La Mort du prophète, le début de l'injustice envers l'Imam Ali (as)

Alors que l'Imâm 'Alî ainsi que d'autres Compagnons étaient encore occupés de la dépouille mortelle du Prophète, et avant même de finir l'enterrement, 'Omar amena précipitamment Abû Bakr à la réunion de la Saqîfah pour débattre du problème de la succession. Ce qui prévalait dans cette réunion, c'était:

- L'esprit tribal qui animait et déterminait la logique des participants rivaux;

- La tendance de chacun de ceux-ci, à accaparer pour soi le pouvoir et à refuser de le partager avec les autres;

- La confirmation des considérations tribales;

- L'acceptation par beaucoup, de l'idée de deux princes choisis l'un parmi eux, l'autre parmi les Emigrés, ce qui a conduit chacune des deux ailes à se croire plus qualifiée que l'autre pour le Califat.

Lorsque l'Imâm 'Alî fut informé de la tenue de cette réunion et de son résultat, il refusa, ainsi que ses partisans, la Désignation; refus qui a duré six mois. L'Imâm 'Alî a même considéré la réunion de la Saqîfah comme un complot ourdi en son absence.

C'est cet esprit tribal qui a ouvert la porte aux troubles, comme l'a déclaré 'Omar lui-même: «La désignation d'Abû Bakr était une erreur dont les conséquences ont été évitées grâce à Dieu. Tuez donc celui qui la recommencerait».

Ainsi le droit de l'Imam Ali fut usurpé , il a été choisi par Allah et prophète comme successeur... cette usurpation durera 25 ans.
 

Mort de Omar et designation du 3ème calife


'Omar a choisi six personnages de Quraych et les a présentés à la Umma islamique comme candidat à sa succession au Califat. Ce choix a suscité chez beaucoup de dignitaires de Quraych ainsi qu'au sein de leurs clans et chez leurs partisans, des ambitions politiques - auxquelles ils n'auraient jamais songé en principe - ayant constaté que les candidats désignés par 'Omar n'avaient aucune qualité qui fût supérieure aux leurs, et que ces candidats leur étaient même inférieurs en beaucoup de choses.

Ces ambitions se sont renforcées lorsque l'Imâm 'Alî, candidat de la majorité des Musulmans fut écarté du Califat au profit de 'Othmân Ibn Affan, candidat de l'aristocratie de Quraych, à la suite du désistement de 'Abdul Rahmân Ibn 'Awf qui voulait par son retrait être en position de neutralité et désigner lui-même l'un des deux candidats en lice. Ainsi, il demanda à 'Alî de prêter le serment, de suivre le Livre de Dieu, la Sunna du Messager et l'action de 'Omar et d'Abû Bakr selon la façon des 2 premiers califes.

'Alî a répondu: «non, ... mais j'essaierai de le faire selon ma force et  ma capacité». Ainsi l'Imam ne voulait pas suivre la sunna selon Abu bakr et Omar, mais selon le prophète

Lorsque Abderahmane demanda à 'Othmân la même chose, ce dernier a répondu favorablement sur-le-champ et il fut désigné comme calife.

L'Imâm 'Alî a exprimé son mécontentement de ce résultat de la façon suivante: «Je m'y résigne tant que les intérêts des Musulmans sont préservés et que l'injustice ne touche que moi».

Le Choura aura pour conséquence la formation de partis et de blocs fondés sur les allégeances individuelles de ceux qui avaient des ambitions personnelles pour accéder au pouvoir et qui ont exploité, pour ce faire, les motifs des plaintes et des mécontentements exprimés contre 'Othmân, sa clique et ses gouverneurs, ainsi que d'autres aspects financiers, administratifs et sociaux. Cet état des choses ne tarda pas à déclencher la révolution et à conduire à l'assassinat de 'Othmân.
 

Son Califat


Après l'assassinat de Othman, l'Imam 'Ali fut élu presque à l'unanimité calife. C'était alors la première fois que l'Imam désigné par Dieu et le calife officiel étaient une seule et même personne. l'Imam est ainsi le premier Imam et le quatrième calife.

Après la mort de 'Othmân, la terreur régna dans la ville et les régicides en devinrent les maîtres en l'absence de tout gouvernement. Les citoyens, constatant l'état tumultueux de la populace en révolte, et craignant une guerre civile, réclamèrent l'élection immédiate d'un Calife. L'attitude menaçante de ceux qui étaient venus de différentes parties de l'Empire, c'est-à-dire d'Egypte, de Syrie, de Mésopotamie et de Perse à cette occasion, avait de quoi alarmer beaucoup de gens, car ils avaient décidé de ne pas se disperser avant de savoir qui serait leur Souverain.

Il y avait deux candidats, Talha et Zubayr, qui aspiraient au Califat en s'appuyant sur le soutien puissant de 'Âyechah, mais malheureusement pour eux, elle n'était pas présente à Médine à ce moment-là, puisqu'elle se trouvait à la Mecque. Talhah  (qui avait pris une part active dans l'incitation des assiégeants de la maison de 'Othmân à précipiter le cours des choses) et son associé, Zubayr, étaient appuyés dans leur candidature par quelques gens de Basrah et de Kûfa, mais la majorité du peuple de Médine, qui prétendait jouir du droit exclusif d'élire un Calife, s'était choisi un troisième homme plus digne de ce poste. C'était un homme admiré aussi bien par ses amis que par ses ennemis, pour son courage, son éloquence, sa magnanimité, sa piété, sa noblesse et sa proche parenté avec le Prophète.

Il s'agissait évidemment de l'imam Ali, le cousin germain du Prophète, et le père de la postérité du Prophète, par sa fille bien-aimée, Fâtimah. Il était considéré comme le prétendant naturel au Califat, et les gens, désireux à présent d'être gouvernés par l'héritier du Prophète, voulaient voir 'Alî élevé à sa légitime dignité. Talhah et Zubayr, alerté par l'atmosphère générale favorable à 'Alî, se tinrent tranquilles, et pensèrent qu'il était plus prudent de dissimuler leurs sentiments au point d'accepter de prêter serment d'allégeance à 'Alî lorsqu'il fut élu, avec la ferme intention d'abjurer dès qu'une occasion favorable se présenterait à eux.


l'inauguration du califat de l'Imam Alî


Le lendemain matin (le quatrième jour après l'assassinat de `othmân), les gens se rassemblèrent en grand nombre dans la grande mosquée où `alî apparût habillé d'une simple robe de coton et coiffé d'un rude turban autour de la tête, et portant dans sa main droite un arc et dans sa main gauche des pantoufles qu'il avait otées par respect pour le lieu. Talhah et Zubayr n'étant pas présents, il demanda qu'on les fasse venir.

 

Lorsqu'ils arrivèrent, ils lui tendirent leurs mains en signe d'approbation de son élection au califat. L'assistance prêta ensuite serment d'allégeance à Alî, et son exemple fut suivi par tout le peuple. Aucun des omeyyades ni des proches partisans de `othmân ne se présenta. L'imam Ali, pour sa part, ne pressa personne de venir lui prêter serment d'allégeance. Il y avait aussi certains notables de médine qui restèrent à l'écart, ne voulant pas rendre hommage à l'Imam Ali as. Les insurgés, ayant rendu allégeance à L'Imam Ali, retournèrent chez eux.


Les cris de vengeance pour l'assassinat de Othmân


Après l'inauguration du Califat de l'Imam Alî, Talhah et Zubayr, accompagnés de plusieurs autres, vinrent voir 'Alî et lui demandèrent que le meurtre de 'Othmân soit absolument vengé, offrant leurs services pour atteindre ce but. 'Alî savait parfaitement que le crime avait été perpétré devant leurs yeux et que leur cri de vengeance n'était destiné qu'à provoquer des troubles en excitant la foule des ennemis.

Il leur expliqua donc que l'événement avait ses fondements dans de vieilles dissensions, qu'il y avait plusieurs parties dont les opinions divergeaient sur ce point, que ce n'était pas encore le moment de susciter une guerre civile, que le mécontentement était à l'instigation du diable qui, une fois maître du terrain, ne les lâcherait pas facilement, et que toutes les mesures qu'ils suggéraient de prendre n'étaient autres que la propre proposition du diable en vue d'encourager l'agitation et les troubles.

 

Il les informa toutefois qu'il avait déjà convoqué Marwân, le secrétaire de 'Othmân, et Nâ'ilah la femme de ce demier (qui étaient tous deux tout le temps dans la même maison avec le Calife assassiné) afin de les interroger sur les vrais coupables qui avaient perpétré le meurtre. Marwân était réticent, alors que Nâ'ilah dit que les meurtriers étaient au nombre de deux, mais elle ne put ni nommer ni identifier aucun d'eux. 'Alî ajouta à l'adresse des partisans de la vengeance que plusieurs personnes étaient suspectées d'être impliquées dans le crime, mais qu'il n'y avait pas de preuves formelles contre elles.

Dans ces conditions, jura-t-il, à moins que toutes les parties s'unissent, si Dieu le voulait, il était difficile de faire des pas concluants. Il demanda aux visiteurs quelle méthode d'action ils proposaient pour atteindre le but. Ils répondirent qu'ils n'en connaissaient aucune. Puis, il dit: «Si vous parvenez à désigner un jour les assassins de 'Othmân, je ne manquerai pas de faire valoir la majesté de la Loi Divine en leur faisant payer ce qu'ils doivent».

Ils restèrent silencieux. Ainsi, leur proposition insidieuse ayant été déjouée, ils repartirent. En même temps, averti par le départ soudain des familles Omayyades, 'Alî commença à s'assurer la bonne volonté des Quraych et des Ançâr en leur montrant sa haute appréciation de leurs mérites, car il voulait avoir autant d'alliés que possible pour faire face aux difficultés qu'il craignait de la part des ennemis de l'islam.


Les Réformes Envisagées par Ali


L'affaire suivante, qui fit l'objet de l'attention particulière du nouveau Calife, était la révocation des impies qui gouvernaient les différentes provinces avec une telle tyrannie que les gens avaient été acculés au désespoir, ce qui avait coûté la vie à 'Othmân. Beaucoup d'abus avaient été commis durant le règne de ce dernier, ce qui commandait une action immédiate, d'autant plus nécessaire que la plupart des gouvernements de provinces se trouvaient toujours entre les mains de personnes au passé douteux et à la foi suspecte.

Déterminé à opérer une réforme radicale, l'Imam Ali décida de déposer Mu'âwiyeh et les autres gouverneurs qui avaient été nommés par son prédécesseur. 'Abdullâh Ibn 'Abbâs, qui venait de rentrer de son Pèlerinage à la Mecque, s'opposa fermement à cette mesure, et notamment à celle de la déposition de Mu'âwiyeh, et conseilla à l'Imam Ali d'ajourner l'exécution de cette réforme pendant un certain temps, au moins jusqu'à ce qu'il se trouvât solidement établi sans son autorité.

Il argua : «Si tu déposes Mu'âwiyeh, les Syriens, solidement attachés à lui pour sa munificence, se révolteront contre toi tous ensemble, ne te reconnaîtront pas comme Calife, et pis, t'accuseront du meurtre de 'Othmân. Il serait donc plus sage de le laisser continuer dans ses fonctions jusqu'à ce qu'il se soumette à ton autorité, et une fois cela fait, il te sera facile de le faire sortir par les oreilles de chez lui quand tu le voudras». «En outre, rappela-t-il à l'Imam Ali, Talhah et Zubayr ne sont pas des hommes sur qui on peut compter, et j'ai de bonnes raisons de les soupçonner de porter les armes contre toi très bientôt et de se joindre peut-être à Mu'âwiyeh».

«Mais, protesta  l'Imam Ali, la Loi Divine n'autorise pas les tromperies astucieuses. Je dois suivre strictement les principes authentiques de la Religion, et c'est pourquoi je ne dois pas permettre à une impie de rester à ce poste. Mu'âwiyeh n'aura rien d'autre que l'épée de ma part. Je ne peux le garder même pas un seul jour». «Bon! continua-t-il. Je te nomme, Ô Ibn 'Abbâs». «Cela est pratiquement impossible», s'écria ce dernier. «Mu'âwiyeh ne me laisserait pas en vie, à cause de ma parenté avec toi».

Ayant choisi ses hommes pour le gouvernement des différentes provinces,  l'Imam Ali  les envoya à leurs destinations respectives au mois de Moharram 36 H. pour remplacer les gouverneurs destitués. Ainsi, il envoya :


l- 'Obaydullâh Ibn 'Abbâs au Yémen;


'Obaydullâh arriva au Yémen et s'aperçut que Ya'lâ, son prédécesseur, avait transféré vers la Mecque tout le trésor, évalué à environ soixante mille dinars, qu'il céda à 'Âyechah avec six cents chameaux dont l'un était une rareté, un animal de grande taille et de bonne race, évalué à deux cents pièces d'or. Il s'appelait al-'Askar et fut spécialement offert pour l'usage personnel de 'Âyechah. 'Obaydullâh prit toutefois ses fonctions de gouverneur du Yémen.


2- Qays Ibn Sa'd Ibn 'Obâdah en Egypte;


Qays Ibn Sa'd, lorsqu'il s'approchait de l'Egypte, fut accueilli par la résistance du parti de 'Othmân, dans la garnison frontalière, mais il réussit à gagner le siège de son gouvernement en feignant devant les opposants d'être attaché à la cause de 'Othmân. Son prédécesseur, 'Abdullâh Ibn Abî Sarh, ayant acquis la certitude de sa proche révocation, avait déjà pris le chemin de la Syrie afin de se réfugier chez Mu'âwiyeh comme l'avaient fait la plupart des Omayyades depuis l'accession de 'Alî au Califat.

3- Quthâm Ibn 'Abbâs à la Mecque;

4- Samâhah Ibn 'Abbâs à Tihâmah;

5- 'Awn Ibn 'Abbâs à Yamânah;

6- 'Othmân Ibn Honayf à Basrah;


'Othmân Ibn Honayf, qui était allé à Basrah, y entra sans opposition, mais Ibn 'Âmir, son prédécesseur, était déjà parti avec tout le trésor pour rejoindre Talhah et Zubayr. 'Othmân occupa son poste, mais il constata que la désaffection pour 'Alî sévissait chez un grand nombre de gens.


7- Ammara Ibn Chahab à Kûfa;

'Ammârah, rencontra sur sa route vers Kûfa, à un relais appelé Zabala, Tulayhah et Qa'qa' qui lui conseillèrent de retourner à Médine étant donné, lui affirmèrent-ils, que les Kûftes étaient résolus à ne pas se séparer d'Abû Mûsâ al-Ach'arî qui avait été nommé selon leur propre choix par le dernier Calife. Ils l'avertirent que s'il tentait d'entrer à Kûfa, il aurait à faire face à une forte hostilité. 'Ammârah rebroussa chemin vers Médine et fît un rapport sur ce qui s'était passé au Calife.

8- Sa'îd Ibn 'Abbâs à Bahrein;

9- Sahl Ibn Honayf en Syrie.


Lorsque Sahl, le nouveau gouverneur de Syrie, arriva à Tabûk, il rencontra un groupe de cavaliers qui lui dirent que le peuple syrien réclamait vengeance pour 'Othmân et qu'il n'était pas prêt à accueillir un homme nommé par 'Alî qû il n'avait pas reconnu comme Calife. N'étant pas préparé à assurer son avance, Sahl retourna à Médine et relata les faits à 'Alî.


Le Plan des Omayyades en Vue de Soulever les Gens contre l'Imam Ali


Entre-temps, les Omayyades, ne négligeant rien qui puisse servir à perturber l'Imam Ali  et son gouvernement, apportèrent, sur les instances d'Om Habîbah, une veuve du Prophète et la soeur de Mu'âwiyeh, la chemise tachée de sang que 'Othmân portait lors de son assassinat, ainsi que les doigts estropiés de Nâ'ilah, sa femme, à Mu'âwiyeh en Syrie où il les utilisa comme un instrument pour susciter l'esprit de vengeance chez les gens.

 

Amr Ibn al-'Âç, le conseiller de Mu'âwiyeh, dit à ce dernier: «Montre à l'ânesse son ânon, elle remuera ses entrailles», et Mu'âwiyeh, s'exécuta en suspendant ladite chemise, sur laquelle on avait attaché les doigts estropiés de Nâ'ilah, sur la chaire de la Mosquée de Damas. Parfois ces reliques étaient transportées au campement de l'armée. Ces objets, exposés quotidiennement aux regards, exaspéraient les Syriens qui pleuraient tellement que leurs joues et leurs barbes étaient mouillées par leurs larmes et qu'ils jurèrent de tirer vengeance des assassins de 'Othmân.
 

Le Défi de Mu'âwiyeh à l'Autorité de l'Imam Ali


L'Imam Ali  se résolut tout d'abord à écrire une lettre à Mu'âwiyeh et à Abû Mûsâ pour leur demander de présenter leur allégeance. Abû Mûsâ lui répondit que lui et les Kûifites, à quelques exceptions près, étaient entièrement à sa disposition, mais de la part de Mu'âwiyeh aucune réponse n'était parvenue bien que plusieurs semaines se fussent écoulées. En fait, Mu'âwiyeh avait retenu le messager de l'Imam Ali pour être témoin de l'état d'esprit de ses armées qui réclamaient à grands cris et impatiemment "vengeons le sang dé 'Othmân" et qui, étant soumises au gouverneur de Syrie, n'attendaient qu'un mot de lui pour marcher contre tous ceux qu'elles croyaient être responsables de l'assassinat du précédent Calife.

Après plusieurs semaines, Mu'âwiyeh autorisa le messager à retourner à Médine, en compagnie de son propre messager, porteur d'une lettre, sur l'enveloppe de laquelle il y avait la mention "De Mu'âwiyeh", dès son arrivée à Médine, le messager de ce dernier accrocha la lettre en haut d'un bâton de sorte que tout le monde puisse la lire dans les rues. Etant ainsi prévenus de la désaffection de Mu'âwiyeh pour 'Alî, les gens s'assemblèrent en foule, soucieux de connaître le contenu du message.

 

C'était juste trois mois après l'assassinat de 'Othmân que le message fut présenté à 'Alî, lequel en lut l'adresse et, enlevant le cachet, il découvrit que l'intérieur était tout blanc, ce qu'il considéra à juste titre comme un signe d'extrême confiance. Etonné par l'effronterie dédaigneuse de Mu'âwiyeh, il demanda au messager d'en expliquer l'énigme. Le messager, ayant obtenu l'assurance qu'il aurait la vie sauve, répondit: "Sache donc que j'ai laissé derrière moi en Syrie soixante mille guerriers pleurant le meurtre de 'Othmân sous sa chemise tachée de sang, exposée à côté de la chaire de la grande Mosquée de Damas, tenant tous à se venger de toi pour l'assassinat du Calife».

«De moi ! s'étonna 'Alî. Je fais de Dieu le témoin de mon innocence dans cette affaire. Ô mon Dieu! J'implore Ta protection contre cette fausse accusation». Puis, 'Alî déclara que seule l'épée pourrait arbitrer entre Mu'âwiyeh et lui-même, et se tournant vers Ziyâd Ibn Handhalah, qui était assis à côté de lui, il ordonna qu'une expédition contre la Syrie soit proclamée, ordre que Ziyâd communiqua rapidement aux gens.
 

Le Départ de Talhah et de Zubayr


Talhah et Zubayr, dont le désir de quitter Médine avait été deux fois contrecarré, et qui voyaient à présent comment les événements tournaient, devinrent soucieux d'avoir leur liberté d'action et de mouvement, liberté dont ils ne pouvaient jouir tant qu'ils restaient à Médine. Encore une fois ils vinrent voir l'imam Alî et lui demandèrent de les laisser partir pour la Mecque sous prétexte d'accomplir le Pèlerinage Mineur.

 

L'imam Alî, qui avait compris leur véritable motivation, leur rappela leur déclaration faite librement lors de leur prestation de serment d'allégeance le jour de l'inauguration de son Califat, et les laissa partir en leur disant qu'il s'attendait à des choses étranges de leur part, et que pour cette raison il insistait pour qu'ils mettent sous serment leur sincérité.

L'Imam Ali commença la préparation de l'expédition vers la Syrie, en faisant appel à l'assistance de toutes les provinces tout en recrutant à Médine même. Mais avant d'engager le combat contre Mu'âwiyeh, il eut à faire face à une autre rébellion sérieuse, décrite en détail ci-après.


Le Plan de Rébellion d'Aicha, le début de la bataille du chameau


Aicha rencontra, sur son chemin de retour de la Mecque, Ibn Om Kalab, à Sarif. Celui-ci l'informa du meurtre de 'Othmân et de l'accession de l'Imam Alî au Califat. En apprenant ces nouvelles, elle se mit à crier : «Ramenez-moi à la Mecque, et de répéter, Par Dieu! 'Othmân était innocent, je vengerai son sang!». Elle fut ramenée sur-le-champ à la Mecque avec sa complice Hafçah, et elle commença à y propager la sédition.

N'oublions pas que pendant le début de la période troublée de 'Othmân, Aicha contribua elle-même à l'exaspération du mécontentement du peuple à son égard. Il est dit qu'elle était la complice des conspirateurs. Quand elle apprit la nouvelle de son assassinat, sur son chemin du retour de la Mecque, elle déclara qu'elle vengerait la mort de 'Othmân. "Quoi! s'écria son informateur, étonné par son zèle.

 

Maintenant tu dis cela, alors que pas plus tard qu'hier tu incitais à le supprimer en tant qu'apostat?" "Oui! lui répondit-elle. Car, bien qu'il se soit repenti de ce dont les rebelles l'accusaient, ils l'ont tué". En réponse, son informateur récita des vers tendant à dire: "Tu étais la première à fomenter le mécontentement. Tu nous commandais de tuer le prince pour son apostasie, et maintenant"

En tout état de cause, on doit admettre que Aicha était une femme jalouse, violente et intrigante, caractère qui explique pour beaucoup ce qui paraîtrait bizarre autrement. En réalité, Aicha espérait que soit Talhah soit Zubayr succéderait à Othmân, mais à présent ayant appris, contrairement à son espérance, l'élection de l'Imam Alî qu'elle détestait, elle était extrêmement perturbée dans son esprit et se résolut à adopter une attitude d'hostilité ouverte. Se déclarant vengeresse du sang de 'Othmân, elle persuada le grand et puissant clan des Omayyades, auquel appartenait 'Othmân, de se joindre à sa cause.

Les Omayyades qui résidaient encore à la Mecque et ceux qui s'étaient enfuis de Médine lors de l'accession de l'Imam Alî au Califat se rassemblèrent avec empressement sous son drapeau. Les gouverneurs déposés de plusieurs provinces, entraînant avec eux facilement un grand nombre de mécontents, firent, eux aussi, les uns après les autres, cause commune avec elle. Ya'lâ, l'ex-gouverneur du Yémen lui fournit un moyen précieux de mener puissamment une guerre, en mettant à sa disposition le trésor qu'il avait emporté avec lui du Yémen.
 

Talhah et Zubayr Rejoignent Aicha dans sa Rébellion


C'était environ quatre mois après le meurtre de Othmân que Talhah et Zubayr arrivèrent à la Mecque et trouvèrent que les choses avaient bien progressé. Ils avaient des liens de parenté avec Aicha dont la soeur cadette était une épouse de Talhah (qui était également un cousin de son père Abû Bakr) et la soeur aînée une épouse de Zubayr dont le fils, Abdullâh, était proche de sa tante Aicha.

 

Malgré leur serment d'allégeance à l'Imam 'Alî - serment dont ils disaient maintenant qu'il avait été pris sous la contrainte et qu'il était donc nul d'après eux ils exprimèrent leur désir d'épouser la cause de Aicha, cause qui, en cas de succès, servirait sûrement leurs intérêts. Par conséquent, ils la rejoignirent et commencèrent à travailler contre l'Imam Alî, déclarant aux factions de la Mecque que les affaires de l'Imam Alî se trouvaient dans des conditions bien troubles.

Aicha, Talhah et Zubayr, qui avaient été toujours des ennemis de 'Othmân et qui s'étaient affirmés, en fait, comme les organisateurs de sa mort et de sa destruction, lorsqu'ils virent l'Imam Alî, qu'ils détestaient autant sinon plus que 'Othmân, investi de la fonction de Calife, se servirent des amis réels et sincères de 'Othmân comme d'un instrument de leurs complots contre le nouveau Calife. Ainsi c'est pour des motifs et intérets très divers qu'ils se rassemblèrent tous sous le slogan de la vengeance du sang de Othmân.

L'étendard de la rébellion fut hissé et le discours de ces personnages distingués était écouté avec un vif intérêt par les revanchards et factieux Arabes dont les pères et frères avaient été tués par l'Imam Alî lorsqu'il défendait le Prophète et sa cause dans les différentes batailles qui avaient opposé l'Islam naissant aux Quraych païens à l'époque du Prophète. Beaucoup d'Arabes mécontents s'assemblèrent sous l'étendard de la révolte. Le trésor détourné par Ibn 'Âmir, le gouverneur déposé de Basrah, fut utilisé par Talhah et Zubayr pour équiper leurs forces armées.
 

Aicha incite Om Salma


Aicha demanda à Om Salma - une autre "Mère des Croyants" - qui se trouvait à la Mecque pour le Pèlerinage, de l'accompagner dans son aventure, mais elle repoussa avec indignation cette demande, et demanda à 'Âyechah comment elle pouvait justifier sa violation des Commandements du Prophète en s'opposant à l'imam Alî qui était lui aussi Calife dûment et unanimement élu par le peuple de Médine et reconnu par les peuples de plusieurs provinces.

Et récitant cette parole du Prophète: «'Alî est mon lieutenant aussi bien de mon vivant qu'après ma mort. Quiconque lui désobéit, me désobéit du même coup», elle demanda à Aicha si elle avait oui ou non entendu le Prophète prononcer cette parole. Elle répondit par l'affirmative.

Puis Om Salma lui rappela la Prédiction du Prophète, qu'il avait exprimée à l'adresse de ses femmes: «Peu après ma mort, les chiens de Hawab aboieront contre l'une de mes épouses qui sera parmi la bande rebelle. Oh! j'ai su qui elle était! Gare à toi, Ô Homayra! Je crains que ce ne soit toi».

En entendant ces démonstrations de la vérité, 'Âyechah fut alarmée. Continuant son avertissement, Om Salma dit: «Ne te laisse pas égarer par Talhah et Zubayr. Ils vont t'empêtrer dans l'erreur, mais ils ne seront pas capables de te sortir du courroux ni de la disgrâce qui te frapperont».

Aicha retourna à son logis presque encline à renoncer à son plan, mais les adjurations de son fils adoptif et neveu Abdullâh fils de Zubayr, persuadèrent sa nature vindicative de se venger de l'homme qui avait été le successeur du Prophète en la suspectant de la fausse accusation dont elle avait fait l'objet
 

La Marche de 'Aicha sur Basrah


A la fin, 'Âicha monta dans une litière sur le chameau al-'Askar, et quitta la Mecque à la tête de mille volontaires dont six cents montaient des chameaux quatre cents des chevaux. Elle était accompagnée de Talhah à sa droite et Zubayr à sa gauche. Sur son chemin, beaucoup de gens se joignirent à elle, gonflant le nombre de ses combattants à trois mille hommes.

Moghîrah Ibn Cho'bah, l'ex-Gouvemeur de Basrah et de Kûfa, qui avait présidé à ces deux gouvernements à l'époque du Calife 'Omar, et Sa'îd, l'un des vétérans de la Mecque, et un Mohâjir de la première Emigration, qui accompagnaient eux aussi la chevauchée, ayant des soupçons sur les vraies motivations de Talhah et Zubayr, demandèrent à ceux-ci qui serait Calife en cas de victoire.

«Celui d'entre nous deux qui sera choisi par le peuple» fut leur réponse tout faite. «Et pourquoi pas un fils de 'Othmân?» demanda Sa'îd. «Parce que les plus âgés étant des chefs distingués et des Muhâjidn, ne doivent pas être commandés», répondirent-ils. «Mais je crois, dit Sa'îd, que si l'objet de votre campagne est de venger la mort de 'Othmân son successeur de droit doit être son propre fils.

 

Or deux de ses fils, Obân et Walîd, sont déjà dans votre camp. Votre nomination signifierait que, sous le prétexte de vouloir venger le Calife assassiné, vous avez combattu dans votre propre intérêt». «En tout cas, répliquèrent-ils, il appartiendra aux hommes de Médine de choisir quiconque ils voudront».

Moghîrah et Sa'îd, se méfiant des dirigeants de la rébellion, décidèrent de se retirer, et en conséquence ils tournèrent leurs talons vers la Mecque avec leurs partisans qui formaient une partie de l'armée rebelle. Se tournant vers les troupes, alors qu'ils passaient près d'elles, ils s'écrièrent: «Tuez les assassins de 'Othmân, détruisez-les tous sans exception». Moghîrah cria à l'adresse de Marwân et d'autres: «Où allez-vous traquer les meurtriers? Ils sont devant vos yeux sur les bosses de leurs chameaux (en pointant son doigt vers Talhah, Zubayr et 'Âyechah). Tuez-les et retournez chez vous. Ils sont l'objet même de votre vengeance. Ils ont trempé autant que tout autre dans cette sale affaire».

L'armée continua toutefois sa marche, tout en reprenant à son compte, et à cor et à cri ce qu'elle venait d'entendre. On argua à son intention que la question de la succession était prématurée, et 'Âyechah déclara que le choix d'un successeur était le droit exclusif des Médinois et qu'il devait rester le leur comme auparavant. Et pour éviter toute inquiétude supplémentaire, elle ordonna à 'Abdullâh, le fils de Zubayr, de conduire les prières quotidiennes.
 

Aicha dans la Vallée de Hawab


Sur leur route vers Basrah, les rebelles apprirent que 'Alî, le Calife, était sorti de Médine pour les poursuivre. Pour arriver à Basrah sans interruption et sans obstacle 'Âyechah ordonna qu'on changeât de route. Quittant la route principale, ses armées s'engagèrent sur des sentiers en direction de Basrah. Pour dissiper l'ennui des longues nuits de l'automne, le guide passait son temps à chanter et occasionnellement à crier le nom de chaque vallée, désert ou village par lesquels on passait. Arrivé une nuit à un lieu déterminé, il cria: «La vallée de Hawab ».

Frappée de stupeur par ce nom, un frisson traversa tout le corps de 'Âyechah lorsque sur-le-champ les chiens du village entourèrent son chameau et se mirent à aboyer vers elle plus bruyamment. «Quel est cet endroit?» hurla-t-elle. Le guide répéta sur le même ton habituel: «La Vallée de Hawab». La prédiction du Prophète, récemment remise à sa mémoire par Om Salma, comme on vient de le noter un peu plus haut, s'empara maintenant de son esprit, et elle s'exclama en tremblant: «Innâ Lillâhi wa Innâ Ilayhî râje'ûn» (Nous appartenons à Dieu et nous devons retoumer à Lui).

Faisant agenouiller son chameau, elle descendit de sa litière et gémit en lâchant un profond soupir: «Hélas! Hélas! Je suis en fait la misérable femme de Hawab. Le Prophète m'en avait déjà prévenue». Elle déclara qu'elle ne ferait pas un pas de plus avec cette expédition de malheur.

Talhah et Zubayr la pressèrent en vain de poursuivre son voyage, en lui racontant que le guide s'était trompé de nom et que cet endroit ne s'appelait pas Hawab. Ils subornèrent même cinquante témoins pour qu'ils le jurent, mais elle ne les crut pas et refusa d'avancer.

On dit que ce fut le premier faux témoignage public survenu depuis l'avènement de l'Islam. Ainsi cette nuit-là, et toute la journée suivante, les rebelles restèrent à Hawab. Talhah et Zubayr étaient déconcertés et ne savaient pas quoi faire.

Finalement, recourant à un stratagème intelligent, ils purent mettre l'armée sur pied en criant soudainement: «Vite! Vite! 'Alî s'approche rapidement pour nous surprendre». Ce disant, ils commencèrent à détaler. 'Âyechah, frappée de terreur, tourna tout de suite les talons, trouva son chameau et entra promptement dans sa litière. La marche fut ainsi reprise.


La révolte de Aicha


Dans sa hâte d'arriver à Basrah l'armée rebelle avança rapidement et, arrivant près de la ville, elle campa à Khoraybah. 'Âyechah fit venir un notable de Basrah, Ahnaf Ibn Qays, et lui demanda de rejoindre son étendard. Après quelques discussions sur le sujet, il refusa de prendre les armes contre le Calife. Mais décidé toutefois à rester neutre il quitta Basrah avec six mille partisans et campa à Wâdi-1-Saba, dans les faubourgs de Basrah.

'Âyechah envoya un message à 'Othmân Ibn Honayf, le gouvemeur de Basrah, l'invitant à venir la voir. Ibn Honayf enfila immédiatement son armure et, suivi d'un grand nombre de citoyens, se dirigea vers le campement de 'Âyechah. Mais à sa grande surprise, il trouva l'armée des insurgés déployés sur le terrain de manuvre, suivie par un grand nombre de ses concitoyens factieux qui avaient en même temps rejoint 'Âyechah pour se ranger de son côté. Des pourparlers s'engagèrent:

«Talhah et Zubayr s'adressaient alternativement aux foules, et ils furent suivis par 'Âyechah qui haranguait les gens du haut de son chameau. Sa voix, qu'elle avait élevé pour se faire entendre par tout le monde, devint stridente et aiguë, au lieu d'être intelligible, ce qui suscita l'hilarité de la foule. Une querelle éclata à propos de la justice de son appel, les différentes parties se mirent à échanger des injures, à se traiter de menteuses et à se lancer l'une contre l'autre de la poussière au visage. L'un des hommes de Basrah se tourna alors vers 'Âyechah et lui lança: "Honte à toi, Ô Mère des Croyants!" Et d'ajouter: "L'assassinat du Calife était un crime cruel, mais moins abominable que ton oubli de ta condition et de ton sexe.

 

Pourquoi as-tu abandonné le calme de ta maison et ton voile protecteur pour monter comme un homme imberbe sur ce maudit chameau et fomenter querelles et dissensions parmi les fidèles?" Un autre homme de la foule s'écria, moqueur, aux visage de Talhah et Zubayr: "Vous avez amené votre mère avec vous. Pourquoi n'avez-vous pas amené vos femmes aussi?". Des insultes fusèrent de partout, des épées furent tirées, et des escarmouches éclatèrent, et les antagonistes se battirent jusqu'à ce que l'heure de la prière les eût séparés». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 172).

Les entrées de la cité étaient désormais hermétiquement fermées aux insurgés. Quelques jours passèrent, pendant lesquels des escarmouches eurent lieu, causant des pertes sérieuses aux partisans du gouverneur et permettant aux insurgés de s'implanter un peu dans la ville. Finalement une trêve fut conclue, aux termes de laquelle un messager serait envoyé à Médine pour vérifier si Talhah et Zubayr avaient prêté serment d'allégeance à 'Alî, le jour de l'inauguration de son Califat, volontairement ou sous la contrainte.

Dans le premier cas, ils devraient être traités en rebelles, et dans le second, leurs partisans à Basrah auraient raison de soutenir leur cause. Les insurgés, qui désiraient avoir une sérieuse occasion de vaincre le gouverneur et de prendre possession de la ville, acceptèrent cet arrangement pour gagner du temps. Un messager fut ainsi envoyé à Médine. Lorsqu'il délivra sa commission, tout le monde garda le silence. A la fin, Osâmah se leva et dit qu'ils avaient été contraints. Mais cette affirmation lui aurait coûté la vie sans l'intervention de son ami Sohayl, un homme d'influence et d'autorité, qui le prit sous sa protection et l'amena chez lui.

Dans l'intervalle, les dirigeants des insurgés s'efforcèrent d'attirer Ibn Honayf, le Gouverneur de Basrah, dans leur campement en lui envoyant des messages amicaux, mais il soupçonna une tricherie derrière ces messages et s'enferma chez lui en se faisant suppléer par 'Ammâr dans son poste. Talhah et Zubayr, prenant avec eux une élite de leurs partisans, une nuit de tempête, se mêlèrent à l'assemblée des priants dans la mosquée, surprirent le gouverneur, et après avoir tué quarante hommes de sa garde, ils le firent prisonnier. Le jour suivant, Hâkim Ibn Jabalah essaya de libérer le prisonnier, mais il perdit la vie et celle de soixante-dix partisans dans cette tentative.

Une bataille sérieuse fit rage dans la ville, aboutissant à une déconfiture totale et à des pertes considérables parmi les partisans de 'Alî. 'Âyechah entra en grand apparat dans la ville, et le gouvernement de Basrah, ainsi que le Trésor, passèrent aux mains des insurgés. Peu après la capture de 'Othmân Ibn Honayf, on demanda à 'Âyechah comment elle voulait qu'on disposât de lui. Elle le condamna à mort, mais sur les instances d'une femme de sa suite elle consentit à épargner sa vie. Il fut toutefois condamné à subir des maux encore pires jusqu'à ce qu'il pût échapper à ses ravisseurs. Les poils de sa barbe, ses moustaches et ses sourcils furent arrachés un à un, et il fut honteusement exposé au pilori.


L'imam Ali as Apprend la Nouvelle de la Révolte de 'Âyechah


Le lecteur se demandera sans doute avec anxiété ce que faisait 'Alî, le Calife, pendant tout ce temps-là. Nous allons donc laisser de côté les insurgés, maintenant maîtres de Basrah, pour suivre les traces de 'Alî.

Les nouvelles des troubles survenus à la Mecque étaient parvenues à Médine. Mais 'Alî avait dit que tant qu'une action de grande envergure des insurgés n'aurait pas menacé l'unité de l'Islam, il ne prendrait pas de mesures énergiques contre eux.

Après quelques temps, Om Salma, qui avait repoussé fermement les propositions de 'Âyechah à la Mecque, comme on l'a vu plus haut, s'étant rendue à Médine rapidement après le départ des insurgés pour Basrah, avait informé 'Alî de la révolte de 'Âyechah, Talhah et Zubayr.(115) Un autre message, en provenance d'Om al-Fadhl la veuve d'al-'Abbâs, qui se trouvait à la Mecque, était parvenu également à 'Alî, faisant état des mouvements des rebelles contre le Calife et de leur marche sur Basrah.

En apprenant cette nouvelle, 'Alî avait fait rassembler les gens dans la grande Mosquée et les avait appelés aux armes pour poursuivre les rebelles. Le discours éloquent et les appels chaleureux du Calife avaient été accueillis avec froideur et apathie par l'assemblée.(116)

Personne ne paraissait prêt à répondre à l'appel, notamment parce que certains dans l'auditoire avaient pris en considération le fait que la personne contre laquelle on les pressait de prendre les armes n'était autre que la Mère des Croyants, 'Âyechah, et redoutaient une guerre civile; d'autres encore se demandaient si 'Alî n'avait pas été impliqué indirectement dans la mort de 'Othmân.

Pendant trois jours consécutifs, 'Alî fit de son mieux pour que les gens bougent et réagissent. Finalement, le troisième jour, Ziyâd Ibn Handhalah se leva et s'avança vers 'Alî en disant: «Laisse-les rester à l'arrière, moi, j'avancerai». Suivant son exemple, deux Ançâr, Abul-Hathim et Khazima Ibn Thâbit s'avancèrent en prononçant ces propos: «Le Prince des Croyants est innocent du meurtre de 'Othmân, nous devons le rejoindre».

 

Sur-le-champ Abû Qatâda, un autre Ançârî, un homme distingué, se leva et, tirant son épée, s'exclama: «Le Messager de Dieu, que la paix soit sur lui, m'avait ceint avec cette épée. Je l'ai gardée rengainée depuis longtemps, mais à présent il est grand temps de la dégainer contre ces méchants hommes qui trompent toujours le peuple». ("History of the Saracens" de Simon Ockley, p. 300).

Même Om Salma dit avec zèle : «Ô Commandeur des Croyants! Si la loi le permettait, je t'aurais accompagné dans ton expédition, mais je sais que tu ne me le permets pas. Aussi je t'offre les services de mon fils 'Omar B. Abî Salma, qui m'est plus cher que ma propre vie. Laisse-le partir avec toi pour partager vos chances». 'Alî accepta l'offre et 'Omar Ibn Abî Salma l'accompagna dans l'expédition. C'était un homme de valeur, de piété et de beaucoup d'autres qualités, et il sera nommé plus tard, gouverneur de Bahrein.


La Marche de L'imam Alî contre Aicha


Finalement, une armée de neuf cents hommes put être levée difficilement. L'attitude froide des Médinois dans cette conjoncture critique découragea tellement 'Alî qu'il décida de ne pas revenir parmi eux et de choisir un autre endroit pour le siège de son gouvernement. Il sortit cependant à la tête de cette petite force de neuf cents hommes dans l'intention de surprendre les rebelles sur leur chemin vers Basrah.

Arrivé à Rabdhah (aux abords de Najd), il constata que les insurgés étaient déjà partis et qu'ils se trouvaient bien loin devant. Bien que rejoint dans sa marche par les Banî Tay et quelques autres tribus loyales, il n'était pas suffisamment équipé pour avancer davantage. Aussi ordonna-t-il qu'on fasse halte à Thî-Q'ar (Thî-Qâr), en attendant l'arrivée de renforts de Kûfa, ville à laquelle il avait envoyé Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn Ja'far pour demander à son gouvemeur Abû Mûsâ al-Ach'arî d'inciter les gens à rejoindre leur Calife afin d'aller avec lui auprès des rebelles et d'essayer de réunir les gens divisés.

Abû Mûsâ al-Ach'arî n'était pas bien disposé envers le Calife, qui avait auparavant envoyé 'Ammâr Ibn Chahab pour le remplacer, comme nous l'avons déjà vu. En outre, c'était un homme qui manquait d'enthousiasme dans l'accomplissement de ses tâches. 'Âyechah lui avait déjà écrit des lettres pour dissuader ses concitoyens de prêter serment d'allégeance à 'Alî et pour les persuader de se lever pour venger le meurtre de 'Othmân. Prenant acte du succès de 'Âyechah à Basrah, il avait déjà commencé à nuancer son allégeance à 'Alî et à défendre la cause de 'Âyechah devant les gens.

Lorsque les messagers du Calife arrivèrent à Kûfa et qu'ils délivrèrent leur message, un silence complet régna sur l'assemblée dans la mosquée. Finalement les gens demandèrent à Abû Mûsâ ce qu'il leur conseillait à propos de la demande du Calife de le rejoindre. Il répondit gravement que sortir ou rester à la maison étaient deux choses différentes. Le premier était un acte pour le monde d'ici-bas, le second pour celui de la vie future. A eux donc de choisir.

Choqués par ces propos tendancieux, les envoyés du Calife lui en firent le reproche. Ce à quoi il répondit que le serment d'allégeance envers 'Othmân l'engageait encore - tout comme il engageait encore leur maître (c'est-à-dire 'Alî) - ainsi que son peuple, lequel était déterminé à liquider les assassins du défunt Calife où qu'ils se trouvent, et que, aussi longtemps que les meurtriers resteraient tranquilles, il ne participerait à aucune expédition.(119) Il demanda à Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn Ja'far de retourner chez 'Alî pour lui répéter ce qu'il venait de leur dire.

Dans l'intervalle, 'Othmân Ibn Honayf, l'ex-Gouverneur de Basrah, se rendit à Thî-Qa'r. Il était dans un drôle d'état. Le Calife le reconnut et lui dit en souriant qu'il l'avait laissé un vieil homme et qu'il revenait auprès de lui tel un jeune imberbe. En fait, 'Othmân avait eu une barbe remarquablement belle, dont la perte, doublée de la perte de ses cheveux et sourcils lui donnait une apparence étrange.

 

Il raconta à 'Alî ses mésaventures avec les dirigeants des insurgés, et le Calife sympathisa avec lui pour les souffrances qu'il avait subies, et le réconforta en l'assurant que ses peines seraient comptées comme mérites. Puis il dit que les hommes qui avaient été les premiers à le reconnaître comme Calife, étaient aussi les premiers à abjurer leur serment d'allégeance et les premiers à se rebeller contre lui. Il s'étonna de leur soumission volontaire à Abû Bakr, 'Omar et 'Othmân, et de leur opposition à lui-même.

Aussitôt que Mohammad Ibn Abî Bakr et 'Abdullâh Ibn Ja'far retournèrent à Médine et rapportèrent ce qu'Abû Mûsâ avait dit, le Calife dépêcha Ibn 'Abbâs et Mâlik al-Achtar à Kûfa où ils délivrèrent le message du Calife demandant l'assistance des Kûfites. Mais au lieu d'encourager ces derniers à répondre à l'appel du Calife, Abû Mûsâ leur dit:

«Frères! Les Compagnons du Prophète sont plus savants que les Non-Compagnons à propos de Dieu et de Son Prophète. Le désaccord est parmi les Compagnons qui savent mieux à qui il faut faire confiance. Vous ne devez donc pas vous mêler de leurs affaires, car le Prophète a dit une fois: "Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux (pour le Musulman) être couché que réveillé, réveillé qu'assis, assis que debout, debout qu'en marche, en marche que sur une monture". Rengainez donc vos épées, cassez vos arcs et déposez vos lances.

 

Gardez tranquillement vos maisons et accueillez-y avec hospitalité les blessés jusqu'à ce que les troubles cessent. Laissez les Compagnons du Prophète se mettre tous d'accord entre eux. Vous n'avez besoin de faire la guerre contre aucun d'entre eux. Que ceux qui sont venus vous voir de Médine, retournent d'où ils sont venus».

Lorsque Ibn 'Abbâs et Mâlik al-Achtar retournèrent à Médine et rapportèrent au Calife ce qu'avait fait Abû Mûsâ al-Ach'arî, il envoya son fils, al-Hassan, accompagné de 'Ammâr Ibn Yâcir qui avait été pendant un temps Gouverneur de Kûfa durant le règne du Calife 'Omar, et qui avait été très maltraité par la suite par le Calife 'Othmân pour ses remarques franches.

 

Mâlik al-Achtar (un homme d'initiative et de détermination, qui exerçait une grande influence sur les Kûfites) et qui avait été irrité par les équivoques d'Abû Mûsâ lors de sa précédentes mission, suivit al-Hassan dans son voyage, en compagnie de Qardhah Ibn Ka'b al-Ançârî qui venait d'être nommé Gouverneur de Kûfa en remplacement d'Abû Mûsâ al-Ach'arî.

Abû Mûsâ les reçut tout à fait respectueusement, mais lorsqu'on demanda aux Kûfites, rassemblés dans la mosquée, leur participation à l'expédition contre les insurgés, conformément au message du Calife, il s'y opposa aussi vigoureusement qu'il l'avait fait auparavant, invoquant le même hadith, cité dans le précédent paragraphe, à savoir: «Il y aura des troubles pendant lesquels il vaudra mieux être couché que réveillé, etc.».

'Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable Compagnon favori du Prophète, âgé alors d'environ quatre-vingt dix ans, un soldat austère et vétéran, et à présent général de Cavalerie dans l'armée de 'Alî, ayant entendu le discours malicieux d'Abû Mûsâ, lui répliqua vivement qu'il avait fait un mauvais usage de la parole du Prophète, laquelle visait à réprimander des hommes de l'espèce d'Abû Mûsâ lui-même, qu'il valait mieux qu'ils restent couchés que réveillés, assis que debout, etc... Cependant, Abû Mûsâ persistait à décourager les gens de répondre aux propositions des envoyés de 'Alî. Un tumulte s'éleva lorsque Zayd Ibn Sihân intervint pour lire une lettre de 'Âyechah lui commandant soit de rester neutre soit de la rejoindre.

Après avoir fait la lecture de cette lettre, il en sortit une autre adressée au grand public de Kûfa, leur demandant de faire de même. Après la lecture de ces deux lettres, il fit remarquer: «Le Coran et le Prophète commandent qu'elle ('Âyechah) reste tranquille chez elle, et que nous combattions jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de sédition. Elle nous ordonne donc de jouer son rôle alors qu'elle a pris le nôtre pour elle». D'aucuns parmi l'assistance reprochèrent à Zayd sa remarque contre la Mère des Croyants.

Abû Mûsâ reprit son discours pour poursuivre son opposition au Calife, ce qui conduisit certains parmi les auditeurs à lui reprocher son infidélité et sa déloyauté et à l'obliger à quitter la chaire qui fut ensuite occupée par al-Hssan Ibn 'Alî. Abû Mûsâ dut quitter non seulement la chaire, mais aussi le mosquée tout de suite, quelques soldats de la garnison stationnée au palais du Gouverneur étant venus se plaindre d'avoir été battus sévèrement avec des bâtons.

Il est à noter que le débat se déroulait à la mosquée, Mâlik al-Achtar avait pris avec lui un groupe de ses partisans et s'était emparé par surprise du palais du Gouverneur, et les hommes de la garnison avaient été bruyamment battus et envoyés à la mosquée pour interrompre le débat. Cette prompte action eut l'effet escompté.

 

En outre elle rendit l'impassibilité froide de la conduite d'Abû Mûsâ tellement ridicule et méprisable que les sentiments du peuple se retournèrent immédiatement contre lui. Lorsqu'il sortit de la mosquée, il se rendit hâtivement à son palais où Mâlik lui ordonna de vider les lieux immédiatement. La foule assemblée à l'entrée était prête à piller ses biens, mais Mâlik intervint et impartit à Abû Mûsâ un délai de vingt-quatre heures pour qu'il emportât ses effets.


Al-Hassan Ibn 'Alî Réussit une Levée de Neuf Mille Kûfites


Du haut de sa chaire, al-Hassan adressa avec éloquence à l'assemblée un discours dans lequel: «il confirma l'innocence de son père en ce qui concerne l'assassinat de 'Othmân. Il dit que son père, soit avait tort, soit subissait une injustice. S'il avait tort, Dieu 1'en punirait et s'il subissait une injustice, IL lui viendrait en aide. L'affaire était donc entre les Mains du Très-Haut. Talhah et Zubayr qui avaient été les premiers à inaugurer son Califat, avaient été aussi les premiers à se retourner contre lui. Qu'avait-il donc fait, en tant que Calife, pour mériter cette opposition? Quelle injustice avait-il commise? Quelle avidité ou quel égoïsme avait-il manifestés». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 177).

L'éloquence d'al-Hassan eut un pouvoir réel sur l'assistance. Les chefs des tribus se dirent les uns aux autres qu'ils avaient tendu leurs mains en guise d'allégeance à 'Alî, et que ce dernier leur avait fait honneur en leur demandant d'être les arbitres dans une si importante affaire. Ils regrettèrent de n'avoir pas tenu compte des précédents messagers du Calife, ce qui avait conduit ce dernier à députer son fils pour demander leur assistance. Ils conclurent finalement qu'ils devaient obéir à leur Calife et répondre à une demande si raisonnable.

Al-Hassan leur dit qu'il allait retourner auprès de son père et que ceux qui se croyaient prêts à l'accompagner devaient le faire, alors que les autres pouvaient le suivre par voie de terre ou par bateaux. Ainsi neuf mille Kûfites rejoignirent 'Alî par terre et par bateaux. En leur souhaitant la bienvenue, 'Alî leur dit: «Je vous ai fait venir ici pour être témoins entre nous et nos frères de Basrah. S'ils acceptent de se soumettre pacifiquement, c'est tout ce que nous désirons, mais s'ils persistent dans leur révolte, nous les amènerons à la réconciliation gentiment, à moins qu'ils ne se mettent à nous offenser. Pour notre part, nous ne négligerons rien qui puisse, d'une façon ou d'une autre, contribuer à un arrangement que nous devons préférer à la désolation de la guerre». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 305).

L'armée du Calife, ayant reçu des renforts de diverses régions, devint forte d'environ vingt mille hommes qui s'avancèrent vers Basrah. Pendant qu'il était stationné avec son année à Thî-Qâr, 'Alî avait écrit des lettres à 'Âyechah, Talhah et Zubayr pour les mettre en garde contre les démarches déraisonnables qu'ils avaient entreprises, et pour leur dire qu'aucun d'entre eux ne pouvait prétendre être le vengeur du sang de 'Othmân, ce dernier étant un Omayyade, alors qu'aucun d'eux n'appartenait aux Banî 'Omayyah.

'Âyechah avait répondu que les choses étaient arrivées à un point où les avertissements n'avaient plus aucune utilité, alors que Talhah et Zubayr ne donnèrent pas de réponse écrite, se contentant de faire parvenir à 'Alî un mot pour l'informer qu'ils n'étaient pas disposés à obéir à ses ordres et qu'il avait toute la liberté de faire ce qu'il voulait.
 

L'Arrivée de l'Imam Alî à Basrah


L'armée de 'Âyechah comptait trente mille hommes dont la plupart étaient de nouvelles recrues, alors que celle de 'Alî se composait principalement de vétérans, d'hommes ayant déjà servi dans les forces armées, et de Compagnons du Prophète. Lorsque 'Alî apparut avec ses forces armées déployées en un imposant ordre de bataille devant Basrah, 'Âyechah et ses confédérés furent frappés de terreur. Une fois proche de Basrah, 'Alî envoya Qa'qâ' Ibn 'Amr, un Compagnon du Prophète, aux dirigeants des rebelles en vue de négocier avec eux un plan de paix, si possible.

'Âyechah répondit que 'Alî devait négocier personnellement avec eux. Lorsque 'Alî arriva, des messages circulèrent dans les rangs des forces hostiles en vue de compromettre la négociation. On voyait 'Alî, Talhah et Zubayr tenir de longues conversations, faisant le va-et-vient ensemble à la vue des deux armées, et les négociations paraissaient tellement dans la bonne voie que tout le monde pensa qu'on allait aboutir sûrement à un arrangement pacifique; car par son impressionnante éloquence, 'Alî toucha les curs de Talhah et de Zubayr en les mettant en garde contre le jugement du Ciel et en les défiant à une ordalie où l'on invoquerait la malédiction divine contre ceux qui avaient encouragé et suggéré le meurtre de 'Othmân et incité les malfaiteurs à le commettre.

Au cours de l'un de leurs entretiens, 'Alî demanda à Zubayr: «As-tu oublié le jour où le Messager de Dieu t'avait demandé si tu n'aimais pas son cher "fils" 'Alî et où tu lui as répondu: "Si". Ne te rappelles-tu pas cette prédiction du Prophète: "Cependant, il arrivera un jour où tu te soulèveras contre lui et où tu apporteras des misères à lui et à tous les Musulmans"».

Zubayr répondit qu'il s'en souvenait parfaitement, qu'il se sentait désolé, que s'il s'en était souvenu auparavant, il n'aurait jamais porté les armes contre lui. Zubayr semblait donc déterminé à ne pas se battre contre 'Alî. Il retourna à son camp et informa 'Âyechah de ce qui s'était passé entre lui et 'Alî.

«On dit qu'à la suite de cette allusion à la prédiction du Prophète, Zubayr renonça à combattre contre 'Alî, mais malgré ladite prédiction prophétique, 'Âyechah était si pleine de haine contre 'Alî qu'elle ne pouvait accepter aucun arrangement, à n'importe quelle condition. D'autres disent que c'est le fils de Zubayr, 'Abdullâh (adopté par 'Âyechah) qui l'avait fait changer d'avis en lui demandant si c'était la peur des troupes de 'Alî qui l'avait conduit à cette volte-face. A ceci Zubayr répondit "Non mais le serment prêté à 'Alî". 'Abdullâh lui suggéra alors d'expier son serment en libérant un esclave, ce qui l'amena à se préparer sans plus d'hésitation à combattre contre 'Alî». ("History of the Saracens" de S. Ockley, p. 307).

Les deux armées étaient face à face sur le même champ de bataille. Durant la nuit chaque partie chargea l'autre, les deux parties s'accusant mutuellement d'avoir ouvert les hostilités. Le lecteur pourra lui-même déduire quelle est la partie à blâmer pour cette attaque nocturne, quelle partie essayait d'arriver à un arrangement pacifique pour éviter l'effusion de sang et laquelle mettait en échec ces tentatives de paix. Les circonstances relatées ci-dessus sont assez claires pour éclairer et indiquer la vérité.


La Bataille d'Al-Jamal (du Chameau)


Le lendemain matin, tôt, le vendredi 16 Jamâdî II de l'an 36 H. (Nov., 656 ap. J. -C.), 'Âyechah entra dans le champ de bataille, assise dans une litière sur son grand chameau, al-'Askar. Elle fit l'inspection de ses troupes, qu'elle animait par sa présence et par sa voix. Dans l'histoire, cette bataille fut appelée "La Bataille du Chameau", en raison de la présence de la bête étrange sur laquelle était montée 'Âyechah, et ce, bien qu'elle fût livrée à Khoraybah, près de Basrah.

L'armée de 'Alî faisait face à l'ennemi en ordre de bataille, mais le Calife avait ordonné à ses combattants de ne charger que si l'ennemi les attaquait le premier. En outre, il leur donna l'ordre strict de ne jamais achever un blessé, de ne jamais poursuivre un fuyard, de ne pas s'emparer de butin et de ne jamais violer une maison. Et alors qu'une pluie de flèches lancées par l'ennemi tombait sur les troupes de 'Alî, celui-ci ordonna à ses soldats de ne pas rpondre au tir et d'attendre.

«Jusqu'au dernier moment 'Alî fit preuve d'une répugnance implacable à l'effusion du sang de Musulmans, et juste avant la bataille il s'efforçait encore d'obtenir l'allégeance de l'adversaire par un appel solennel au Coran. Une personne, nommée Muslim, s'avança alors immédiatement, levant un exemplaire du Coran dans sa main droite. Muslim se mit à fustiger l'ennemi pour l'amener à renoncer à ses desseins injustifiés. Mais la main qui portait le Livre Sacré fut coupée par un soldat de l'armée ennemie. Il porta alors le Coran dans sa main gauche, mais celle-ci fut à son tour coupée par un autre cimeterre.

 

L'homme ne fut pas pour autant découragé, et il serra le Coran contre sa poitrine avec ses bras mutilés, continuant ses exhortations jusqu'à ce qu'il fût achevé par les sabres de l'ennemi. Son corps fut par la suite récupéré par ses amis et des prières furent faites sur lui par 'Alî lui-même. Le Calife ramassa ensuite une poignée de sable, la lança en direction des insurgés, invoquant contre eux la vengeance de Dieu. En même temps, l'impétuosité des hommes de 'Alî ne pouvait être retenue plus longtemps. Tirant leurs sabres et pointant leurs lances, ils se lancèrent vaillamment dans le combat qui fut livré de tous côtés avec une férocité et une animosité extraordinaires». ("Mohammadan History" de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 308).


Le Sort de Talhah


Alors que la bataille faisait rage et que la victoire commençait à pencher du côté de 'Alî, Marwân Ibn al-Hakm (le Secrétaire Particulier du précédent Calife, 'Othmân), l'un des officiers de l'armée de 'Âyechah, remarqua que Talhah incitait ses troupes à se battre vaillamment.«Voyez ce traître! dit-il à son serviteur. Tout récemment encore, il était l'un des assassins du vieux Calife. Et le voilà qui prétend être le vengeur de son sang. Quelle plaisanterie!» Ce disant, il tira dans un accès de haine et de furie une flèche qui perça sa jambe droite et la traversa pour toucher son cheval qui se cabra et jeta le cavalier par terre.

En ce moment d'angoisse, Talhah s'écria: «Ô mon Dieu! Venge 'Othmân sur moi selon Ta Volonté», avant d'appeler au secours. Constatant que ses chaussures ruisselaient de sang, il demanda à l'un de ses hommes de le ramasser, de le faire monter sur son cheval, derrière lui, et de le convoyer à Basrah. Et sentant sa fin proche, il appela l'un des hommes de 'Alî qui se trouvait là par hasard: «Donne-moi ta main, dit le mourant repentant, afin que j'y pose la mienne en guise de renouvellement de mon serment d'allégeance à 'Alî». Talhah rendit son dernier soupir en prononçant ces mots de repentir.

Lorsque 'Alî entendit le récit de sa mort, son cur généreux fut touché, et il dit: «Allâh ne voulait pas l'appeler au Ciel avant d'effacer sa première violation de serment par ce dernier serment de fidélité». Le fils de Talhah, Mohammad, fut lui aussi tué dans cette bataille.


Le Sort de Zubayr


Les remords et la componction avaient envahi le cur de Zubayr après avoir écouté le rappel par 'Alî de la prédiction du Prophète. Il ne fait pas de doute qu'il avait participé à la bataille sur l'instance de 'Âyechah et de son fils et à contre-coeur. Par la suite, il avait vu 'Ammâr Ibn Yâcir, le vénérable et vieux Compagnon du Prophète, connu pour sa probité et son intégrité, être un Général dans l'armée de 'Alî. Il s'était rappelé alors avoir entendu de la bouche du Prophète que 'Ammâr serait toujours du côté des partisans de la justice et du bon droit et qu'il tomberait sous les sabres de mauvais rebelles. Tout avait semblé donc être de mauvais augure pour participer à cette bataille. Aussi se retira-t-il du champ de bataille et prit-il le chemin de la Mecque tout seul.

Lorsqu'il arriva à la vallée traversée par le ruisseau de Saba, où Ahnaf Ibn Qays avait campé avec une horde d'Arabes dans l'attente de l'issue du combat, il fut reconnu de loin par Ahnaf. «Personne ne peut-il m'apporter des nouvelles de Zubayr?» dit-il à l'adresse de ses hommes. L'un de ceux-ci, 'Amr Ibn Jarmuz, comprit l'insinuation et se mit en route. Zubayr voyant cet homme s'approcher, le soupçonna de mauvaises intentions à son égard.

 

Aussi lui ordonna-t-il de rester à distance. Mais après avoir échangé quelques paroles, ils devinrent amis et tous deux descendirent de leurs chevaux pour faire la Prière, étant donné qu'il en était l'heure. Lorsque Zubayr se prosterna en accomplissant sa Prière, 'Amr saisit l'occasion et coupa sa tête avec son cimeterre.

Il apporta sa tête à 'Alî qui pleura à la vue de cette tête. Car il s'agissait de la tête de quelqu'un qui avait été son ami. Se tournant vers l'homme qui lui avait apporté ce cadeau macabre, il s'écria, indigné: «Va-t-en maudit. Apporte tes nouvelles à Ibn Safiyah en enfer». Cette malédiction inattendue enragea le misérable qui s'attendait plutôt à une récompense, et il proféra une bordée d'injures à l'adresse de 'Alî. Puis, dans un accès de désespoir, il dégaina son sabre et l'enfonça dans son propre cur.


La Défaite de 'Âyechah


Tel fut donc le sort des deux grands dirigeants des rebelles. Quant à 'Âyechah, l'implacable âme de la révolte, la femme de guerre, elle continua à hurler inlassablement de sa voix stridente: «Tuez les assassins de 'Othmân», incitant ses hommes à se battre. Mais les troupes, privées de leurs dirigeants, s'étaient senties déjà démoralisées et avaient commencé à retourner à la ville.

Toutefois, voyant que 'Âyechah était en danger, ses partisans arrêtèrent leur fuite et revinrent à son secours. Se rassemblant autour de son chameau, ils essayèrent l'un après l'autre d'en saisir la bride et de prendre l'etendard, mais ils furent abattus à tour de rôle. Ainsi soixante-dix hommes périrent par la bride de cet animal maudit. La litière de 'Âyechah, en tôle d'acier et construite comme une cage, était hérissée de dards et de flèches, et sur la bosse de l'énorme bête, elle ressemblait à un hérisson effrayant et en colère.

«Convaincu que la bataille ne pourrait être interrompue aussi longtemps que le chameau continuerait à s'amuser de la sorte avec les défenseurs de 'Âyechah, 'Alî exprima aux hommes qui l'entouraient son désir de les voir s'efforcer de terrasser l'animal. Après plusieurs assauts désespérants, Mâlik al-Achtar réussit enfin à forcer un passage et à casser l'une des pattes du chameau. Mais malgré cela, l'animal resta debout et impassible, et persévéra dans son attitude. Une autre patte fut brisée, mais sans résultat. Mâlik al-Achtar, étonné et terrifié par le comportement du chameau ne savait pas s'il devait continuer ou non. 'Alî s'approcha et lui demanda de frapper sans hésitation même si l'animal paraissait bénéficier du soutien d'un agent surnaturel

 

. Stimulé, Mâlik frappa la troisième patte et l'animal fut immédiatement terrassé.» La litière de 'Âyechah étant maintenant à terre, 'Alî ordonna à Mohammad, fils d'Abû Bakr, de se charger de sa soeur et de la protéger des flèches qui continuaient à tomber de partout. Mohammad s'exécuta, s'approcha de la litière, et y introduisant sa main qui toucha par hasard celle de 'Âyechah, il entendit cette dernière l'accabler d'insultes et crier, interrogative, quel vaurien osait toucher sa main que personne d'autre que le Prophète n'avait l'autorisation de toucher. Mohammad répondit que bien que cette main fût celle de la personne la plus proche d'elle par le sang, elle était aussi celle de son pire ennemi. Reconnaissant alors la voix bien connue de son frère, 'Âyechah se défit rapidement de ses appréhensions». ("Mohammadan History" de M. Price, cité par S. Ockley, op. cit., p. 310).
 

La Magnanimité de 'Alî envers l'ennemi


«'Âyechah pouvait s'attendre logiquement à un traitement sévère de la part de 'Alî, étant donné qu'elle était son ennemie vindicative et acharnée, mais 'Alî était trop magnanime pour se venger d'un adversaire vaincu». ("Successors of Mohammad" de W. Irving, p. 179).

Une fois que toutes les confusions liées à la bataille se furent estompées, 'Alî vint voir 'Âyechah et lui demanda comment elle allait. Ayant constaté qu'elle allait bien et qu'elle avait été sauvée sans subir aucun mal, il lui dit sur un ton de reproche: «Le Prophète aurait-il accepté que tu agisses ainsi?» Elle répondit: «Tu es victorieux. Sois donc bon envers ton adversaire vaincu». 'Alî ne lui fit plus de reproches et ordonna à son frère Mohammad d'emmener sa sur à la maison de 'Abdullâh Ibn Khalaf, un Khozâ'ite, notable citoyen de Basrah, tué alors qu'il combattait pour 'Âyechah. Celle-ci demanda à son frère de chercher les traces de 'Abdullâh, fils de Zubayr, qu'on trouvera par la suite, blessé, parmi les morts et les blessés qui jonchaient le champ de bataille.

Selon le désir de 'Âyechah il fut amené devant 'Alî pour obtenir son pardon. Le très généreux vainqueur promulgua alors avec magnanimité une amnistie générale pour tous les rebelles et leurs alliés, y compris 'Abdullâh Ibn Zubayr. Malgré toutes ces mesures de clémence, Marwân et les Omayyades s'enfuirent chez Mu'âwiyeh en Syrie, ou à la Mecque.


L'imam Ali ordonna à Mohamad ibn abu bakr de remettre sa soeur aicha à Medine

Le Transfert du Siège du Gouvernement


Le séjour de 'Alî à Basrah ne dura pas longtemps. Après avoir nommé 'Abdullâh Ibn 'Abbâs Gouverneur de cette ville, le Calife repartit pour Kûfa au mois de Rajab de l'an 36 H. Craignant les mauvais desseins de Mu'âwiyeh à son égard, le Calife considéra Kûfa comme un lieu bien situé pour faire face à toute attaque contre la région de l'Irak ou de la Mésopotamie. Peut-être aussi en reconnaissance de l'assistance qu'il avait reçue de la part des Irakiens, il estima bon de transférer de Médine à Kûfa le siège de son gouvernement. Il fit ainsi de cette ville le centre de l'Islam et la capitale de l'Empire, et c'était d'autant plus à bon escient que Kûfa était géographiquement au centre de ses provinces.
 

La Bataille de Siffine

1-L’établissement de l’Imam ‘Alî (P) à Kûfa :


Quinze jours après la fin de la bataille du chameau, ‘Alî (P) ayant déjà nommé ‘Abdullah Ibn Abbâs gouverneur de Basra, mit en mouvement ses troupes en direction de Kûfa. Le Calife avait décidé de faire de cette ville le siège de son gouvernement. Au moins deux raisons militaient en faveur du choix de Kûfa.

La toute première de ces raisons était d’ordre stratégique. Kûfa se trouvait au centre de l’Empire, à égale distance des principales régions composant l’Arabie ancienne. Ce qui réduisait de beaucoup les charges suscitées par les déplacements de l’Armée de la Umma et augmentait sa mobilité.

La deuxième raison était l’avantage numérique de la population de Kûfa par rapport à celle de Médine mais aussi son plus grand attachement à l’Imam ‘Alî. A Médine l’Imam n’avait pas réussi à lever une armée de plus de neuf cents hommes alors qu’à Kûfa plus de neuf mille hommes s’alignèrent derrière lui.

Cette ville était entièrement acquise à l’Imam ‘Alî et à ses partisans.


2-Les objectifs de Mu’âwiyah en Syrie :


Profitant de l’assassinat de Usmân, Mu’âwiyah avait monté toute une stratégie de propagande contre les assassins du Calife pour, en réalité, renforcer son pouvoir et satisfaire ses ambitions indépendantistes. Son refus de voler au secours du Calife Usmân assiégé participait de cette visée personnelle de Mu’âwiyah.

Malheureusement ses partisans ne parvenaient pas à voir cette réalité qui crevait pourtant les yeux. Toutefois, à la décharge du grand nombre d’umayyades qui avaient quittaient Médine pour se réfugier en Syrie et des Syriens soutenant Mu’âwiyah, il existait trois raisons influentes, quoique insuffisantes, qui les rendaient aveugles à ce point.

D’abord, les umayyades – à l’instar des tribus arabes de l’époque – tenaient coûte que coûte à venger le sang de leur frère Usmân. Cette tradition de vendetta était fortement établie en Arabie et elle se transmettait de générations en générations. Or Usmân avait été tué à Médine par toute une population. Donc n’importe quel bouc émissaire qu’on leur désignait, surtout venant de Médine, devenait l’ennemi à abattre.

 

En particulier le remplaçant du Calife qui devenait ainsi l’assassin virtuel désigné bien que tout le monde sût le rôle de conseil, de médiation pour la paix et de protection que joua ‘Alî (P) pour Usmân avant et pendant toute la durée de ses difficiles négociations avec les révoltés.

Ensuite, une campagne insidieuse était menée par Mu’âwiyah en vue de faire monter la haine envers les assassins de Usmân. Suivant en cela son Conseiller Amr Ibn al-Âç, Mu’âwiyah avait fait accrocher sur la chaire de la Mosquée de Damas la chemise tâchée de sang que Usmân portait lors de son assassinat ainsi que les doigts estropiés de sa femme Naelah. La vue de tels objets pendant de longues semaines ne cessait, comme l’espéraient les exposants, de faire couler les larmes des Syriens et d’accroître leur désir de vengeance contre les auteurs d’un tel acte.

Enfin – c’est bien la dernière raison que nous citerons mais qui n’en est pas autant la moindre – Mu’âwiyah avait réussi à maîtriser ses principaux notables par la corruption devenue notoire dans son entourage. Se soumettre à lui était devenu source d’un enrichissement rapide et illicite. Une phrase fort célèbre à cette époque résumait assez bien cet intérêt que certains trouvaient aux côtés de Mu’âwiyah : « Il vaut mieux être derrière l’Imam Alî pour la prière et à la table de Mu’âwiyah à l’heure du repas. »


3-Le recours aux moyens pacifiques par ‘Alî (P) en vue de raisonner Mu’âwiyah :


C’est fort du soutien de son armée et de ses notables et aveuglé par ses ambitions et convictions personnelles que Mu’âwiyah avait retenu pendant plusieurs semaines le messager que le Calife ‘Alî (P) lui avait envoyé dés son arrivée au Califat, pour lui demander de lui faire allégeance. Il tenait à faire de lui un témoin du désir de vengeance qui animait son armée. Ensuite il le fit retourner à Médine en compagnie de son propre messager.

Lorsque ‘Alî (P) ouvrit la lettre cachetée de Mu’âwiyah, il découvrit un contenu tout blanc. Le messager, invité à donner la signification d’un tel contenu, expliqua : « Sache donc que j’ai laissé derrière moi en Syrie soixante mille guerriers pleurant le meurtre de Usmân sous sa chemise tâchée de sang, exposée à côté de la chaire de la grande Mosquée de Damas, tenant tous à se venger de toi pour l’assassinat du Calife. »

Un exposé si insolent souleva l’ire des Compagnons du Prophète (p) au point qu’ils faillirent commettre l’irréparable sur le messager de Mu’âwiyah n’eût été l’intervention de ‘Alî (P). Le coursier, ravi devant une telle sagesse doublée d’une si grande bonté, s’amenda puis jura de rester fidèle à ‘Alî (P) pour toujours.

‘Alî demanda le témoignage de Dieu quant à son innocence dans ce crime et ordonna la proclamation d’une expédition contre Mu’âwiyah.

Une deuxième fois l’Imam envoya un message de paix à Mu’âwiyah, lui demandant de faire allégeance au nouveau Calife que lui ‘Alî était devenu par la volonté d’Allah et de son peuple. Jarîr Ibn Abdallah al-Bajalî, un vieil ami de Mu’âwiyah, gouverneur de Hamadân et chef des Banî Bajila, fut le porteur de ce message. Celui-ci se trouvait à Kûfa pour prêter allégeance à l’Imam ‘Alî (P).

On était au mois de Cha’bân 36 A.H. soit janvier 657 A.J.C. L’attente de son retour à Médine fut longue et pleine d’angoisse. Trois mois après son départ, il revint avec une réponse orale de Mu’âwiyah. Le récalcitrant lui faisait dire qu’il ne prêterait pas allégeance à ‘Alî (P) tant que les meurtriers de Usmân n’étaient pas punis.

Mâlik Al-Achtar reprocha à Jarîr son trop long séjour, certainement marqué par le plaisir, auprès de Mu’âwiyah. Mécontent d’une telle remarque, Jarîr quitta Médine et préféra rejoindre l’ambiance plus festive qui régnait autour de Mu’âwiyah.

Découragé par tous ces refus obstinés de Mu’âwiyeh de renoncer à ses ambitions égoïstes pour lui faire allégeance, ‘Alî (P) prit la ferme résolution de lever une expédition vers la Syrie. C’est ainsi qu’au mois de Thilqa’dah de l’an 36 A.H. (Avril 657 A.J.C.), ‘Alî (P) leva son armée en direction de Madâ’in en prenant la précaution de se faire précéder par une garde avancée. Ils traversèrent le désert mésopotamien puis l’Euphrate à Riqqah avant de se diriger vers l’Ouest. A Sour-al-Rûm, l’avant-garde de l’armée de ‘Alî mit en déroute l’avant-garde Syrienne.


4 - La rencontre à Siffine (Cifayin)  :


L’armée de ‘Alî ne rencontra plus de résistance jusqu’à son arrivée à Cifayin au mois de Thilhajjah de l’an 36 A.H. (Mai 657 A.J.C.). Les forces de Mu’âwiyah étaient déjà stationnées à cet endroit.

L’unique accès à l’eau de l’Euphrate, sous contrôle de Cifayin sur une longue distance, gardé par les guerriers de Mu’âwiyeh, fut interdit aux loyalistes. L’un des généraux de l’armée rebelle, Abul-Awar, y avait été placé à la tête de plusieurs milliers de combattants en vue d’assoiffer les guerriers de ‘Alî (P).

Ces derniers constatèrent dés leur arrivée cet état de fait et en rendirent compte à leur Calife. ‘Alî (P) envoya une délégation à Mu’âwiyah pour lui demander de libérer l’accès à l’eau car ils étaient tous liés par des liens de parenté malgré leur hostilité réciproque et qu’en plus si, lui ‘Alî (P) avait un tel avantage il ne l’aurait mis à la disposition des deux armées. Mu’âwiyeh, comme il fallait s’y attendre, refusa de renoncer à ce qu’il considérait comme la garantie de sa victoire.

Devant l’intransigeance de Mu’âwiyah et la soif des gens, Mâlik Al-Achtar et Ach’ath Ibn Qays obtinrent de ‘Alî (P) l’autorisation de mener chacun plusieurs milliers d’hommes, respectivement à la tête de la cavalerie et de l’infanterie, contre les troupes dirigées par Abul-Awar. Le but était de foncer dans les rangs ennemis et de remplir leurs outres de l’eau du fleuve. Une bataille s’engagea, qui vit la défaite des rebelles malgré l’arrivée des renforts dépêchés par Mu’âwiyah à la demande de Abul-Awar. Les rebelles battirent la retraite.

Les loyalistes s’installèrent à leur tour dans la zone d’accès à l’eau de l’Euphrate. Lorsque Mu’âwiyah, en position de faiblesse à présent, demanda ce qu’il venait de refuser de donner, ‘Alî (P) lui administra une belle leçon de sagesse et de magnanimité en donnant libre accès au fleuve, et de façon égalitaire, aux combattants des deux armées.
 

5 - Les combats :


Les combats, à proprement parler, engagés entre combattants lors de la bataille de Cifayin durèrent quarante jours. Cependant il y’eut entre-temps, après un mois de combat, une trêve pendant le mois sacré de Moharrem.

L’armée du Calife comptait quatre vingt six mille hommes répartis sur plusieurs colonnes commandées par Ammâr Ibn Yâcir, ‘Abdullâh Ibn Abbâs, Qays Ibn Sa’d Ibn Obâdah, Abdullah Ibn Ja’far, Mâlik al-Achtar, Ach’ath Ibn Qays al-Kindi, Sa’îd Ibn Qays Hamadânî, Ibn Hânî, Muhammad Ibn Abû Bakr et Al-Hassan Ibn ‘Alî.

Les hommes de Mu’âwiyah, au nombre de cent vingt mille, étaient également disposés en colonnes commandées par Amr Ibn al-Âç, Obaydullâh Ibn ‘Umar, Abul Awar, Thul Kala Homayri, Abdul-Râhman Ibn Khâlid Ibn Walîd, Habîb Ibn Maslamah, Bisr Ibn Artâ-âta et Yâzid al-Abassî.

Les hommes des deux camps s’engagèrent pendant le premier mois, Thilhajjah an 36 A.H., dans des combats singuliers presque, pourrait-on dire, ordonnés, d’où leur durée. ‘Alî (P) tenait au début à ce qu’il y ait le moins de victimes possibles, espérant toujours un règlement par le retour à la sagesse de Mu’âwiyah.

Après la trêve du mois de Moharrem pendant lequel le combat était interdit, les hostilités reprirent de plus belle. Pendant la première semaine du mois de çafar de l’an 37 A.H. (on venait d’entrer dans un nouvel an musulman) les combats firent beaucoup plus de victimes que d’habitude. ‘Alî (P) décida alors de précipiter la fin de cette guerre en s’impliquant personnellement dans l’assaut final.

Nous vous signalerons deux événements, l’un majeur et tragique l’autre comique, qui s’étaient déroulés lors de cette attaque.

C’est d’abord la mort au combat du patriarche Ammâr Ibn Yâcir, celui-là à qui le Prophète avait dit :

« Tu seras tué un jour par la partie rebelle et déviée, Ô Ammâr ! »

La mort de Ammâr, héros de la bataille de Badr et Compagnon favori du Prophète, était regrettée tant du côté des partisans de ‘Alî (P) que de celui des rebelles. Elle fut provoquée par la lance assassine de Jowayr Oskoni un guerrier de Mu’âwiyah.

A présent que Ammâr était mort et qu’on savait qui l’avait tué et qu’on se rappelait ce que le Prophète avait dit de ceux qui le tueront, il devenait évident, tout au moins aux yeux des hommes de ‘Alî (P), que la partie rebelle et déviée était bien celle de Mu’âwiyah.

Comme il fallait s’y attendre, le doute s’empara des guerriers de Mu’âwiyah et la discorde s’installa. Et comme un soldat ne doit pas douter devant l’ennemi, Amr Ibn Al-Âç le rusé conseiller de Mu’âwiyah renversa intelligemment le sens de l’accusation en disant :

« Et qui d’autre a tué Ammâr, si ce n’est ‘Alî (P), le rebelle, en l’amenant ici ? »

‘Alî (P) répliquera à ceux qui lui rapportèrent ces paroles de Amr : « Si ce qu’il dit pouvait être vrai alors on aurait pu également dire que c’est le Prophète (P) qui a tué Hamzâ à Ohod pour l’y avoir amené. »

Un adage dit : « Cheytan (Satan) n’a pas dit la vérité mais il a semé le doute dans les esprits. » L’argutie était certes tordue mais elle eut un effet positif dans les rangs de l’armée Syrienne. Cette répartie facile fit le tour de l’armée et sembla convaincre les soldats.

L’autre événement quasi-comique mais important pour mieux éclairer le lecteur sur les qualités extraordinaires de l’Imam ‘Alî (P), se déroula entre deux acteurs : ‘Alî (P) et Amr Ibn al-Âç. Le premier était souvent amené à se déguiser afin de pouvoir avoir des candidats qui accepteraient de se battre contre lui. On dit même qu’il se déguisa plus de soixante dix fois ! Une fois, Amr Ibn al-Âç, s’étant assuré que ‘Alî (P) n’était pas dans le groupe qu’il voulait attaquer, s’enhardit en lançant des paroles défiantes envers le Calife.

Quand il se rapprocha de l’Imam ‘Alî (P) et que celui-ci lui répondit par des mots qui l’identifièrent, Amr fit un volte-face fulgurant et détala de toute la force de son cheval lequel souffra le martyre sous les coups de fouet et d’éperon de son maître apeuré. ‘Alî (P) se mit à sa poursuite et, dés qu’il l’atteignit, le fit tomber de cheval avec la pointe de sa lance. Amr chuta, et dévoila ses parties intimes pour obliger ‘Ali (P) à se détourner de lui.

Devant un spectacle aussi humiliant et profane, ‘Alî (P) eut la magnanimité (encore une fois) de laisser la vie sauve à son ennemi tout en lui faisant observer qu’il ne devait plus oublier les circonstances honteuses auxquelles il devait la vie sauve.

Amr fera l’objet de moqueries succulentes de la part de Mu’âwiyah à qui il répondit d’ailleurs qu’il n’avait pas plus de mérite que lui Amr.

La finale de la bataille de Cifayin eut lieu les 11, 12 et 13 Çafar de l’an 37 A.H. Les forces de ‘Alî (P) s’étaient lancés dans la bataille de façon décisive. Ils attaquèrent à outrance et sans répit avec l’objectif d’en finir avec l’ennemi. La pleine lune du 13 Çafar permit aux combattants de ‘Alî (P), notamment à Mâlik Al-Achtar le héros de cette guerre, de faire une véritable razzia sur l’armée des rebelles. Au matin du lendemain, les Syriens constatèrent avec désarroi leur repli forcé et les pertes énormes que les loyalistes leur avaient infligées.

Mu’âwiyah était sur le point de capituler (par la fuite) lorsque le rusé Amr Ibn al-Âç lui proposa une issue de secours très habile mais combien malhonnête. Amr expliqua sa ruse :

« Courage, Mu’âwiyah ! Ne te décourage pas ! J’ai imaginé le moyen de prévenir la crise. Appelle l’ennemi à la Parole de Dieu en levant haut le Livre Sacré. S’il accepte, cela te mènera à la victoire, et s’il refuse de subir l’épreuve, la discorde sévira dans ses rangs. »
 

6-La supercherie pour éviter la capitulation :


Mu’âwiyah n’avait plus le choix. C’était soit s’enfuir (son cheval était déjà prêt) soit tenter la ruse de Amr. Il choisit la deuxième alternative. Ainsi ses partisans levèrent plus de cinq cents exemplaires du Coran accrochés à la pointe de leur lance et, les montrant à leurs adversaires, crièrent :

« Laissons au Livre de Dieu le soin de décider de nos différends. »

Les partisans de ‘Alî (P), Ach’ath Ibn Qays en tête, n’hésitèrent pas une seconde, obnubilés qu’ils étaient par la crainte de ne pas répondre à une telle épreuve qu’ils croyaient sincère. Ils déposèrent leurs armes et répondirent comme un seul homme : « Oui, le Livre de Dieu ! Laissons-le décider de nos différends. »

‘Alî (P) s’opposa avec toute la véhémence possible à la proposition de l’adversaire et tenta d’en éloigner ses soldats : « C’est une supercherie, leur lança-t-il. Craignant la défaite, ces hommes malveillants ont trouvé cette astuce de sauvetage. » Puis, lorsqu’on lui reprocha de refuser de se soumettre à la décision du Coran auquel l’appelaient ses ennemis, il ajouta : « C’est pour les amener au Coran que je les ai combattus si longuement. Ce sont des rebelles. Allez donc combattre votre ennemi. Je connais Mu’âwiyah, Amr Ibn al-Âç, Ibn Abî Sarh, Habîb et Dhohâk mieux que vous. Ils n’ont pas d’égard ni pour la religion ni pour le Coran »

Malheureusement, ses hommes avaient déjà fait leur choix et menacèrent même leur Calife au cas où il refuserait l’appel des rebelles.

L’intransigeance incompréhensible de ces hommes fit d’eux, dans l’histoire, les khawârij (khâridjites) c’est-à-dire les sécessionnistes.

Devant le refus de Mâlik Al-Achtar de revenir du champ de bataille où il tenait à continuer le travail commencé, ils exigèrent de ‘Alî (P) qu’il le fasse revenir. Ce que ‘Alî (P) fit au grand désarroi de son chef de guerre intrépide. Il lui lança ce message pathétique :

« A quoi sert la victoire lorsque la trahison sévit à l’intérieur de mon propre camp. Reviens tout de suite avant que je sois tué ou livré à mes ennemis. »

Mâlik cracha à la face des khawârij son mécontentement et la lâcheté de leur décision. Ceux-ci ripostèrent par des insultes et ‘Alî (P) dût intervenir pour calmer les nerfs.
 

7-Le traité d’arbitrage :
 

Ach’ath Ibn Qays, qui s’était fait remarquer parmi les khawârij, obtint de ‘Alî (P) la permission d’aller prendre auprès de Mu’âwiyah la signification précise de l’acte de ses soldats. A son retour, il leur apprit que Mu’âwiyah et ses hommes proposaient qu’un juge soit nommé de part et d’autre et que leur différend leur soit soumis. Le verdict conforme au Coran que ces deux juges donneront sera alors définitivement appliqué à tous. On demanda l’avis de ‘Alî (P) qui s’en abstint en disant simplement que celui qui n’est pas libre ne peut donner son avis. ‘Alî (P) leur suggéra de « régler l’affaire de la manière qu’ils estimaient convenable pour eux-mêmes ».

Abû Moûssâ al-Acharî, l’ex-gouverneur de Kûfa qui n’avait pas pris part aux combats, fut choisi par les Khawârij comme le juge du camp des loyalistes. ‘Alî (P) suggéra à sa place Abdullâh Ibn Abbâs le cousin du Prophète (P) car Abû Moûssâ n’avait pas participé aux combats et en plus avait été destitué par lui. Les khawârij tournèrent en dérision ce choix du Calife et maintinrent le leur.

Du côté des Syriens, le choix de Amr Ibn al-Âç s’imposait bien évidemment au vu de sa roublardise inouïe mais aussi du fait qu’il était l’initiateur de ce plan diabolique.

Les deux juges se présentèrent dans le camp de ‘Alî (P) pour la rédaction de l’acte d’arbitrage. Un premier désaccord apparut dés le début. Sous la dictée de ‘Alî (P), l’acte commençait par :

« Au nom de Dieu, le Clément, le Miséricordieux. Voici ce qui a été agréé entre le Commandeur des Croyants, Alî (p), et … »

Amr Ibn al-Âç objecta que ‘Alî (P) n’était pas leur Commandeur à eux les Syriens et qu’il fallait s’en tenir à « ‘Alî (P) et Mu’âwiyah ». ‘Alî (P) se rappela la prophétie du prophète (P) qui lui avait dit qu’il viendra un jour où il aura à faire la même concession qu’il venait de faire ce jour-là. C’était lors de la signature du traité de Hudaybiyyah entre le Prophète (p) et les arabes païens. C’était à propos de la fréquentation de la Kâbah par les deux groupes. Les Quraych s’étaient opposés à ce qu’on ajoute au nom du Prophète (p) son titre de « Messager de Dieu ».

‘Alî accepta finalement d’enlever son titre du texte après toutefois ce rappel important. Il tenait à leur montrer que ceux qui avaient lutté contre le Prophète (p) (Abû Sofian, Abû Jahl, Abû Lahâb, etc.) avait laissé derrière eux une descendance qui assurait la continuité de leur action contre la famille du Prophète (p) porte-flambeau de la pureté des enseignements de Dieu et de Son illustre Envoyé.


L’acte d’arbitrage fut signé le Mercredi 13 Çafar de l’an 37 A.H. (31 Juillet 657 A.J.C.) par ‘Alî (P) et Mu’âwiyah.


Les juges prêtèrent le serment de juger en étroite conformité avec le Coran et en toute impartialité dans un endroit situé à égale distance de Kûfa et de Damas. Les deux parties, quant à elles, s’engagèrent à appliquer la décision des juges, laquelle décision devait intervenir sept mois plus tard. Pendant ce temps une trêve devait être observée.

Ainsi ‘Alî (P) et Mu’âwiyah suivis de leurs partisans rentrèrent respectivement à Kûfa et à Damas.


8-Le bilan de la bataille de Cifayin :


Selon Abul Fidâ, quatre vingt dix batailles avaient été livrées à Cifayin. Pour la plupart des historiens soixante dix mille hommes y perdirent la vie dans les deux camps dont quarante cinq mille Syriens (de Damas et Mu’âwiyah) et vingt cinq mille Irakiens (Kûfites de Alî).

Du côté de Alî les chefs qui disparurent lors de cette bataille sont : Ammâr Ibn Yâcir, Hâchim Ibn Otbah, Khazimah Ibn Thâbit, Abdullâh Ibn Boydal et Abdul Hâthîm Ibn Tayhân. Chez Mu’âwiyah les « illustres » disparus étaient Thul-Kala, Homayrî, Obaydullâh Ibn ‘Umar, Hochâb Ibn Thil-Zalim et Habîb Ibn Sa’d al-Tay.
 

9-La décision des juges ou la perfidie de Amr Ibn al-Âç :


Le jour convenu arriva et les juges désignés, Abû Moûssâ al-Acharî et Amr Ibn al-Âç, se rejoignirent au lieu du rendez-vous comme prévu, chacun escorté par une délégation de 400 personnes.

De nombreux chefs et notables vinrent de Médine, de la Mecque, d’Irak et de Syrie pour assister à la prise de décision qui devait engager l’avenir de toute la Umma.

Amr Ibn al-Âç connaissait les points faibles de Abû Moûssâ al-Acharî. Par exemple qu’il suffisait de lui montrer beaucoup de considération pour l’avoir sous son joug. C’est ce qu’il fit en le prenant dés le début avec des égards exceptionnels qui comblèrent Abû Moûssâ.

Amr lui fit admettre sans difficulté que Usmân avait été ignoblement assassiné. Ensuite il tenta de le convaincre qu’il était normal que Mu’âwiyah lui succéda car ce dernier était le vengeur du sang de son proche parent qu’était Usmân, doublé d’un chef compétent. Abû Moûssâ refusa cette référence au sang sinon, trouva-t-il, les fils du défunt seraient mieux placés que Mu’âwiyah sur ce plan. Amr lui demanda alors de faire une proposition. Abû Moûssâ répondit :

« Ecartons ‘Alî (P) et Mu’âwiyah pour laisser les Croyants élire une tierce personne. »

Amr se dit d’accord avec son interlocuteur et le pria d’aller ensemble annoncer la décision qu’ils venaient de prendre de commun accord. Au moment d’annoncer publiquement leur décision, Amr insista pour que Abû Moûssâ montât le premier sur la tribune pour faire sa déclaration, par courtoisie pour l’homme de ‘Alî prétexta-t-il. Abû Moûssâ fit preuve de toute sa naïveté en acceptant sans précaution de dire au public :

« Frères ! Amr al-Âç et moi-même avons ensemble examiné la question profondément, et conclu que le meilleur moyen possible de restaurer la paix et d’effacer la discorde du peuple est de déposer à la fois ‘Alî (p) et Mu’âwiyah du Califat afin de laisser au peuple le soin de choisir à leur place un homme meilleur. C’est pourquoi, je destitue à la fois Alî et Mu’âwiyah du Califat auquel ils prétendent, de la même façon que je retire cette bague de mon doigt ».


Amr monta à son tour et fit la surprenante déclaration suivante :


« Vous avez entendu comment il a déposé son chef ‘Alî (P). Pour ma part, je le dépose également et j’investis mon chef Mu’âwiyah du Califat, et je l’y confirme, de la même façon que je mets cette bague à mon doigt. Je fais ceci avec justice car Mu’âwiyah est le vengeur de Usmân et son successeur légal. »

La stupéfaction était générale. De part et d’autre personne n’avait songé à pareille duperie. Abû Moûssâ, complètement dépassé par la mauvaise foi sans limite de son collègue, ne trouvait aucune explication à un revirement aussi diamétral sinon de reconnaître qu’il a été dupé.

Amr descendit de la tribune sous un tonnerre d’applaudissements des Syriens qui ne pouvaient espérer une meilleure issue dans cette affaire. Pendant ce temps les Kûfites ne parvenaient pas à contenir leur rage contre Amr mais encore plus contre Abû Moûssâ à qui ils ne manquèrent pas de le lui montrer à travers des injures et même des coups de fouet, notamment du chef de l’escorte Kûfite, Churay.

Le fils de ‘Umar, Abdullâh Ibn ‘Umar fit de cet événement un commentaire qui résumait le long fleuve de commentaires qui coula à propos de cette décision :

« Voyez ce qui est arrivé à l’Islam. Sa plus grande affaire a été confiée à deux hommes dont l’un ne distingue pas le bon droit de l’erreur, et l’autre est un nigaud. »

Abû Moûssâ fit vite de se retirer par la suite à la Mecque où il mourut malheureux cinq ou quinze ans plus tard selon les auteurs.

A Damas Mu’âwiyeh fut proclamé nouveau Calife et fêté comme tel. A partir de ce moment-là les affaires de Mu’âwiyah commencèrent à prospérer tandis que le pouvoir de ‘Alî (P) s’effritait de jour en jour.


10-La position de ‘Alî (P) concernant les décisions des juges :


Le jugement n’ayant pas été juste encore moins conforme au Coran, ‘Alî (P) ne pouvait que le rejeter. Il prit alors la décision de reprendre les hostilités contre l’ennemi Mu’âwiyah. Il avait tenu à respecter la trêve signée entre les deux parties malgré sa volonté, sous la menace des khawârij comme nous l’avons vu précédemment.

En effet les jugements qui venaient d’être dits – il y en avait bien deux et non un comme convenu – étaient contradictoires malgré l’accord préalable entre les deux juges. Dés lors l’acte d’arbitrage avait été violé car il était entendu que les juges devaient se concerter et se mettre d’accord sur une décision commune et conforme au Coran mais évidemment non contradictoire. Ensuite cette décision prise de commun accord devait être appliquée aux deux parties en conflit.

On ne comprendrait d’ailleurs pas qu’il pût en être autrement sinon ils n’auraient pas eu à se concerter si chacun pouvait juger séparément de l’autre. Il est évident qu’un tribunal ne peut donner deux jugements définitifs contradictoires sur une même affaire.

A juste raison ‘Alî (P) ne se sentait donc pas concerné par de telles décisions basées sur une tromperie, ridicule d’ailleurs et contraire à l’esprit et à la lettre du Livre Sacré qui bannit la fourberie et l’hypocrisie dont avait usé et abusé Amr Ibn al-Âç.

La trêve conclue entre les deux factions en guerre devant être respectée jusqu’à la proclamation du verdict des juges, le Calife n’était donc plus lié par un quelconque engagement. C’est ainsi qu’il appela ses partisans à la reprise des hostilités contre Mu’âwiyah.


La Bataille de Nahrawân


Les khawârij restèrent malgré tout dans leurs croyances erronées. Et même pire, ils commencèrent à mener des actions terroristes dans les villages qui les entouraient.

Ils tuèrent un voyageur et éventrèrent une femme enceinte.Là l’Imam ‘Alî (P), qui avait commencé sa marche vers la Syrie de Mu’âwiyah, décida de faire un détour vers Nahrawân, le siège des khawârij.Ses soldats craignaient à juste titre que les terroristes khawârij ne s’en prennent à leurs familles laissées sans défense derrière eux.

Ayant fait camper ses troupes aux environs de Nahrawân, ‘Alî (P) envoya un message aux hérétiques pour les raisonner mais aussi demander à ceux d’entre eux qui le voulaient de le rejoindre encore qu’il était temps. De 12000 leur nombre passa à 3000 après le ralliement à ‘Alî opéré par ceux qui étaient convaincus par ses arguments mais aussi ceux qui craignaient pour leur vie.

Ces 3000 khawârij irréductibles attaquèrent l’Imam ‘Alî (P) et eurent le triste sort qu’ils méritaient. L’armée de ‘Alî (P) s’en tira avec moins d’une dizaine de morts.

Les quelques rares blessés parmi les khawârij furent remis à leurs parents par ‘Alî (P). Ces rescapés, renforcés par les hypocrites qui avaient rallié l’armée de ‘Alî (P) par crainte pour leur vie, ressusciteront par la suite le mouvement khâridjite qui venait d’être presque décimé.

 

La bataille de Nahrawan contre les khawârij :

La formation de la rébellion khâridjite :


Revenons un tout petit peu en arrière. Sur le chemin du retour à Kûfa, un bon nombre de soldats de ‘Alî (P) murmuraient quelques critiques à l’encontre de l’action de ‘Alî (P). Les futurs khawârij qui, pourtant l’avaient forcé à signer l’acte d’arbitrage avec son corollaire de trêve, reprochaient à leur Calife d’avoir accepté le jugement des hommes à la place de celui de Dieu. Tout un programme qui allait se fanatiser et devenir une véritable hérésie contre tous ceux qui voulaient commander d’autres hommes. Ils n’arrivèrent pas à Kûfa avec le reste des troupes mais campèrent dans un village du nom de Harora.


Leur credo fut fondé sur une mauvaise interprétation d’un verset du Coran :


« La hukma illâ lillâh », soit « il n’y a pas de jugement si ce n’est celui de Dieu ».

Ils professaient que nul homme n’avait le droit de commander d’autres hommes ni de prêter allégeance à son prochain. Donc point besoin de Calife. De plus, pour eux ‘Alî (P) avait à se repentir pour avoir commis « l’apostasie » d’accepter le jugement des hommes alors que seul Dieu avait le droit de juger.

Quand il eut vent de leurs récriminations contre lui, ‘Alî (P) alla les voir dans le lieu de leur retraite et leur expliqua qu’ils faisaient une mauvaise lecture du verset du Coran qu’ils aimaient citer. Dieu y faisait comprendre que tout jugement devait se fonder sur la Vérité absolue et infaillible du Livre car toute autre référence en dehors du Coran, du Prophète et de sa descendance n’est pas protégée de l’erreur.

Son refus de continuer le combat après avoir signé l’accord de trêve sur leur propre insistance, relevait du respect de la parole donnée conformément aux enseignements du Coran. Cependant s’il était établi que les juges n’avaient pas respecté leur serment il allait reprendre les combats.


Le Martyre de l'Imam Ali


l'Imam Ali mourut le 21 du mois de Ramadhan de l'an 40 après l'Hégire, mortellement blessé à la tête par un Khârijite du nom de Ibn Muljim alors qu'il était entrain de dirigeait la prière le 19 Ramadhan au matin (il se prosternait). l'épée était empoisonné, il mourut 3 jours après le coup.

Le meurtrier fut attrapé et emmené devant Imam Ali (AS). Quand l'Imam a vu que les cordes attachant ibn Mouljim étaient trop serrées, il ordonna qu’elles soient rendues moins serrées et dit aux musulmans de le traiter humainement et avec respect. En entendent cela, ibn Mouljim commença à pleurer ; Imam l’a dit : "Il est trop tard pour se repentir. Est-ce que j’étais un mauvais Imam ou un gouverneur injuste ? Plus tard, le maudit Ibn Mouljim sera jugé et exécuté.


Avant de mourir, l'Imam désigner son successeur, l'Imam Hassan