LA CONCEPTION DE L’HISTOIRE DANS LE CORAN

LA CONCEPTION DE L’HISTOIRE DANS LE CORAN
Sheikh Muhammad Mahdi Al-Asifi
La philosophie de l’histoire, science ancienne et nouvelle à la fois, se propose de découvrir les fois qui dirigent l’histoire humaine. Le Coran nous livre des idées et des lois fixes relatives à ce domaine. En les rassemblant, nous pouvons élaborer une conception de l’histoire particulière et spécifique au coran.

Pour comprendre et expliquer l’histoire, les savants modernes se sont partagés entre trois orientations que nous essaierons de décrire avant de nous consacrer à la conception coranique elle-même.

La première orientation nie la possibilité de comprendre et d’expliquer l’histoire à partir du principe de la causalité elle réfute l’existence d’une déterminisme dans l’histoire qui soit aussi puissant et évident que dans les sciences physiques et mécaniques, par exemple. Les adeptes de cette orientation font intervenir la volonté humaine dans la scène de l’histoire, étant donné qu’elle jouit de la liberté de décision et de choix, ce qui détruit le rôle de la causalité et diminue la place du déterminisme dans le cours de l’histoire.

Ils nient la relation de cause à effet dans le mouvement de l’histoire et pensent que le fait historique, civilisationnel ou social ne peut être régit par la loi de la causalité de la même manière que ces lois règlent le monde de la matière. En physique, par exemple, la généralisation des résultats des expériences faites dans les mêmes conditions et possible, ce qui nous permet de dégager les lois fixes. Mais dans le domaine des faits civilisationnels, de la société de l’histoire, de la foie de la causalité ne peut être aussi déterminante car la présence de l’élément humain, du libre arbitre, de la capacité de choix et de décision qui le caractérise affaiblit la loi de la causalité et démunie son rôle dans le processus historique. Nous ne pouvons pas comprendre l’histoire aussi clairement que nous comprenons les lois physiques et nous ne pouvons pas prédire l’avenir, ni découvrir les phénomènes obscurs de l’histoire en s’appuyant sur la loi de la causalité, car l’histoire est une vaste étendue où s’exercent la volonté et les décisions de l’être humain en mouvement. L’histoire a donc un caractère particulier et spécifique.

K. Popper, dans Misère de l’historicisme (tr. Fr. 1956) rejette le déterminisme de l’histoire et nie que les faits historiques puissent être prévus aussi précisément que les phénomènes physiques. Quant à E. H. Carr, il critique les théories historicistes de Toynbee et Splenger qui étendent le déterminisme des sciences expérimentales aux faits historiques, car il pense que les lois physiques sont dépourvues des éléments qui caractérisent l’histoire, tels que les sentiments, la volonté etc.…

En bref, ce courant réfute le principe de la causalité dans l’histoire et écarté toute comparaison entre d’une part le déterminisme qui régit les sciences expérimentales et d’autres part, le cours de l’histoire livré aux aléas de la volonté, des sentiments et des complexités humaines.

1) La deuxième orientation explique les événements historiques de la même manière que le scientifique explique les phénomènes physiques. Les adeptes de cette orientation pensent que le déterminisme gouverne l’histoire de la même façon qu’il gouverne le monde physique, avec la même force et la même évidence. Pour eux, le mouvement de l’histoire n’échappe pas aux lois de la causalité qui définissent le monde physique, car il est régi comme tout appareil mécanique, mis à part que les lois qui le gouvernent agissent sur le plan social et historique et non dans le domaine mécanique.

Dans cette conception, le facteur humain est absent, ni sa volonté ni sa liberté, ni son libre-arbitre ne sont prit en compte. L’être humain, dirigé par des loi fixes réagit mécaniquement et involontairement dans le cadre de cet univers.

Parmi les adeptes de ce courant, on cite Montesquieu, l’auteur de l’Esprit des lois, et Toynbee. Pour eux une relation solide enchaîne le présent au passé et l’effet à la cause .Montesquieu dit, dans L’esprit des lois, avoir noté que l’histoire n’est que données et conséquences de fondements de lois. Commentant cette conception, E. H. Carr dit qu’à partir de cette vision, l’avenir peut être prédit, ainsi que le processus historique. Le marxisme aussi envisage l’histoire comme étant régie par les lois et notamment celle de la contradiction et de la lutte des classes. Marx a d’ailleurs défini les cinq étapes de l’histoire humaine à partir de cette conception.

Quelle que soient les lois qui déterminent la marche de l’histoire, elle est, au regard de ce courant, ordonnée par la loi de la causalité. C’est l’école historiciste de Splenger. Parmi ceux qui prônent cette conception de l’histoire et qui croient en puissance de la société pour décider de la vie de l’individu, incapable d’échapper à son emprise, se trouve le célèbre sociologue E. Durkheim. Sa théorie de la contrainte sociale explique que la pression exercée par la société sur ses membres imprègne leurs esprit leur perceptions, leurs sentiments et leurs idées.

Pour lui, la société faite partie de la nature, les sciences sociales doivent donc se soumettent aux sciences naturelles. De même, les fait sociaux ne sont que des choses, totalement indépendant des êtres humains, qui peuvent être étudiées telles quelles sans faire intervenir l’élément humain.

Sa théorie se base sur le principe de la contrainte sociale c’est-à-dire que l’individu, dès sa naissance, vit dans une société dont les traits, l’organisation et la nature sont arrêtés. L’individu n’a aucun rôle dans la définition de sa société. Au contraire, c’est la société elle-même qui modèle sa vie, l’individu n’est qu’une infinie partie d’un tout qu’on ne peut comprendre en étudiant ses parties. Tout comme on ne peut étudier les propriétés de l’eau, qui a ses propres trait en étudiant chacune des caractéristiques de ses composants chimiques.

Les théories déterministes dévalorisent la considération porté à l’être humain et nient son rôle en tant qu’acteur de l’histoire ; l’histoire, la civilisation et la société sont soumises à des lois, indépendantes de la volonté humaine, elles se comportent en entités qui exercent une influence sur la mentalité des humains, leur morale, leur coutumes, leurs cultures et leurs doctrines.

Cette conception supprime le rôle de la volonté humaine dans l’histoire et la société alors que la première orientation exagère son rôle à tel point que l’histoire devient entièrement dépendante des divers facteurs humains.

3) La troisième orientation reconnaît à la fois le rôle de la volonté humaine et le déterminisme dans le processus historique. Les adeptes de cette orientation pensent que nous pouvons comprendre l’histoire à partir de ces deux facteurs à la fois, mais ils ne prennent pas en compte le rôle de la providence divine dans le cours de l’histoire. Ils considèrent que l’histoire est la résultante des efforts humains et de la loi de la causalité.

L’être humain peut orienter, de ce fait le déterminisme dans un sens ou sens ou un autre, étant l’acteur, principal du mouvement de l’histoire.

Même si les adeptes de ce courant croient, d’une manière ou d’une autre, en Dieu le Tout-puissant et considèrent qu’Il a créé l’Univers, ils nient cependant Sa présence en tant qu’Auteur principal et fondamental de l’histoire. Il s’agit de la conception juive que le Coran rapporte en ces termes « La main de Dieu est fermée » disent les juifs » .

(Al-Ma’ida, 5 :64)

Il s’agit là des trois principales doctrines matérialistes contemporaines qui ont envisagé d’expliquer l’histoire.

La Conception Coranique
Le Coran n’est pas un ouvrage qui a pour objet d’étudier et d’expliquer les questions philosophiques et historiques. Il s’agit d’un Livre de prédication, de guidance et de législation. Nous pouvons quand même dégager, en lisant ses versets, les fondements généraux de sa conception de l’histoire.

Dans l’Islam, l’histoire est évaluée à partir de trois critères et non deux car nous pouvons expliquer son mouvement seulement sur la base du déterminisme et sur celle de la vision volontariste, sans accorder une place à la Volonté et à la Providence divines. En réalité, l’histoire est dirigée par trois facteurs :

1 - la loi de la causalité

2 - le libre-arbitre humain

3 - la Providence divine que nous détaillerons dans ce qui suit.

1- Causalité et déterminisme : les décrets divins
La vie sociale, la civilisation humaine et l’histoire ne sont pas des phénomènes insolites dans l’Univers. Nous ne pouvons rien exclure de cet univers qui ne soit soumis à la loi de la causalité. Les résultats de cette loi sont toujours déterminés et généralisés à tous les états identiques.

Ils se répètent indéfiniment chaque fois que les causes et les conditions sont identiques. Ce qui signifie que tous les fondements du principe de la causalité (déterminisme, généralisation et similitude) jouent un rôle dans le domaine civilisationnel et historique comme dans les domaines matériels.

Le phénomène civilisationnel est soumis aux mêmes lois que les phénomènes matériels. La loi de la causalité n’admet aucune exception ; aucune faille ni dérèglement ne peuvent surgir dans l’application de cette loi sur la société ou autre organisation de l’Univers. La vie sociale et l’histoire suivent leurs cours en fonction de cette loi précise, aussi exacte que celle qui régit le monde physique.

Les événement sociaux, qu’ils soient importants ou minimes, les coups d’Etat ou les révolutions, la stagnation ou le mouvement, l’échec ou le succès, la victoire ou la défaite, le savoir ou l’ignorance, la richesse ou la pauvreté, la force ou la faiblesse, la déchéance et la décadence, la naissance et le développement des civilisations sont tous des phénomènes non spontanés du mouvement social. Ils sont les manifestations des lois et des décrets divins fixes, tout comme le présent est la conséquence inéluctable du passé. La civilisation humaine, qui se déroule tout au long du temps, ne peut être désagrégée en plusieurs faits séparés les uns des autres, toute partie est reliée à la précédente et à la suivante par des liens fermes, toute partie est la résultante de la précédente et forme la matière pour définir la suivante. Ainsi les civilisations humaines qui ont jalonné l’histoire ne sont pas de séquences entrecoupées et désarticulée, les séquences contemporaines ne sont pas étrangères aux séquences antérieures, tout comme les séquences futures ne pourront être séparées des séquences contemporaines et passées.

C’est séquences et ces parties de la civilisation, qui s’étendent tout au long de l’histoire, sont reliées les unes aux autres par le principe de la causalité. Tout comme aucun phénomène spontané ne peut surgir en physique, en mécanique ou en chimie, aucun événement social, politique économique ne peut surgir fortuitement, car tout est soumis à des décrets et à des lois fixes.

Influences diachronique et synchronique sur la séquence civilisationnelle.

Deux sortes d’influence s’exercent sur toute séquence de la civilisation humaine. La première concerne les influences synchroniques ou réciproques entre les parties et les éléments de cette séquence, dans un temps donné. La deuxième concerne les influences diachroniques ou profondes, qui plongent leurs racines dans l’histoire lointaines ou rapprochée, et qui s’exercent sur cette séquence. Elles agissent de cause à effet, pour fonder et élaborer cette séquence. Ces facteurs et influences qui agissent au fil du temps et qui contribuent à élaborer à et former cette séquence sont l’histoire. Toute séquence civilisationnelle ne se forme donc pas au hasard, coupée des facteurs et des influences historiques. La société humaine, comme tout élément de l’univers, est soumis à la loi du déterminisme (la cause et l’effet) dans ses moindres détails.

Le Coran ouvre un nouvel horizon à la science. Cette conception de la société et de la civilisation inaugure une nouvelle phase de l’histoire de la pensée humaine. Le Coran nous enseigne que la civilisation humaine est soumise à une suite de décrets et des lois que le Coran nomme « les décrets divins » qui sont fixes et immuables.

Le premier à avoir déduit ces décrets et à les avoir étudiés d’une manière scientifique et raisonnée, parmi les savants musulmans, est Abul Rahaman b. Khaldun, le célèbre historien et penseur africain et maghrébin. Il réussit à dépasser l’aspect anodin des études historiques antérieures et à découvrir les fondements et les lois suivies par la civilisation et la société. Il montra que la civilisation n’est pas une chose insolite ou fortuite dans cet univers, mais qu’elle subit la loi de la causalité comme les autres phénomènes. Sans cela, il nous est difficile de comprendre l’histoire et la société humaines.

1- Les décrets divins
Le saint Coran insiste particulièrement sur cette question et affirme que la civilisation humaine, dans sa naissance, son développement, sa maturité, son affaiblissement et son extinction, suit des lois et des décrets fixes.

« As Sunna » pour Ar-Raghib, est la voie et « sunnatu-llah » la voie de la sagesse. Il s’agit des lois et des fondements que la volonté divine a instaurés pour Sa création, inéluctable et invariable. Le Coran exprime cette nécessité par différents moyens : « Dis à ceux qui sont infidèles que s’ils cessent, ce qui est passé leur sera pardonné mais s’ils récidivent (ils doivent songer aux rigueurs) des décrets subis par leurs prédécesseurs » .

(Al-Anfal, 8 :38)

Cet ancien décret est encore valide. Personne ne peut y échapper.

Al-Baydawi, dans le commentaire de ce saint verset, dit : « s’ils récidivent à combattre le messager d’Allah, le décret qui toucha les Anciens lorsqu’ils combattirent les prophètes, sera la destruction, comme cela se passa pour les gens de Badr. Ils devraient s’atteindre à ce résultat. »

Le Très-Haut dit : « …la loi (instituée) par Lui pour ceux qui vécurent antérieurement - l’ordre de Dieu est un décret prédéterminé». (Al-Ahzab, 33 :38). Il s’agit d’une prédestination dont on n’échappe pas.

« La manœuvre perfide ne retombe que sur ses auteurs. N’attendent-ils donc rien d’autre que le sort traditionnel des Anciens ? Or, jamais tu ne trouveras de changement dans la loi de Dieu » .

(Fatir, 35 :43)

Unicité des décrets divins
Le saint Coran conçoit ces décrets, lois et principes immuables de l’histoire humaine dans une vision globale, dans le cadre de l’Unicité.

Il ramène toutes ces lois à Allah le Tout-puissant, et réfute qu’elles peuvent agir en dehors de la volonté divine.

« Conformément à une tradition (déjà connue) de ceux de nos messagers envoyés avant toi. Tu ne trouveras aucune variation dans la loi de ton Seigneur ».

(Al-Isra, 17 : 77).

« N’attendent-ils donc rien d’autre que le sort traditionnel des anciens ? Or, jamais tu ne trouveras de changements dans la loi de Dieu». (Fatir, 35 :43)

La relation entre la rétribution et l’acte fait partie des décrets divins. Mais ces relations ne sont pas soumises à des considérations matérielles. Dans la conception matérialiste de la causalité, les liens entre les événements historiques sont comparables à ceux qui rattachent l’offre et la demande aux prix des marchandises. Quant à la relation qui existe entre l’acte et la rétribution, elle n’est pas perceptible ni saisie par la vision matérialiste de l’histoire. Le Saint Coran attire notre attention sur ce genre de liens et d’attaches dans l’histoire.

« Or la manœuvre perfide ne retombe que sur ses auteurs ». (Fatir, 35 :43), « Eh quoi ! N’ont-ils pas voyagé sur terre pour voir ce qu’il est advenu de ceux qui vécurent avant eux et qui étaient pourtant plus forts ?». (Fatir, 35 :44), « Si les mécréants vous avaient livré combat, ils auraient tourné le dos, pour ne retrouver ensuite ni patron ni auxiliaire selon la loi de Dieu déjà (appliquée) antérieurement et à laquelle tu ne trouveras jamais de changement » .

(Al-Fath, 22-23)

« Nous allons faire tomber du ciel, sur les habitants de cette ville, une calamité (pour les punir) de leur perversité »

(Al-Ankabut, 29 :34)

Cette relation inévitable et invisible entre l’acte et rétribution ne peut être conçue par l’état d’esprit matérialiste. Cependant, le Coran met en lumière ce genre de liens qu’il juge inévitables et immuables.

Les décrets divins dans l’histoire sont le miroir du présent et de l’avenir de l’humanité
Le Coran envoie l’être humain à les examiner pour essayer d’y lire ce que peut être sa vie et son époque. Lorsque l’histoire est conçue comme une suite d’événements, entrecoupés ou associés d’une façon anarchique et accidentelle, ne dépendant pas de lois , elle perd sa transparence qui permet à l’être humain de voir à travers elle,ce qu’il est et ce que sont son époque et sa nation. Mais lorsque l’histoire est composée d’une somme de décrets et de lois fixes, l’homme a la possibilité d’y examiner son existence et son époque, comme à travers un miroir.

La narration de l’histoire, dans le Coran, se réalise en rappelant les principes et les lois fixes qui définissent son mouvement. Le Coran veut par là en faire un miroir pour que les gens puissent y comprendre leur vie et leur époque. En incitant les gens à plonger leurs regards dans ce miroir, Le Coran espère qu’ils en dégageront les leçons en vue de changer leurs comportements actuels.

« N’ont-ils pas parcouru la terre pour voir ce qu’il est advenu de leurs prédécesseurs ? Dieu les a exterminés. Un sort semblable (est réservé) aux incrédules » .

(Muhammad, 47 :10)

« Voila donc leurs demeures vides (en punition) de leurs injustices. Il y a en cela vraiment un signe pour les gens qui savent » .

(An-Naml, 27 :52)

« (Les impies) te défient de hâter l’arrivée du malheur (que tu leur annonces) plutôt que celle du bonheur. Pourtant des exemples de (châtiment) se sont déjà produits avant eux ».

(Ar-Ra’d, 13 :6).

« Si vous faites le mal, c'est à votre détriment. Mais quand le terme de la dernière promesse arrivera, (nous lâcherons contre vous des ennemis) qui vous jetterons dans l’affliction, s’introduiront comme la première fois dans le temple et saccageront de fond en comble ce dont ils seront emparés.

Il se peut que votre Seigneur vous fasse miséricorde. Si vous récidivez, nous récidiverons, et nous avons assigné la géhenne comme camp de détention aux infidèles » .

(Al-Isra, 17 :7-8)

Ce discours s’adresse à la nation : les lois et décrits cités par ces versets concernent les nations et les groupes. Après toute corruption, Allah promet le châtiment et la destruction. Le verset affirme que c’est là le sort inévitable de Banu Israël car la loi divine est immuable. Mais si les fils d’Israël regrettent leurs actes et demandent le pardon du Très-Haut, Il leur rendra Sa miséricorde et Sa grâce, Il leur permettra de vaincre leurs ennemis, Il leur accordera la prospérité et la progéniture. Il s’agit là d’une autre destinée, d’une autre loi divine, qui elle non plus, ne change pas.

« Nous avons annoncé à Bani Israël le (même) livre : « Par deux fois, vous commettrez du désordre sur la terre et afficherez un orgueil excessif » (Al-Isra ,17 :6). Pour toute corruption et attitude orgueilleuse, Allah leur promet le châtiment et la destruction. Le verset indique fermement qu’il s’agit là de la conséquence inéluctable de leurs actes. Puis, lorsqu’ils se sont repentis à Allah, « nous vous permîmes de prendre votre revanche sur eux, multipliâmes vos richesses et votre descendance et fîmes de vous une cohorte plus nombreuse » (Al-Isra, 17 : 6) mais s’ils récidivent, il récidivera, le Tout-Puissant leur infligera la souffrance, le supplice et l’humiliation.

« Les maux découlant de leurs actes les atteignirent et ils furent étreints par l’objet même de leurs moqueries » (An-Nahl, 16 : 34). De nombreux autres versets rappellent ces lois et décrets invariables auxquels les nations et les êtres humains ne peuvent échapper.

Le principe de l’unité de la nation dans le Coran
Au moment où le saint Coran institue de manière absolue, le libre-arbitre de l’être humain, sa volonté et son anto-détermination, il décrète aussi un principe important de la vie des nations dans l’histoire, qui est l’individualité unique d’une nation. Celle-ci qui rassemble la société et la nation, est tissée dans deux dimensions :

- La dimension synchronique, horizontale, où l’individu vivant dans une société ne peut être pris isolément : il subit les mêmes châtiments et les conséquences funestes des actes de sa nation, quel que soit son comportement personnel :

« Craignez une sédition qui n’atteindra, certes, pas spécialement les injustes »

(Al-Anfal, 8 :25)

Le Coran attribue l’acte d’un individu à l’ensemble de la nation, si celle-ci en est satisfaite. L’Imam Ali b Talib a aussi exhorté les gens : « ô vous, ce qui rassemble les gens, ce sont la satisfaction et l’indignation. Celui qui a tué la chamelle n’est qu’un seul individu, mais Allah a étendu la souffrance car ils furent unanimes à l’approuver. Allah le Très-Haut dit : « Or ils coupèrent les jarrets [de la chamelle] et eurent à le regretter » (Ash-Su’ara, 26 :157). Il ne resta plus que l’effondrement de leur terre sous les coups des blessures. »

Les paroles de l’Imam Ali sont précises. Dans un milieu social donné, admettre le crime c’est y participer, même si ce dernier ne fut pas effectivement commis par l’ensemble de la société. En approuvant le geste du criminel par le silence, les autres le confirment et y participent.

Cependant, les grands crimes déclarés sont différents des crimes individuels commis par les gens à l’insu de la société. Car le criminel ne peut commettre ses grands crimes devant l’ensemble et affronter les ressentiments de la nation s’il n’était soutenu par l’approbation, la satisfaction et l’encouragement des autres. Le criminel n’est donc isolé, il personnifie le crime mais tous ceux qui s’en déclarent satisfaits l’ont soutenu, que ce soit en l’encourageant ou se taisant.

- La dimension diachronique : le saint Coran considère que la nation est un tout relié et rattaché qui s’étend à travers les siècles. Pour lui, la génération précédente est la base de l’édification de la présente, celle-ci étant la résultante des actions de la première. Il attribue les actes de la génération passée, lorsque la présente les approuve, à cette dernière. Allah le Très-Haut dit : « Dieu a entendu les paroles de ceux qui ont dit : « Dieu est pauvre et nous sommes riches ! » Nous inscrivons leurs propos ainsi que leur meurtre injustifié des prophètes et nous leur disons : goûtez le supplice de l’enfer. Tel est le prix des actes que avez commis sur terre car en vérité, Dieu n’est nullement injuste envers [ses] serviteurs. Dieu [a attendu] ceux qui ont dit : « Dieu nous a prescrit de ne croire en un prophète qu’autant qu’il nous apporte une offrande que le feu consume. » Dis-leur : « Des prophètes vous ont déjà apporté, avant moi, des preuves ainsi que ce dont vous parlez. Pourquoi les avez-vous donc tués, si vous êtes véridiques ? » .

(Al-Imran, 3 :181-183)

Ceux qui affirmèrent qu’Allah est pauvre alors qu’ils sont riches, ce sont les Juifs contemporains du messager d’Allah (SAW). Le Tout-Puissant leur attribue alors le crime de leurs ancêtres qui tuèrent les prophètes. Ceux qui demandèrent au messager de leur apporter « une offrande que le feu consume » n’avaient pas tué des prophètes. Le reproche et la réprimande adressés aux présents par rapport aux actes de leurs ancêtres sont plusieurs fois mentionnés dans le saint Coran. Il s’agit là d’une leçon sociale, que nous connaissons bien si nous prenons en compte la conception islamique de l’histoire dans toutes ses dimensions. Ce reproche n’est adressé que lorsque les successeurs acceptent les actes des prédécesseurs et ne les désavouent pas. Il s’agit là de la même racine, du lien qui unit les diverses générations d’une seule nation les une aux autres. Lorsque ce lien entre générations d’une même nation est coupé, il ne peut y avoir de continuité d’une civilisation, nulle relation ne rattache une génération à l’autre, ni responsabilité, ni labeur.

Tant que la nation et la civilisation existent, l’affection, la haine, la loyauté et d’exemption ne changent pas. La loyauté des pères se transmet aux fils, l’exemption des pères également. Tout le reproche adressé donc aux fils par rapport aux crimes de leurs pères se réalise de cette façon.

Si nous examinons, dans une optique différente, ces nations de loyauté et d’exemption entre générations, nous disons que la génération précédente est responsable de la loyauté et l’exemption de leurs fils, de leur déviation, de leur tromperie et de leur orientation vers le faux et l’oppression. Cependant, comme nous le verrons par la suite, la libre volonté des fils peut déterminer leur sort indépendamment des pères.

Ces derniers, sans aucun doute, préparent le terrain fertile à la déviation et à la corruption et à l’incroyance des générations suivantes. Ils les nourrissent de façon invisible de la pensée et de la civilisation de l’ignorance, ils leur transmettent leurs idées, leur morale, leurs coutumes et leurs conceptions, c’est là la dimension invisible de la civilisation.

Cette conception est encore plus clairement exprimée dans les versets où Nuh invoque le châtiment de sa nation : « Noé dit [encore] : « Seigneur, ne laisse aucun infidèle circuler sur terre, sans quoi ils égareraient tes serviteurs et n’engendreraient que des libertins, réfractaires à la foi » (Nuh, 71 :26-27). La génération qui se révolta contre le Tout-Puissant et Son messager (a.s) de la nation de Nuh ne peut engendrer que des libertins et des incroyants. Une civilisation et une nation plongées dans l’ignorance ne nourrissent les générations suivantes que par le mal, la corruption, la débouche et l’incroyance.

« Dans un pays de bonne terre, la végétation, Dieu aidant pousse [drue)]. [Au contraire, dans] un pays [au sol] ingrat [la végétation pousse] médiocrement » (Al-A ‘raf, 7 :8). C’est ainsi que le Coran relie le passé au présent, et le présent au passé d’une nation, à travers la responsabilité, la demande des comptes et les reproches. La généralisation présente assume les charges de la précédente tout comme celle-ci est responsable de celle-là.

Ces versets indiquent remarquablement les dimensions de la conception islamique du tissu social et historique de la nation, régi par la loi de la causalité.

2-Le LIBRE-ARBITRE
Il constitue le deuxième principe de la conception islamique de l’histoire.

Bien que l’histoire se déroule en fonction du principe de la causalité et du déterminisme, l’être humain, doté par le Très-Haut de capacité de choisir et de vouloir, tient entre ses mains le cours de l’histoire dont il est acteur. Le mouvement de l’histoire est soumis à son choix et à sa volonté, sans que cela ne contredise ou ne mette en cause le principe de la causalité.

Tout comme l’avion survolant les continents et les mers, mû par des loi mécaniques et physiques, est dirigé par un aviateur qui le conduit et l’oriente minutieusement dans la direction qu’il souhaite suivre, l’être humain agit sur l’histoire dans le cadre de la causalité de la manière qu’il souhaite.

Relation entre libre-arbitre et déterminisme
La relation qui existe entre le libre-arbitre de l’être humain et le déterminisme du principe de la causalité, leur interférence dans la civilisation et l’histoire furent à l’origine de nombreuses querelles et de l’apparition de théorie absolutistes en philosophie. Le saint Coran décrit minutieusement cette relation, rattachant les éléments entre eux de façon claire, sans accorder une importance à l’un au détriment de l’autre, en les admettant tous les deux et en montrant la résultante de leur co-existence.

Alors que le Coran reconnaît le libre-arbitre et le libre choix de l’être humain, il relie nécessairement les résultats aux choix que fait l’individu en lui faisant porter l’entière responsabilité de ses actes. Il est bien sûr, libre, acteur et influent sur le cours de l’histoire et cependant, il ne peut échapper au déterminisme de la causalité, ni échapper aux résultats et effet de ses actes.

L’être humain jouit d’une liberté totale de choisir comment s’alimenter par exemple, soit avec de la nourriture, soit avec du poison, mais il ne pourra éviter les conséquences de son choix. Donc, en considération des résultats auxquels il parvient, il est soumis au déterminisme de la causalité, bien qu’au départ, il s’est servi de sa volonté libre et indépendante.

Nous pouvons éclaircir nos propos par le hadith suivant : on rapporte qu’un jour, le commandant des croyants (a.s) s’est éloigné d’un mur penché pour s’asseoir ailleurs. Il lui fut dit : commandant des croyants ! Tu fuis le jugement d’Allah ? Il (a.s) répondit : « Je fuis le jugement divin pour retrouver le destin d’Allah. »

L’homme devra choisir, dans cet exemple, entre s’asseoir près du mur penché et entre s’en écarter. S’il s’assoit près de ce mur, il se met inévitablement en situation de danger. Allah le Très-Haut a, en réalité, deux arrêt inévitables, l’homme devra choisir l’un d’eux en usant de sa libre volonté : le danger ou la sécurité. S’il choisit le premier il est sous la menace d’un danger inévitable, mais s’il choisit le second, il est certainement en sécurité. Ce déterminisme ne contredit nullement la capacité de l’homme à choisir. C’est exactement ce genre de rapports qui existe entre l’homme et la société et l’histoire.

Cette double vérité est clairement indiquée dans le Livre d’Allah. D’un côté, le Coran affirme sans ambiguïté aucune la libre volonté de l’être humaine et de l’autre, il affirme l’inéluctabilité des conséquences de ses choix et sa responsabilité engagée dans ses actes.

Parmi les versets qui affirment la libre volonté humaine, on lit :

« Voilà qui en vérité une mémoration ! Prenne le chemin de son Seigneur qui veut » (Al-Insan, 76 : 29), « Dis : ô homme ! La vérité vous est parvenue de la part de votre Seigneur ! Quiconque se met en bonne direction ne le fait que pour lui-même. Quiconque s’égare qu’à son propre détriment. Je suis pas pour vous un fondé de pouvoir » .

(Yunus, 10 :108)

D’autres versets du Coran indiquent que le choix humain constitue la base et la matière de l’histoire humaine. Qu’il soit bon ou mauvais, il a fondé nécessairement et l’être ne pourra se débarrasser des conséquences de ses actes et de son labeur. Le choix de l’individu et ses effets, ainsi que le choix de la nation et ses effets sont des données qui expliquent le déroulement de l’histoire. « Toute âme est caution de ses œuvres » (Al-muddathir74 :38) toute âme est prisonnière de ses actes, elle ne peut échapper aux conséquences inévitables qui en résulteront.

« Et ces cités dont nous avons fait périr [les habitants] quand ils eurent commis des injustices. » (Al-kahf, 18 :59) ; le châtiment des nations et des peuples est une conséquence nécessaire à l’oppression qu’ils ont exercée et à leur corruption.

« Lorsqu’ils eurent oublié ce qui leur avait été rappelé, nous ouvrîmes à leur intention les portes de toutes choses. Quand ils eurent exulté de joie, en raison des biens qu’ils avaient reçus, nous les surprimes à l’improviste et les voilà dans le désespoir » (Al-In’am, 6 :44). Lorsque l’être humain se détourne de ce que le Tout-Puissant lui a rappelé, le décret divin commence par lui ouvrir toutes les portes puis, un autre décret divin survient entraînant inévitablement le châtiment.

« [et enseignant] que rien ne revient à l’homme en dehors[du résultat] de son effort, que [le résultat] de son effort sera jugé, qu’il sera ensuite généralement rétribué »(An-Najm,53 :39-41), « s’ils s’étaient conformés à la Thora, à l’Evangile et à ce qui leur est transmis de la part de leur Seigneur, ils auraient joui[des biens] qui se trouvent au-dessus de leur tête et sous leur pieds » .

(Al-Ma’ida 5 :66)

Cette situation expliquée et mise en évidence par le saint Coran dans les versets cités clarifie le sens du texte rapporté des Ahlul-Bayt (a.s) concernant la formule : « la question entre les deux » qu’ils ont avancée au cours de la lutte idéologique entre Musulmans, qui concernait l’affirmation ou la négation du libre-arbitre humain.

Les Ahlul-Bayt (a.s) a donc avancé ce principe qui s’oppose aux deux conceptions extrêmes et diamétralement opposées qui s’affrontaient, l’une prônant la liberté absolue de la volonté humaine et l’autre la négation absolue de cette liberté. Le verset suivant souligne ce qu’il en est vérité :

« …Dieu en vérité ne modifie nullement l’état d’un peuple, tant que les individus [qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes » (Al-Ra’d, 13 :11).

Deux changements interviennent dans ce verset :

1-Le changement que l’individu opère sur lui-même

2-Le changement qu’Allah le Très-Haut opère sur l’individu.

Ce changement est opéré en accord avec les lois et les décrets divins, qui sont immuables. C’est en fonction de la nature du changement que l’homme opère sur lui-même que le Tout-puissant change le processus de l’histoire. L’être humain à pleine liberté de choisir tel ou tel chemin mais en choisissant l’un des deux, il ne peut échapper aux conséquences de son choix.

Pour le Coran, l’histoire n’est pas un mouvement échappant à la loi de la causalité et à ses fondements qui organisent tout l’univers, et elle n’est pas non plus une chose insolite qui ne subit aucune loi. En même temps, les lois de l’histoire ne sont pas identiques aux lois physiques, le déterminisme dans l’histoire ne être comparable à celui qui régit le monde physique. Lorsque nous souscrivons à la thèse du déterminisme historique, nous ne reprenons pas à notre compte les paroles des théoriciens de ce courant qui nient le rôle actif de l’être humain dans le changement du cours de l’histoire. Les théories historicistes connues par la prédestination dans l’histoire refusent d’accorder tout rôle actif à l’homme, ne le considérant que comme une parcelle d’une entité qui bouge indépendamment de lui .En réalité, le mouvement de l’histoire n’est pas non plus identique au mouvement de la matière physique, qui suit un chemin tracé en tout. Quant au mouvement de l’histoire, si nous voulons le représenter visuellement, nous pouvons dire qu’il suit un chemin sinueux, tantôt s’inclinant et qu’on ne peut prédire dans les détails, sauf en ce qui concerne les lois générales dans le Coran.

Comment l’être humain échappe-t-il à la contrainte de l’environnement ?
Certains affirment que la volonté humaine subit la contrainte de l’environnement naturel et social, qu’elle en est prisonnière et qu’elle se trouve incapable de changer ou de transformer la société ; de ce fait, son rôle ne peut être décisif dans l’évolution sociale. C’est pourquoi l’individu ne peut exercer une influence ou même prendre une décision qu’en suivant le cours général de la société. Il en résulte que l’individu est déterminé par la société et le cours de l’histoire à la fois.

En abordant cette question avec précision et clarté, Le saint Coran montre qu’Allah le Très-Haut a accordé à l’homme, outre la volonté et la capacité de décider, une intelligence, une perspicacité et un don naturel inné qui lui permettent de distinguer et de discerner avec justesse et acuité la situation dans laquelle il se trouve.

La sujétion de l’individu à une société corrompue est une inconscience et à une incapacité de discernement. Au contraire, lorsqu’il possède ces facultés, la volonté humaine est alors capable de se libérer des contraintes sociales, quelles que soient leur puissance ou leur tyrannie.

Le Coran indique à l’homme les sources du discernement, du don naturel inné, de la guidance divine, à l’intérieur de lui-même et à l’extérieur : « Lève la tête, en monothéiste sincère pour [professer] la religion, selon la nature que Dieu a originellement donnée aux hommes - pas de modifications dans la création de Dieu ; voilà la religion dans sa rectitude mais la plupart des hommes ne savent pas … .

(Ar-Rum, 30 :30)

« Pas de contrainte en religion. La vérité se distingue de l’erreur » (‘Al-Baqarah, 2 :256).

Par conséquent, le Tout-Puissant a créé l’être humain une Lumière qui lui ouvre la voie du discernement et de l’entendement et Il créa une volonté qui lui permet de décider. L’individu n’est pas un élément statique et dominé par son environnement social tout au long du déroulement de l’histoire.

3-LA PROVIDENCE DIVINE
Le déroulement de l’histoire ne peut uniquement expliqué par les deux facteurs précités, le déterminisme de la causalité et la volonté humaine. La providence divine est tout aussi importante, sinon plus, car comment expliquer la survie de la civilisation humaine alors qu’à plusieurs reprises, elle fut au bord du gouffre et de l’anéantissement total ?

La providence divine ne peut être assimilée aux décrets célestes qui régissent l’histoire. Elle se situe au-delà et est gouvernée par des principes et des lois et n’intervient pas au hasard. Sans elle, la civilisation humaine aurait été anéantie depuis longtemps. En parcourant le cours de l’histoire, nous percevons la Main du Très-Haut et Sa sollicitude étendues sur notre histoire.

Combien de fois le monde fut-il au bord d’une destruction inéluctable, combien de fois les passions, la corruption, l’anarchie ont-elle menés la terre à la limite de l’effondrement ? L’intervention de la providence divine empêcha cette destruction et cet effondrement, car ni les lois, ni la volonté humaine ne suffisent à elles seules à sauver l’être humain de ces situations extrême. En réalité, la civilisation humaine ne peut dépendre seulement des deux facteurs, la volonté et les lois, car sans la présence de cet appui formidable qu’est la providence, elle reste chancelante, indécise et menacée par la chute et l’anéantissement.

Nous ne pouvons pas fournir d’exemples de l’intervention de cette providence et sollicitude divines, mais nous déduisons l’existence de ce troisième facteur à partir de la permanence de cette civilisation malgré toutes les crises et catastrophes qu’elle frôlées de près.

Il est étonnant, par ailleurs, que ce facteur extrêmement important ne soit pas pris en compte dans les études consacrées à l’histoire des civilisations. En réalité, l’homme n’a pas besoin de beaucoup d’effort pour découvrir cet élément magistral dans le maintien de la civilisation, il lui suffit de contempler, avec lucidité, cet univers qui s’étend devant ses yeux.

La providence divine dans la vie des individus
Nous pouvons percevoir cette providence dans la vie des gens à partir des phénomènes ou états qui ne peuvent être expliqués ni par le déterminisme de la causalité ni par la volonté humaine. D’autre part, l’individu n’aurait pas, sans elle, pu profiter de son intelligence, de sa volonté et de ses expériences, ni des lois de la nature et de la société. Sans elle, il se serait effondré à la moindre secousse de la vie…Mais la providence divine assiste l’être humain, pas à pas, tout au long de sa vie, elle l’entoure et le protège, elle lui accorde la grâce, l’acquittement et le soutien, de façon invisible. Certains la ressentent de façon palpable et sensible, d’autres ne la devinent pas. Il s’agit des bienfaits inaperçu et secrets d’Allah qui prennent soin de l’individu sans qu’il ne s’en aperçoive. Ils sont nombreux et divers.

Cette providence divine accompagne l’être humain tout au long de sa vie. Lorsqu’il est confronté à des difficultés et qu’il se trouve au bord de l’effondrement, lorsque le vrai et le faux s’embrouillent à ses yeux, la providence divine le réoriente vers sa raison et sa volonté et lui permet de tirer profit de toutes ses expériences.

Dans les invocations, nous trouvons de nombreuses mentions à ce sujet :

« Ne m’abandonne pas à moi-même ne fut-ce qu’un instant »

Dans As-Sahifa as-sajjadiya, on lit : « Si tu m’abandonnes à mon pouvoir. La force se retirera de moi. »

La puissance, la raison, la volonté et tout ce que le Tout-Puissant a accordé à l’être humain ne peuvent le secourir ou l’élever si la providence divine l’abandonne ou le livre à lui-même.

La sollicitude et l’assistance divines
La sollicitude est, comme le dit le commandant des croyants (a.s) assistance, elle est une assistance divine.

La sollicitude n’intervient pas dans le sens d’annuler le rôle de la loi divine dans la vie, la nature ou la société, ni pour édicter de nouvelles lois et les mettre au service de l’être humain, mais elle a pour fonction d’orienter l’homme en direction du bien. Les lois naturelles et sociales demeurent actives et effectives, certaines conduisent l’individu vers le bien, d’autres vers le mal et l’homme devra choisir l’une des deux qui déterminera son bonheur ou son malheur ou son malheur. Cependant, l’homme ne discerne pas toujours les voies du bien, n’étant pas toujours clairement exposées devant lui, elles sont ou bien occultées, par d’autres phénomènes ou inaccessibles. Dans ces cas, Allah qu’Il soit glorifié, prend la main de Son serviteur et le guide vers cette voie, source de son bonheur.

On rapporte d’Abu’ Abdullah as-Sadiq, à ce propos : « Si Allah souhaite le bien à un serviteur, Il le prend par le cou et le fait pénétrer de force dans ce domaine (celui de la soumission et de la guidance)».

Les définitions que donne l’Imam Ali (a.s) du concept de sollicitude rapportées se trouve dans Ghirar al-Hikam d’Al-Amidi sont révélatrices : « la sollicitude se trouve à la tête de la réussite », « la sollicitude dirige la probité », « la sollicitude mène au bonheur », « le bonheur est dû à la sollicitude » et « nul dirigeant n’est comparable à la sollicitude ». L’explication en est clair : la sollicitude divine mène l’être humain au chemin de la probité, de la bonne conduite, de la réussite et du bonheur.

Tant que le Tout-Puissant n’accorde pas à son serviteur Sa sollicitude et lui veuille le bien, ce dernier ne peut connaître que faiblement le bon chemin par effort ou sa raison : nulle recherche n’est réussie sans sollicitude. Mais lorsque Allah le Très Puissant veut le bien pour un individu et l’assiste, l’effort de ce dernier est dirigé vers le chemin de la réussite et du succès, son effort sera fructifiant.

L’Imam Ali (a.s) dit : « le meilleur des ijtihad est celui qui est assisté » et un hadith rapporte que « la sollicitude est la plus noble des deux chances », signifiant la chance que l’homme obtient en suivant le chemin qui mène au bonheur et au bien, l’autre étant son effort, sa raison et ses capacités accordées par Allah le Tout-Puissant, et qui est de moindre importance.

Nul doute que la sollicitude est un facteur occulte qui installe l’être humain dans les chemins du bien, il s’agit bien évidemment d’une chose différente des capacités intellectuelles et naturelles, et de la force qu’Allah le Très-Haut a déposées dans l’esprit humain. Ces capacités sont incapables, à elles seules, de développer et de conduire l’être humain dans le chemin du vrai, de lui éviter le chemin du mal.

Si Allah veut le bien pour un serviteur, il l’assiste à consacrer ses efforts et ses capacités dans le chemin du bien.

Le Hadith suivant éclaire nos propos. Un homme questionna As-Sadiq (a.s) « ô fils du messager d’Allah, ne suis-je pas capable de faire ce dont je fus chargé ? » Il lui répondit : « qu’est-ce la capacité, de pour toi ? » Il dit : « la force de réaliser le travail. » L’Imam lui dit : « Tu dépenses la force si on t’a accordé le secours. » L’homme demanda : « Et qu’est-ce le secours ? » Il dit « la sollicitude ». L’homme demanda : « Pourquoi accorder la sollicitude ? » L’Imam lui répondit : « si tu bénéficies, de la sollicitude, tu es agissant, le mécréant peut être plus fort que toi, mais sans sollicitude, il n’est pas agissant ». Puis l’Imam lui posa la question : « Dis-moi, qui t’a accordé la force ? »

-Allah, qu’Il soit Exalté.

-Peux-tu grâce à ta force, repousser les préjudices loin de toi, et prendre ce qui t’est utile sans l’aide d’Allah le Tout-Puissant ?

-Non.

-Pourquoi t’attribues-tu ce dont tu es incapable de faire ?

Puis il ajouta : « Où en es-tu de la parole du pieux serviteur : « ma réussite n’est due qu’à Allah ! ».

Ce récit distingue trois facteurs agissent dans la vie de l’homme :

1- les lois naturelles et sociales (les décrets divins) qui mènent l’être humain à l’un des deux, le bien ou le mal.

2- les forces que le Tout-Puissant a entreposées dans l’homme, qui les utilise pour parvenir à l’un des deux chemins conduisant à celui du bien ou celui du mal.

3- la sollicitude et l’appui divins par lesquels le Tout-Puissant guide Ses serviteurs en direction des chemins de bien, Il les aides et les prend par la main afin qu’ils aperçoivent ce qui leur était invisible ou inaccessible. Sans ce dernier facteur, seule une infime partie du bien peut être atteinte.

Al-karakaji rapporte le propos de l’Imam as-Sadiq (a.s) disant :

« Ce n’est pas parce qu’un individu a l’intention de faire quelque chose qu’il en a la capacité ; ce n’est pas en ayant la capacité de le faire que le soutien lui est accordé ; ce n’est pas en bénéficiant du soutien pour la réalisation d’une chose qu’il la réussit : ce n’est que lorsque l’intention, la capacité, la sollicitude et la réussite sont réunies que le bonheur existe ».

La perception de la sollicitude divine et ses conséquences
Lorsque l’individu prend conscience de cette immense réalité, de l’importance du facteur de la sollicitude divine dans sa vie, dans son choix de la voie du vrai et dans sa réussite, et qu’il réalise son incapacité en tant qu’être humain à réaliser, seulement grâce à sa force et ses propres aptitudes déposées en lui, une infime partie de tout ceci, le fait de percevoir la sollicitude a d’énormes conséquences pour sa formation spirituelle :

1- Il éloigne de lui-même toute vanité et tout orgueil. Lorsque Allah le Tout-Puissant lui ouvre les portes de la miséricorde, il devient inaccessible à l’orgueil et à la fierté mensongère.

On rapporte que l’Imam ar-Rida (a.s) a rappelé les propos de Ayyub (a.s) : Il dit : « ô Maître, je ne t’ai rien demandé de cette vie où interviennent l’orgueil et la vanité… d’avoir vécu en ascète et renoncé aux biens de la vie ici-bas ». Un nuage s’approcha de lui et l’appela : « ô Ayyub, qui t’a assisté dans cela ? » Il dit : Toi, ô Maître ».

Quelle éblouissante réponse fit le pieux serviteur Shu’ayb (a.s) à son peuple lorsqu’ils rejetèrent sa prédication, disant : « … sont-ce tes prières qui t’incitent à nous déconseiller le culte de nos ancêtre et à [renoncer] à disposer librement de nos biens ? Portant tu es un homme longanime et honnête » (Hud, 11 :87). Face aux railleries et à l’égoïsme marqué de son peuple, Shu’ayb répondit : « ô mon peuple ! que penseriez-vous si j’étais nanti d’une preuve de mon Seigneur et que, de par sa bonté, une faveur insigne m’était accordée ? Je n’ai nullement l’intention de faire ce que je vous déconseille, je veux seulement réformer autant que je puis. Je ne saurais être assisté que par Dieu ! A Lui je m’en remets et à Lui je retournerai ».

(Hud, 11 :88)

Tout au long de sa réponse, Shu’ayb s’efface : une preuve de mon Seigneur, et non de moi. Allah m’a accordé une faveur….et lorsque Shu’ayb dit : Je ne veux que réformer…il a joute, comme s’il voulait amoindrir l’impact de ce « je » dans « ce que je puis », sachant que ses capacités sont limitées et sentant qu’il n’a pas montré, dans ses paroles, la puissance et la gloire d’Allah, il poursuit : « Je ne saurais être assisté que par Dieu ». Ce qu’il réalise et ce qu’il a l’intention de faire ne peuvent être accomplis qu’avec l’assistance divine, il ne peut s’attribuer aucun rôle dans cette action. Puis, de nouveau, il confirme cette idée par : « A Lui je m’en remets... »

La conscience de soi ne peut entièrement disparaître que si la perception de la présence divine, de Sa force et de Sa puissance est parfaitement vécue.

2- Cette perception est également utile à l’être humain qui remet toute sa confiance et ses espoirs en Allah Seul, les refusant à tout autre que Lui.

Quoiqu’il en soit, le phénomène de la sollicitude dans la vie de l’homme est large et étendue. Toute personne à laquelle Allah accorde la grâce de la clairvoyance, et qui contemple ce qui se déroule autour d’elle peut apercevoir les touches de la main divine dans sa voie, que ce soit dans ses joies ou ses peines, dans la difficulté ou la commodité. L’assistance divine ne le perd pas de vue et la sollicitude divine ne l’abandonne pas tout au long de sa vie matérielle ou spirituelle, dans ses actes et ses mouvements.

Si nous comparons entre d’une part, l’ambition de l’homme, ce qu’il souhaite, ce qu’il planifie de faire dans sa vie et d’autre part, ce à quoi il est arrivé grâce à la sollicitude divine, c’est-à-dire entre ce qu’il veut et ce que Allah veut pour lui, nous découvrons le rôle considérable de la sollicitude dans la vie de l’être humain. Ceci nous remet en mémoire le butin que les Musulmans avaient l’ambition de gagner en allant se battre à Badr, en l’occurrence la fortune de Quraysh, alors que Allah leur souhaitait, empruntant ce chemin difficile, qu’ils en reviennent puissants, défenseurs de la vérité, portant la parole du Seigneur sur la surface de la terre, à l’ouest,comme à l’Est : « lorsque Dieu vous promettait [d’avoir la victoire] sur l’une ou l’autre des deux bandes et que vous préfériez triompher de celle qui n’était pas armés. Dieu voulait ainsi faire explicitement triompher la vérité et exterminer les infidèles jusqu’au dernier ».

(Al-Anfal, 8 :7)

L’homme souhaite accéder à une chose qui signifie sa désobéissance au Maître, mais le Tout-Puissant le sort de cette impasse et le guide sur le chemin conduisant au paradis. L’homme peut emprunter une voie de repos et de santé, de préférence celle de la vie ici-bas, mais Allah le met dans la voie de la difficulté qui le mène au paradis.

La sollicitude divine dans la vie des prédicateurs
Le prédicateur trouve souvent devant lui un chemin aride, difficile, semé d’embûches et d’ennemis puissants. Il hésite à propos des actes à entreprendre et se réfugie, à certains moments, dans la peur et l’attente. C’est alors que Allah le prend par la main et lui fait traverser tous les obstacles, l’un près l’autre, Il le mène sur les routes difficiles, étape par étape, ne l’abandonnant pas seul en face du danger et dans la fatigue résultant de sa tâche de longue haleine. Le prédicateur sent, tout au long de son trajet, la main divine qui l’entraîne et le protège, et l’œil d’Allah qui le veille. Tout prédicateur risque de se trouver entre les mains des tyrans connus pour leurs sauvageries, il se sent faiblir lorsqu’il se trouve seul entre les mains des bourreaux qui utilisent les moyens les plus monstrueux pour lui faire arracher quelques paroles. C’est alors que Allah le Très-Haut gonfle sa poitrine de confiance, il sent son corps se raffermir, suscitant dans les cœurs des ennemis la faiblesse et la lâcheté.

Il traverse toutes les étapes des privations et des tortures, remplissant sa solitude par la certitude, de la foi et de la confiance en Allah, par la patience et la recherche de l’agrément du Tout-Puissant et de la miséricorde divine.

Dans son exil, le prédicateur craint pour sa famille et ses proches, mais Allah le Tout-Puissant les met en situation de trouver qui les réconforte et partage avec eux son pain quotidien.

Dans le Coran, nous lisons plusieurs passages relatifs à l’assistance divine accordée aux prédicateurs et aux hommes pieux, dans leur tâche ardue, à tous moments de leur vie, lorsqu’ils affrontent des tyrans et des bourreaux. Voyez la mère du Mussa (a.s) qui craint pour son nouveau-né. Son cœur faiblit un instant mais le Tout-Puissant lui ordonne de le jeter dans le fleuve, au milieu des vagues en colère, afin qu’Il le lui ramène dans le propre palais de Pharaon :

« Moïse [ayant été confié aux eaux du Nil] fut recueilli par la famille de Pharaon pour qu’il fût, pour eux, un ennemi et une [cause] de tristesse, car Pharaon, Haman et leurs armées avaient commis des fautes... » .

(Al-Qasas, 28 :8)

Que dire de la sollicitude divine en faveur de ce nourrisson jeté dans les flots qui revient à sa mère réjouie, pour qu’elle sache que la promesse divine est vraie : « Nous le rendîmes [ainsi] à sa mère pour la réjouir pour qu’elle ne s’affigeat plus [sur son sort] et sût que la promesse de Dieu est vraie. Mais la plupart des hommes ne le savent pas » ((Al-Qasas, 28 :13). Toute la vie du prophète Mussa (a.s) est illustrée par cette sollicitude divine qui l’empêche, par exemple, de se noyer lorsqu’elle noie Pharaon et ses soldats. L’on sent l’assistance et la protection divines à toutes les épreuves, dans toutes les étapes difficiles de sa vie.

En réalité, nombreuses sont les personnes qui bénéficient de l’assistance et de la sollicitude divines de leur vie sans qu’ils n’y prêtent attention. La sollicitude divine est une loi générale qui touche les gens à des degrés divers. Cependant, très peu sentent la main d’Allah dans leur vie. Ceux-là forment la catégorie des sages et des pieux serviteurs du Très-Haut. Quelle grande lacune dans le monde de la connaissance que de l’ignorer ! Allah accorde la grâce de Sa sollicitude à un individu, dans ses joies et ses peines, dans les situations dangereuses et face aux obstacles, dans la fatigue et le repos, la commodité et la difficulté mais celui-ci ne réalise pas cette présence qui le protège et l’accompagne, Allah ouvre tout grand les portes de Sa miséricorde et de Sa connaissance mais l’individu demeure aveugle, ne sachant comment s’orienter vers cette main tendue qui lui lève les obstacles de la vie, qui l’éduque et le rend honnête !

La sollicitude divine n’est pas fortuite dans la vie des gens, elle est accordée selon es causes, des lois et des principes précis. Celui que le Créateur gratifie de Sa sollicitude devra être apte à recevoir cette miséricorde divine, et celui à qui Allah la refuse a déjà perdu cette occasion pour lui-même et perdu l’aptitude à recevoir cette miséricorde.

La miséricorde divine n’est ne avare ni parcimonieuse, mais au contraire, inépuisable. Cependant, les gens en bénéficient, à des degrés divers, en fonction de leur mérite, de leur aptitude à la recevoir et de la largesse de leur cœur.

La sollicitude est une forme de la miséricorde divine qui s’étend sans mesure sur Ses serviteurs. Ceux qui se sont égarés ne peuvent la recevoir, les croyants la reçoivent selon la largesse de leurs cœurs, tout comme la pluie abondante qui descend du ciel sur la terre. Le rocher élevé n’en reçoit rien, le sol dur en reçoit peu et le sol friable la reçoit en grande quantité qu’il emmagasine pour produire des fruits savoureux. La différence ne réside pas dans la quantité d’eau tombée du ciel, mais dans la nature du sol qui refuse ou accepte cette eau.

C’est ainsi que sont les cœurs, ils se différencient dans leur aptitude à accepter ou à refuser la miséricorde divine. Le degré d’aptitude dépend de la volonté et de l’action humaines.

Il n’a pas, dans le fondement de la création, un état naturel de refus de la miséricorde divine. C’est lorsque l’homme se détourne d’Allah que son aptitude à recevoir Sa miséricorde faiblit. Et s’il continue dans cette voie, elle tombe à néant, de manière définitive. Au contraire, si l‘homme se rapproche d’Allah, son cœur s’ouvrira de plus en plus pour recevoir Sa miséricorde jusqu’à parvenir au stade des véridiques et des Amis d’Allah.

Le commandant des croyants (a.s) dit, pour illustrer cette relation entre le sollicitude et le rapprochement d’Allah : « Tout comme le corps et son ombre ne se séparent pas, ainsi en est-il de la sollicitude et de la religion ».

Allah le Très-Haut définit cette relation ainsi :

« Souvenez-vous et Je me souviendras de vous ! ».

(Al-Baqara, 2 :152)

En opposition à la sollicitude, il y a l’abandon, lorsque Allah délaisse l’individu à lui-même, à ses passions et ses désirs, celui-ci devient alors la proie de Satan. Rien ne le soutiendra lorsqu’il devra affronter l’ennemi qui est en lui-même et à l’extérieur : « Si Dieu vous prête secours, personne ne vous vaincra. S’il se désintéresse de vous, qui pourrait, alors, vous servir de soutien ? » . (Al-Imran, 3 :160)