Comparaison de l’existence de Dieu dans les textes sacrés du christianisme et de l’islam

Comparaison de l’existence de Dieu dans les textes sacrés du christianisme et de l’islam
Introduction :
Un chapitre du Mathnawî (1) de Mowlânâ Jalâl al-Dîn Rûmî a pour titre :

« Expliquant que, tandis que les philosophes disent que l’Homme est le microcosme, les mystiques disent que l’Homme est le macrocosme ; la raison en étant que la philosophie se limite à la forme phénoménale de l’homme, tandis que la connaissance mystique concerne la vérité essentielle de sa véritable nature. » (2)

Pas be sûrat ‘âlam-e soghrâ To-yi

Pas be ma’ni ‘âlam-e kobrâ To-yi

Ainsi, en apparence tu es le microcosme,

Ainsi, en réalité tu es le macrocosme.

Cet Homme dont le Mathnawî fait l’éloge a toujours eu besoin - personne n'en doute -, de guides au cours de l’histoire. Ces guides ont été tous de la même espèce que cet Homme, ils n’ont rien eu de spécial dans la création comme dit le Prophète (s) de l’islam : « ‘’qol innamâ anâ basharun mithlukum‘’… » Leur seule et grande différence c’est qu’ils sont ceux chez qui les critères de la perfection sont restés à leur plus haut degré, les intentions du Créateur s’y montrent mieux pour ainsi dire.

Les guides sont les Envoyés de Dieu. C’est pourquoi le segment de verset que nous venons de citer se poursuit ainsi : « yûhâ ilayya ... »

Voici la traduction des deux segments : « Dis : « Je ne suis qu’un humain comme vous, mais à qui se révèle l’unicité de votre Dieu… » (sourate Fussilat, (Les versets détaillés) ; 41 : 6). La différence est dans la révélation.

Les Envoyés de Dieu sont les intermédiaires entre Dieu et sa créature. Cela dit, l’ensemble de leurs enseignements, ce qui leur est dicté par Dieu Lui-Même, leurs Ordres, conseils, sont la matière des Textes sacrés.

Il y a tout lieu de penser que les philosophes vivent à l’ombre des religions parce que les prophètes sont plus anciens que les philosophes et aussi infiniment plus nombreux. Ainsi, Platon et tous les philosophes grecs vivaient dans une société fondée sur le culte d’un dieu vivant dans la lumière éthérée de l’Olympe : Zeus. Ils croyaient à la Théogonie d’Hésiode.

Les Textes sacrés de toute religion sont sans aucun doute ceux qui exposent leurs idées les plus essentielles et les plus fondamentales. Ils sont antérieurs chronologiquement et logiquement à toutes les autres sources et littératures écrites de cette religion. Ils servent généralement de critère et de référence pour juger des autres écrits produits ultérieurement par les doctrinaires et partisans de cette religion. Ainsi un principe est d’emblée posé pour affirmer le caractère prioritaire du texte sacré : toute idée qui serait en contradiction flagrante avec le sens externe des Ecritures sera rejetée.

En islam particulièrement, toute assertion dont le sens contredirait la lettre ou l’esprit du Coran sera également rejetée, quand bien même elle serait attribuée à un homme dont la piété ne fait pas de doute. Ainsi les règles de l’interprétation du Coran sont, elles aussi formellement fixées.

D’autre part, la croyance en un Dieu unique est le principe fondamental des religions abrahamiques, c'est-à-dire issues de l’enseignement du Prophète Ibrâhim (as) ou Abraham, qui est le père des croyants, comme Adam est le père des hommes.

Dans cette lignée, tout commence avec Dieu, se perpétue par Dieu et se termine en Dieu. En un mot, Dieu est l’AXE de toute la pensée et de toute l’œuvre religieuse. Comme il a été dit, pour les générations venant après la mort de son fondateur, la religion commence avec le texte sacré que l’on collige et préserve jalousement en premier en le diffusant, en le copiant ou en l’apprenant par cœur. Comme le texte sacré est considéré comme la Parole divine ou que le texte sacré se réclame de cette origine, on peut penser que la croyance en l’existence de Dieu est logiquement antérieure à l’acceptation du Texte sacré, mais en réalité cette croyance découle de la prédication du fondateur de cette religion et de ses premiers adeptes.

En fait, le prophète ou l’homme qui apporte le message du Ciel, le prêche, le diffuse et le fait connaître à son peuple en exposant les raisons de croire en Dieu par des arguments logiques, rhétoriques ou autres, et aussi et souvent par les miracles que réclament et exigent même les incrédules de leurs prophètes comme preuve de l’origine divine de leur mission. C’est dire que les missions des prophètes ne sont pas faciles. Beaucoup sont déniés et mis à morts à cause de l’intolérance des hommes et des luttes de pouvoir. La Bible ainsi que le Coran donnent beaucoup d’exemples de ces luttes pour faire admettre la Parole divine. Le Prophète (s) de l’islam a dit : « Aucun prophète n’a subi la méchanceté des hommes autant que je l’ai subie. »

La distinction de Pascal entre le dieu des philosophes et le Dieu d’Abraham mérite d’être méditée. Le logicien peut démontrer l’existence nécessaire d’une essence éternelle. Mais cette essence n’est Dieu que pour la religion, grâce à la prédication des prophètes. Parce que la religion fixe aussi un certain nombre de règles à respecter et de comportements, de rites et pratiques qui lui sont propres et ne se contente pas d’annoncer aux hommes qu’il existe sûrement un être éternel sans plus.

Le prophète commence son œuvre quand le philosophe la finit. Le philosophe pose les questions générales et conclut à l’existence nécessaire d’une Essence possédant toutes les perfections. Il ferme son cahier et se lève de son bureau, croyant avoir dit tout ce qu’il y avait à dire. Comme un mathématicien qui résout une équation. Mais les prophètes, les envoyés, ne partent pas d’un doute. Ils sont convaincus et ont reçu l’ordre de convaincre d’autres et de les amener à se soumettre au Maître de l’univers afin d’être guidés vers le salut et la vraie vie éternelle. Ils apportent une présence divine au monde. Comme dit Rûmî :

khorde- kâri- hâ- ye 'elm- hendese yâ nojûm o elm-e tebb o falsafe

ke t'aalloq bâ hamin donyâ- st-ash rah be haftom âsemân barnist -ash

Les menus travaux de géométrie, d’astronomie, de médecine et de philosophie

Qui concernent ce monde ci n’ont point accès au savoir du septième ciel !

(Mathnawî Ma’nawî ; Cahier 4 : Section 60 , vers 22 et 23)

Le Texte sacré a, pour cette raison, une fonction mémorielle : il est lu avec vénération, il fait l’objet de soins spéciaux parce qu’il rappelle le temps originel et glorieux où a vécu le prophète qui l’a instauré sur terre. Par ses efforts, il lui a donné une assise dans ce monde et aussi il contient la Parole divine. Mais c’est le Texte sacré qui appelle à la foi par la voie de ceux qui le représentent aux yeux des croyants (ulémas, clergé, rabbinat, prêtres, chamanes etc.). Sans lui, les hommes ne sauraient pas formuler un ensemble cohérent de rites et de croyances. Le Texte sacré apporte un sens, une orientation et une tension à la vie et règle les comportements quotidiens des hommes. Il devient leur repère principal, leur dénominateur commun.

C’est pourquoi la première question, la question à laquelle fait face le prophète ou le prédicateur de la religion est la suivante : est-ce que Dieu existe vraiment ? Bien que cette question se pose aussi en dehors de la croyance dans le Texte sacré, il se peut quand même qu’elle soit impliquée dans le Texte sacré et que ce dernier y réponde en tout ou en partie. Même s’il ne croit pas en l’existence de Dieu, l’individu peut lire le texte sacré comme un texte ordinaire, et après avoir pris connaissance de son contenu et de ses arguments, décider en toute liberté d’esprit et de cœur de croire en Dieu et d’accepter désormais le texte sacré comme authentique et comme la base de gestion de sa vie. C’est ainsi que devaient en tout cas adhérer les premiers croyants en la prédication du prophète concerné : ils croient parce que l’ambiance créée par le prophète appelle à la foi.

Mais est-ce que cette question de l’existence de Dieu s’est posée dans les textes sacrés du christianisme et de l’islam ? En d’autres termes, est-ce que l’Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran se sont exprimés au sujet de l’existence de Dieu et quelles en sont les positions respectives? Est-ce que ces textes ont apporté une démonstration de l’existence de Dieu ? Ou bien est-ce que dans ces Textes, l’existence de Dieu est inculquée comme nécessaire et allant de soi ? Est-ce que (la croyance en) l’existence de Dieu est considérée comme faisant partie de la nature humaine ? Cette étude se propose d’examiner ce sujet du point de vue des textes sacrés du christianisme et de l’islam.

back to 1 Voir Mathnawi Ma’nawi, Cahier 4 : 521 : Dar bayân-e ânke hokamâ guyand : âdami ‘âlam-e soghrâ ast va hokamâ-ye elâhi guyand : âdami ‘âlam-e kobrâ ast ...

back to 2 Mathnawî : La Quête de l'Absolu de Djalâl al- Dîn Rûmî, traduit du persan par Eva de Vitray Meyerovitch, E'dition du Rocher, 1990. p. 867, Mathnawî, Livre Quatrième ; 521.

L’existence de Dieu dans les textes sacrés du christianisme
La quiddité de Dieu dans la religion de Jésus-Christ
Dans le christianisme (masîhiyat (1) ), Dieu est Un, simple, unique, sans pareil, absolu et parfait. Il est impossible et contraire à la raison de se représenter deux ou plusieurs êtres illimités, absolus. Mais l’unicité divine n’est pas en contradiction avec l’affirmation de la Trinité parce que l’unité divine n’est pas simple comme celle d’un nombre. Dans l’unité divine, bien que nous croyions en son unicité, nous acceptons l’existence des trois hypostases en un seul Dieu. Le christianisme ne croit en réalité qu’en un Dieu unique. Ce Dieu possède une quiddité spirituelle pure et possède une volonté et une conscience. Si le Dieu du christianisme possède une personnalité, ce n’est pas dans le sens d’une personnalité d’un être ordinaire. C’est un Dieu illimité, infini, puissant, omniprésent, sachant, éternel et dont l’existence est nécessaire. Personne ne peut concevoir son inexistence. Il n’a ni commencement ni fin. Il est le Dieu créateur du monde et Celui qui le maintient. Il a créé le monde à partir du néant.

Il est à la fois dans le monde et hors du monde. Il peut aussi par sa volonté annihiler le monde. Sa nature est mystérieuse et bien qu’Il se fasse connaître dans les expériences mystiques des hommes, personne ne peut vraiment Le connaître parfaitement. C’est un Dieu infini et transcendant, mais qui peut aussi, par Sa volonté, fixer une limite à Sa puissance afin de donner davantage de liberté aux hommes. Il est la perfection absolue et le bien absolu, mais plus que tout, Il est infiniment bon, miséricordieux et débordant d’amour. Le christianisme met insiste sur les qualités de bonté et de miséricorde de Dieu ainsi que sur Son amour. Dieu est synonyme d’Amour.

Le point de vue de l’évidence de l’existence de Dieu dans la Bible
Pour certains, l’existence de Dieu, dans les deux Testaments, est quelque chose de nécessaire et d’évident : « La Bible suppose que tous les hommes devraient avoir foi en Dieu. C’est la raison pour laquelle la Bible ne s’emploie pas à élaborer une démonstration de l’existence de Dieu. Tout au long du texte sacré, l’existence de Dieu est supposée comme allant de soi. La Bible s’ouvre par ces mots : « Au commencement était le Verbe (Dieu)…

» (Genèse ; 1 : 1). Et par la suite, dans tous les livres et les chapitres qui composent la Bible, cette existence de Dieu est comptée comme évidente. Les passages comme Psaumes, 8 : 94 ou E'saïe 40 : 12 à 31 ne sont pas des arguments pour démontrer l’existence de Dieu, mais exposent l’Essence divine et nous invitent à l’accepter. » De toutes ces expressions bibliques, il ressort que l’existence de Dieu est quelque chose qui relève de la connaissance immédiate. Mais le même écrivain considère dans un autre paragraphe de son livre que la connaissance de Dieu est innée. « La croyance en Dieu est une connaissance nécessaire. La nécessité de cette croyance est dans le sens que si nous nions l’existence de Dieu, cela revient à contredire nos règles et nos principes fondamentaux et naturels. Nier l’existence de Dieu est contraire à la nature, est généralement une expérience provisoire non durable et survient le plus souvent dans une situation de contrainte. De même que l’on peut déplacer manuellement l’aiguille d’une pendule de son heure exacte, de même on peut pour un temps et par des pressions, éloigner un homme de sa croyance naturelle en l’existence de Dieu. »

Dans un autre paragraphe, il présente un témoignage tiré de la Bible qui pourrait être un argument en faveur de l’évidence de l’existence de Dieu et non de son caractère inné (fitrî).

« La croyance en l’existence de Dieu est une réalité principielle qui devrait logiquement précéder l’acceptation de la Bible. La perception intérieure est une connaissance universelle et nécessaire. L’apôtre Paul (2) dit: « Car ce qu'on peut connaître de Dieu est évident pour eux, puisque Dieu le leur a fait connaître. » (Epître aux Romains ; 1 : 19). Il ajoute au verset 20 : « En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient depuis la création du monde, elles se comprennent par ce qu'il a fait. Ils sont donc inexcusables… »

L’auteur a repris ces deux versets, dont la traduction est quelque peu ambigüe de l’ancienne édition connue de la Bible. Les versets sont rendus ainsi dans une autre traduction : « Car ce que les hommes peuvent connaître de Dieu est évident pour eux, puisque Dieu l’a mis sous leurs yeux.

Depuis le temps de la création du monde, les qualités invisibles de Dieu, c'est-à-dire sa puissance éternelle et sa divinité peuvent aisément se contempler dans les choses qu’Il a créées, et ils seront donc à jamais inexcusables. »

Il semble que ce paragraphe n’ait pas de rapport avec la perception innée ou intuitive. Il dit plutôt que quiconque contemple les signes de Dieu, contemplera manifestement Son existence. Sur la base de la théorie « du caractère inné de la connaissance de Dieu », ceci est une connaissance partielle de la nature humaine, et rien de cela ne peut se déduire de la citation de Paul, mais on pourrait peut-être en inférer à la rigueur l’immédiateté de la connaissance de Dieu.

Un autre écrivain a exprimé un point de vue à propos de ce même paragraphe de l’épître de Paul qui conclut à l’immédiateté de la connaissance de l’existence de Dieu. : « Paul (qui a recouru à l’emploi de tout moyen possible susceptible de l’établir de façon rationnelle) n’a pas soulevé le sujet pour renforcer la certitude de la foi chrétienne ; il a été en-deçà de son intention de montrer que le secret de l’existence de Dieu peut être atteint par la raison humaine. Son but était plutôt de montrer que même les païens sont à même de percevoir l’existence de Dieu, et qu’ils n’auront plus, en conséquence, de prétexte pour continuer à adorer les idoles et pour se livrer à la corruption morale. ». Les religions ont convaincu bien plus d’hommes de l’existence de Dieu que ceux qui s’appuient sur la raison.

Le caractère inné de la connaissance de l’existence de Dieu, selon Jean Damascène
Jean Damascène (3) fait partie de ceux qui professent que la connaissance de Dieu est innée en l’homme. « Dieu ne nous a pas laissés dans l’ignorance totale. Il a mis dans la nature de chacun de nous la reconnaissance de Son existence nécessaire. Tous les hommes reconnaissent l’existence de Dieu, et cette connaissance innée de l’existence de Dieu est inscrite en chaque homme. Mais la domination du mal de Satan sur la nature des humains les a conduits à rejeter l’existence de Dieu, ce qui a entraîné leur perte. Le Prophète David (as) s’exprime ainsi au sujet de la stupidité de ces hommes : « L'insensé dit en son cœur : il n’y a point de Dieu! » (Psaumes ; 14 : 1).

Le paragraphe sur lequel s’appuie Jean Damascène apparait dans deux des psaumes de David (as), numérotés 14 et 53, avec une légère variante : « L'insensé a dit en son cœur : Il n'y a point de Dieu. Ils se sont corrompus, ils ont commis des actions abominables, il n'y a personne qui fasse le bien. L'E'ternel abaisse des cieux Son regard sur les fils des hommes pour voir s'il y a quelqu'un qui soit intelligent, qui recherche Dieu. Ils se sont tous égarés, ils se sont corrompus tous ensemble ; il n'y en a point qui fasse le bien, non pas même un seul. Ont-ils perdu le sens, tous ces ouvriers d'iniquité ? Ils dévorent mon peuple comme s'ils mangeaient du pain ; ils n'invoquent point l'E'ternel. ». (Psaumes ; 14 : 1 à 4). Comparez avec Psaumes, 53 : 1. : « L'insensé dit en son cœur: Il n'y a point de Dieu ! Ils se sont corrompus, ils ont commis des iniquités abominables ; Il n'en est aucun qui fasse le bien. »

La déduction que font certains commentateurs de la Bible, du paragraphe en question est que l’insensé nie Dieu dans le sens qu’il souhaite vivre sans Dieu et échapper ainsi aux malheurs qu’il subira en conséquence de ses péchés. De cette parole, il ressort que la négation de l’insensé est une négation délibérée exprimée par opiniâtreté, rébellion. Il ne veut pas se soumettre à la réalité pour qu’il se conforme à ses implications. Il veut être libre et sans attaches, agir en mal s’il le veut. Dans ce paragraphe, la négation de Dieu est considérée plusieurs fois comme la cause directe, le concomitant de la corruption et des mauvaises œuvres. D’une part, l’insensé nie Dieu, de l’autre, le sage et intelligent cherche Dieu ; par conséquent, à la différence du raisonnable, l’insensé est une personne qui ne sait pas distinguer son intérêt. Toujours dans ce paragraphe, la négation de Dieu n’est pas mise en opposition avec la quête de Dieu ou la demande de Dieu, ni même par opposition à l’adhésion à Dieu. Et dans la quête de Dieu, on comprendra par opposition le sens de la soumission à Dieu qu’elle implique. Par conséquent, on pourrait peut-être prétendre qu’il ressort de ce paragraphe que l’existence de Dieu est claire et évidente pour tous. Mais peut-on déduire de cette prétention de Jean Damascène le caractère inné de (la croyance en) l’existence de Dieu ? On objectera sans doute que même si, de ce paragraphe, on peut déduire à bon droit que l’existence de Dieu soit évidente pour tous, il n’empêche que cette évidence peut être dérivée des versets divins et non forcément résulter du caractère inné de la croyance en l’existence de Dieu.

La doctrine du caractère inné de la croyance en l’existence de Dieu dans d’autres textes chrétiens
Nous retrouvons cette doctrine du caractère inné de la croyance en l’existence de Dieu dans d’autres textes du christianisme. Nous sommes en présence, cette fois, d’une doctrine s’appuyant sur la Bible. Sur cette question, Eusèbe (4) a écrit un texte plus élaboré et réfléchi. Il soutient que la nature ou plutôt Dieu enseigne à tous les hommes, de telle sorte qu’une conscience bien faite et efficace connaît le Nom et l’Essence de Dieu. La quête de Dieu est une propension gravée dans le cœur de l’homme - parce que l’homme est une créature de Dieu, qu’il appartient à Dieu et que Dieu l’attire sans cesse vers Lui. Comme tout au long des siècles, l’homme a toujours exprimé sa quête de Dieu par des voies et sous des formes diverses. Cela constitue en soi une preuve que l’homme est un être essentiellement religieux.

L’opposition à la doctrine du caractère inné ou immédiat de la croyance en l’existence de Dieu
Malgré cela, il existe des chrétiens qui s’opposent à l’idée du caractère inné de la foi en Dieu ou de son immédiateté. Etienne Gilson (5) , s’appuyant sur l’opinion de Jean Damascène affirmant que la foi en l’existence de Dieu est innée en l’homme et une citation de Thomas d’Aquin (6) qui en soutient l’évidence, en conclut que si l’existence de Dieu était manifeste, personne ne devrait la nier. Or, la Bible reconnaît sans difficulté que certains hommes nient l’existence de Dieu. « L’insensé dit en son cœur : il n’y a point de Dieu » (Psaumes ; 53 : 1). Gilson dit aussi : « Si l’existence de Dieu devenait claire pour tous, il ne serait plus possible d’argumenter pour sa démonstration. De ce qui précède, il semble que la réponse (à) la première partie de son assertion soit devenue claire. C'est-à-dire qu’en considérant les quelques phrases qui suivent cette citation du Livre des Psaumes, la négation de l’insensé est la négation d’un opiniâtre, d’un rebelle ; il est possible que quelqu’un, bien qu’admettant l’existence de Dieu, puisse la nier quand même. La deuxième affirmation de Thomas d’Aquin était qu’ils avaient considéré l’existence de Dieu comme claire et évidente, mais ils avaient aussi produit une démonstration rationnelle de son existence. Un exemple en est Jean Damascène qui considérant comme innée la connaissance de l’existence de Dieu, a rassemblé un certain nombre de preuves pour cela.

Conclusion :
Ainsi, nous en concluons qu’aussi bien la thèse de la connaissance a priori de l’existence de Dieu, que celle de la connaissance innée de la foi en Dieu trouvent appui dans la Bible. Parmi les théologiens chrétiens, il en est qui en sont encore les partisans. Mais on ne peut inférer à partir des cas tirés de la Bible une théorie de la connaissance innée, même s’il est évident que l’on peut en comprendre le principe de l’existence de Dieu.

Les arguments de la Bible pour démontrer l’existence de Dieu
Voyons à présent si dans ce Livre, on peut trouver une démonstration de l’existence de Dieu.

La démontrabilité de l’existence de Dieu
Certains savants professent cette croyance : Dieu a inspiré aux hommes qu’ils peuvent démontrer Son existence par le raisonnement. Même la Bible, au moins de façon générale, indique comment une telle démonstration est possible. Dans un texte que les théologiens et les philosophes ont dû citer maintes fois, il est mentionné que l’apôtre Paul a dit : « Depuis la création du monde, les hommes, avec leur intelligence, peuvent voir, à travers les œuvres de Dieu, ce qui est invisible : sa puissance éternelle et sa divinité. Ils n'ont donc pas d'excuse. » (Epître aux Romains ; 1 : 20).

Nous avions auparavant cité le témoignage d’un autre auteur que les versets 19 et 20 de l’épitre de Paul aux Romains tendaient à prouver que l’existence de Dieu était évidente et claire pour tous. Mais ce qui est remarquable c’est que l’auteur présent, poursuivant le paragraphe cité plus haut, ajoute : « Dans cette expression, Saint Paul nous dit que l’existence de Dieu peut être clairement contemplée ; c'est-à-dire qu’elle peut être démontrée, et cela est possible par la voie de la méditation et de l’examen des choses sensibles de la nature. » Dans la première phrase (de ce paragraphe de Paul), il nous dit que l’existence de Dieu peut être contemplée et dans le segment suivant, il en infère que l’existence de Dieu peut être démontrée. Il nous semble que les deux assertions ne sont pas compatibles. La première phrase fait état de la connaissance a priori de l’existence de Dieu, et la deuxième en est la négation. En outre, l’auteur s’appuie sur le verset 20 de l’épître aux Romains, alors que le verset 19 qui en est l’introduction affirme que ce qu’il est possible pour l’homme de connaître au sujet de Dieu, lui est rendu manifeste, parce que Dieu le lui a rendu manifeste. Il aurait dû donc suivre le premier écrivain et s’appuyer sur le verset 19 pour déduire l’évidence de l’existence de Dieu de ce paragraphe.

L’existence des êtres, preuve de l’existence du Créateur
Le paragraphe de la Bible qui a servi aussi d’argument de l’existence de Dieu est celui-ci : « Chaque maison est construite par quelqu'un, mais celui qui a construit toutes choses, c'est Dieu. » (Hébreux ; 3 : 4). Il ressort de ce verset que l’existence des êtres est une preuve de l’existence du Créateur (7) . Si une chose existe, soit elle possède cette existence de toute éternité, soit elle est venue à l’existence. Or il est impossible que des créatures soient éternelles et pour éviter la chaîne de causalité à l’infini, la cause première doit être détachée de la chaine des créatures et doit être non-créée.

Preuve de l’existence de Dieu par la voie de l’ordre de l’univers
Certains versets de la Bible tentent aussi de démontrer l’existence de Dieu par l’ordre qui règne dans la nature et les créatures. « Quand je contemple les cieux, ouvrage de Tes mains, la lune et les étoiles que Tu as créées : qu'est-ce que l'homme, pour que Tu te souviennes de lui? Et le fils de l'homme, pour que Tu prennes garde de lui? » (Psaumes ; 8 : 3 et 4) « Les cieux racontent la gloire de Dieu, et l'étendue manifeste l'œuvre de Ses mains. Le jour en instruit un autre jour, la nuit en donne connaissance à une autre nuit. » (Psaumes ; 19 : 2 et 3)

« Celui qui a planté l'oreille n'entendrait-il pas? Celui qui a formé l'œil ne verrait-il pas? » (Psaumes ; 94 : 9)

« Quoiqu'il n'ait cessé de rendre témoignage de ce qu'il est, en faisant du bien, en vous dispensant du ciel les pluies et les saisons fertiles, en vous donnant la nourriture avec abondance et en remplissant vos cœurs de joie.» (Actes des Apôtres ; 14 : 17).

L’existence de Dieu dans les textes sacrés de l’islam
A présent, nous devons nous poser à propos du Coran les questions précédentes que nous avons posées à propos de la Bible. Est-ce que pour le Coran, l’existence de Dieu est perceptible a priori ? Le Coran considère-t-il la connaissance de Dieu comme une connaissance innée, naturelle en l’homme ? Le Coran a-t-il apporté une démonstration rationnelle de l’existence de Dieu ?

Il faut dire que chacune de ces questions a des partisans, en plus ou moins grand nombre, qui y répondent par oui et qui illustrent leur position par le témoignage de versets coraniques.

Point de vue de la connaissance a priori de l’existence de Dieu
Est-ce que le Coran considère l’assentiment à l’existence de Dieu comme évident et a priori ? C’est en tout cas l’opinion d’un certain nombre de théologiens musulmans.

L’argumentation par le verset 10 de la sourate Ibrâhîm
Le verset 10 de la 14ème sourate, Ibrâhîm (Abraham), est formulé de telle sorte qu’il situe très bien le problème de la connaissance a priori de l’existence de Dieu. : « Peut-il y avoir un doute sur Dieu, en tant qu’Il a créé de rien les cieux et la terre ?... » La question est posée en langue arabe dans la forme qui n’attend pas de réponse autre que : bien sûr que non !

De ce verset, en écartant le regard de ce qui le précède et de ce qui le suit, il ressort très bien que :

1) Il ne faut jamais douter de l’existence de Dieu, parce que Son existence est évidente et manifeste pour tous.

2) Cette clarté et cette évidence sont dues à Ses signes et à Ses actes, c'est-à-dire que celui qui considère le ciel et la terre ne peut pas avoir le moindre doute au sujet de l’existence de Dieu. Mais si nous analysons ce verset dans son contexte, avec le verset qui le précède, la situation change : « Ne vous est-elle pas arrivée, l’histoire de vos devanciers, les peuples de Noé, de ‘Ad, de Thamûd, et de ceux qui vinrent après eux et que connaît Dieu seul ? Leurs envoyés leur sont venus avec des preuves, mais eux de porter leurs mains à leur bouche, en disant : "Nous dénions ce pour quoi vous fûtes envoyés. Nous restons, sur ce à quoi vous nous conviez, dans un doute sceptique". Leurs envoyés dirent : "Peut-il y avoir un doute sur Dieu, en tant qu’Il a créé de rien les cieux et la terre, et vous convie au pardon de tels de vos péchés, et vous ajourne à temps fixé ?" Ils dirent : "Vous n’êtes que des hommes comme nous. Vous voulez faire obstacle à ce qu’adoraient nos pères. Produisez-nous justification explicite" ». (14 : 9 et 10).

Pour beaucoup de commentateurs, les peuples mentionnés nommément dans le verset ne niaient pas l’existence de Dieu, mais ils étaient des polythéistes, des adorateurs d’idoles. La négation du doute dont il est fait cas dans ce verset se rapporte à l’absence de doute au sujet de l’unicité de Dieu. Pour donner un exemple, dans le commentaire de ce verset par Ibn Abbâs (8) , rapporté dans le Majma’ al-Bayân (9) et dans Al-Mizân (10) (de Tabâtabâ’î), ce verset porte sur l’unicité de Dieu. Malgré cela, d’autres en ont déduit le principe de l’existence de Dieu.

Zamakhsharî (11) , commentant ce verset dit : l’existence de Dieu ne fait aucun doute parce que ses preuves sont évidentes et les arguments témoignant de son existence sont clairs. Fakhr al-Dîn al-Râzî (12) et d’autres commentateurs et théologiens ont considéré ce verset comme portant bien sur l’existence de Dieu et en ont déduit le caractère perceptible a priori de l’existence de Dieu.

Les sceptiques au sujet de l’existence de Dieu dans le Coran
Les négateurs de Dieu ne sont parfois que des sceptiques exprimant leur doute à propos de la vérité de certaines promesses des textes sacrés, comme la Résurrection. Ils nient indirectement Dieu en niant Sa capacité à ramener les hommes à la vie après avoir été enterrés et oubliés dans ce monde.

Ils demandent un miracle pour accorder du crédit à cette promesse ; que l’on ramène à ce monde leurs ancêtres. Or cette requête impliquerait un bouleversement du système même de la création. En outre, un miracle ne constitue une preuve que pour les témoins oculaires. Il serait impossible qu’à chaque génération on ramène tous les hommes à la vie pour les convaincre. Ajoutons que même les miracles ont souvent été démentis par les témoins qui sont repris par le doute au sujet de ce qu’ils ont vu.

« Ils disent aussi : ‘’Nous n’avons à nous que cette vie d’ici-bas, pour vivre et mourir. Seul le temps nous anéantit’’. Mais de cela, ils n’ont aucune science ; ils se bornent à conjecturer et quand Nos signes leur sont récités comme preuves, leur argument se réduit à dire : ‘’ Faites revenir nos pères, si vous dites vrai !’’ » (sourate al-Jâthiya (L'agenouillée) ; 45 : versets 24 et 25. La même demande est faite en Al-Dûkhân (La fumée) ; 44 : versets 35 et 36).

Dieu refuse de les suivre dans leur raisonnement qui n’est qu’un prétexte.

back to 1 Masîhiyat qui désigne le christianisme, est la traduction de Christos qui signifie l’Oint, al-Masîh, surnom de Jésus, fils de Maryam (Marie) (as). Pour désigner les chrétiens, on emploie le terme de al-Nasârâ, pluriel de nasrânî, qui se référerait aux partisans (ansâr) de Jésus (as).

back to 2 Paul de Tarse appelé Saint Paul par les chrétiens est une grande figure du christianisme primitif. Mort en 67 après Jésus-Christ. On considère que son interprétation des Evangiles a prévalu dans beaucoup de domaines.

back to 3 Mort en 749, Jean de Damas, est un auteur chrétien d’origine arabe formé à l’école de l’islam, écrivant en arabe. Au service du califat omeyyade, il fut contemporain du début de l’âge classique, et surtout le témoin du début de l’islamisation massive des terres chrétiennes orientales. Nous sommes déjà devant une pensée chrétienne confrontée à la pensée musulmane et enrichie par elle.

back to 4 Eusèbe de Pamphile, l’un des premiers théologiens et hagiographes du christianisme, mort en 340.

back to 5 Célèbre historien français de la philosophie médiévale, mort en 1978. Il fut entre autres professeur à la Sorbonne. Auteur notamment du Thomisme où il étudie la pensée de Saint Thomas d’Aquin.

back to 6 Célèbre théologien et philosophe chrétien, d’origine italienne, mort en 1274. Enseigna à la Sorbonne. Auteur notamment de la Somme théologique.

back to 7 Argument connu plus tard comme l’argument de l’Horloger, depuis la conclusion de Voltaire : le monde marche comme une horloge, à la perfection : il y a sûrement un Horloger qui l’a fabriqué et s’en occupe.

back to 8 Il s’agit de Abdallâh Ibn ‘Abbâs, cousin et compagnon du Prophète (s) et l’un des hommes les plus savants du début de l’islam.

back to 9 Titre complet : Majma' al-Bayân li-'ulûm al-Qur'an, Commentaire du Coran par l’auteur chiite du XIIème siècle, le shaykh al-Fadl ibn al-Hasan al-Tabarsî. Ouvrage faisant autorité

back to 10 Commentaire du Coran, par Allâmeh Tabâtabâ’î, auteur du XXème siècle.

back to 11 Mort en 1143. Surnommé Jâr Allâh, "le voisin de Dieu", pour le degré de sa science, il est l’auteur d’un commentaire du Coran, Al-Kashshâf.

back to 12 Mort en 1207, auteur d’un commentaire du Coran intitulé Mafâtih al-Ghayb, les clés de l’invisible.

La création des cieux et de la terre, le cours naturel et l’ordre de l’univers, signes de l’existence de Dieu
De nombreux versets du Coran mentionnent la création des cieux et de la terre ainsi que l’ordonnancement régulier de la nature comme des signes sur lesquels il convie les hommes à méditer pour se convaincre de l’existence de Dieu. Il n’affirme pas que la seule existence des cieux suffise : l’esprit humain doit s’appliquer à partir de ces signes à remonter à la nécessité de l’existence de Dieu. Par exemple dans la sourate Al-An‘âm, on peut lire : « C’est Dieu qui fait fendre la graine et le noyau : du mort Il fait sortir le vivant, et du vivant, Il fait sortir le mort.

Tel est Dieu. Comment donc vous laissez-vous détourner ? Fendeur de l’aube, Il a fait de la nuit une phase de repos ; le soleil et la lune pour mesurer le temps. Voilà l’ordre conçu par le Puissant, l’Omniscient. Et c’est Lui qui vous a assigné les étoiles, pour que, par elles, vous vous guidiez dans les ténèbres de la terre et de la mer. Certes, Nous exposons les preuves pour ceux qui savent ! Et c’est Lui qui vous a créés à partir d’une personne unique [Adam ]. Et il y a une demeure et un lieu de dépôt [pour vous]. Nous avons exposé les preuves pour ceux qui comprennent.

Et c’est Lui qui, du ciel, a fait descendre l’eau. Puis par elle, Nous fîmes germer toute plante, de quoi Nous fîmes sortir une verdure, d’où Nous produisîmes des grains, superposés les uns sur les autres ; et du palmier, de sa spathe, des régimes de dattes qui se tendent. Et aussi les jardins de raisin, l’olive et la grenade, semblables ou différents les uns des autres. Regardez leurs fruits au moment de leur production et de leur mûrissement. Voilà bien là des signes pour ceux qui ont la foi. » (sourate Al-An‘âm (Les troupeaux) ; 6 : versets 95 à 99).

Certains commentateurs comme Fakhr al-Dîn al-Râzî considèrent ce genre de versets comme des preuves rationnelles de l’existence de Dieu. D’autres, très nombreux, déduisent de cette sorte de versets la preuve de la perception a priori de l’existence de Dieu. Le sens apparent de cette sorte de versets ne se présente jamais sous la forme de démonstration formelle. Certains termes apparents font même partie de ceux qui étayent la position des partisans de la perception a priori.

Comparaison de ces versets avec les paroles de certaines autorités religieuses au sujet de l’existence de Dieu
On peut comparer le contenu de ces versets avec des affirmations ou des thèses de certains grands théologiens musulmans au sujet de l’existence de Dieu. On interrogea un maître en religion au sujet de l’existence de Dieu. Il désigna une trace de pas pour attirer l’attention sur le fait que cette trace renvoie à un être vivant qui a laissé son empreinte sur le sol. Il expliqua : les créatures de ce monde prouvent l’existence de Dieu de cette même façon que les traces de pas renvoient à un être vivant.

On a aussi rapporté que le Prophète (s) a un jour interrogé une vieille femme : quelle est ta preuve de l’existence de Dieu ? La vieille, qui était en train de filer la laine, retira la main de son rouet et dit : comme cette roue… elle a besoin que des gens la fassent tourner. De même, le monde a besoin de Quelqu’un qui le fasse tourner. Le Prophète (s) dit alors aux présents : Pour votre religion, prenez exemple sur celle de cette vielle femme !

Est-ce que la preuve de la trace d’un pas pour soutenir l’existence d’un passant et la preuve du mouvement circulaire d’un rouet pour affirmer l’existence d’un agent qui le fait tourner, est-ce que ces deux éléments, la trace et le mouvement, ne seraient pas des preuves a priori ? Il semble bien que si nous admettions ces deux exemples de démonstration comme des perceptions innées de la vérité de l’existence de quelque chose, force nous sera aussi d’admettre que les versets précédents constituent bien des cas où l’évidence impose à notre conscience de croire en l’existence de Dieu.

Les prières d’invocations des grands hommes de l’islam
Ce point ressort clairement de certains passages des prières d’invocation qui nous sont parvenues des grands modèles de la religion. Par exemple, l’Imâm Hosayn ibn 'Alî (as) s’adresse à Dieu en ces termes : « Toi qui T’es fait connaître à toute chose, et Que j’ai vu manifester en toute chose ! »

L’évidence de l’existence de Dieu dans les points de vue des savants musulmans
Parmi les théologiens et exégètes musulmans, certains professent ouvertement la doctrine de l’évidence de l’existence de Dieu. 'Allâmeh Tabâtabâ’i expose la démonstration des Véridiques (1) (borhân-e Siddiqîn) et sur la base de cette démonstration, il conclut à l’évidence de l’existence de Dieu. Il affirme que l’existence de Dieu s’impose à nous comme évidente, allant de soi et les démonstrations que l’on tente de Son existence n’ont de valeur que de rappels ou de simples remarques.

Le point de vue d'Ibn 'Arabî
Notons à ce propos une observation très pertinente que fait Ibn ''Arabî dans le Fusûs al-Hikam (2) . Dans le chapitre 25, intitulé Le Chaton d’une Sagesse de l’éminence dans un verbe de Mûsâ (Moïse), il commente l’échange d’arguments qui eut lieu entre le grand prophète Moïse (3) , revenu de son exil, et Pharaon. Moïse annonce qu’il est revenu pour demander la libération des Enfants d’Israël (Banû Isrâ’îl), et se réclame envoyé du Tout-miséricordieux (al-Rahmân), c'est-à-dire de Dieu (4) . Pharaon cherchant à confondre Moïse lui pose alors la question : qu’est le Tout-miséricordieux ? (wa mâ al-Rahmân ?). Pour Ibn 'Arabî, le mâ de cette question indique qu’elle porte sur la nature de Dieu mâ = quid ?, c’est-à-dire sur la quiddité (mâhiyya) de Dieu.

La réponse de Moïse (Mûsâ) a amené Ibn 'Arabî à commenter ce point dans les lignes suivantes : « La sagesse inhérente à la question du Pharaon sur la nature de la Divinité procédait non pas d’une ignorance, mais d’une volonté d’éprouver Mûsâ pour voir ce qu’il répondrait alors qu’il prétendait être chargé d’une Mission de la part de son Seigneur. Le Pharaon connaissait le degré des envoyés dans la science divine et voulait vérifier par sa réponse l’authenticité de sa prétention. Il posa une question de façon à illusionner ceux qui étaient présents et à leur faire connaître, sans qu’ils s’en aperçoivent, ce qu’il percevait lui-même en la posant. En effet, s’il (Mûsâ) donnait la réponse des Savants de la Réalité (véritable), Pharaon ferait apparaître, en vue de préserver sa propre dignité, qu’il n’avait pas répondu à sa question ; il deviendrait clair alors, pour ceux qui étaient présents et dont la compréhension était limitée, que Pharaon était plus savant que Mûsâ. C’est pourquoi, lorsque celui-ci lui dit dans sa réponse ce qui convenait – et qui, selon les apparences, n’était pas la réponse à la question posée, mais Pharaon savait bien qu’il ne lui en donnerait pas d’autre – il s’exclama, à l’intention de son entourage : vraiment votre envoyé, qui est (soi-disant) chargé d’un Message (divin) pour vous, est tout à fait fou, « c'est-à-dire : la "science sur laquelle je l’ai interrogé lui est demeurée cachée" ».

Il est inimaginable qu’il y ait (sur cette question) une science quelconque. Pourtant, il s’agit d’une question valable, car l’interrogation sur la nature (de la Divinité) est une interrogation qui porte sur la réalité propre de ce qui est recherché, et il est indubitable que (Ce qui est recherché ici) possède en lui-même une telle réalité. Ceux qui disent que les définitions doivent être composées d’un genre et d’une spécification (5) ont raison pour tout ce qui peut faire l’objet d’une association (au sein d’un genre unique) ; mais il n’en résulte pas forcément que Celui qui ne peut faire partie d’une espèce n’ait pas en Lui-même une réalité qui lui appartienne en propre, car nul autre que Lui ne la possède. La question est donc valable […] et la réponse qu’elle appelle ne peut être que celle qu’avait donnée Mûsâ. » (6)

Le dialogue entre les deux hommes a parfois lieu en mode de sous-entendus qu’Ibn 'Arabî met en évidence. Il serait long de le rapporter in extenso ici, mais pour notre sujet, il faut retenir que pour Ibn 'Arabî, la question de la nature de Dieu, même si elle est valide, ne peut avoir de réponse que celle de Moïse, à savoir :

« Il y a ici un grand secret. (Mûsâ) a répondu par l’Acte (seigneurial) à quelqu’un qui l’interrogeait sur la définition essentielle ; il a donné comme définition essentielle Sa relation à certaines formes du monde par lesquelles Il s’est manifesté ou à certaines formes du monde qui se sont manifestées en Lui. C’est comme s’il avait répondu à la question (du Pharaon) : Et qu’est le seigneur des mondes ? En disant : « Celui en Qui sont manifestées les formes du monde, celle qui sont élevées - c’est le Ciel - et celles qui sont basses - c’est la Terre -… » (7)

Cela nous permet d’affirmer que, sans l’ombre d’un doute, dans la pensée musulmane représentée ici par Ibn 'Arabî et son école, les prophètes sont parfaitement armés intellectuellement pour démontrer, s’il y a lieu, l’existence de Dieu, mais comme leur but est différent du philosophe, ils disent à chacun selon ce qui peut lui suffire, en proportion de la capacité que lui permet son rang.

Ibn 'Arabî reformule sa pensée en la condensant dans ce paragraphe du Fusûs al-Hikam au chapitre d’Abraham :

« … Pourtant certains penseurs dont Abû Hâmid (8) , prétendent qu’Allah peut être connu sans que l’on considère le monde, mais c’est là une erreur. Certes, on peut savoir qu’il y a une Essence principielle et éternelle, mais non que celle-ci est ‘’Dieu’’ tant que l’on ne connaît pas ce qui est soumis à la fonction divine, et qui est l’ « informateur » à son sujet (9) . »

Pour Ibn 'Arabî, tous les types d’arguments sont valides parce qu’ils répondent chacun à un maqâm, un rang spirituel spécifique. Les intelligences des humains exigent des arguments différents des unes aux autres. Il importe de dire que le prophète, celui qui prêche la religion, a pour fonction de « rappeler Dieu » (al-dhikr) aux hommes par les arguments qu’il leur propose. Cela implique qu’il existe au plus profond de l'existence de chaque homme et femme une connaissance de Dieu qu’il peut ramener à la surface en recevant la prédication des prophètes. Quelque chose existe au fond de chaque être humain qu’il s’agit de lui « révéler » en le lui rappelant. Le prophète ne démontre pas l’existence de Dieu, il cherche à « rappeler » un pacte scellé par les humains avec le Seigneur dans la prééternité. Un pacte de vassalité tombé en oubli.

B. Le point de vue du caractère inné de la foi en l’existence de Dieu dans le Coran :

Une autre question que nous devions nous poser est celle-ci : le Coran considère-t-il la croyance en Dieu comme une chose relevant de la nature même de l’homme ? Ceux qui sont partisans de la doctrine de la prime nature, de la foi innée en l’homme sont bien plus nombreux que les partisans de la doctrine de l’évidence de l’existence de Dieu. Au point que certains ont tenu des propos comme celui-ci : dans les débats portant sur la foi, on parle de façon récurrente de cette idée que si la connaissance de Dieu n’atteint pas le niveau de l’évidence, elle est pour le moins une connaissance inhérente à la nature foncière de l’homme.

Cela s’explique par l’attachement puissant que les musulmans entretiennent vis-à-vis du Coran. Or le terme de « fitrat » (nature divine primordiale de l’homme) est un terme coranique, et est aussi employé dans une célèbre tradition prophétique qui en explicite d’ailleurs le sens.

Le verset de la Prime Nature ou nature divine primordiale de l'homme (fitrat)
Le verset le plus connu sur lequel les musulmans s’appuient pour cette thèse est le verset 30 de la sourate numéro 30 : Al-Rûm (Les Romains) : « Ainsi donc, redresse ta face vers la religion, en croyant originel, en suivant la prime nature (fitrat) selon laquelle Dieu a instauré les humains, sans qu’il y ait de substitution possible à la création de Dieu : c’est là la droite religion, mais la plupart ne le savent pas. »

Ce verset est le seul où apparait le substantif « fitrat », prime nature, nature foncière ou divine primordiale. Ce verset est généralement commenté à l’aide du verset 172 de la sourate 7, Al-A’râf, que l’on appelle aussi le verset du Pacte primordial :

« Et quand ton Seigneur préleva des Fils d’Adam de leurs reins leur progéniture et les rendit témoins sur eux-mêmes : ‘’Ne suis-Je pas votre Seigneur ? — Mais oui ! Nous en témoignons » », de sorte que vous ne puissiez dire au Jour de la résurrection : « Nous n’y avons pas fait attention. »

Le caractère inné (fitrî) de la connaissance de Dieu dans les paroles des grands hommes de l’islam
Dans les traditions rapportées des grands hommes de l’islam que sont les Imâms Impeccables (as), le verset 30 de la sourate 30 est expliqué et commenté à la lumière du verset 172 de la sourate 7. Dans un hadith d’Abû Ja’far Muhammad al-Bâqer (as) : on l’interrogea au sujet du sens de « la prime nature selon laquelle Dieu a instauré les humains ». Sa sainte Présence répondit que l’intention en était que lorsque Dieu a créé les humains, Il les a créés monothéistes, au moment du Pacte où Il leur fit connaître leur Seigneur. Autrement, ils n’auraient pas pu connaître leur Seigneur et Sustenteur.

Il existe une autre tradition qui remonte au Prophète de l’islam (s) qui avait déjà corroboré ce sens : « Tout nouveau-né vient au monde avec la prime nature (fitra) » c'est-à-dire en ayant une connaissance innée que c’est Dieu qui l’a créé.

Point de vue de Mollâ Sadrâ au sujet de la connaissance innée de Dieu
Au sujet de la connaissance innée de Dieu, Mollâ Sadrâ (10) écrit : « L’existence de l’E^tre nécessaire est, comme on l’a dit, quelque chose qui relève de la prime nature (fitrî). Quand l’homme est confronté aux évènements difficiles et effroyables, il s’en remet à Dieu en vertu de sa nature foncière (qui est d’être croyant), et il se tourne instinctivement vers cet E^tre providentiel pour Le supplier de faciliter les choses, d’aplanir les difficultés. C’est pour cette raison que la plupart des gnostiques (‘urafâ), pour démontrer l’existence de Dieu et Sa direction du système de l’existence, se tournent vers l’état que l’homme éprouve au fond de lui quand il se retrouve face à des évènements terrifiants, comme la noyade ou l’incendie.

Le témoignage qu’apporte Mollâ Sadrâ pour fonder la connaissance innée de Dieu, est tiré du Coran et illustré par la tradition. Le Coran dit :

« Quand ils montent sur un navire, ils invoquent Dieu, Lui vouent la religion foncière, puis quand Il les a ramenés saufs au rivage, voilà qu’ils Lui donnent des associés… » (sourate Al-‘Ankabût (L’araignée) ; 29 : 65).

Même si ce verset est plus en rapport avec l’unicité divine, la croyance en un Dieu unique, il comporte aussi le principe de l’existence de Dieu. Il existe un contenu similaire dans les sourates : Yûnus, 10 : versets 22 et 23, et Loqmân, 31 : versets 30 et 31. Dans ces versets, il n’est pas question de l’unicité et de l’associationnisme (shirk), mais plutôt du fait que les hommes se détournent de Dieu dès qu’ils ont trouvé leur salut et oublient leur promesse, etc.

Dans un hadith, l’Imâm al-Sâdeq (as), en réponse à une question de quelqu’un qui l’interrogeait au sujet de Dieu, lui dit : est-ce qu’il t’est arrivé de prendre le bateau ? L’homme répondit par la positive. L’Imâm : est-ce qu’il est arrivé que le bateau se brise et que vous y perdiez tous vos espoirs ? L’homme dit encore oui. L’Imâm lui dit : est-ce qu’au moment où tu as désespéré de tout, tu ne t’es pas tourné vers une force qui pouvait seule te secourir ? L’homme répondit encore oui. L’Imâm dit alors : cet E^tre vers lequel tu t’es tourné est Dieu.

Cette dernière réponse de l’Imâm est très importante. Il ne définit pas Dieu comme une Essence, à la manière des philosophes, mais d’abord comme un E^tre entretenant des relations multiples avec l’homme, en l’occurrence un Secours. C’est en acte que l’Essence est appelée Dieu. C’est par Ses qualités et Ses noms que Dieu est l’objet d’appel et d’invocation de la part des hommes. On l’appelle « le Secours » quand on est en danger, on l’appelle « le Riche » quand nous sollicitons une aide matérielle, « le Puissant » quand on se sent faible, etc. C’est cela la dialectique des noms divins qui font la différence entre une Essence et un E^tre appelé Dieu, que Ibn 'Arabî signale dans la suite du texte dont nous avons donné des extraits plus haut.

Une Essence qui n’aurait pas d’autres noms, qui ne se serait pas fait connaître par l’intermédiaire des prophètes et des saints, reste ce qu’elle est : un Inconnaissable pur.

La connaissance innée de Dieu est-elle du genre de la connaissance présentielle ou acquise ?
La question du caractère inné de la connaissance de Dieu a fait l’objet de plusieurs débats et continue de faire couler beaucoup d’encre. A titre d’exemple, rien que pour le verset du Pacte, de nombreux écrits ont été consacrés à cette scène originelle où un pacte fut scellé entre Dieu et Ses créatures. Ce qui concerne notre propos et qui ressort de tout ce qui a été dit jusqu’ici est que d’après le Coran, la connaissance de Dieu fait partie de la nature originelle des humains et fonctionne à l’instar d’un instinct. Elle est en réalité du genre de la science présentielle (‘ilm hozûrî), de cette science octroyée par Dieu à certains saints et saintes, et non pas une science d’acquisition (‘ilm hosûlî) qui s’acquiert par la raison et l’effort de l’étude.

Parfois, le sens du caractère inné en est que lorsque l’homme s’en remet à la raison, il parvient aisément à la connaissance de Dieu. Autrement dit, la raison se présente ici comme une fonction de la nature foncière qui permet à l’homme d’appréhender naturellement et clairement l’existence de Dieu. Si le sens visé par caractère inné est ce second sens, il devrait être classé dans la catégorie de la science acquise. Mais à première vue, l’intention visée par l’expression « caractère inné de la connaissance divine » est une sorte de science présentielle. Ce qui veut dire qu'en recherchant dans les profondeurs de son être, au fond de son cœur, l'homme y trouve un lien actif avec Dieu. Cela dit, on trouve une confusion au sujet de ces deux notions dans certains écrits. L’auteur du Kitâb al-‘Aqâ’id al-Salafiya, "Le livre des croyances du passé", après avoir établi que la connaissance de Dieu relève de ce qu’il y a d’inné en l’homme, la qualifie d’instinct religieux. Il en veut pour preuve que lorsqu’un homme rencontre une difficulté ou un ennui, il se dit : il n’y a aucun doute à ce sujet - même l’animal comprend cela et à plus forte raison l’homme. Si quelqu’un donne un coup de bâton à un mulet, le mulet se retourne pour voir qui l’a frappé. Parce qu’il sait par instinct qu’il n’y a pas d’effet sans agent. De la première partie de son étude, l’auteur du livre arrive à la conclusion que la connaissance de Dieu est une connaissance présentielle, une connaissance par le cœur. Mais dans la deuxième partie, sans parler du fait que son exemple est discutable, il aboutit à la conclusion que le sens de fitrî, inné, doit s’entendre comme une connaissance allant de soi par acquisition (hosûlî badîhî).

Diverses acceptions du caractère inné de la foi en Dieu
Conclure des versets précédents que la foi en un Dieu unique relève de l’inné, de la nature foncière de l’homme, n’est pas commun. Certains ulémas ont expliqué autrement ces versets. Dans son Livre des croyances (I‘tiqâdât), Ibn Bâbûyeh (11) écrit : « Notre croyance est que Dieu - Exalté soit-Il -, a, à l’origine, créé tous les hommes [en tant que des] monothéistes, et c’est le sens que nous entendons par : « La prime nature selon laquelle Dieu a instauré les humains ». Mais le Shaykh al-Mufîd, commentant le livre d’Ibn Bâbûyeh, écrit : « S’il en est comme le dit Ibn Bâbûyeh, il ne devrait y avoir personne d’autre que des monothéistes. En fait, le sens du verset est que Dieu a créé les hommes afin qu’ils acquièrent la foi en l’unité de Dieu. Mais les hommes se sont laissé égarer les uns les autres ainsi que par les démons. »

Bien sûr, le commentaire du Shaykh al-Mûfid, hormis le fait qu’il n’est pas conforme au sens obvie des versets et des traditions, peut à son tour appeler une réponse. La plupart de ceux qui ont étudié la question de la fitra ont relevé la difficulté du Shaykh, y ont apporté des réponses et ont dit qu’il arrivait aux hommes de se méfier même de leurs instincts les plus sûrs, suite à des circonstances données.

C. Les arguments coraniques pour la démonstration de l’existence de Dieu
Est-ce que le Coran a apporté une démonstration de l’existence de Dieu ? Nombreux sont ceux qui en sont convaincus.

La preuve par la création des cieux, de la terre, des constellations et de leur ordonnancement
L’un des arguments de Sa‘d al-Dîn Taftazânî, théologien du XIVème siècle (712 à 793 de l’Hégire) prouvant l’existence de Dieu est celui du monde physique qui appelle nécessairement un Artisan (Sâni‘). Après avoir exposé et discuté cet argument, il affirme qu’il y a plus de 80 versets du Coran qui l’utilisent. Pour illustrer son propos, il mentionne allusivement quelques versets relatifs à la création des cieux et de la terre, des constellations et de leur parcours dans l’espace cosmique. Mais il se trouve que trop nombreux sont ceux pour qui cet ensemble de versets est à mettre au crédit de la thèse de la connaissance a priori de Dieu.

Quoiqu’il en soit, certains de ces versets peuvent être compris comme des arguments de l’existence de Dieu. Deux exemples parmi ces versets sont les suivants :

« Ont-ils été créés à partir de rien ? Ou seraient-ce eux les créateurs ? Ont-ils créé les cieux et la terre ? - Mais non ! Ils refusent la certitude… » (sourate Al-Tûr (Le mont) ; 52 : versets 35 et 36).

Ces versets sont énoncés sous la forme interrogative négative. Ont-ils été créés sans cause ? Sont-ils leurs propres créateurs ? Ont-ils créé les cieux et la terre ? Il convient donc de passer de l’existence du créé à celle du Créateur, de l’existence de l’effet à celle de l’agent. Or on sait que cet Agent et ce Créateur n’est pas l’homme, ni les hommes. Il s’impose donc l’existence d’un Créateur Suprême.

Le deuxième exemple est celui des versets suivants de la sourate 6 :

« Quand la nuit l'enveloppa, il vit un astre, et dit : ‘’C’est mon seigneur !’’. Mais lorsqu'il disparût, il dit : "Je n'aime pas les choses qui disparaissent." Lorsqu'ensuite il vit la lune se levant, il dit : ‘’Voici mon seigneur’’. Puis, lorsqu'elle disparut, il dit : "Si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés’’. Lorsqu'ensuite il vit le soleil levant, il dit : "Voici mon seigneur, celui-ci est plus grand !’’ Puis lorsqu'il disparut, il dit : "O^ mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Dieu. Je tourne mon visage, en croyant originel, vers Celui qui a créé de rien les cieux et la terre ; et je ne suis point de ceux qui Lui donnent des associés. » (sourate Al-An‘âm (Les troupeaux) ; 6 : versets 76 à 79).

Le point de vue de Mollâ Sadrâ
Mollâ Sadrâ considère que la voie suivie par Abraham pour « trouver » Dieu est celle-là même que défendent les naturalistes pour démontrer l’existence de Dieu. Il commence par exposer l’argument des naturalistes (tabî’iyûn) : ils affirment que les corps célestes se meuvent et cela est évident. Ce mouvement est un phénomène naturel qui ne trouve pas sa cause dans le corps mobile ; ce n’est pas non plus un mouvement contraint dont la cause résiderait dans une autre chose qui le rendrait mobile à l’encontre de sa tendance naturelle. Par conséquent, ce qui a fait venir à l’être ce mouvement ne peut être qu’un facteur sacrosaint. Un facteur qui soit totalement séparé de la matière, détenteur d’une force infinie et dont le mouvement de sa création ne soit pas du genre qui vise à acquérir sa propre perfection. Ce facteur sacrosaint, s’il n’est pas l’être nécessaire par essence, doit être subordonné à un être nécessaire par essence qui est Dieu. Autrement, l’affaire tournerait à une chaîne infinie de causes ou a une tautologie.

Selon Mollâ Sadrâ, cela est la voie même qu’a suivie Aristote. Plus loin, il ajoute : cette même démonstration est celle-là même qui a été rapportée dans le Livre divin à propos d’Ibrâhîm, l’Ami de Dieu (as). Lorsqu’Ibrâhîm (as) vit les mouvements des corps célestes et les corps terrestres subir l’action des variations des sphères célestes, le déplacement de ces sphères et leur inégalité dans les volumes et la luminosité, il en déduisit que celui qui avait placé ces sphères, qui leur avait donné cette lumière et qui les avait mises en mouvement, ne pouvait être un corps, ni un être corporel. Par conséquent, il dit : « Moi, je tourne mon visage vers celui qui a créé les cieux et la terre et je me détourne de tout ce qui n’est pas Lui. »

Mais certains n’appréhendent pas correctement la démarche de Mollâ Sadrâ et maintiennent que ces versets ne sont pas du tout concernés par la démonstration de l’existence de Dieu, mais seulement par l’unité divine et le polythéisme.

Démonstration de l’existence de Dieu par la voie de l’univers et des créatures
Ibn Sinâ (Avicenne) et Mollâ Sadrâ considèrent le verset 53 de la sourate Fussilat (Les versets détaillés) comme l’une des démonstrations qui prouvent l’existence de Dieu par la voie de l’observation de l’univers et des créatures.

« Nous leur ferons voir Nos signes sur les horizons et dans leur âme, jusqu’à ce qu'il leur devienne évident qu'Il est le Vrai… » (sourate Fussilat (Les versets détaillés) ; 41 : 53) (et dans la sourate Al-Tûr (Le Mont) ; 52 : versets 35 et 36).

Tous les deux, Ibn Sîna et Mollâ Sadrâ, considèrent que la suite de cette sourate 41, verset 53 est une allusion à l’argument des véridiques (burhân al-siddiqîn), selon leur propre expression : « …Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin à toute chose ? »

Comparaison sommaire de l’existence de Dieu dans les Textes du christianisme et de l’islam
Si nous voulons comparer les textes sacrés des deux religions et l’interprétation qu’en ont donnée les savants en sciences religieuses de chacune des deux religions au sujet de l’existence de Dieu, nous devons dire premièrement que dans les deux religions, il existe des gens qui ont considéré que l’existence de Dieu, conformément aux textes sacrés de leur religion respective, est perceptible a priori, évidente et claire. Deuxièmement, dans les deux religions, il existe une opinion savante pour qui la foi en Dieu, conformément aux textes sacrés, est la conséquence d’une connaissance innée, faisant partie de la nature originelle de l’homme. Troisièmement, certains commentateurs des textes sacrés des deux religions respectives ont considéré des segments ou des paragraphes de ces textes comme des arguments rationnels de l’existence de Dieu. Par conséquent, il existe de nombreuses ressemblances, à ce sujet entre le christianisme et l'islam. Néanmoins, sur plusieurs points, on relève des différences dans le degré d’insistance, dans le plus ou moins grand nombre d’individus partageant la même opinion sur un même sujet, et dans la quantité de paragraphes cités à l’appui.

back to 1 Allusion possible aux véridiques du Coran, ceux qui confirment la vérité de la Révélation et ne la quittent jamais, comme si elle s’était imprimée en eux et moulait leur esprit pour l’éternité. L’Imâm 'Alî (as) a pour autre surnom, al-Siddîq al-akbar, le plus grand Véridique. Il a dit : mâ shakaktu mudh ra’aytu al-Haqq, je n’ai jamais eu le moindre doute depuis que j’ai vu la Vérité. Il a dit aussi : law rufi’a al-hijâb, mâ z-dadtu yaqînan, Si le voile se levait (sur la vérité qui est cachée aux créatures), ma certitude ne s’accroitrait pas. Ce qui signifie que sa certitude au sujet de Dieu est égale à la certitude maximale qui soit donnée à l’homme d’avoir.

back to 2 Nous utilisons ici l’excellente et fidèle traduction française du célèbre livre du Shaykh al-Akbar : Le Livre des Chatons des Sagesses, traduction intégrale, notes et commentaire de Charles-André Gilis, 2 volumes, Editions al-Bouraq, Beyrouth, Liban, 1998.

back to 3 Volume 2, pp. 652 et 658.

back to 4 Coran, 26 : 21. Le récit coranique portant sur ces retrouvailles tendues et dangereuses entre Moïse et Pharaon est relaté du verset 11 au verset 66 de cette sourate appelée Al-Shu‘arâ (Les poètes).

back to 5 La quiddité au sens aristotélicien consiste dans la définition par le genre + la différence spécifique. Par exemple, l’homme (espèce) est un animal (genre) raisonnable (différence spécifique).

back to 6 Pages 652 à 654 de la traduction française.

back to 7 Page 654 de la traduction française.

back to 8 Il s’agit d’Abû Hâmid Mohammad al-Ghazzâli, mort en 1111, auteur du célèbre Ihyâ ol- ulûm al-Dîn, et qui écrivit un résumé de la philosophie d’Avicenne pour la réfuter, mais qui n'en a pas moins été influencé par lui.

back to 9 Page 169 de la traduction française.

back to 10 Rappelons qu’il s’agit du grand philosophe iranien du 17ème siècle, Sadr al-Dîn al-Shîrâzî, surnommé aussi Sadr al-Muta’alihîn, le maître des théosophes. Pour éviter toute confusion dans l’esprit du lecteur non initié, nous gardons la graphie Mollâ Sadrâ, par laquelle il est connu en Occident, et nous ne le mentionnons que sous ce nom.

back to 11 Grand traditionniste chiite plus connu sous le nom de Shaykh al-Sadûq, mort en 991.

Références :
Darâmadî bar elâhiyât-e tatbîqî-ye eslâm o masîhiyat, (Introduction à la théologie comparée de l’islam et du christianisme), Abdurrahîm Soleymânî Ardestânî, Qom, Mo'asseseh Farhangî TâHâ, Bahâr, 1382 (2003), pp. 63-82 ; Henri Thyssen, Elâhiyât-e masîhî (Théologie chrétienne), traduction de T.

Mikâilyân, Téhéran, Enteshârât-e hayât-e abadî ; Christopher Steed, Falsefeh dar masîhiyat-e bâstân (La philosophie dans le christianisme antique), traduction persane de Abdurrahîm Soleymânî Ardestânî, Markaz-e motâla’ât va tahqîqât-e adyân o mazâheb o markaz-e bayn-ol-melalî goft o gû-ye tamaddon-hâ, première édition 1380 (2001) ; Etienne Gilson, Mabânî-ye falsefe-ye masîhiyat (Les fondements de la philosophie chrétienne), traduction persane de Mohammad Mohammad Rezâ’î et Seyyed Mahmûd Mûsavî, Qom, Enteshârât-e Daftar-e tablighât-e Howze-ye ‘elmiyeh-ye Qom, première édition, hiver 1375 (1996) ; Mohammad Taqî Mesbâh Yazdî, Majmûeh-ye ma’âref-e Qor’ân (Khodâ shenâsî), Qom (Recueil de Théologie), Enteshârât dar râh-e Haqq ; Mohammad Hosseinî Behesthtî, Khodâ az didgâh-e Qorân, (Dieu au point de vue du Coran) Tehrân, enteshârât-e Be’sat ; Dîn shenâsî tatbîqî, (Connaissance de la religion appliquée) par Kedarnet Tivârî, traduction persane par Marziyeh (Lu’îz) Shankâyi, Enteshârât-e Semat ; Tafsîr Majma’-ol-Bayân, (Commentaire coranique intitulé (Tafsîr al-Bayân), du Shaykh Tabrasî, volume 4, pp. 497-498 ; 'Allâmeh Tabâtabâ’î, Tarjomeh-ye tafsîr al-Mîzân, vol. 8, pp. 338-346.