Le Coran et la prédestination

Le Coran et la prédestination
Le débat sur la prédestination a commencé officiellement entre les pionniers de la théologie musulmane, durant la seconde partie du premier siècle de l’Hégire. Le sujet a été examiné, analysé et traité sous tous ses aspects. Il fut l'un des premiers thèmes abordé par la nouvelle discipline islamique. Les premiers théologiens n’ont pas su poser le problème de façon correcte et se sont fourvoyés. Les uns se dirent partisans du prédéterminisme, les autres du libre arbitre (qadar (1) ). Parmi les théologiens (ahl-e kalâm), la doctrine du prédéterminisme équivalait à la contrainte (jabr) alors que la doctrine du libre arbitre était considérée comme le contraire et l’opposé du prédéterminisme ou prédestination.

Quant à la croyance associant naturellement prédéterminisme et libre arbitre, elle avait cours parmi les esprits des musulmans ordinaires du premier siècle de l’Hégire, mais dès qu’elle fut posée dans le cadre strict du débat théologique et qu’elle prit une coloration philosophique, elle devint méconnaissable et problématique pour eux - et c’est aussi le cas de nos jours, pour les musulmans du XVème siècle de l’Hégire.

Le Coran Glorieux ainsi que les traditions qui nous sont parvenues du Noble Prophète (s) et des Imâms de la Famille du Prophète (as) affirment en toute clarté que toute chose survient en vertu de la prédestination et des conditions de sa survenance, par la volonté de Dieu, soulignent en même temps que l’homme aussi est un agent déterminant de sa destinée et qu’il est responsable de ses actes.

Il existe des exemples de versets coraniques qui ont été utilisés par les tenants de chacune des deux positions à l’appui de leurs thèses. Les partisans de l’acte forcé de l’homme (jabr) interprétaient allégoriquement les versets laissant penser que l’homme est libre et responsable, alors que les partisans du libre arbitre interprétaient les versets du prédéterminisme intégral de façon à leur donner un sens favorable à leurs thèses.

Il va de soi qu’une fois que l’énigme fut résolue et qu’il fut établi qu’il n’y avait aucun lien de nécessité entre l’universalité du prédéterminisme et le fait que l’acte humain soit contraint, et aussi qu’il n’y avait aucun lien de nécessité entre son libre arbitre et la négation de la prédestination, la contradiction s’est estompée peu à peu d’elle-même et il n’y a plus eu besoin de recourir à l’interprétation allégorique et à la justification.

Par exemple, là où le Coran renvoie à la volonté et à la prédestination divines, à la guidance et à l’égarement, la puissance et la gloire, la richesse et la santé et même aux bienfaits et aux péchés, il dit : « Ainsi Dieu égare qui Il veut, Il guide qui Il veut … » (sourate Ibrâhîm (Abraham) ; 15 : 4)

Ou bien encore :

« Dis : ‘’ O mon Dieu, souverain de toute royauté, Tu en dotes qui Tu veux, la ravis à qui Tu veux, rends puissant ou bien humilies qui Tu veux ; dans Ta main tout bien réside ; Tu es Omnipotent.’’ » (sourate Al ‘Imrân (La famille de 'Imrân) ; 3 : 26)

Il dit aussi : « C’est Dieu le Pourvoyeur, le Maître de force, le Véhément. » (sourate Al-Dhâriyât (Qui éparpillent) ; 51 : 58)

Et aussi : « Dans le ciel résident votre attribution et la promesse qui vous est faite. » (sourate Al-Dhâriyât (Qui éparpillent) ; 51 : 22)

Il expose aussi par la bouche du prophète Abraham (as) :

« Lui qui me donne à boire et à manger, qui me guérit en cas de maladie, qui me fera mourir et puis revivre, et de qui je convoite le pardon de mes fautes au Jour de la Rétribution… » (sourate Al-Shu’arâ’ (Les Poètes) ; 26 : versets 79 à 82)

Quant aux bonnes actions et aux mauvaises, il dit : « …Dis : tout vient de Dieu… » (sourate Al-Nisâ’ (Les femmes) ; 4 : 78)

Comme on le voit, aucun des cas ici mentionnés n’implique nécessairement la négation des causes naturelles. Par conséquent, il n’existe pas d’incompatibilité ou de contradiction entre ces versets coraniques et les versets qui déclarent clairement le rôle conscient de l’homme dans sa guidance ou son égarement, dans sa puissance ou son humiliation, dans sa richesse et dans sa santé ou encore dans ses bonnes actions ou dans ses mauvaises actions.

Comme lorsqu’Il dit :

« Quant à ceux de Thamûd, Nous les avons guidés, mais ils préférèrent l’aveuglement à la guidance… » (sourate Fussilat (Les versets détaillés) ; 41 : 17)

Ou lorsqu’Il évoque le destin implacable qui s’abat sur les gens de Pharaon, la chute de leur puissance et l’humiliation qu’ils ont dû subir.

« Cela parce que jamais Dieu ne transforme le bienfait par Lui accordé à un peuple sans que ce dernier ne se transforme lui-même. » (sourate Al-Anfâl (Le butin) ; 8 : 53)

Ou encore lorsqu’Il vilipende les partisans du déterminisme absurde des polythéistes :

« Quand on leur dit : ‘’ Dépensez de ce que Dieu vous a attribué », ceux qui ont mécru disent à ceux qui ont cru : ‘’ Quoi ! Nous donnerions à manger à ceux que Dieu, s’Il voulait, nourrirait ? ’’... » (sourate YâSîn ; 36 : 47)

Ou bien lorsqu’Il désigne la cause directe du mal :

« La corruption est apparue sur la terre et dans la mer à cause de ce que les gens ont accompli de leurs propres mains… » (sourate Al-Rûm (Les Romains) ; 30 : 41)

Le secret de la question réside dans le fait que la prédestination et le prédéterminisme, la volonté, la science et la bienveillance divine constituent une cause verticale des causes naturelles, et non horizontale. Tout le système ordonné et infini des causes et des effets repose et procède de la volonté de Dieu ainsi que de la prédestination et des déterminations divines. D’un point de vue, l’action et l’impact de ce système de causes et d’effets ne sont rien d’autres que l’action et l’impact de la prédestination et du déterminisme divin. Considéré ainsi, il serait faux de classer les choses en disant telle chose est un acte de Dieu, telle autre n’est pas de Dieu. Ou encore, lorsqu’une chose est attribuée à Dieu, que nous disions (puisqu’il en est ainsi) alors cette chose n’est pas créée. Et si une chose est attribuée aux êtres créés, que nous disions (puisqu’elle est un acte d’un être créé) alors elle n’est pas un acte de Dieu. La division des actes en actes du Créateur et en actes de l’être créé est une erreur. (Voir à ce sujet la revue trimestrielle Maktab-e Tashayyo‘ (L’Ecole du Chiisme), dans son numéro 3, l’article intitulé « Le Coran et la Vie ». Cet article a été inséré dans le premier volume du livre Articles philosophiques). Toute chose qui résulte de l’acte d’un agent et qui est la cause proche de lui-même, est également un acte de Dieu.

Le point de vue de l’Imâm al-Hâdî (2) (as) au sujet de la puissance du serviteur et la Puissance de Dieu.
Dans le livre Tuhaf al-‘Uqûl (3) (La parure des intelligences), à la page 468, dans un hadith long et détaillé de l’Imâm al-Hâdî (as) qui rapporte une épître traitant de la prédestination, du tafwid (4) , et de la justice divine que l’Imâm a écrite à l’intention d’un groupe de chiites (5) , on peut lire : « Une personne a interrogé l’Emir des croyants, 'Alî ibn abî Tâlib (6) (as) au sujet de la puissance et de la capacité d’agir, en demandant si l’homme dispose de la puissance et de la capacité et s’il peut agir par elles, ou au contraire, s’il en est totalement dépourvu ? S’il en dispose et qu’il accomplit les actes de par sa propre force, comment interfèrent alors la puissance et la capacité divines dans l’œuvre humaine ?

Du texte du hadith, il ressort que la personne qui interrogea l’Imâm faisait partie de ceux qui étaient convaincus que l’homme est détenteur de la puissance et de la capacité par lesquelles il réalise ses actes. Mais dans ce cas, il ne comprit pas quel était alors le rôle de la puissance de Dieu. L’Imâm lui a alors dit : « Tu m’as interrogé au sujet de la capacité ? Est-ce que tu la détiens indépendamment de Dieu ou bien avec et par Dieu ? ». Le demandeur demeura perplexe et ne sut quoi répondre. L’Imâm (as) poursuivit : « Si tu prétends que toi et Dieu vous possédez en partage cette puissance et cette capacité, je devrais te tuer (car tu te serais déclaré l’associé de Dieu, (sharîk), son soutien et son collègue et cela est un péché grave). Et si tu soutiens que tu es devenu maître de cette puissance et de cette capacité, je devrais aussi te mettre à mort, (car tu te serais déclaré indépendant de Dieu, capable de te passer de Lui et cela aussi est un péché grave.) Parce que l’indépendance dans chaque cas implique l’indépendance dans l’essence et cela est incompatible avec le caractère essentiellement possible de l’être humain.

L’homme demanda alors : « Que dois-je dire alors ? »

L’Imâm lui dit : « Que tu possèdes cette puissance et cette capacité par Dieu qui, Lui la possède sans toi et s’Il t’en rend possesseur, c’est par une grâce de Sa part. S’Il te la retire, c’est par un effet de mise à l’épreuve. Il est le maître de ce dont Il te rend maître et Il est Celui qui a puissance sur la puissance qu’Il t’a accordée. »

C’est par la volonté et la grâce de Dieu que tu détiens une capacité, alors que Dieu possède cette puissance en toute souveraineté. Cela veut dire que Dieu est par Essence Indépendant et Puissant sans aucun besoin de s’appuyer sur autrui. Si tu as une puissance, cette puissance est un don qu’Il t’a fait, s’Il te la retire, c’est pour te mettre à l’épreuve. Sache aussi que lorsqu’Il te rend maître de quelque chose, Il reste le maître de ce dont Il t’a rendu maître. En tout ce qu’Il te rend maître, tu restes encore sous Sa maîtrise et tu ne sors jamais de Son emprise.

Bref, le contenu de ce hadith consiste en ce que tout effet, en même temps qu’il s’appuie sur sa cause, s’appuie aussi sur Dieu. Quand nous attribuons cet effet à un agent ou une cause ordinaire ou naturelle, nous l’attribuons à un agent dépendant d’autrui. Et si nous l’attribuons à Dieu, nous le rattachons à un Agent Nécessaire par soi. Dieu a donné et dispensé aux êtres la possibilité d’agir et de subir des effets. Mais il existe une nette différence entre ce que Dieu attribue par la grâce et la volonté et ce que l’homme attribue, dispense ou offre aux autres. Ce que l’homme attribue ou donne généreusement ou contre compensation, implique que la chose donnée sorte de la propriété du donneur ou vendeur et ne deviendra propriété de l’autre personne que lorsqu’elle cessera d’appartenir au propriétaire précédent. Alors que ce que Dieu donne ou attribue n’est nullement contradictoire avec le fait que la chose donnée ne cesse pas d’être la propriété éternelle de Dieu. Dieu est maître et propriétaire de tout ce qui est, par Essence. Il est le Maître de tous les effets et de toutes les causes, sans les subir Lui-même.

back to 1 Curieusement, le mot qadar a servi à former le nom par lequel seront désignés certains mu’tazilites et autres partisans de la liberté humaine, les qadariya.

back to 2 L'Imâm 'Alî ibn Mohammad al-Hâdî al-Naqî (en arabe :النقي علي ابن محمد الهادي) fils de Mohammad al-Jawâd al-Taqî (en persan : علي النقي پسر محمد تقي امام الجواد) (né en 828 à Médine - mort en 868 à Samarra) est le dixième Imâm du chiisme duodécimain. Il mourut relativement jeune.

back to 3 Recueil de traditions (maximes et sagesses) du Prophète (s) et des Imâms (as) compilé par Abû Muhammad Al-Hasan ibn 'Alî ibn Al-Hossein ibn Shu’ba al-Harrânî, du IVème siècle de l’Hégire.

back to 4 Doctrine selon laquelle les hommes agissent par procuration de Dieu, par délégation de pouvoir de la part de Dieu, en leur faveur.

back to 5 Dans son livre Al-Ihtijâj (L’Objection Argumentée), le célèbre savant chiite iranien Tabarsî: (Fadhl ibn Hasan al-Tabarsî, en persan : فضل ابن حسن طبرسي , mort en 1153, auteur d'un fameux commentaire du Coran, appelée Majma' al-Bayân, Le livre qui rassemble l'éloquence), a rapporté ce hadith et donne la précision que l’Imâm (as) a écrit cette épître à la demande des chiites d’Ahwâz (ville située au sud-ouest de l'Iran, dans le Khûzistân).

back to 6 'Alî ibn abi Tâleb est le premier Imâm du chiisme et le quatrième calife pour les sunnites. Cousin et gendre du Prophète (s) et époux de Fâtima al-Zahrâ (as), il fut la première personne qui crut en l’authenticité de la mission prophétique de Mohammad ibn Abdallâh et se convertit aussitôt à la religion prêchée par Mohammad (s).

Références :
Motaharî, Mortezâ, Ketâb-e Ensân va sarnevesht (Livre de l'homme et de la destinée), pp. 99-106.