Les Aveugles

Après tant de progrès scientifiques extraordinaires et tant d’efforts déployés par les savants pour découvrir les secrets de ce monde, beaucoup de problèmes élémentaires restent une énigme pour l’homme ; de sorte que le savoir humain reste infime, face au domaine de l’inconnu.

 

Aujourd’hui les grands penseurs restent encore stupéfaits et égarés devant les questions les plus élémentaires de la vie sociale, politique et économique. C’est pour cette raison que le monde est divisé en deux pôles tout à fait opposés. Les deux groupes des savants ont usé plus d’une plume à prouver qu’ils avaient raison et que les autres avaient tort. Ils pensent, chacun de son côté, que leur chemin est le meilleur et que celui des autres n’aboutirait qu’au malheur et au désordre. Il est certain que toutes ces opinions contradictoires ne peuvent être correctes, bien que les deux groupes aient cependant obtenu de grands succès dans les domaines scientifiques et industriels. Et ceux qui pensent que les Occidentaux ont obtenu autant de succès au niveau de leur « mode de vie » qu’au niveau scientifique sont certes dans l’erreur.

 

Qu’une communauté technologiquement grâce à sa science et qu’elle évolue dans un domaine, cela ne prouve pas que son mode de vie soit idéal.

 

Les progrès technologiques et industriels résultent de l’activité, des études et des efforts déployés. Mais la société peut voir dégénérer ses valeurs morales, ses mœurs sociales, son mode de vie et ses mérites humains en dépit de ses progrès. En observant toutes les formes de corruption, de désordre et de défaut dans les systèmes du monde occidental, nous nous rendons compte qu’ils n’ont pas évolué correctement dans la plupart des principes de la civilisation, à savoir la pensée, la science, la religion, le gouvernement, la morale et qu’ils sont bien loin de la perfection.

 

Docteur Carrel décrit ainsi les défauts de la civilisation contemporaine:


« La civilisation actuelle se trouve dans une grave situation, car elle n’est pas en harmonie avec notre nature. Elle n’est que le fruit de l’illusion telle que les découvertes scientifiques, les passions des hommes, leurs opinions et leurs observations. Bien que cette civilisation ait été édifiée par nos propres efforts, elle reste cependant disproportionnée par rapport à notre propre constitution et à notre condition. Les experts en la matière jettent les fondements des civilisations de façon que l’homme puisse en profiter. Elles ne conviennent cependant qu’à une image erronée et confuse de l’homme. Bien que l’homme lui-même se dise être le principal critère, ces experts agissent tous contrairement. L’homme à lui seul est incapable d’organiser son propre monde. C’est donc pour cela que l’avance considérable des sciences non vitales sur les sciences vitales peut être considérée comme un des plus grands crimes de l’humanité. Nous ne sommes qu’une bande malheureuse puisque notre morale et notre raison se sont détériorées. À présent, si nous observons les peuples et les communautés qui ont atteint le sommet des sciences non vitales et de l’industrie, nous nous apercevons qu’ils sont tombés dans une telle faiblesse qu’ils retourneront probablement plus tôt que les autres à l’état sauvage et primitif. »(1)

 

L’évolution et la perfection de l’homme dans ces diverses formes nécessitent une série d’enseignements justes, s’appuyant sur les réalités de la vie et exempt de toute erreur. Ce qui ne serait possible qu’en suivant les enseignements des prophètes de Dieu qui sont en rapport, par le biais de la révélation, avec l’origine du monde.

 

La morale doit s’appuyer sur une force métaphysique, supérieure à la matière pour être stable.


Depuis que l’homme a vu le jour et qu’il a fondé les civilisations, un appel clair s’élevait des profondeurs de son être, un appel que l’on nomme « religion ». Et c’est cette vérité qui, en permanence, a conservé les lois et l’ordre de la morale.

 

La montée des phénomènes anti humanitaires de l’injustice, des guerres, des massacres et de l’usurpation dans le monde actuel nous prouve que les gouvernements et leurs lois ne pourront jamais remplacer les sentiments et la foi humaine et instaurer dans l’ordre social, la justice, le bonheur, la paix et l’amitié. La science en dépit de tous ses progrès est incapable de résoudre les problèmes de la vie, d’empêcher les déviations et les catastrophes et de diriger correctement le système social, sans l’aide de la religion.

 

Will Durant, philosophe et sociologue américain écrit:


« Mais le gouvernement possède-t-il assez de pouvoir et de fondement économique et morale pour pouvoir conserver la totalité du patrimoine scientifique, morale et artistique d’une ethnie qui est le fruit et la substance de sa civilisation. Peut-il au moins y ajouter quoi que ce soit et le léguer aux générations à venir. Ou alors le gouvernement, avec la machine actuelle qu’il possède tombera automatiquement entre les mains d’une deuxième ou troisième classe qui considèrerait la science comme blasphème et l’art comme un étrange secret. Pourquoi les plus grandes cités américaines sont-elles gouvernées par les hommes les plus bas? Pourquoi la façon de gouverner dépend d’organisations qui manquent de bonne politique, de patriotisme et de pitié? Pourquoi la corruption, la tricherie aux élections et le détournement des biens publics sont-ils devenus si courants que leur révélation en public n’a plus aucun effet et qu’ils n’excitent même plus la colère et l’indignation des gens? Pourquoi donc l’acte principal du gouvernement se borne aujourd’hui à empêcher les délits et pourquoi le gouvernement s’apprête-t-il à la guerre alors qu’il conclut des traités de paix. Ce gouvernement est cette même institution à laquelle l’église et les familles doivent confier la charge de soutenir la civilisation. » (2)

 

Compte tenu du fait que ses forces sont limitées, la société occidentale ne peut supporter l’anarchie morale et sa pression. La civilisation ne peut tenir sur ses pieds que si l’équilibre est maintenu entre les moyens et le but. Quand le crime atteint son point culminant, le bien ne pourra absolument pas se manifester, sous quelque forme que ce soit. Enfin, cette décadence et ce désordre aboutiront à la destruction. On ne trouvera dans aucune période de la vie et de l’existence, aucune nation ni ethnie qui soit puissante et solide, alors qu’elle suit ses passions et qu’elle est moralement souillée.

 

L’empire romain a chuté à cause d’un tel désordre, la grandeur de la Grèce s’est écroulée, ayant subi le même sort. Et la nation française débauchée, a plié genoux, au premier coup de boutoir nazi, perdant ainsi tout son honneur et sa gloire. En effet, un célèbre général français écrit que la plus grande part de l’échec de cette ancienne nation civilisée était due à sa débauche excessive.

 

L’Allemand Shepgler croit à la décadence de la civilisation occidentale et annonce catégoriquement que d’autres territoires verront à l’avenir briller leur civilisation. Qu’en sait-on? Peut-être que cette civilisation retournera là où elle a vu son peuple le jour, en Orient. La chute d’une civilisation égarée est pour son peuple, une occasion de trouver le chemin de Dieu, de se tourner vers cette vérité suprême et de fonder sa vie sur le bien. Mais au cas où un peuple ne pourrait profiter de cette opportunité, et qu’il laisse échapper la chance d’accueillir la direction divine et le credo qui convient à l’homme, il ne pourra pas bénéficier de la lumière du bien dans sa vie, et ne cessera d’errer, d’égarement en égarement.

 

Malheureusement, de nos jours, on peut ressentir que les nations de l’Orient ont un complexe d’infériorité face au succès industriel de l’Occident ; complexe dont les influences néfastes se manifestent à tous les niveaux de la vie des Orientaux. Un sentiment d’infériorité règne chez nous. Beaucoup d’entre nous sont si influencés par la pensée et les principes de la civilisation occidentale qu’ils pensent que pour progresser, il faut en suivre pas à pas les principes, les coutumes, les mœurs, les lois, le droit et toute autre chose et qu’il faut se soumettre les yeux fermés à l’ordre des occidentaux. La puissance scientifique de l’Ouest les a éblouis à tel point qu’ils en sont venus à leur céder, facilement et non sans certaines fiertés, leur volonté, et leurs richesses matérielles et spirituelles, ainsi que leurs coutumes et traditions religieuses et nationales. Ils en sont même à reconnaître comme le devoir de toute personne progressiste l’imitation aveugle de toutes les apparences des civilisations occidentales.

 

C’est le principal facteur d’enchaînement, de malheur, et d’humiliation et qui rend futile toutes forces matérielles et spirituelles des musulmans. Ils sont inconscients de ce que la science occidentale soit incapable de résoudre les problèmes de l’homme. Les plus graves problèmes qui se trouvent en face de l’homme ne sont pas du genre à être résolus dans les laboratoires. Manifestement, ces « aveugles » sont incapables d’avoir une conception islamique du monde, alors qu’ils font partie de la communauté musulmane. C’est que la religion a été défigurée entre leurs mains. Ils sont étrangers aux enseignements, à la culture et à la civilisation islamique et cherchent constamment à évaluer les préceptes et lois islamiques ainsi que les coutumes et traditions des musulmans avec les critères occidentaux.

 

Un grand penseur musulman déclare:


« Quelle est donc notre excuse, alors qu’il existe un système qui ne nous place pas au-dessous des prétendues civilisations, communiste ou capitaliste, mais qui établit à l’intérieur de notre pays une parfaite justice sociale et qui en même temps nous donne une dignité internationale, un système qui rétablit parmi les autres gouvernements notre ancien prestige et qui nous sauve, nous et la communauté humaine, du fléau infernal de la guerre?

 

Qu’avons-nous à dire, alors que dans cette même religion qui est la nôtre, abondent les lois et les règlements qui résolurent nos problèmes intérieurs et qui en outre ne nous laissent tomber au stade de la mendicité? Cette religion qui nous rend possesseurs d’une partie de la civilisation et nous permet d’y apporter notre soutien, et dont les ressources sont considérables.

 

Le fait qu’un homme puisse se rabaisser de son rang de noblesse à l’état d’un misérable m’étonne. Comment un homme peut-il changer sa main de miséricorde en une main de mendiant. Je ne puis comprendre qu’il soit prêt à troquer le commandement contre l’obéissance, alors qu’il peut choisir la bonne voie en luttant contre la bassesse qu’il ressent en lui.

 

Certes, nous possédons des richesses que l’on pourrait apporter à la civilisation humaine. Nous ne sommes pas arriérés et misérables, comme les blocs de l’Est et de l’Ouest tendent de nous en persuader. Ils veulent nous le faire croire, pour remplacer notre confiance en soi par l’angoisse et notre espoir par le désespoir et pour nous transformer en gibiers égarés, tantôt pris dans les griffes de l’un et tantôt dans le piège de l’autre.

 

Nous en avons d’autre part assez fait l’expérience pour en être lassés. Ces symboles des civilisations aux apparences trompeuses que nous avons, comme des mendiants, pris à droite et à gauche, nous les avons introduits à tous les niveaux de notre vie sociale, de notre pensée et de nos lois, à tel point que notre situation actuelle ressemble à un « carnaval » comique, que ce soit au niveau de notre mentalité et de notre apparence sociale ou au niveau de notre nourriture et de notre habillement.

 

On peut citer en exemple les lois que l’on a copiées au début, sur la France ou sur les autres pays européens ; et depuis, à chaque fois que nous avons eu besoin de fixer des lois pour notre société, nous les avons constamment empruntées à la législation étrangère. IL y a là une contradiction permanente entre l’esprit des lois que nous avons empruntées à l’étranger et l’esprit de la nation à laquelle nous les avons destinées. Le peuple remet à quiconque entrave la loi, la médaille d’honneur, le reconnaît comme héro, et ne lui refuse aucun encouragement ni aide. Il est encouragé autant qu’il hait les gouvernements qui exécutent les lois, qu’il manque de confiance dans le système au pouvoir ou qu’il s’abstient d’aider dans l’ensemble des arguments, des analogies et des témoignages.

 

Pourquoi en est-il ainsi? On dit que la raison en est l’ignorance des gens? Mais non! Car même les personnes instruites ne réagissent pas selon les lois. La véritable raison de la discordance entre la nation et l’esprit des lois est que ces dernières sont empruntées. Elles ne sont aucunement le fruit des besoins sociaux, de l’histoire, de la conscience nationale et de la conscience populaire. Elles viennent d’un milieu dont l’esprit est tout à fait étranger à celui de cette nation. Elles appartiennent à une communauté qui a une histoire, une religion, une situation et des besoins qui lui sont propres. Tant que la loi ne vise pas à satisfaire l’esprit et les besoins d’une nation, cette dernière n’y obéira jamais. » (3)

 

Hakendj, célèbre savant américain et professeur à l’université d’Harvard, écrit dans son livre l’Esprit de la Politique mondiale:


« Ce n’est pas en imitant les systèmes et les valeurs de l’Occident que les pays islamiques progresseront. Certains se demandent s’il existe en Islam une force qui puisse créer de nouvelles pensées et qui puisse offrir à l’humanité des lois et des prescriptions éminentes et indépendantes qui s’adapteraient intégralement aux besoins de la vie moderne. La réponse islamique est non seulement apte au progrès et à la perfection, mais en plus, il l’est bien davantage que les autres systèmes. Le problème des pays islamiques n’est pas l’absence de moyen de progression dans les préceptes de l’Islam ; ce qui y manque, ce sont les tendances et la volonté nécessaire pour exploiter ces moyens. J’ai compris pour ma part avec un maximum de réalisme que la Chariat islamique contenait la totalité des principes nécessaires à l’évolution et à la perfection. »

 

Respecter pendant une journée les prescriptions de l’Islam et s’abstenir de toute sorte de pêchés et des choses illicites, apporte paix et la sérénité dans la société. Le récit suivant en est un exemple typique.

 

Voici ce qu’a apporté un jour de respect des règlements religieux, à l’occasion de la commémoration à Téhéran, de la mort en martyr du guide des pieux Ali (que le salut de Dieu soit sur lui). La presse en avait parlé ainsi:


« Téhéran était hier tout calme, sans que rien ne s’y passe. Le médecin légiste n’avait rien à faire. Rien ne se passait non plus dans les commissariats ; ni dossier ni accusé. On peut dire qu’aucun évènement particulier ne s’est déroulé. Le médecin légiste n’avait pas même un seul cadavre à disséquer. Le médecin de garde disait: « Nous n’avons même pas reçu un seul cadavre de toute la journée. » (4)

 

Selon les statistiques de la morgue, 2525 cadavres sont autopsiés chaque année à Téhéran. Ce qui fait en moyenne six à huit par jour, dont le permis d’enterrement est ensuite délivré. Mais pendant les jours de deuil religieux, ce nombre diminue de façon considérable. La semaine dernière, au cours de la journée anniversaire de la mort en martyr du guide des pieux (13 Day 1345), pas un seul cadavre n’a été amené dans les locaux de la médecine légale, ce qui prouve que les croyances religieuses sont toujours assez intenses et que lorsque les cabarets, les lieux de débauche et les bistrots sont fermés, la société s’en porte mieux. (5)

 

Quelle est la force qui a pu apporter une telle sérénité à la société? Les gouvernements occidentaux peuvent-ils, à l’aide de leur argent et de leur pouvoir, établir pour une heure seulement un tel calme dans la société? Dans tout le monde occidental, il n’existe pas même une seule ville, petite ou grande, ou s’écroulerait seulement une heure, sans qu’il ne s’y produise un accident, un crime, un cambriolage ou un meurtre.

 

C’est là qu’il faut évoquer, non sans regret le vers du grand poète Hafez qui dit:


Des années durant, le cœur me demandait la coupe du roi djamchid.


Il demandait en fait à l’étranger ce qu’il possédait lui-même.

 

Notes :

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1-L’homme, cet inconnu.

2-Les plaisirs de la philosophie, p.326-327.

3-L’Islam et les Autres, p.41-42, 48-49.

4-Keyhan, 14/10/1345 (1966).

5-Khandaniha, N° 37, 27e année.