“Le Divân” de Hâfez de Chiraz

Le Divân
Hâfez de Chiraz
Introduction, traduction du persan et commentaires par Charles-Henri de Fouchécour.
Hâfez est le poète majeur de la poésie lyrique persane. Il vécut au quatorzième siècle à Chiraz. Les mots de ses poèmes sont ceux des spirituels de son temps, aussi ceux des fêtes à la cour, ceux des soldats ou de la chasse, du commerce, du jardin ou de la rue. Mais ses poèmes sont surtout habités du désir de voir le visage de l’Aimé, désir que ne font qu’aviver toutes les réalités du monde. Et si Hâfez jouit en Iran d’un prestige populaire qui ne s’est jamais démenti, c’est peut-être parce que l’amour a dans son œuvre une place si éminente qu’il semble effacer les frontières entre l’humain et le divin.

La traduction complète du Divân est la première qui paraît en français. Toute l’érudition du traducteur, Charles-Henri de Fouchécour, est mise au service de la beauté de la langue et du souci que chacun puisse faire de cette œuvre une lecture personnelle et approfondie.

Prix et distinctions
Prix Nelly Sachs 2006 de la traduction de poésie.

Lauréat de la Fondation culturelle iranienne Mowqûfât de Téhéran (Dr. Mahmûd Afshâr).

Prix 2007 de la Bibliothèque Nationale d’Iran.

Médaillé du Centre de Recherches d’études hâféziennes de Chiraz, 2007.

Prix du meilleur « Livre de l’année 1386 a.h. (2007) » attribué par le Ministère de la Culture de l’Iran (Téhéran, 09/02/2008)

Prix Delalande-Guérineau de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de l’Institut de France, 2008.

Un classique venu de Perse
Œuvre majeure de la littérature persane que ce Divân célébré par Goethe comme par Victor Hugo, et vénéré en Iran. Son auteur, Hâfez de Chiraz, incarne la figure même du poète oriental, et dans Le Divân (terme signifiant « recueil » en persan et qui englobe toute l’œuvre du poète), il aborde aussi bien des thèmes courtois traditionnels (l’être aimé, le vin, la beauté, la coupe…) que le contexte historique troublé du XIVe siècle (la fin de l’Empire mongol d’Iran), puisant son inspiration dans le soufisme, le Coran mais également dans la vie de cour, l’armée ou le commerce, et, de manière générale, dans la ville de Chiraz, où il vécut toute sa vie.

Comprenant 486 ghazal (poèmes), l’œuvre de Hâfez est traduite pour la première fois dans son intégralité en français. Les éditions Verdier, qui ont ouvert, avec cet inédit, leur collection de livres de poche, ont assorti le texte d’une remarquable introduction de Charles-Henri de Fouchécour, « maître des études persanes en France », d’un très utile index thématique, et de commentaires détaillés qui offrent de précieuses pistes d’interprétation. En effet, chaque ghazal porte, par de subtils jeux sur la langue, des significations symboliques qu’aucune traduction ne peut exprimer. Ce « miroir du monde » reste avant tout un « monument ouvert », et pour reprendre les mots de Hâfez : « Je possède un joyau et cherche quelqu’un qui sache le regarder » (Divân, 373,4).

Hâfez de Chiraz, jardinier de l’amour
Au XIVe siècle, alors que Dante venait de terminer sa Divine Comédie et que Pétrarque était plongé dans son Canzoniere, la poésie persane battait son plein. Le grand poète du moment s’appelait Hâfez et il écrivait des ghazals, comme son prédécesseur Rûmi. Sans doute moins mystique, moins exalté que le maître soufi, Hâfez (né vers 1315 et mort vers 1390) est l’auteur de poèmes plus ambigus.

Même si son nouveau traducteur, Charles-Henri de Fouchécour, dans son admirable édition, dit que ce qui est écrit par Christian Jambet de Rûmi (dans sa présentation critique du Soleil du réel, à l’Imprimerie nationale) peut l’être de Hâfez, on a, avec ce dernier, affaire à un univers poétique plus humain, plus charnel, plus ambigu aussi, où l’ivresse, l’amour physique, les observations de la vie quotidienne ne sont pas contradictoires avec l’élan spirituel. On mesure l’influence que Hâfez exercera, à travers les siècles, sur des poètes sensuels comme l’Alexandrin Constantin Cavafy, pour lequel aussi la taverne est un théâtre d’apprentissage plus profond et plus riche que la méditation solitaire, la lecture des livres sacrés ou le respect des dogmes.

En dépit de la complexité des codes poétiques, qui réclament des éclaircissements et des commentaires, fournis par le traducteur, on peut aborder le Divân de Hâfez avec une relative naïveté.

D’autres tentatives de transposition ont été faites par le passé, notamment par Vincent-Mansour Monteil et Akbar Tadjivi (L’amour, l’amant, l’aimé, Sindbad-Unesco-Actes Sud, 1989 et 1998). Mais on est, dans cette nouvelle traduction, au cœur de la pensée du poète, comme dépouillée de sa gangue rhétorique. Et l’aspect parfois prosaïque de cette langue nous la rend paradoxalement plus proche, dans les subtilités de ses raisonnements, sinueux dès qu’il est question de rites, de conduites conformes ou rebelles à l’ordre social et religieux, de choix individuels.

C’est probablement aussi ce qui donne à la voix de Hâfez une présence aussi moderne, dans cette version en tout cas. « Les gens de raison sont le point central de l’existence, mais/l’amour sait que dans ce cercle ils tournent. » Ou encore : « Ne baise que les lèvres de l’Aimé et de la Coupe de vin ;/baiser les mains des vendeurs d’ascèse est une faute ! »

Le secret est au fondement de l’art poétique, des dialogues amoureux et des visions mystiques de Hâfez, nous dit son traducteur. « Hâfez était habité par un secret resté secret à lui-même. L’un des aspects de ce secret fut le comportement de l’être aimé de lui. Cet être ne lui en a rien révélé et l’a beaucoup déconcerté. Le poète nous a quittés avec son secret il y a six siècles. » L’un des caractères de ce secret est le sexe de l’objet d’amour. Comme dans les sonnets de Michel-Ange et de Shakespeare plus tard, le destinataire peut être alternativement homme ou femme. « Yâr, l’être qui accompagne et aide le poète, intime socius et bien-aimé, n’a aucun signe qui le distingue comme étant une femme. » Est-ce que cette indifférenciation incite à une lecture mystique des poèmes et à une identification de l’Aimé à une figure divine, à la manière dont on lit Thérèse d’Avila ou Ines de la Cruz ? Non, répond Hâfez lui-même, qui dialogue autrement quand est évoquée la divinité. Mais d’innombrables distiques pourraient, assurément, être isolés et constituer des prières enviables. « Par mon corps je ne puis atteindre la fortune de m’attacher à Toi./Mais le meilleur de mon âme est poussière au Seuil de Ta porte. »

L’ivresse, de même, loin de s’opposer à la maîtrise intérieure qui pourrait être propice à une réflexion contrôlée et à l’accès aux véritables valeurs spirituelles, est une porte de la sagesse, parce qu’elle délivre de l’étroitesse du « moi ». C’est un des paradoxes fondamentaux de cette poésie. L’ascète a moins de sagesse que l’homme ivre. L’homme chaste et contrit moins de grandeur que le libertin. « Demande aux libertins ivres le secret intérieur au voile/car le soufi de haut rang n’accède pas à cet état ! » Bien entendu, l’Aimé est paré de qualités absolues qui l’apparentent à un dieu, si bien qu’il ne s’agit jamais de beauté contingente, individuelle, éphémère. Mais les histoires d’amour qui lient le poète à son amant non sexué suivent le même cours que toutes les aventures humaines. Jalousie, possessivité, trahison, séparation, réconciliations, distance, absence, blessures et baumes.

On est loin de la souffrance de Pétrarque, ne cessant de traquer dans l’amour la fragilité de l’illusion, la menace de la tromperie, le caractère temporel d’une beauté fugace. Et il est certain que ces poèmes doivent leur gloire et leur durable postérité à leur sensualité et à leur richesse métaphorique : « Puisse mon âme être immolée à Ta Bouche, car au jardin du regard,/le Jardinier du monde n’a rien noué de plus beau que Ce Bouton de rose.»

Hâfez est le poète majeur de la poésie lyrique persane. Il vécut au XIVe siècle à Chiraz. Les mots de ses poèmes sont ceux des spirituels de son temps, aussi ceux des fêtes à la cour, ceux des soldats ou de la chasse, du commerce, du jardin ou de la rue. Mais ses poèmes sont surtout habités du désir de voir le visage de l’Aimé, désir que ne font qu’aviver toutes les réalités du monde. Et si Hâfez jouit en Iran d’un prestige populaire qui ne s’est jamais démenti, c’est peut-être parce que l’amour a dans son œuvre une place si éminente qu’il semble effacer les frontières entre l’humain et le divin.

La traduction complète du Divan est la première qui parait en français. Toute l’érudition du traducteur, Charles-Henri de Fouchécour, est mise au service de la beauté de la langue et du souci que chacun puisse faire de cette œuvre une lecture personnelle et approfondie.

Hâfez a fait de « sa parole un mémorial de vie ». Cet homme habité par l’amour n’ignorait pas qu’il possédait un grand joyau avec la poésie. Ils furent nombreux à savoir le regarder. Hegel le lit. Victor Hugo invoque le nom du grand lyrique persan du XIVe dans Les Orientales. Pour Goethe, qui fait de lui son modèle et son maître, Hâfez est le visage même du poète. Dans son pays, il reste l’objet d’un culte vénérable. Charles-Henri de Fouchécour, le « maître des études persanes en France », comble un vide en proposant la première traduction complète et commentée du Divân.

Fouchécour n’a passé « que seize ans », dit-il non sans élégance, à s’essayer à regarder Hâfez. Le poète persan savait faire silence en lui-même. Sa vie, partagée entre la cour du chah et les convents des soufis, reste souvent opaque, même à ses propres yeux, et ses ghazals (forme poétique d’essence musicale composée de distiques sans liens obligés apparents) résonnent du mystère des choses qui ne se laissent pas dévoiler. Nous sommes au pays du caché et de l’apparent. C’est pourquoi la traduction de Fouchécour nous est précieuse. Non seulement elle fait exister des textes encore inaccessibles, mais elle nous permet d’entrer dans une subtile révélation.

Chiraz est la ville que Hâfez traite comme une métaphore du monde (c’était d’ailleurs l’une des Sorbonne de l’Orient ; le philosophe Mollâ Sadrâ était lui aussi de Chiraz). Ce que nous dit Fouchécour de l’existence de Hâfez dans sa ville nous renseigne sur les bouleversements et les tragédies d’une époque (le XIVe) qui voit l’effondrement des dynasties mongoles dominant la Perse depuis un siècle et l’arrivée de Tamerlan. Les vizirs règnent et passent. L’errance et la guerre définissent leur destin. Il en est un, Châh Khodjâ, que le poète regrette (Notre beau Turc ne regarde vers personne »).

Qu’elle évoque des vizirs ou des habitués de la taverne, des visages aimés ou hypocrites, des échansons sommés d’apporter des coupes ou des dévots, la poésie de Hâfez (celui qui sait le Coran par cœur ») se dégage de la réalité de l’instant pour la sublimer et inscrire son chant dans la symphonie du monde. Ce visage adoré et chanté est-il divin ou humain ? Faut-il prendre à la lettre la récurrente injonction de s’enivrer ou y entendre l’appel à d’autres abandons ? Hâfez était très généreux de ses inventions. Ses ghazals jettent un camaïeu de lumière sur les mystères du monde.

[…] Le Divân, du Persan Hâfez de Chiraz, est une œuvre majeure, un recueil de poèmes datant du XIVe siècle, célébré en Iran et traduit intégralement, pour la première fois en français, par Charles-Henri de Fouchécour, qui n’a pas épargné sa peine. Il faut lire sa préface et les commentaires qui accompagnent chacun des 486 « ghazal » pour mieux saisir la beauté lyrique et l’érudition d’un ouvrage qui est à la fois une déclaration à l’Aimé et « le miroir du monde ». Les éditions Verdier ont voulu marquer fortement les débuts de leur collection de livres de poche avec ce long texte inédit, mais également avec la réédition de L’A^me de la vie, de Rabbi Haïm de Volozine, et de Célébration de la poésie, d’Henri Meschonnic.

Un divan en une seule poche
Il y a sûrement de l’inconvenance à mettre d’emblée l’accent sur le rapport qualité-prix s’agissant du Divân de Hâfez (XIVe siècle), chef-d’œuvre de la poésie lyrique persane. Mais les éditions Verdier ne manquent pas de panache en inaugurant leur nouvelle collection « poche » avec la première traduction intégrale française de ces quelque cinq cents courts poèmes, enrichie d’une introduction qui pourrait être un essai, d’un très utile index thématique et de remarquables commentaires. Le tout en 1280 pages pour 25 euros. Cette quintessence – cinquante années de la carrière du poète – a demandé seize ans de travail au maître d’œuvre français, Charles-Henri de Fouchécour.

Divân signifie tout simplement « recueil ». Quant à son auteur, Hâfez, c’est « celui qui sait par cœur le Coran ». On comprend ainsi d’emblée la portée mystique de ces chants d’amour, où se retrouvent les thèmes courtois (l’Aimé, la coupe, le vin, les oiseaux, les musiques…) mais dont l’interprétation joue de tous les registres. Le chant raffiné puise aussi bien dans la philosophie que dans un Coran lu à plusieurs degrés symboliques.

Le décor, les objets et les personnages renvoient à Chiraz, où Hâfez naquit et mourut, y passant l’essentiel de sa vie – son superbe tombeau est devenu lieu de culte et de pèlerinage. Charles-Henri de Fouchécour montre aussi l’importance du contexte historique et politique qui fait, chez le poète, l’objet d’un travail subtil. Mais il s’agit plus encore d’une méditation et d’une célébration de l’Amour où l’on reconnaît à la fois la tradition grecque et l’« érotique divine » qu’attestait déjà le Cantique des cantiques (IVe siècle avant J.-C.). L’homme, nous dit Hâfez, a reçu dans la prééternité la vocation d’aimer un Aimé et d’aimer ainsi Celui qui l’enflamme d’amour tout en restant dans le secret. Seule l’ascèse – l’« exercice » – permet de dire cet amour. Un amour qui ne s’exprime avec sincérité que dans la « douleur d’amour ». Hâfez invite chacun à s’examiner et à se reconnaître hypocrite jusque dans les plus hautes célébrations, car l’amant cherche toujours à moyenner, à ruser, à s’épargner trop d’épreuves, fût-ce en proclamant accepter ou rechercher la souffrance.

Chaque poème d’amour – le ghazal – compte une dizaine de distiques. Le poète choisit, pour chaque œuvre, une métrique elle-même symbolique, joue bien sûr des assonances et s’appuie le plus souvent sur un mot « refrain » dont l’ensemble du poème est une variation. D’où l’indispensable présence, pour chaque ghazal, du commentaire proposé par Charles-Henri de Fouchécour – commentaire qui ouvre des pistes sans jamais imposer une seule lecture. Si bien qu’il faut d’abord lire le texte pour lui-même, avec son énigmatique beauté puis, selon l’humeur, se lancer au pays des mille et un symboles.

Le Divân inaugure superbement la nouvelle collection. Celle-ci comptera une vingtaine de titres par an : soit des inédits, soit des reprises du fonds Verdier. L’axe principal sera la théorie (sciences humaines, histoire, philosophe et spiritualité), ce qui retiendra particulièrement l’attention des étudiants. Littérature et poésie, on le voit, ne sont pas pour autant oubliées. Avec Le Divân paraissent des textes d’Henri Meschonnic, de Giani Stuparich, et du rabbi Haïm de Volozine, grand talmudiste du début du XIXe siècle. Dès l’automne viendront Friches, des haïkus de Basho (Japon, XVIIe siècle), mais aussi les E'crits sur le cinéma de Benjamin Fondane ou le Parménide de Jean Bollack.