit être encouragé. La création au plan local d'espaces de confrontation et de dialogue pour traiter des problèmes concrets peut y aider. Les préfets, comme les élus locaux, peuvent ainsi être appelés à jouer un rôle de médiateur et de catalyseur.

L'expérience menée à Dunkerque apparaît à plus d'un titre exemplaire.
Le Conseil de l’Islam à Dunkerque

A Dunkerque, la municipalité a constitué une instance représentative des musulmans, en adoptant un critère objectif de désignation : la gestion d’un lieu de culte.

Le Conseil de l’Islam de Dunkerque, a été créé en 1995, sous forme d’association loi-1901. Le Conseil fédère cinq associations qui gèrent des lieux de culte à Dunkerque ainsi que des associations de villes voisines.

La réunion en une structure unique des principaux acteurs de l’Islam de la région de Dunkerque a permis à la Ville de bénéficier d’un interlocuteur légitime et représentatif. Le Conseil de l’Islam est consulté sur l’ensemble des difficultés pratiques liées à la gestion des lieux de culte, l’abattage rituel, la toilette mortuaire dans les établissements de santé, la désignation d’aumôniers...

Les représentants de ce Conseil sont, à l’instar de ceux des autres religions avec lesquelles un dialogue œcuménique s’est d’ailleurs engagé, invités aux cérémonies officielles organisées par la municipalité (vœux, 14 juillet...).

La création de ce Conseil de l’Islam a également permis de satisfaire le désir légitime de reconnaissance de la communauté musulmane dunkerquoise, soucieuse à la fois de dépasser les clivages nationaux entre associations et de s’affranchir des tutelles étrangères.

Le Conseil réfléchit actuellement à la définition d’un projet de mosquée d’agglomération, les cinq mosquées de proximité étant menacées de fermeture.

Si, au plan national, l'absence d'une instance représentative limite la capacité de l’Islam à être reconnu et accepté, le HCI a observé des expériences locales très diverses, qui, sous l’impulsion de municipalités soucieuses d’intégrer les cultes aux activités publiques et collectives, ont accru la visibilité de l’Islam et amélioré la connaissance de la religion musulmane.

Expériences locales

Les structures œcuméniques développées à l'échelon local concourent à la mise sur un pied d’égalité de l’Islam avec les autres cultes. A titre d’exemple, l’association interreligions de Rennes a été créée pour répondre aux besoins de connaissance de l’Islam et d’échanges avec les non-musulmans.

Créé en 1989, Marseille Espérance est un groupe sans statut juridique défini, fondé et financé par la mairie avec des responsables des principaux groupes religieux. Il ne s’agit pas tant d’un forum œcuménique que d’une “ prise en compte d’un élément essentiel de l’identité des marseillais ”. Le groupe produit un calendrier des fêtes religieuses dont la publication donne lieu chaque année à un spectacle inter-communautaire à l’Opéra, organise un colloque tous les trois ans et parraine des actions. Comme le note un de ses membres, “ on invite tout le monde à des fêtes que l’on ne veut pas trop religieuses pour que tout le monde puisse venir ”.

Roubaix Espérance, qui doit prochainement devenir une association loi 1901, regroupe les responsables des plus grandes mosquées et de trois pagodes, des responsables protestants, un représentant de l’évêque, ainsi que des laïcs. L’idée, lancée par la municipalité, est d’assumer les richesses des différentes familles spirituelles pour aboutir à un “vivre ensemble” apaisé dans le cadre de la laïcité.

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4-3-2 Parvenir à une organisation de l’Islam au plan national HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE 4-3-2 Parvenir à une organisation de l’Islam au plan national

Les tentatives de l’Etat pour créer une fédération des différents courants musulmans en France, conduite par une personnalité représentative, ont jusqu’ici échoué. Le conseil de réflexion sur l'Islam en France (CORIF) puis le conseil représentatif de l'Islam de France n’ont pas réussi à s’imposer à la différence des conseils nationaux des musulmans qui existent en Espagne, en Belgique ou en Grande-Bretagne.

La consultation lancée par le ministère de l’intérieur en octobre 1999 se fonde sur un texte définissant les principes et fondements juridiques sur lesquels repose le culte musulman, signé le 28 janvier 2000 par plusieurs fédérations (Grande mosquée de Paris, UOIF, FNMF, Invitation et mission pour la foi et la pratique, Tabligh et daoua il allah), cinq grandes mosquées indépendantes (Centre culturel Islamique d'Evry, Mosquée de Mantes-la-Jolie, Grandes mosquées de Lyon, Marseille et St-Denis de la Réunion) et six personnalités qualifiées.

La philosophie de cette démarche est de “faire confirmer aux signataires leur connaissance des lois de la République qui régissent les rapports entre l'Etat et les cultes ” et d’affirmer “ qu'il n'existe pas de conflit de principe entre la tradition du culte musulman et l'organisation légale des cultes en France”. Les signataires ont la responsabilité de l'organisation d’une instance représentative. L'Etat ne leur a fixé ni cadre de délai. Le gouvernement propose simplement de travailler sur des sujets qui “ appellent des solutions concrètes et rapides ” : création éventuelle d'associations cultuelles, création de nouveaux lieux de culte, statut des religieux, mais aussi tous autres sujets dont l'instance souhaitera se saisir. Trois groupes de travail associant des experts musulmans, des représentants des différentes administrations concernées et l’Association des maires de France ont été créés. Ils concernent l’édification des lieux de culte, les structures associatives cultuelles et le statut des ministres du culte. La consultation s’est également saisie de la question des aumôneries et celle de l’organisation de l’abattage rituel.

Le départ de Jean-Pierre Chevènement du ministère de l’intérieur s’est produit au moment où la consultation était sur le point de déboucher sur un accord quant aux modalités d’organisation d’une instance provisoire de représentation. Les participants ont d’ailleurs adressé une lettre au gouvernement demandant la poursuite de la démarche engagée. L’action entreprise se poursuit aujourd’hui. Le Haut Conseil encourage un tel dialogue entre institutions et représentants des communautés musulmanes. Tant les modalités, inédites, de la consultation que les principes sur lesquelles elle repose, responsabilisation des intéressés mais soutien politique et logistique du gouvernement, méritent d’être conservés.

De premières conclusions ont déjà été remises au ministère de l’intérieur, le 31 août 2000 : la future instance représentative représentera le culte musulman et non les musulmans de France. L’instance représentative serait élue selon un système de suffrage indirect : les représentants des lieux de culte (gérés par une association régulièrement déclarée) éliront de grands électeurs régionaux lesquels choisiront des représentants nationaux.

Le Haut Conseil estime que cette tentative d’organisation de l’Islam au niveau national devrait davantage prendre appui sur les leçons tirées des expériences locales. Reflet de la diversité philosophique et ethnique de l’Islam de France, l’instance représentative doit être composée sur des critères objectifs, et non sur des désignations discrétionnaires : gestion d’un lieu de culte, prise en compte de la superficie des lieux de culte ou de la fréquentation de ceux-ci. Il importe surtout qu’une fois réunie, l’instance définisse clairement son rôle, par-delà les questions dont il lui a été proposé de se saisir, et donne à ses interventions une ambition pédagogique.

4-3-3 Offrir un cadre universitaire adapté à la formation des cadres religieux
La formation des cadres religieux constitue un enjeu essentiel tant pour la République que pour l’Islam de France. De sa qualité et de son contenu dépendent en partie les formes que prendra la culture musulmane française.

4-3-3-1 Les imams en France : un besoin de formation
L’aspiration fréquemment émise, au sein de la communauté musulmane, de disposer d’imams compétents, francophones et formés au contexte français se heurte au manque de vocations parmi les musulmans établis en France et à la non-maîtrise de la langue arabe par les candidats potentiels. Dans ces conditions, les fidèles n’ont guère le choix qu’entre des imams recrutés à l’étranger mais dont l’intégration n’est pas nécessairement assurée et des imams choisis parmi la communauté française mais qui ne possèdent que rarement la formation requise. Une telle situation n’est pas satisfaisante.

Mais les pouvoirs publics ne sont ni légitimes ni compétents pour intervenir dans ce domaine. Ils peuvent seulement créer les conditions permettant aux candidats à la fonction d’imam de trouver, en France, la formation nécessaire.

4-3-3-2 Un offre de formation inadaptée aux besoins
Trois instituts se sont créés pour former des cadres religieux musulmans adaptés aux réalités européennes.

1- La grande Mosquée de Paris a ouvert en 1994 un institut de formation des imams. Cet institut de théologie de l’Institut musulman de la mosquée de Paris, aurait cessé son activité, faute de subvention et en raison du coût de ses formations

2- Ouvert en janvier 1992 sous l’égide de l’UOIF, l’Institut européen des sciences humaines à St Léger de Fougeret (Nièvre) abrite environ 100 étudiants et étudiantes. Il s‘est vu refuser le statut d’établissement de l’enseignement supérieur privé du fait de son statut d’association loi 1901 ayant pour objet l’enseignement de la théologie. 70% des inscrits suivent des cours par correspondance. Sur les 99 résidents inscrits en 1996-1997, on compte 40 femmes, 70% d’étudiants venus de France, 30% de l’Europe continentale. Les étudiants se partagent entre trois filières : 50% dans la filière langue arabe, 30% dans la filière longue Islamologie et 20% dans la formation pour imams et éducatrices.

3- L’institut d’Etudes Islamiques de Paris, anciennement Université Islamique de France, dispense des cours du soir à 200 étudiants, qui y participent de manière plus ou moins régulière et cherchent pour l’essentiel à approfondir leurs connaissances.

Ces deux derniers instituts ont trois filières : formation à l’arabe, formation théologique fondamentale (faculté européenne des études Islamiques dans la Nièvre), formations plus pratiques ou pédagogiques (institut de formation des imams et éducatrices dans la Nièvre). Cependant, alors que le premier accueille des étudiants résidents (internat universitaire doublé d’un séminaire Islamique), le second est davantage un institut de formation pour adultes, dont les cours sont dispensés le week-end et en soirée.

Le HCI rappelle que si l’Etat peut encourager la création d’institutions universitaires permettant d’enrichir la connaissance de la culture musulmane, il ne peut se substituer aux autorités cultuelles pour la formation des cadres religieux.

Dès 1992, le HCI notait que l’acquisition par l’Islam de France d’un véritable statut supposait de satisfaire deux objectifs : “Tout d’abord permettre à l’ensemble de la population d’avoir accès à un foyer de réflexion et de connaissance sur la culture Islamique. Ce serait le rôle d’un organisme d’enseignement et de recherche de type universitaire. Mais aussi il serait nécessaire de voir naître cette instance supérieure de médiation, capable de réinterpréter la tradition musulmane dans le contexte français. Cet organisme aurait pour tâche d’explorer l’approche culturelle de la voie religieuse et de reconstituer ainsi, là où vivent les musulmans immigrés, le riche terreau où s’enracinent leurs croyances. Il exercerait ainsi la fonction théologique critique nécessaire pour élaborer une représentation de la foi tenant compte des besoins de personnes confrontées à des déplacements culturels. Il pourrait aussi assumer une responsabilité dans la formation des imams.” Huit ans après, cette analyse demeure valide. Si la création de l’institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman, centre de l’EHESS, répond pour partie au premier objectif énoncé à l’époque par le HCI, aucun projet ne s’est réellement imposé pour réaliser les missions théologiques décrites ci-dessus. Il manque toujours à la communauté musulmane l’équivalent des instituts catholiques de Paris, Lille ou Lyon, du Grand séminaire rabbinique de Paris ou des lnstituts protestants de théologie, voire des facultés de théologie de l’université des sciences humaines de Strasbourg.

Tour à tour ont été évoquées la mise en place d’un établissement privé d’enseignement supérieur, bâti sur le modèle de l’institut catholique de Paris, et celle d’un institut de théologie à créer au sein de l’université des sciences humaines de Strasbourg. Un rapport du Pr Trocmé, ancien doyen de la faculté théologique d’Etat de Strasbourg, préconisait d’ailleurs la création, dans le cadre de l’université de Strasbourg, d’un centre de formation en théologie musulmane.

Ce dernier projet aurait des mérites évidents en terme d’ouverture de l’Islam aux autres cultures et de visibilité. Les conditions réglementaires qui s’imposeraient (nomination des professeurs indépendante des autorités religieuses, ouverture de l’enseignement à tous, distinction entre la formation universitaire reçue et la formation professionnelle de ministres du culte qui relèverait de la responsabilité propre des organisations religieuses) sont en effet de nature à permettre la combinaison entre un accès à cette culture religieuse pour les laïcs et la constitution d’une culture universitaire solide pour les futurs imams, qui seraient ensuite choisis librement par leur communauté. Comme l’écrit F. Messner : “Les cadres des communautés musulmanes seraient formés au sein d’institutions contrôlées par la puissance publique conformément aux critères académiques en vigueur dans les universités. La théologie musulmane, tout en conservant son profil propre, serait confrontée aux autres disciplines. Cette relative interdisciplinarité éviterait la marginalisation de la théologie et des théologiens musulmans à la fois par rapport à l’Université et à ses méthodes et plus largement par rapport à la société globale”.

Le HCI recommande d’engager une réflexion sur la possibilité de s’appuyer sur la spécificité du régime concordataire et sur la situation exceptionnelle de la ville de Strasbourg pour y créer un centre de formation en théologie musulmane. Bien que la création d’un tel enseignement ne soit pas juridiquement subordonnée à la reconnaissance légale de l’Islam, cette proposition pose la question de l’opportunité et de la possibilité d’étendre en Alsace-Moselle les dispositions concordataires à l’Islam.

Plus largement, de nombreux intellectuels musulmans soulignent que l’insertion durable de la religion musulmane sur le sol européen nécessite la création de lieux de débat et d’études où puisse naître les fruits de la confrontation et du dialogue entre la pensée occidentale et les fondements de l’islam. “Il nous faut inventer une culture islamique européenne”, affirme ainsi Tarik Ramadan.

Pour J. Cesari, “de nouvelles approches relatives à l’application de la loi islamique se font jour en Europe. Le principe commun de ces diverses voies réside dans la réouverture des “portes de l’interprétation” (Ijtihad)”. La création en France d’un lieu universitaire de rencontre et d’écoutes de haut niveau peut contribuer à ce dialogue des cultures et à l’enracinement pacifique de l’Islam en Europe.

4-4 Contribuer à l’intégration à l’école
Parce que l’école est le vecteur privilégié de l’intégration et parce que c’est à l’école que se forge l’adhésion du futur citoyen à la République, il est essentiel que les relations entre l’institution scolaire et les élèves qui se réclament de l’Islam permettent à chacun de vivre sa foi et d’assumer son identité dans le respect des lois républicaines.

C’est bien la portée du principe de laïcité que de garantir en même temps la neutralité religieuse de l’école et la liberté de conscience des élèves. La difficulté consiste aujourd’hui à tracer la ligne entre les droits des élèves, les accommodements qu’il convient d’admettre et les revendications qui sont inacceptables au regard des principes républicains. De la définition d’un équilibre entre ces trois blocs dépend la faculté de l’école à intégrer les élèves musulmans dans le double respect des valeurs de la République et de leur identité spécifique.

Pour cela, il s’avère indispensable de dépasser deux approches trop réductrices des problèmes qui surgissent à l’école :

- l’approche exclusivement juridique qui, si elle constitue la garantie indispensable d’une action respectueuse de la légalité, s’avère insuffisante ;

- l’approche exclusivement religieuse du problème qui ne permet pas d’en appréhender les dimensions culturelle et identitaire. Des réponses différentes doivent être apportées selon que les comportements ou les revendications renvoient à la dimension spirituelle de l’Islam (il s’agit alors du nécessaire respect de la liberté de conscience) ou à l’identité et la culture des populations d’origine immigrée.

4-4-1 Les droits à garantir.
Ce premier bloc recouvre les droits que l’institution scolaire se doit de garantir. Dans la plupart des hypothèses, il s’agit de droits découlant du strict respect de la liberté de conscience dont doit pouvoir bénéficier chaque élève de la République dans les limites de l’ordre public scolaire.

Rappelons que l’article 1er de la loi du 31 décembre 1959 dispose que “Suivant les principes définis par la Constitution, l’Etat assure aux enfants et adolescents, dans les établissements publics d’enseignement, la possibilité de recevoir un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les croyances”. L’article 10 de la loi de 1989 dispose que “Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression.”


Comme il a été dit ci-dessus, chaque élève doit donc se voir garantir la possibilité de manifester son appartenance à une religion à la triple condition que cette manifestation ne génère aucun trouble dans l’établissement, ne contrevienne en rien à l’obligation scolaire et ne débouche pas sur du prosélytisme.

La majorité du HCI estime nécessaire, dans cette perspective, et sous réserve de modifications législatives, d’appeler au respect du cadre juridique défini par le Conseil d’Etat. Des interdictions générales du port de tel ou tel signe religieux, dans les limites rappelées plus haut, procèdent d’une connaissance insuffisante de l’état du droit.

En effet, la neutralité religieuse de l’école n’implique pas d’effacer toute manifestation d’appartenance à un culte ou d’adhésion à une foi mais au contraire d’assurer à chaque élève l’égale protection de l’institution scolaire. Certes, la ligne est parfois délicate à tracer entre le droit intangible à la liberté de conscience et le trouble à l’ordre public scolaire, dont les exigences peuvent varier en fonction du contexte. L’impossibilité qu’il y a à définir un cadre général entre les droits à garantir et les comportements à proscrire explique l’hétérogénéité des réponses apportées sur le terrain comme le désarroi de certains chefs d’établissement et personnels enseignants.

Les ministres de l’éducation nationale ont tenté en 1989 puis en 1994, par voie de circulaires, de guider l’action des responsables d’établissements et des recteurs d’académie. Mais tout reste affaire d’espèce et la jurisprudence administrative ne suffit pas à résoudre toutes les difficultés auxquelles sont confrontés ceux-là même qui sont appelés à en faire application. Quelles que soient les difficultés d’application du régime juridique, la majorité du HCI ne recommande cependant pas de le modifier. Seul le législateur serait d’ailleurs compétent pour encadrer plus rigoureusement ou plus systématiquement les signes d’appartenance religieuse à l’école. Le respect des dispositions constitutionnelles comme des engagements internationaux de la France interdit toutefois d’envisager l’institution d’interdictions générales qui seraient en outre contraires à la tradition républicaine de respect des libertés publiques.

C’est pourquoi, la majorité du HCI préconise, à droit constant, une action d’envergure menée par le ministère de l’éducation nationale sous forme de séminaires d’information et de formations des équipes enseignantes aux fins de :

- faire connaître et comprendre l’état du droit et de la jurisprudence ;

- confronter les expériences et les réponses apportées localement à des difficultés parfois similaires.

De tels forums pédagogiques, conduits régulièrement (une fois par an) à l’échelon local (l’académie) devraient permettre de fournir aux chefs d’établissement une aide à la décision, de déminer un certain nombre d’incompréhensions réciproques qui s’avèrent aller à l’encontre de l’impératif d’intégration comme du respect du principe de laïcité et enfin d’assurer une plus grande cohérence, au plan national, entre les réponses apportées aux questions que pose aujourd’hui l’Islam à l’école.

4-4-2 Les accommodements à consentir.
Il s’agit de trouver un équilibre entre la satisfaction de revendications liées à la pratique de la religion et le respect du principe d’égalité qui interdit toute discrimination positive. A droit constant, de tels accommodements, dont certains sont déjà pratiqués dans de nombreux établissements, sont de nature à concilier un fonctionnement normal de l’institution scolaire et les exigences propres à la religion musulmane dans la mesure où celles-ci restent compatibles avec les principes républicains.

Ainsi, le HCI recommande :

- la mise en place, à la demande, dans les cantines de “repas sans porc” avec la garantie d’un susbtitut en protéines ;

- la recherche, en tant que de besoin, de compromis à propos de la “rupture du jêune” pendant la période du ramadan lorsqu’elle se produit pendant les heures de classe, à l’image de ce qui se pratique au lycée polyvalent Romain Rolland à Goussainville. Un “comité des élèves” a été mis en place qui, après concertation avec les enseignants, a dégagé le compromis suivant : les élèves rompent symboliquement le jeûne du ramadan en mangeant une datte ou une friandise sans quitter la classe ;

- l’octroi d’autorisations d’absence le jour de l’Aïd-el-Kebir . Cette dernière proposition, en tant qu’elle suggère la généralisation, et partant, l’officialisation, d’une pratique déjà répandue est la plus délicate. Elle repose en effet sur la prise en considération institutionnelle d’une pratique rituelle. Notons toutefois que le ministre de la fonction publique diffuse dans l’administration un calendrier des fêtes religieuses de nature à justifier, sur demande des agents, l’octroi d’autorisations d’absence sous réserve du fonctionnement normal du service. Il n’est pas interdit d’envisager l’extension de telles tolérances au profit des élèves de l’école publique. Une réflexion d’ensemble concernant l’ensemble des fêtes religieuses qui ne sont pas prises en compte dans le calendrier des fêtes légales (fêtes juives ou bouddhistes notamment) pourrait utilement être menée au plan national.

D’une manière générale, le recours, au sein des établissements scolaires, aux structures de concertation entre élèves et enseignants qui existent apparaît comme une façon pragmatique d’envisager les réponses susceptibles d’être apportées aux demandes des élèves.

4-4-3 Les revendications inacceptables.
Il existe en revanche un noyau dur de principes et d’exigences découlant du pacte républicain qui rend inacceptables un certain nombre de revendications. L’institution scolaire ne doit céder en rien dans ce domaine au risque de voir se développer une “école à la carte” préfiguration d’un multiculturalisme aux antipodes du modèle français d’intégration.

Si la laïcité implique une indifférence protectrice des institutions vis-à-vis des pratiques religieuses dès lors que, cantonnées à la sphère privée, elles ne remettent pas en cause le “vivre-ensemble”, elle s’oppose en revanche à tout empiétement de celles-ci dans l’espace social collectif. En tant que le pacte laïque constitue “le point d’équilibre d’un rapport de forces” et un “pilier de la cohésion sociale”, comme le rappelait le HCI dans son rapport de 1992, “son acceptation doit être considérée, sous réserve des adaptations qu’impose toute situation nouvelle, comme une condition sine qua non de toute intégration dans la société française d’aujourd’hui”.

Aux yeux du HCI, doivent être ainsi fermement écartés :

- toute introduction de repas “halal”, dans la restauration collective, davantage pour des questions de principe qu’en raison des difficultés de gestion des cantines que cela entraînerait ;

- tout aménagement systématique des rythmes scolaires, notamment pendant le ramadan. Il convient en effet d’opérer clairement le départ entre une tolérance pour des absences ponctuelles et l’impossibilité d’accepter toute modification systématique des horaires et des temps de présence ;

- tout refus de la mixité, et plus généralement tout comportement tendant à remettre en cause l’égalité entre l’homme et la femme. L’intégration dans la société française suppose en effet l’absence de toute discrimination à raison du sexe

- tout compromis sur le contenu des programmes ou sur l’assiduité scolaire. En effet, il n’est pas question d’admettre, serait-ce par la voie d’une mise en cause de la pertinence ou de la légitimité des enseignements professés, telles la biologie ou la philosophie, que le contenu des savoirs soit fonction des situations individuelles des élèves ou des familles. Des comportements visant à contester la fonction pédagogique de l’école sont de nature à justifier légalement, au regard des critères dégagés par la jurisprudence, une sanction disciplinaire.

De telles concessions conduiraient à accorder des avantages spécifiques à tel groupe en fonction de son identité religieuse, en rupture avec le modèle français qui repose sur l’intégration d’individus. Certes, un tel schéma n’interdit pas, comme il a été dit plus haut, de prendre en considération un certain nombre de spécificités. Mais en aucun cas, celles-ci ne doivent conduire à la mise en place d’une école à géométrie variable en fonction des populations qu’elle accueille.

Ces légitimes fins de non-recevoir ne sauraient toutefois constituer l’unique réponse de l’école à des revendications inconciliables avec le bon fonctionnement de l’institution scolaire. Elles doivent s’accompagner, au-delà d’une approche seulement juridique, de pédagogie et d’une prise en charge des personnes intéressées.

4-4-4 Aller au-delà du traitement juridique des problèmes.
L’incompréhension et les désaccords que suscite parfois l’application du principe de laïcité à la question du foulard montrent que les problèmes les plus aigus ne peuvent trouver de solution par la seule voie juridique. De l’avis de la majorité des membres du Haut Conseil, les pouvoirs publics devraient renforcer la réflexion menée avec les enseignants, les parents d’élèves et les élèves afin d’assurer que le traitement de cette question réponde à un souci constant d’intégration des jeunes filles concernées. Cette réflexion devrait s’inspirer des principes suivants.

Comme le montre la politique de médiation développée par le ministère de l’éducation nationale, il importe d’abord de dialoguer en amont avec les jeunes filles pour mieux connaître les motifs de leur attitude et les amener à s’interroger sur les conséquences qui en découlent. Il n’appartient pas à l’école républicaine de s’ingérer dans le débat sur le caractère obligatoire ou non, pour une musulmane, du port du foulard, même si ce point est théologiquement discuté. Il paraît toutefois utile de s’enquérir auprès des jeunes croyantes qui font ce choix des motivations de leur comportement, lesquelles ne sont pas sans conséquence sur la réponse que l’institution scolaire doit apporter. Si le port du foulard résulte de la pression familiale, il sera utile d’engager un dialogue avec la famille afin de lui signaler, en même temps qu’à l’élève dont il importe de ne pas accroître la détresse en la mettant en porte-à-faux vis-à-vis des siens, les risques qu’un tel comportement fait courir à son intégration. Si le port du foulard résulte d’une attitude de provocation, suscitée ou non par une communauté religieuse, l’école devra être stricte dans l’application de la loi, tout en veillant à éviter le cumul de sanctions qui résulterait, pour une adolescente dont la personnalité est encore en formation, de son instrumentalisation, d’une part, et de son éviction du système scolaire public, d’autre part.


Il faut ensuite insister, auprès des publics scolaires intéressés, sur l’obstacle que représente le port du foulard sur la voie de l’intégration. En premier lieu, il importe de souligner que l’inégalité sexuelle que dénote implicitement le port du foulard est en désaccord avec la norme sociale en vigueur dans notre pays. S’il n’appartient pas à l’institution scolaire de s’immiscer dans les relations privées entre hommes et femmes, il lui incombe de faire état auprès de ces élèves de la situation discriminante que peut engendrer pour elles une attitude en rupture avec leur environnement et l’histoire de l’évolution du droit des femmes dans les sociétés modernes. On peut aussi pointer les difficultés d’insertion professionnelle auxquelles les jeunes filles voilées s’exposent : impossibilité juridique de devenir fonctionnaire, en raison de l’impératif de neutralité du service public ; difficultés de recrutement dans le secteur privé, notamment dans les secteurs en contact avec le public.

Il est important de relever qu’en application de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur le principe de laïcité, une même jeune fille pourra être admise voilée à l’école, sous les réserves énoncées ci-dessus, en qualité d’élève mais devra s’abstenir si elle souhaite, ces études terminées, occuper un emploi de surveillante ou devenir enseignante, de porter tout signe d’appartenance religieuse.

Il importe enfin que l’école, dans l’application qu’elle fait du droit, ne perde pas de vue son objectif d’intégration.
Ainsi toute exclusion scolaire a priori d’une jeune fille, c’est-à-dire tout refus d’inscription dans un établissement motivé implicitement ou explicitement par le port du foulard, est non seulement illégal, mais aussi fondamentalement incompatible avec l’objectif d’intégration. En outre, il faut constater qu’en cas d’échec de la médiation, l’institution scolaire ne se préoccupe pas de la gestion en aval des exclusions légales. Si une jeune fille s’est effectivement placée dans une situation de nature à justifier une sanction, elle doit quitter l’école sans autre espoir de poursuivre ses études que par correspondance (au moyen du CNED) ou dans un établissement privé confessionnel. Notons, à ce propos, qu’alors qu’aucun obstacle juridique ne s’oppose à l’institution d’écoles privées coraniques, un seul établissement de ce genre existe en France, à la Réunion. Cette impossibilité de combiner obligation scolaire et pratique religieuse au sein d’établissements confessionnels accroît la nécessité d’une prise en charge du suivi de la sanction disciplinaire par l’école publique.

En résumé, la majorité du HCI considère qu’une gestion purement juridique et un traitement uniquement disciplinaire des questions du foulard et de l’assiduité aux cours est aujourd’hui insuffisante. Par la médiation en amont et par l’accompagnement en aval, l’institution scolaire a en effet le devoir de ne pas renoncer à intégrer des jeunes filles dont le rapport de force qu’elles engagent avec l’école doit être assimilé à un comportement méritant un suivi spécifique. Le HCI préconise la création d’une structure ad hoc chargée de mener une réflexion d’ensemble sur les réponses à apporter à des comportements qui portent en eux le germe d’un refus d’intégration. Si le port du voile est le symptôme d’une difficulté de fond, il est nécessaire de s’attaquer aux racines du problème plutôt que de se borner à en traiter les effets en ajoutant aux difficultés ou au refus de s’intégrer des intéressées la sanction d’une exclusion à l’opposé de la mission intégratrice de l’école.

4-4-5 Dépasser une approche seulement religieuse des problèmes.
Il n’est pas inutile de chercher à appréhender les comportements des jeunes musulmans non seulement comme renvoyant à la dimension spirituelle de leur foi mais aussi comme révélant la recherche d’une identité de substitution en lieu et place de la culture d’origine comme de la culture française (voir 2-2-2). Face à un sentiment d’exclusion sociale et de perte de confiance dans la promotion par l’école, la résistance à l’intégration se cristallise autour de la religion. Comme l’écrit Abderrahim Lamchichi dans “Islam et musulmans de France - Pluralisme, laïcité et citoyenneté” (L’Harmattan 1999) : il convient “d’essayer de déchiffrer le sens des stratégies d’acteurs sociaux -qui tentent sans cesse de réinventer des liens communautaires et de socialisation et de remodeler leurs croyances, leurs pratiques, leur normes et leurs conduites sociales en fonction de leurs conditions de vie, édifiant de nouvelles frontières symboliques, des références identitaires inédites ; il faut essayer de saisir la réalité vivante de cet Islam comme un “fait social” - où l’on observe à la fois des processus de continuité et de rupture, de divergence et de reproduction des traits culturels originels, ainsi que leur inscription, de manière inédite et originale, au sein des sociétés d’accueil”.


Pour réussir, le “creuset” républicain doit donc chercher à concilier et non à exclure. Il ne s’agit plus tant d’acculturation que de réappropriation d’une culture issue du mélange entre les racines familiales et les repères offerts par la société française. Comme l’écrit Hanifa Chérifi : “l’école comme la société n’ont plus d’autre choix : soit prendre en compte ces spécificités en cherchant à les intégrer, soit les occulter”. Mais pour que le mélange se fasse harmonieusement, encore faut-il lutter contre les phénomènes insidieux d’exclusion que constituent :

- les effets des politiques de logement des années 1960 et 1970 qui ont débouché sur des concentrations de populations immigrées ou d’origine immigrée dans des proportions telles qu’elles s’opposent à toute véritable intégration. Les deux établissements scolaires du centre-ville de Marseille visités par le HCI accueillent ainsi chacun 100 % d’élèves musulmans. Que recouvre concrètement la mission intégratrice de l’école dans de telles conditions qui sont de nature à favoriser la montée de phénomènes de ségrégation scolaire?

- les conséquences de l’Enseignement des Langues et Cultures d’Origine (ELCO) qui, détourné de son objectif initial de permettre aux enfants de familles immigrées de repartir le moment venu dans leur pays, cantonne les élèves dans un enseignement aux effets plus désintégrateurs qu’autre chose. Cet enseignement s’est développé, à partir du début de 1973, sur le fondement d’accords bilatéraux signés notamment avec les pays du Maghreb et la Turquie. Des enseignants recrutés et payés par les pays partenaires enseignent les langues et cultures d’origine à l’école primaire et au collège. Mais, avec le maintien durable sur le sol français des populations immigrées, la manière dont ces enseignements sont dispensés est devenue inadaptée aux enjeux de la politique d’intégration. Il suffit, pour s’en convaincre, de citer les termes dans lesquels est rédigé l’édifiant formulaire distribué par la direction des écoles du ministère de l’éducation nationale aux familles algériennes : “Votre enfant peut recevoir à l’école un enseignement fondé sur l’étude de sa langue nationale et la connaissance de son pays et de sa civilisation (...) Ces enseignements doivent permettre à votre enfant de mieux connaître la langue et la société de son pays. Ainsi, en se connaissant mieux lui-même, il doit pouvoir mieux réussir dans l’école française”. Assurés par des enseignants souvent “marginalisés” qui délivrent un enseignement de plus en plus inadapté (méthodes dépassées, enseignement en tant que langue d’origine d’une langue qui est “de moins en moins maternelle”), ces cours entraînent un risque non négligeable de marginalisation des enfants pour lesquels, brisant l’unité de la classe, ils se substituent à d’autres enseignements dans l’emploi du temps.

A ces politiques doit être substituée une nouvelle approche des cultures d’origine. Le HCI soulignait déjà, dans son rapport de 1995 consacré aux “Liens culturels et intégration”, la nécessaire interaction entre intégration et culture d’origine : “L’intégration suppose une connaissance de soi, de ses origines et c’est cette connaissance qui permet une intégration réfléchie, assumée et donc réussie. La connaissance permet aussi de se détourner des travestissements de la culture d’origine. Le retour à une identité sans recherche de connaissance peut se traduire par la seule adoption de signes extérieurs d’appartenance, par un rigorisme suppléant la compréhension”.

Si la connaissance de la culture d’origine est un élément d’autant plus indispensable que sa méconnaissance fait bien souvent de l’Islam l’unique référent identitaire, elle doit être dispensée de manière ouverte et s’adresser à l’ensemble de la communauté scolaire afin de faciliter le “vivre-ensemble”. Aux générations issues de l’immigration, elle permettra de mettre en perspective, sur des plans historique, politique et artistique, leur culture ; aux autres, elle aidera à lever un certain nombre de préjugés. Un tel enseignement, facultatif, des langues et cultures étrangères, ouvert à tous les élèves, devrait pouvoir être substitué aux ELCO et à la logique d’un enseignement dispensé en fonction de la nationalité d’origine.

Les expériences tentées en milieu scolaire d’apprentissage collectif se sont en effet toutes révélées extrêmement positives : travail, dans une classe de 5e du collège Jean Moulin d’Aubervilliers, sur l’histoire de la France et de son immigration, confection d’un livre et d’une exposition par les élèves du collège André Malraux de Montereau sur les “Chemins d’identité”, projet sur les Andalouses associant dix classes de seconde au lycée Romain-Rolland d’Argenteuil, “nuit du ramadan” organisée par le service jeunesse de la mairie de Bobigny, centre culturel arabo-musulam créé au lycée professionnel Lavoisier à Roubaix... Sans aller jusqu’à préconiser la création de telles structures interculturelles dans les établissements scolaires, il convient de souligner l’intérêt de ce type d’initiatives qui visent à faire connaître, en milieu ouvert, les cultures des immigrations et de favoriser l’enseignement des langues d’origine comme langue vivante étrangère. De telles démarches permettent à chacun de découvrir ou de s’approprier la culture musulmane dans ses dimensions historique et culturelle et non plus dans sa seule dimension religieuse.

En outre, l’enseignement de l’histoire des religions représentées en France doit voir sa place accrue dans le secondaire. Certes, les nouveaux programmes, entrés en vigueur en 1996, réservent désormais dans le programme d’histoire de seconde l’étude du monde méditerranéen au XII e siècle et des trois civilisations qui s’y sont rencontrées : chrétienté occidentale, empire byzantin et Islam. Mais on est encore loin d’une véritable histoire des civilisations qui devrait réserver une part importante à l’apprentissage et la découverte des dimensions culturelle, littéraire, musicale, artistique des différentes religions.

Le HCI préconise la suppression des ELCO, ce qui implique la dénonciation des accords bilatéraux les encadrant. En revanche, l’apprentissage au collège comme au lycée des langues d’origine comme langue vivante étrangère doit être encouragé.

La prise en charge, de manière unilatérale, par le ministère de l’éducation nationale, de ces enseignements est la condition d’une véritable liberté dans le choix des langues enseignées (dont le nombre doit augmenter) et dans le recrutement des enseignants. La mise en place d’une véritable histoire des civilisations doit en outre permettre d’apporter aux jeunes issus de l’immigration, et notamment aux jeunes musulmans, les outils nécessaires à la connaissance de leur culture dans ses aspects contemporains et dans son universalité.

A cet effet, le HCI recommande aux institutions publiques françaises, en particulier le FAS, d’encourager les actions des associations en ce qui concerne les cultures populaires de l’immigration.

La recherche d’un traitement dépassant les seules approches juridique et disciplinaire des questions que pose la place de l’Islam à l’école, la prise en compte de la dimension sociale et culturelle du phénomène ainsi que la volonté de définir, avec clarté et de manière cohérente au plan national, ce qui doit être garanti, ce qui peut être accepté et ce qui doit être refusé sont les conditions nécessaires à la poursuite de l’objectif d’intégration par l’école.

Face à une situation largement inédite où il ne s’agit plus seulement d’intégrer des minorités d’origine étrangère mais des individus dont la confession est souvent le premier marqueur communautaire, l’école républicaine se doit de faire en sorte que l’Islam ne soit pas un frein mais une chance pour l’intégration des jeunes musulmans.

Conclusion
La laïcité constitue l’un des fondements du pacte républicain. Après des années de tensions, parfois violentes et de conflits entre la République et les cultes, le principe de laïcité fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus. Le HCI souligne l’importance qui s’attache à la préservation de ce consensus qui résulte de l’équilibre trouvé entre l’affirmation des libertés individuelles, et notamment la liberté religieuse, et la nécessité d’une stricte neutralité de l’Etat.

Mais cet équilibre est fragile. Il implique un réexamen permanent des fondements sur lesquels il repose. La laïcité n’est pas une notion dont le contenu se serait figé, il y a un siècle : elle se nourrit des évolutions de la société, des attentes du corps social comme des exigences de l’Etat de droit. C’est à ce titre que les questions que pose la réception de l’Islam, religion nouvelle et minoritaire sur le territoire français, sont autant d’occasions de redéfinir la portée et de contribuer à l’enrichissement du principe de laïcité. Mais l’insertion de l’Islam dans la société française suppose également que les musulmans assument sans réserve les exigences qui découlent du principe de laïcité.

Les conditions paraissent aujourd’hui réunies pour que se développent entre la République et l’Islam des relations apaisées qui puissent se nourrir de l’héritage d’un passé enfin assumé et des fruits d’une intégration en marche, dans le respect de l’égalité et la fraternité républicaines.

ANNEXES
Annexe 1
Composition du Haut Conseil à l’Intégration

Membres du Haut Conseil à l’Intégration

(Décrets du 16 avril 1997, du 19 octobre 1998, du 17 mars 1999, du 23 novembre 1999)

Roger Fauroux Président du Haut Conseil, ancien ministre
Abdelatif Benazzi 1 Sportif amateur
Bernard Birsinger Député-maire de Bobigny
Amin Boutaghane Commissaire de police
Sara Briolin Proviseur de lycée
François Chavès Directeur d’hypermarché
Hanifa Chérifi Chargée de mission au Ministère de l’éducation nationale
Christian Delorme Prêtre
Roger Errera Conseiller d’Etat
François Grosdidier 1 Vice président du Conseil régional de Lorraine
Anne-Marie Idrac Députée des Yvelines
Jeanne-Hélène Kaltenbach Responsable d’association
Nacer Kettane Président de radio
Christine Lazerges Députée de l’Hérault, Vice présidente de l’Assemblée nationale
Jean-Pierre Rosenczveig 1 Président de tribunal pour enfants
Gaye Petek-Salom Directrice d’association
Aïcha Sissoko Directrice d’association
Michèle Tribalat Démographe
René Vandierendonk Maire de Roubaix
Patrick Weil Directeur de recherche CNRS

Rapporteurs

Mattias Guyomar Rapporteur principal, maître des requêtes au Conseil d’Etat
Luc Derepas Maître des requêtes au Conseil d’Etat
Philippe Laffon Inspecteur à l’Inspection générale des affaires sociales
Hayette Zeggar Inspecteur à l’Inspection générale des affaires sociales

1 Jusqu’au 15 avril 2000.

5
Annexe 2 HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE Annexe 2

Liste des personnes auditionnées par le Haut Conseil à l’Intégration
Juillet 1999 - Mars 2000

Monsieur Dalil Boubakeur Recteur de la mosquée de Paris

Monsieur Thierry Tuot Directeur du FAS

Monsieur Alain Boyer
Secrétaire général de la préfecture Région Auvergne
Monsieur Malek Chebel
Anthropologue et psychanalyste
Monsieur Soleih Bencheikh
Grand mufti de Marseille
Monsieur Altan Gokalp
Directeur de recherche au CNRS
Monsieur Daniel Lamar Directeur général de l’AFIJ

Monsieur Pierre Tournemire
Secrétaire général adjoint de la ligue de l’enseignement
Monsieur Michel Morineau
Ligue de l’enseignement
Monsieur Franck Frégosi
Université Robert Schuman / CNRS de Strasbourg
Monsieur Gilbert Stenfort
Enseignant, ancien principal adjoint au collège des Chamards à Dreux

Monsieur Claude Nicolet
Conseiller municipal de Dunkerque
Monsieur Nordine Henni Chargé de Mission à la mairie de Dunkerque

Monsieur Abdelkader Arbi
Président de l’association gestionnaire de la mosquée d’Elbeuf
Monsieur Tahar Farhoun
Assistant social à Elbeuf
Monsieur Fouad Khatir Commissaire à la formation des scouts musulmans

Mademoiselle Zora Djabrohou
Scouts musulmans
Monsieur Alain Koegler
Sous-préfet de Mantes la Jolie
Monsieur Gérard Hamon *
Conseiller municipal de Rennes
Monsieur Tariq Ramadan
Islamologue
Monsieur Yamine Makri
Responsable de l’union des jeunes musulmans de la région lyonnaise

Visites sur le terrain

Corbeil-Essonne (Quartier des Tarterets), Bobigny, Marseille, Roubaix.



* Entretien à Rennes avec le président du Haut Conseil à l’Intégration.


Annexe n° 3


Liste des principaux documents diffusés
auprès des membres du HCI
pour alimenter leur réflexion sur “ l’islam dans la République ”


Date de
diffusion Intitulé


Mai 1999
• L’islam en France (exposé de M. BOUTAGHANE)

Juin 1999 • Islam et Intégration (exposé de Hanifa CHERIFI)

Juillet 1999 • Compte-rendu d’un déplacement du HCI aux Tarterets à Corbeil-Essonnes (Mme TRIBALAT)
• Réflexions sur l’intégration de l’islam dans la République (Raouf BEN HALIMA, imam du vendredi aux Tarterets)



• L’islam en France, diversité des expressions religieuses laïcité et citoyenneté (Abderrahim LAMCHICHI)
• Les problèmes d’organisation de la religion musulmane en France (Franck FREGOSI)
• Juifs et musulmans en France : le modèle républicain d’intégration en question (Martine COHEN)
• L’islam aux Pays-Bas (Ambassade de France aux Pays-Bas)
• L’islam en France (Alain Boyer)
• Laïcité et islam (Ligue française de l’Enseignement et de l’éducation permanente)
• La formation des cadres religieux musulmans en France, approches socio-juridiques (Franck FREGOSI)

Septembre 1999 • Intégration des musulmans en Grande Bretagne (note du Conseiller social à l’ambassade de France à Londres)
• Rapport établi sur la France par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe
• Interview de M. Malek CHEBEL “ L’islam coranique, cela fait des siècles qu’il n’est appliqué nulle part ”
• Dossier d’information sur “ Islam/Islamisme, le particularisme français ” (IHESI)

Octobre 1999 • L’islam des turcs (Altan GOKALP)
• L’islam des ouest africains (AM. DIOP)
• La femme dans la société musulmane (Nadia AMIRI)
• Islam en France, Islam de France (Mohamed BECHARI)
• Famille relationnelle en situation migratoire autorité paternelle et puissance publique (Aldelhafid HAMMOUCHE)
• Enseignement musulman en Europe (Christian LOCHON)
• Note d’information sur la prise en charge des rites mortuaires des musulmans à l’hôpital de Douai

Novembre 1999 • Compte rendu d’un déplacement du HCI à Bobigny (Mme TRIBALAT)

Décembre 1999


• Consultation des représentants des principales sensibilités musulmanes sur l’organisation du culte musulman en France (Lettre du Ministère de l’intérieur)
• Fiche sur des pistes de réflexion pour le rapport “ Islam dans la République ” (Gaye PETEK-SALOM)
• Clarté, fermeté, laïcité (texte de Gaye SALOM et Alain SEKSIG)
• Penser et intégrer l’islam en Europe (Colloque des étudiants musulmans de France à Besançon 30 et 31.10.99)
• Où en est la connaissance et la reconnaissance de l’islam en Alsace (Observatoire régional de l’intégration et de la ville)
• Islam et la République : état des lieux sur la gestion publique et les problèmes d’organisation de la religion musulmane en France et quelques pistes de réflexion pour le futur (Franck FREGOSI)
• Les lumières de l’islam (colloque à Roubaix des 20 et 21.11.1999 )
• Islam et immigration (Père Paul DEVILLARD, ancien visiteur de prison)
• L’étranger en France, face au regard du droit de la famille (Mission de recherche droit et justice)
• Autorisation d’absence pouvant être accordées à l’occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions(circulaire du Ministère de la fonction publique du 15.10.1999)
• La tolérance, colloque international de Nantes de 1998 pour le 4ème centenaire de l’édit de Nantes (Olivier CHRISTIN)
• Islam jeunesse et banlieues, des liaisons dangereuses (texte de Jocelyne CESARI)
• Politique d’intégration aux Pays Bas vis-à-vis des minorités ethniques et de leurs chefs religieux

Janvier 2000 • Les jeunes musulmans en France et en Allemagne (résumé d’une thèse universitaire de Nikola TIETZE)

Février 2000 • Pour un islam en paix, rencontre islam-occident (conférence internationale Unesco des 12 et 13.01.2000)
• Forum musulman pour la promotion de la citoyenneté (colloque des 29 et 30.01.2000 à Saint-Denis)
• Compte rendu d’un déplacement du HCI à Marseille (Mme TRIBALAT)
• Compte rendu d’un déplacement du HCI à Roubaix (Mme TRIBALAT)

Mars 2000 • Les enjeux de l’intégration - Impact de l’idéologie islamiste sur les jeunes issus de l’immigration (Hanifa CHERIFI)
• La France africaine (Jean-Paul GOUREVITCH)
• Synthèse du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme
• Dossier sur la consultation des représentants des principales sensibilités musulmanes sur l’organisation du culte musulman en France (Ministère de l’intérieur)

Mai 2000 • Cartographie de l’islam (M. BOUTAGHANE)
• Document d’information “ femmes contre les intégrismes ”

Juin 2000 • Documents sur l’abattage rituel et sur la viande hallal
• Relations Ville de Rennes et Islam (M. HAMON, conseiller municipal)
• Dossier sur le port du voile dans une école d’Antony
• Allocution de M. CHEVENEMENT à l’ouverture du colloque “ l’islam dans un espace laïque ” des 22 et 23.06.2000)
• Les besoins rituels des musulmans dans l’espace laïque (intervention de M. Kamel KABTANE au même colloque)

Juillet 2000 • Bilan de l’aid-el-kébir dans quelques régions (envois des préfets)
• Question de la viande hallal (Père DELORME)
• France terre d’Islam ? (Père DELORME)

Septembre 2000

• Notes de M. ERRERA, Conseiller d’Etat, sur l’école et sur la loi de 1905
• Avis du Conseil d’ةtat relatif à la qualification d’association cultuelle
• Texte de M. Didier Ali BOURG sur les jeunes musulmans (revue “ Se comprendre ”)
• Note sur la ventilation des lieux de culte musulman entre loi de 1901 et 1905 (Ministère de l’intérieur)
• Laïcité française, islam sécularisé et “ moeurs algériennes ” (article de Sadek SELLAM)
• “ De l’autre côté du miroir ”, (séries d’entretiens d’un sociologue avec des jeunes issus de l’immigration vivant dans des grands ensembles de la région parisienne)
• Extrait de l’ouvrage d’Amin MAALOUF “ les identités meurtrières ”.

Au-delà de ces documents, les membres du Haut Conseil ont été destinataires des principaux articles sur l’islam en France publiés dans la grande presse, quotidienne et hebdomadaire pendant la période considérée.

En 1903, l’application rigoureuse de la loi ne laissait subsister que quatre congrégations masculines (sur 58 initialement) et 86 féminines sur 400, les autres étant dissoutes.
CE, 28 juillet 1991, Rougepré
CE, Section, Pont, 17 octobre 1980
CE, 26 juin 1914, préfet du département des Hautes-Pyrénées
CE, 9 octobre 1992, commune de Saint-Louis
CE, 7 avril 1911, commune de Saint-Cyr de Salerne
Dans les deux cas ci-dessus, les bâtiments sont exonérés d’impôt foncier.

Rochdy Alili, Qu’est-ce que l’islam ?, La découverte, 1996.


Tout acte rituel de l’islam commence par la manifestation de l’intention sincère de pratiquer le rite (niya). Cette manifestation, intérieure, interdit ainsi toute pratique non réfléchie.

La souillure mineure est purifiée par les petites ablutions à l’aide d’eau pure, non stagnante ; la souillure majeure doit être purifiée par la grande ablution qui est un lavage de tout le corps.

Abderrahim Lamchichi, Islam et musulmans de France, Pluralisme, laïcité et citoyenneté, L’Harmattan, 1999
Chantal Saint-Blancat, L’Islam de la diaspora, Bayard, 1997.

Au début des années 1980, apparaissent dans le débat public de nouvelles figures, les “beurs”, c’est-à-dire les enfants d’immigrés maghrébins. Parti de la banlieue lyonnaise, ce mouvement culminera avec la “Marche pour l’égalité” en 1983. Il aura également contribué au développement des associations de lutte contre le racisme, en particulier SOS Racisme. Ce mouvement de revendications sociales et civiques a aujourd’hui perdu de sa force. Les déceptions de certains militants les ont parfois conduit à investir le champ de la revendication religieuse. Cf François DUBET, La galère, jeunes en survie,pour une analyse fouillée de la “Marche”.

qui n’a pas dans l’Islam la même signification que dans les religions catholique et protestante. On se reportera avec intérêt à l’enquête MGIS réalisée par l’INED en 1992 avec le concours de l’INSEE.

Jocelyne Césari, Etre musulman en France aujourd’hui, Hachette, 1997.

“ Islam, jeunesse et banlieues : des liaisons dangereuses ” in La montée des phénomènes religieux dans les quartiers : sens, nature et réalité.

Caractérisant les hommes immigrés âgés de 20-59 ans ayant fréquenté un lieu de culte au moins cinq fois dans les douze derniers mois.

Voir pour plus de précisions sur ce sujet, l’article de Amadou Moustapha Diop sur “Le mouvement associatif islamique en France” paru dans le numéro 98 de la revue “Croire aujourd’hui” (octobre 2000).

Visite du HCI à Marseille, 2 décembre 1999.

“ Une nouvelle génération d’intellectuels ” in Le Monde des débats, février 2000.
Audition de T. Tuot, alors directeur du fonds d’action sociale pour les travailleurs immigrés du 7 septembre 1999.

particulièrement visible au moment des cérémonies de vœux.

Cette expression fait allusion au numéro de la revue Panoramiques intitulé “L’Islam est-il soluble dans la République ?” (1997).

Michel Renard, “France, terre de mosquées?”, in Hommes et migrations, n° 1220, juillet-août 1999
A titre de contre-exemple peut toutefois être mentionné le cas de la mosquée de Lyon, qui a pour assise une association loi 1905, le conseil Islamique Rhône-Alpes, et deux associations loi 1901, l’association culturelle lyonnaise Islamo-française et l’association rituelle de gestion de la mosquée de Lyon.

“ Les associations cultuelles et les congrégations ”, Administration 161, L’Etat et les cultes, 1993
Ressources limitativement énumérées, exigence de documents comptables et financiers notamment.

Gérard Hamon, “Relations ville de Rennes-Islam”, document remis au Haut conseil à l’intégration
“La ville de Strasbourg soutient la construction de deux grandes mosquées”, Le Monde, 24 mai 2000
Il existe en effet certaines pratiques des collectivités locales dont la légalité est douteuse. Le HCI constate, sans pouvoir en dresser une liste exhaustive, qu’elles ne sont ni isolées ni exceptionnelles.

“La formation des cadres religieux musulmans en France” sous la direction de F. Fregosi - L’Harmattan (1998).

La loi du 2 janvier 1978 relative aux régimes d’assurance sociale des cultes a créé deux caisses la CAMAC (assurance-maladie) et de la CAMAVIC (assurance-vieillesse) qui assure le versement des pensions de réversion et d’invalidité.

Certains sont tributaires de l’aide sociale voire totalement privés de protection.

F. Fregosi “ Les filières nationales de formation des imams en France ” in La formation des cadres religieux musulmans en France, L’Harmattan
Le Monde des débats, février 2000
Salah Bariki “ Les Imams marseillais, acteurs juridiques ” in Les Etrangers face au droit
CE, 6 juin 1947, Union catholique des hommes du diocèse de Versailles
Cf. l’exemple cité aux membres du Haut Conseil lors d’un déplacement à Marseille : une concession au cimetière Saint-Pierre de Marseille coûte 10.500 F pour cinquante ans, 43.000 F pour la perpétuité.

Article 2223-17 du code général des collectivités territoriales
Usages et attitudes vis-à-vis de la viande chez les populations d’origine maghrébine, 1993.
Jacques Nefussi, professeur d’économie à l’institut national agronomique, La viande halal en France
Seules font l’objet d’une dérogation à cette règle générale les expériences techniques et scientifiques, les manifestations culturelles ou sportives –il s’agit de la tauromachie- et de la chasse en vertu de l’article 1er de ce décret.

Les arrêtés précités mentionnent l’institution dont relève chaque mosquée : la Société des Habous et Lieux saints de l’Islam pour la Grande mosquée de Paris, l’association rituelle de la Grande mosquée de Lyon et l’association culturelle des musulmans d’Ile de France pour la mosquée d’Evry.
Cour EDH 27 juin 2000 Cha’are Shalom ve Tsedek c/France
Anne-Marie Brisebarre, La fête du mouton, un sacrifice musulman dans l’espace urbain, CNRS éditions
On peut notamment citer les villes de Boulogne et surtout de Dunkerque dont le Conseil de l’Islam, structure fédérant les six principales associations cultuelles dunkerquoises (voir infra), est associé à l’organisation de l’abattage rituel.

Par une décision du 10 juillet 1995 (Association “Un Sysiphe”), le Conseil d’Etat a rejeté le recours dirigé contre cette circulaire en considérant qu’elle se bornait à donner une interprétation du principe de laïcité et ne renfermait aucune disposition directement opposable aux administrés.

Commissaire du gouvernement près la Section du contentieux du Conseil d’Etat.

Il s’agit du moment, en fin de journée, de la rupture du jeûne.

Il arrive ainsi que l’identité musulmane devienne exclusive de toutes les autres. On observe notamment ce phénomène chez les enfants de harkis.

Voir notamment sur ce sujet “la théorie de l’ordre public international face à la polygamie et à la répudiation” P. Lagarde - Nouveaux itinéraires en droit. Hommage à F. Rigaux, Bruylant, Bruxelles (1993) ; “Les musulmans devant le juge français” F. Monéger - Journal du droit international (1994).

Il faut rappeler que le défaut de consentement, prohibé par la loi française, est un motif d’annulation du mariage.

Tel est l’objet du rapport du HCI pour 1998 (“Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité”).

Il va de soi que le maintien de l’ordre public, et plus précisément, les nécessités de la sûreté publique, supposent une vigilance et, dans certains cas, une ingérence dans le fonctionnement de certains groupes terroristes dont l’action, si elle se réclame de l’Islam, est en réalité d’ordre politique. Mais ces questions ne sont pas dans le champ du présent rapport.

Voir sur ce point l’avis de la commission européenne de février 2000.

Ce qui renvoie à la question d’une instance représentative de l’Islam en France.

Notons qu’en 1973, la Conférence épiscopale française a créé le Secrétariat des relations avec l’Islam pour soutenir et fédérer les recherches et les efforts des personnes et des groupes concernés par le dialogue islamo-chrétien et pour former et informer les catholiques.

Dans une lettre du 29 août 2000, ils ont ainsi demandé que soit assurée “ la continuité du soutien des pouvoirs publics au processus engagé”.

Haut conseil à l’intégration, rapport au Premier Ministre, Conditions juridiques et culturelles de l’intégration, mars 1992.

Rapport à M. le président Albert Hamm au sujet du développement des sciences des religions à l’université des sciences humaines de Strasbourg dans le cadre du prochain projet d’établissement, Strasbourg, 1996
“L’enseignement de la théologie à l’université publique” in “La formation des cadres religieux musulmans en France”.

“Inventons une culture islamique européenne”, L’express, 6 avril 2000
Comme le démontre la décision déjà citée Ministre de l’éducation nationale c/ Epoux Aït-Ahmad.

Il s’agit de la circulaire du 15 octobre 1999 relative aux autorisations d’absence pouvant être accordées, pour l’année 2000, à l’occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions.

Le Conseil d’Etat a jugé que les textes en vigueur n’avaient pas pour objet et ne pouvaient pas avoir légalement pour effet d’interdire aux élèves qui en font la demande de bénéficier individuellement des autorisations d’absence nécessaires à l’exercice d’un culte ou à la célébration d’une fête religieuse, dans le cas où ces absences sont compatibles avec l’accomplissement des tâches inhérentes à leurs études et avec le respect de l’ordre public dans l’établissement (14 avril 1995 Consistoire central des israëlites de France).

Même si de nombreux établissements catholiques accueillent des élèves musulmans.

1978 pour la Turquie, 1981 pour l’Algérie, 1983 pour le Maroc et 1986 pour la Tunisie.

Les termes entre guillemets sont repris d’un rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale de 1992.

Et ce d’autant plus facilement que l’accompagnement des politiques de réinsertion et de retour dans le pays d’origine relève d’autres institutions comme le Fonds d’Action Sociale (FAS) et l’Office des Migrations Internationales (OMI).

Il convient de distinguer, à ce titre, les maghrébins et les ressortissants turcs pour lesquels le sentiment national prime, la plupart du temps, sur l’appartenance religieuse.

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