L'ASPECT FORMEL DE LA RELIGION

1- Ses différentes faces
Le Saint Coran, qui est la source principale de la pensée religieuse en Islam, a investi d'une entière autorité pour ceux qui écoutent son message, le sens externe de ses paroles. Et ce même sens externe des versets coraniques considère encore les paroles du Prophète lui-même comme complémentaires des paroles du Coran, en déclarant qu'elles jouissent de la même autorité que le Coran. En effet, déclare le Coran: «Nous t'avons révélé une écriture pour édifier les hommes sur ce qui leur a été adressé afin qu'ils réfléchissent» (Coran XVI, 44) et : «C'est Lui qui a envoyé chez les incultes un Prophète issu d'eux qui leur récite ses versets, les purifie, leur enseigne le livre et la sagesse» (Coran LXII, 2) ou encore: «Vous avez dans l'envoyé de Dieu un beau modèle pour vous» (Coran XXXIII, 21).

II est bien évident que de tels versets n'auraient aucun sens si les paroles et les actes du Prophète et même son silence ou son approbation, n'avaient pour nous la même autorité que le Coran. Ainsi les paroles du Prophète font autorité : elles doivent être acceptées par ceux qui les ont entendues ou reçues à travers une transmission digne de confïance. II se trouve que par une telle chaine de transmission entièrement authentique, on sait que le Prophète a dit :

« Je laisse deux valeurs paimi vous; si vous vous y tenez, vous ne vous égarerez jamais :

le Coran et les membres de ma famille. Ces deux ne seront jamais séparés jusqu'au jour du jugement ». (1) Selon ce hadith et d'autres,établis avec certitude, les paroles des membres de la maison du Prophète forment un corpus complémentaire aux hadiths prophétiques. Les membres de la famille du Prophète, en Islam, ont autorité en matière de connaissance et de science religieuse; ils sont infaillibles dans l'interprétation des enseignements et des commandements de l'Islam. Leurs paroles reçues oralement ou par transmission sûre font autorité.

La source traditionnelle de l'aspect formel et extérieur de la loi qui constitue en même temps le document autorisé essentiel et le fondement de la pensée religieuse en Islam, réside donc dans le Livre (le Coran) et la Sunnah. Par le livre on entend l'aspect extérieur des versets du saint Coran, et par la Sunnah, les hadiths entendus du Prophète et de sa famille vénérée.

2- Traditions des compagnons
En shi'isme, les hadiths transmis par les Compagnons sont traités selon le principe suivant : s'ils concernent des paroles et des actions du Prophète et ne contredisent pas les hadiths de la famille du Prophète, on les considère comme acceptables. S'ils contiennent seulement les vues et les opinions des Compagnons eux-mêmes et non celles du Prophète, ils ne sont pas autorisés comme source de commandements religieux. A cet égard, le jugement des Compagnons est identique à celui de n'importe quel autre musulman. D'ailleurs, les Compagnons eux-mêmes contrediraient les autres Compagnons comme n'importe quel autre croyant.

3- Le livre et la tradition
Le livre de Dieu, le Saint Coran, est la source principale de toute la pensée islamque. C'est lui qui confère validité et autorité aux autres sources religieuses de l'Islam. II doit donc être compréhensible pour tous.

D'ailleurs, le Coran se décrit lui-même comme étant la Lumière qui illumine toute chose. De même, il défie les hommes et exige qu'ils réfléchissent sur ses versets et constatent qu'il n'existe entre eux aucune contradiction. Il les invite à produire, s'ils le peuvent, un travail semblable, pour tenter de le réfuter. Il est certain que si le Coran n'était pas compréhensible pour tous, de telles assertions n'auraient pas de sens.

Dire que le Coran est en lui même compréhensible pour tous ne contredit pas l'affirmation précédente selon laquelle le Prophète et sa famille sont des autorités religieuses en sciences islamiques, lesquelles sciences ne sont en réalité que le développement du contenu du Coran. Par exemple, seuls les principes généraux des Lois de la «shari'ah», sont contenus dans le Coran; leurs détails, tels que la manière d'accomplir les prières quotidiennes, de jeûner, de faire du commerce, et finalement de tout acte d'adoration (ibâdât) et de transactions (muâmalât) ne peuvent être connues qu'en se rapportant aux traditions du Saint Prophète et de sa famille.

Quant aux autres parties des enseignements islamiques, traitant des doctrines et des pratiques éthiques, bien que leur contenu et leur détail puissent être saisis par tous, la pleine compréhension de leur signification dépend de l'acceptation de l'enseignement de la famille du Prophète. De même, chaque verset du Coran doit être expliqué et interprété par d'autres versets coraniques, et non par des vues qui ne nous sont dsvenues acceptables et familières que par la force de l’habitude et de la coutume.

L'Imam Ali a dit : «Des parties du Coran dialoguent avec d'autres parties, nous révélant leurs significations, et certaines parties témoignent du sens d'autres parties» (2); et le Prophète a dit: «Des parties du Coran vérifient d'autres parties». (3), et encore: «Quiconque interprète le Coran selon sa propre opinion s'est réservé une place en enfer » (4).

A titre d'exemple d'un commentaire du Coran par le Coran, citons l'histoire du châtiment du peuple de Lot. Dieu dit: «Et Nous fîmes pleuvoir sur eux une mauvaise pluie» (Coran XXVI, 127). En un autre endroit, Dieu change cette phrase en celle-ci: «Regarde! Nous avons envoyé une tempète de pierres sur eux» (Coran XV, 74). En reliant le second verset au premier, il apparait clairement que la «mauvaise pluie» consistait en «pierres» tombées du Ciel. Ceux qui ont étudié attentivement les hadiths de la famille du Prophète et des Compagnons les plus éminents savent que le commentaire du Coran par le Coran est la seule méthode de commentaire coranique enseignée par la famille du Prophète(5).

4- Les aspects extérieurs et intérieurs du Coran
On a dit qu'à travers ses paroles, le Saint Coran exprime des intentions religieuses et édicte des commandements pour l’humanité en matière doctrinale et pratique. Mais la signification du Coran ne se limite pas à ce niveau. En fait, derrière ces mêmes expressions et à l'intérieur même de leurs significations existent des niveaux plus profonds et plus vastes que seule peut comprendre l'élite spirituelle qui possède un cœur pur.

Le Prophète, qui est l'enseignant divinernent désigné par le Coran, dit: (6) «Le Coran possède une dimension intérieurc, et cette dimension intérieure possède à son tour une dimension intérieure et ainsi jusqu'à sept dimensions intérieures» (7). De même, dans les paroles des Imams, il y a de nombreuses références à l’aspect intérieur du Coran.

Le principal support de ces assertions est un exemple que Dieu amentionné dans la sourate XIII, verset 17 du Coran. Dans ce verset, le don divin est symbolisé par une pluie qui tombe du Ciel et de laquelle dépend la vie de la terre et de ses habitants. Avec la venue de la pluie, des torrents commencent à couler et chaque rivière reçoit l'eau, selon sa capacité. En coulant, le torrent se couvre d'écume, mais sous l'écume il y a la même eau qui donne la vie et profite à l’humanité.

Cette parabole signifie que la capacité de compréhension des sciences célestes, qui sont la source de la vie intérieure de l’homme, diffère selon les personnes. Il y a ceux pour qui il n'y a aucune réalité derrière l'existence physique et la vie matérielle de ce monde éphémère. De tels individus sont attachés aux seuls appétits matériels et aux seuls désirs physiques. Leur seule crainte est de perdre les bienfaits matériels et les plaisirs des sens. Tout au plus, en considérant les différences de degrés existant parmi eux, peuvent-ils accepter les enseignements célestes au niveau de la simple croyance et l'accomplissement purement externe des commandements pratiques de l'Islam, sans nulle compréhension. Ils adorent Dieu dans l'espoir d'une récompense ou par peur d'une punition dans l'autre monde.

Il ya aussi ceux qui, de par la pureté de leur nature, considèrent que leur bien-être ne réside pas dans rattachement aux plaisirs éphémères de ce monde. Les pertes et les gains, les expériences amères et douces de ce monde ne sont pour eux qu'une illusoire tentation. Le souvenir de ceux qui avant eux sont passés dans la caravane de l'existence, qui hier recherchaient les plaisirs et aujourd'hui ne sont plus qu'objets de faibles, constitue un avertissement toujours présent à leurs yeux. Ces hommes aux cœurs purs ont une inclination naturelle vers le monde de l'éternité. Ils voient les différents phénomènes de ce monde fugitif comme des symboles annonciateurs du monde supérieur, et non comme des réalités persistantes et indépendantes.

C'est ainsi qu'à travers les signes terrestres et célestes, à travers les signes dans le monde et dans l'âme humaine (8), ils contemplent, en vision spirituelle, la Lumière Infinie de la Majesté et de la Gloire de Dieu. Leurs cœurs s'emplissent de l'ardent désir de comprendre les symboles secrets de la création.

Au lieu de demeurer captifs du puits étroit et sombre de la recherche des avantages personnels et de l'égoisme, ils prennent leur envol dans l'espace illimité du monde éternel et avancent toujours plus loin vers le zénith du monde spirituel.

Quand ils entendent par la révélation que Dieu a interdit l'adoration des idoles, laquelle extérieurement consiste à s'incliner devant une idole, ils comprennent cet ordre comme une interdiction d'obéir à un autre que Dieu, car obéir signifie s'incliner devant quelqu'un et le servir. Au-delà de cette signification, ils comprennent qu'ils ne doivent éprouver ni espoir ni crainte, sauf par rapport à Dieu. Plus encore, ils ne doivent pas se soumettre à l'appel de leurs appétits égoistes et fïnalement, ne doivent jamais détourner leur attention de Dieu.

De même, quand ils entendent le Coran dire qu'ils doivent prier, le sens extérieur de cet ordre signifiant l'accomplissement des rites particuliers des prières, ils comprennent au moyen du sens intérieur qu'ils doivent adorer Dieu et Lui obéir de tout leur coeur et de toute leur âme. Au-delà de cela, ils comprennent que devant Dieu, ils doivent se considérer comme néant, s'oublier et ne se souvenir que de Dieu.

On peut remarquer que le sens intérieur de ces deux exemples, n'est pas lié à l'ordre et à l'interdiction exprimés dans ces versets. Pourtant la saisie de ce sens est inévitable pour quiconque commence à méditer sur un ordre plus vaste et préfère acquérir une vision de l'univers réel plutôt que de se satisfaire de son propre égo, pour quiconque choisit l'objectivité plutôt qu'un subjectivisme égocentrique.

Grâce à cette explication, on a clarifié la signification des aspects extérieurs et intérieurs du Coran. On a également rendu évident le fait que le sens intérieur du Coran n'abolit ni ne réduit son sens extérieur. Il est plutôt comme l'âme qui donne vie au corps. L'Islam, religion universelle et éternelle, qui met la plus grande insistance sur la «reformation» de l’humanité, ne peut jamais se dispenser de ses lois extérieures conçues pour le bénéfice de la société, ni des doctrines élémentaires qui en sont les gardiennes.

Comment une société, qui prétendrait que la religion n'est qu'une affaire de coeur, que seulement le coeur de l’homme doit être pur et que les actions n'ont aucune valeur, pourrait-elle vivre dans le désordre et quand même atteindre le bonheur? Comment des actions et des paroles impures pounaient-elles causer un coeur pur et comment des paroles impures émaneraient-elles d'un cœur pur? Dieu dit dans son livre: «Les femmes viles sont pour les hommes vils, et les hommes vils pour les femmes viles. Les femmes bonnes sont pour les hommes bons» (Coran XXTV, 26). II dit encore: «Quant à la bonne terce, sa végétation pousse par la permission de son Seigneur; quant à celle qui est mauvaise, seul le mal y pousse» (Coran VII, 58).

Le Saint Coran a donc un aspect extérieur et un aspect intérieur : l’aspect intérieur possède différents niveaux de signification. La littérature du hadith, qui explique le contenu du Coran, contient également ces divers aspects.

5- Les principes de l'interprétation (ta'wil) du Coran
Au début de l'Islam, certains sunnites croyaient communément que si des raisons suffisantes existaient, il était possible d'ignorer le sens apparent des versets coraniques et de leur attribuer un sens opposé ;habituellement le sens qui s'opposait au sens littéral était appelé «ta'wil»; et ce qui est nommé «ta'wil du Coran» est habituellement compris en ce sens.

Dans les livres religieux des érudits sunnites, de même que dans les controverses enregistrées entre les différentes écoles, on observe souvent que si un point de doctrine particulier, établi par consensus des Ulémas d'une école ou par d'autres méthodes, s'oppose au sens littéral d'un verset coranique, ce verset est interprété selon le «ta'wil», en un sens contraire à son sens apparent. Parfois deux groupes adverses présentent deux vues opposées en s'appuyant sur des versets coraniques pour justifier leur opposition. Chaque parti interprète les versets présentés par l'autre parti à l'aide du «ta'wil». Cette méthode s'est aussi plus ou moins infiltrée dans le shi'isme et peut être relevée dans quelques travaux théologiques shi'ites.

Pourtant une réflexion suffisante sur les versets coranique et les hadiths de la famille du Prophète manifeste clairement que le Saint Coran, avec son langage plein de séduction et d'éloquence et son expression lucide, ne recourt jamais à des procédés d'exposition énigmatiques mais au contraire, expose toujours n'importe quel sujet dans un langage clair.

Ce qui a été correctement nommé «ta'wil», ou interprétation herméneutique du Saint Coran, ne se rapporte pas simplement à la signification des mots. II concerne bien plutôt certaines vérités qui transcendent la compréhension du commun des hommes, bien que ce soient de ces vérités et de ces réalités qu'émanent les principes doctrinaux et les injonctions pratiques du Coran.

L'ensemble du Coran possède le sens du «ta'wil», de la signification ésotérique, qui ne peut être comprise directement par la seule pensée humaine. Seuls les Prophètes et les purs parmi les amis de Dieu, qui sont libérés de l'imperfection humaine, peuvent contempler ces significations tout en vivant dans la condition présente de l'existence. Au jour de la Résurrection le «ta'wil» du Coran sera révélé à chacun.

On peut expliquer cela par le fait que ce qui oblige l’homme à utiliser le discours, à créer des mots et à se servir du langage, n'est pas autre chose que ses besoins sociaux et matériels. Dans sa vie sociale l’homme est obligé d'essayer de communiquer ses pensées, ses intentions et ses sentiments à ses semblables. A cette fin, il utilise les sons et l'ouie. Parfois il utilise aussi la vue et le toucher. C'est pourquoi entre le muet et l'aveugle, il ne peut jamais y avoir compréhension mutuelle, car quoi que l'aveugle dise, le sourd ne peut l'entendre et quoi que le sourd exprime par des gestes, l'aveugle ne peut le voir. La création des mots et la dénomination des objets ont été réalisées surtout dans un but matériel. Des expressions ont été créées pour désigner des objets, des états et des conditions matérielles accessibles aux sens, ou proches du monde sensible. Comme on peut le constater dans les cas où un interlocuteur est privé d'un sens physique, si l'on désire lui parler de sujets qui peuvent être appréhendés par l'intermédiaire du sens manquant, on utilisera un genre d'allégorie ou de similitude. Par exemple, si l'on désire décrire la lumière ou la couleur à un aveugle de naissance, ou les plaisirs sexuels à un enfant impubère, on cherchera à s'exprimer par la comparaison et l'allégorie, ou par des exemples appropriés.

Par conséquent, si nous acceptons l’hypothèse que dans l'échelle de l'existence universelle, il existe d'immenses niveaux de réalités indépendant du monde de la matière (ce qui est effectivement le cas) et qu'à chaque génération, il ne se trouve dans l’humanité qu'un petit nombre à posséder la capacité de comprendre et d'avoir une vision de ces réalités, alors les questions relatives à ces monde supérieurs ne peuvent être saisies à travers les expressions verbales et les modes de pensée communs. On ne peut s'y référer que par allusion et à travers des symboles.

Dieu dit dans son livre : «Oui, Nous en avons fait un Coran en langue arabe! Peut être comprendrez-vous! II existe auprès de Nous, sublime et sage, dans la Mère du livre» (Coran XLIII, 34). (La raison ne peut le comprendre ni le pénêtrer). II dit aussi: «En vérité (le Coran) est une noble prédication, (figurant) sur un prototype céleste bien gardé, que seuls les purifiés touchent» (Coran LVI, 77-79). Au sujet du Prophète et de sa famille, il dit : «O, gens de la famille du Prophète! Dieu veut seulement éloigner de vous toute souillure et vous purifier pleinement» (Coran XXXIII, 33).

Comme le prouve ces versets, le Coran émane de sources se situant au-delà de la compréhension de l'homme ordinaire. Nul ne peut avoir une complète compréhension du Coran, sauf ceux des serviteurs de Dieu qu'Il a choisis de purifier. Les membres de la famille du Prophète figurent parmi ces êtres purs.

En un autre endroit, Dieu dit : « Ils traitent au contraire de mensonges ce qu'ils ne comprennent pas et ce dont l'interprétation ne leur est pas encore parvenue» (Coran X, 39) (faisant allusion au Jour de la Résurrection quand la vérité des choses sera connue). II dit encore: « Le jour où ce qu'il prédit arrivera, ceux qui auront auparavant oublié le livre s'écrieront : Les messagers de notre Seigneur nous avaient bien apporté la vérité» (Coran VII, 53).

6-Le Hadith
Le principe selon lequel le Coran atteste la validité du hadith, n'est pas discuté parmi les shi'ites ni, en fait, parmi l'ensemble des musulmans. Mais du fait de l'incapacité des premiers chefs de l’Islam à préserver et conserver le hadith, et des excès d’un groupe de Compagnons du Prophète dans la diffusion de la littérature du hadith, le corpus du hadith en vint à rencontrer certaines difficultés.

D'une part, les califes de l'époque empêchèrent l'enregistrement écrit du hadith et ordonnèrent que toute feuille contenant un texte de hadith soit brûlée. Parfois même tout regain d'activité dans la transmission et l'étude du hadith fut interdit (9). De cette manière, une certaine quantité de hadiths furent oubliés ou perdus et quelques-uns furent même transmis avec un sens différent ou déformé.

D'autre part, une autre tendance prévalut chez un groupe de Compagnons du Prophète qui avaient eu l'honneur de vivre en sa présence et d'entendre ses paroles. Ce goupe, qui était respecté par les califes et la communauté musulmane, déploya un effort intense pour diffuser le hadith. Ils poussèrent cet effort si loin que le hadith surpassa parfois le Coran et que certains versets coraniques furent considérés comme abrogés par un hadith. Les transmetteurs de hadiths parcouraient souvent de grandes distances et supportaient toutes sortes de difficultés pour recueillir une seule parole du Prophète.

Un groupe d'étrangers qui s'étaient déguisés sous les apparences de l'Islam et aussi certains ennemis à l'intérieur des rangs de l’Islam se mirent à modifier et à déformer quelques hadiths, et diminuèrent ainsi la fiabilité et la validité du hadith qui était alors entendu et connu (10). Les savants musulmans se mirent en quête d'une solution à ce problème. C'est ainsi qu'ils créèrent les sciences relatives à la biographie des personnalités et des chaines de transmetteurs du hadith (Ilm ur-rijal wa darayah) afin de discerner les vrais hadiths des faux.

7- La méthode shi'ite pour authentifier un hadith
Le shi'isme, en plus de la recherche d'authenticité d'une chaine de transmetteurs, considère que la corrélation du hadith avec le Coran est une condition nécessaire de sa validité. De source shi'ite, il existe plusieurs hadiths du Prophète et des Imams, pourvus d'une chaine de transmetteurs authentique, qui affirment eux-mêmes qu'un hadith contraire au Coran n'a pas de valeur. Seul, un hadith en accord avec le Coran, peut être considéré comme valide (11).

Se basant sur ces hadiths, le shi'isme ne tient pas compte des hadiths qui sont contraires au texte du Coran. Quand aux hadiths dont l'accord ou le désaccord ne peut être établi, selon les instructions reçues des Imams, ils sont passés sous silence, sans être acceptés ni rejetés (12). II va sans dire qu'on trouve aussi parmi les shi'ites des personnes qui, à l'instar de certains sunnites,agissent d'après n'importe quel hadith puisé à n'importe quelle source.

8- Les phncipes shi'ites concernant l'obéissance au hadith
Un hadith entendu directement de la bouche du Prophète ou d'un des Imams est accepté à l'égal du Coran. Quant aux hadiths reçus par des intermédiaires, la majorité des shi'ites s'y conforme si leurs chaines de transmetteurs sont vérifiées à chaque maillon ou s'il existe une preuve sûre de leur véracité, et au cas où ils se rapportent à des principes doctrinaux exigeant connaissance et certitude, s'ils sont conformes au texte du Coran. A part ces deux genres de hadiths, nul autre hadith n'a de valeur en ce qui concerne les principes doctrinaux; le hadith non valide étant désigné comme «tradition avec un seul transmetteur» (khabar wahid). Toutefois, en ce qui concerne les règles de la «shari'ah», pour des raisons que nous avons dites, les shi'ites se conforment aussi à des hadiths généralement acceptés comme valides. On peut donc dire que pour le shi'isme, un hadith certain et défïnitivement reconnu est péremptoire et doit être suivi, alors qu'un hadith qui n'est pas absolument établi comme certain mais est généralement considéré comme digne de foi, est utilisé seulement dans l'élaboration des règles de la «shari'ah».

9 - Apprendre et enseigner en Islam
Acquérir la connaissance est un devoir religieux en Islam. Le Prophète a dit: «Rechercher la connaissance incombe à chaque musulman » (13). Selon des hadiths parfaitement garantis explicitant le sens de cette parole, la connaissance, ici, signifie les trois principes de l'Islam: l'Unicité ou tawhid, la prophétie ou nubuwat, et l'eschatologie ou Maâd. En plus de ces principes, les musulmans sont supposés acquérir la connaissance des branches subsidiaires et le détail des lois de l'Islam selon leurs besoins personnels et les circonstances dans lesquelles ils se trouvent.

Acquérir la connaissance des principes de la religion, ne serait-ce que d'une manière sommaire, est possible, jusqu'à un certain point, pour chacun. Mais acquérii une connaissance détaillée des commandements de la religion en utilisant les documents de base du Livre et de la Sunnah et le raisonnement technique s'appuyant sur ces sources (c'est-à-dire la jurisprudence démonstrative - figh-i-istidlâli), n'est pas à la portée de chacun. Seules quelques personnes sont capables de pratiquer la jurisprudence démonstrative; aussi l'acquisition d'une telle connaissance détaillée n'est pas requise de chacun, car il n'existe aucun commandement en Islam exigeant que quelqu'un accomplisse ce qui dépasse ses capacités (14).

Par conséquent, l'étude des commandements et des lois islamiques par le raisonnement a été limitée, par le principe de la «nécessité suffisante» (wajib kafâi) à ceux qui ont la compétence requise et qui sont dignes d'une telle étude.

Les autres hommes, selon le principe général qui veut que l'ignorant apprenne du savant, doivent s'adresser aux hommes de science capables et dignes, appelés «mudjtahid» et «faqih». L'action qui consiste à suivre les mujtahids se nomme imitation ou taqlid. Naturellement, cette imitation diffère de l’imitation des principes de la connaissance religieuse, laquelle est interdite selon le texte même du Coran «(Oh homme) ne suis pas ce dont tu n'as pas connaissance» (Coran XVII, 36). Précisons que le shi'isme ne permet pas l'imitation d'un «mudjtahid» décédé. C'est-à-dire qu'un individu qui ne connait pas la réponse à un problème par «idjtihad», doit imiter un «mudjtahid» vivant et ne peut se réferer au point de vue d'un «mudjtahid», décédé, à moins d'avoir reçu cette indication du vivant du «mudjtahid». Cette pratique est l'un des facteurs qui ont contribué à garder vivante la jurisprudence shi'ite à travers les âges. II existe toujours des personnes qui poursuivent continuellement la voie du jugement indépendant, l'idjtihad, et s'occupent d'une génération à l'autre de problèmes de jurisprudence.

En sunnisme, à la suite d'un consensus d'opinion (idjma) qui eut lieu au 4ème/10ème siècle, on décida que la soumission à l'une desquatre écoles (celle de Abou Hanifa, Ibn Mâlik, al Shâfii et Ahmad Ibn Hanbal) serait obligatoire. Le libre «idjtihad» ou l'imitation d'une école autre que ces quatre dernières (une ou deux écoles mineures qui s'éteignirent par la suite) fut interdite. II en est résulté que la jurisprudence sunnite s'est figée dans les conditions où elle se trouvait il y a environ 1100 ans. Récemment, certains sunnites se sont désolidarisés de ce consensus et se sont mis à exercer le libre «idjtihad».

10- Le shi'isme et les sciences traditionnelles
Les sciences islamiques, dont l'existence est due aux «ulamâ» qui les organisèrent et les formulèrent, sont divisées en deux catégories: les sciences rationnelles ('aqli) et les sciences traditionnelles (naqli). Les sciences rationnelles comprennent des sciences telles que la philosophie et les mathématiques. Les sciences traditionnelles sont celles qui dépendent de la transmission d'une donnée à partir d'une source, telles que les sciences du langage, du hadith, de l'histoire. Sans aucun doute, la cause essentielle de l'apparition des sciences traditionnelles en Islam réside dans le Coran. A l'exception de quelques disciplines comme l"histoire, la généalogie et la prosodie, les autres sciences traditionnelles sont toutes venues à l'existence sous l'influence du Livre Sacré. Guidés par la recherche et les discussions religieuses, les musulmans commencèrent à cultiver ces sciences, dont les plus importantes sont la littérature arabe (grammaire, rhétorique, sciences des métaphores) et les sciences faisant partie de la forme extérieure de la religion (récitation du Coran, commentaire coranique (tafsir), hadith, biographie des savants, chaines de transmetteurs des hadiths et principes de jurisprudence).

Les shi'ites jouèrent un rôle essentiel dans la fondation et l'établissement de ces sciences. En fait, les fondateurs et créateur de plusieurs de ces sciences étaient shi'ites. La grammaire arabe fut systématisée par Abu-1-Aswad al Duali, l'un des Compagnons du Prophète, et par Ali. Ali dicta un plan d'organisation de la grammaire arabe (15). L'un des fondateurs de la rhétorique fut Sahib Ibn Abbad, un shi'ite, qui fut vizir des Buyides (16). Le premier dictionnaire arabe est le Kitab al Ayn, composé par le célèbre savant, Khalil Ibn Ahmad al Basri, le shi'ite qui fonda la science de la prosodie. Le grand maitre de grammaire, Sibuwayh, fut son élève.

La récitation coranique de Asim remonte à Ali par Abdallah Ibn Abbass, qui fut le meilleur d'entre les Compagnons en ce qui concerne le hadith, et est un élève d'Ali. La contribution de la famille du Prophète et de leurs associés dans le domaine du hadith et de la jurisprudence est bien connue. Les fondateurs des quatre écoles juridiques sunnites sont connus pour avoir eu des relations avec les cinquième et sixième Imams shi'ites. Les remarquables progrès accomplis dans les principes de la jurisprudence par le savant shi'ite Wahid Bihbahâni et suivis par Cheik Murtaza Ansari n'ont de toute évidence, jamais été égalés en jurisprudence sunnite.

Notes du chapitre III :
1)- Les documents de ce récit ont été donnés dans le premier chapitre.

2)- Nahj al-balâghah, sermon 231.

3)- Al-Durr al-manthûr, vol.II, p. 6.

4)- Tafsir al-sâfi, p. 8; Bihâr al-anwâr, vol.XIX, p. 28.

5)- Note de l'éditeur: il doit être ajouté que c'est la méthode utilisée par l'auteur dans son monumental commentaire du Coran, al-Mizân qui comporte 41 volumes.

6)-Tafsir al-sâfi, p. 4.

7)- Tafsir al-sâfi, p. 15; dans le Kâfi, Tafsir 'ayâshi et Ma'âni al-akhbâr, des récits en ce sens ont été rapportés.

8)- Note de l'éditeur: c'est une référence à un verset du Coran: «Nous leur ferons.voir Nos signes dans l'univers et en eux-mêmes jusqu'à ce que leur apparaisse que ceci est la Vérité» (Coran XLI, 53).

9)-Bihâr al-anwâr, vol.I, p. 117.

10)- La preuve de cette question se trouve dans les nombreux ouvrages écrits par les ulémas sur les hadiths, de même dans les livres des gens faisant autorité, un groupe de narrateurs sont qualifiés de «menteurs» ou de « faussaires ».

11)- Bihâr al-anwâr, vol.I, p. 139.

12)-Bihâr al-anwâr, vol.I, p. 117.

13)- Bihâr al-anwâr, vol.I, p. 55.

14)- A ce sujet, on se reférera aux discussions concernant l'ijtihad et le taqlid dans les ouvrages traitant de la science des principes de jurisprudence.

15)- Wafayât al-a'yân d'Ibn Khallikân, Téhéran, 1284, p. 78; A'yân al-shiah de Muhsin 'Amili, Damas, 1935 et après, vol.XI, p. 231.

16)- Wafayât al-a'yân, p. 190; A'yân al-shiah et les autres ouvrages sur la biographie des savants.