Introduction Les origines du christianisme

Les origines du
christianisme
Mohammed mazigh
Introduction
Et si la religion chrétienne, qui est à la base de la civilisation occidentale, dite judéochrétienne, n'était qu'un mythe ou plutôt un agrégat de mythes, venant de l'antiquité, et étrangers à la tradition monothéiste des prophètes, à laquelle l'Eglise veut le rattacher?

Et si le christianisme n'était qu'une invention de cette même Eglise, une institution créée en dehors du milieu d'origine de Jésus, et sans rapport avec son enseignement ?

Instrument de domination au service des grands de ce monde, elle n'a cessé, au nom de Jésus, d'écraser le monde de sa domination et de justifier les tyrannies : persécutions, croisades, extermination de peuples, esclavage et conquêtes coloniales, elle a été associée aux grands malheurs de l'humanité, quand elle ne les a pas provoqués et menés.

Se prétendant la seule détentrice de la vérité, l'Eglise a combattu les autres religions, converti à la force du sabre ou de la baïonnette des millions de personnes. Les religions d'Amérique Latine ont ainsi disparu, d'autres, sous l'action combinée des colons et des missionnaires, ont subi des dommages, créant artificiellement des minorités, au sein des ensembles nationaux, jadis homogènes.

Avec l'Islam, l'Eglise a toujours été en guerre. Quand ce n'est pas la guerre ouverte, comme au temps des croisades ou des conquêtes coloniales, c'est la guerre idéologique par les missions intermédiaires.

Certes, il existe depuis quelques décennies maintenant, un dialogue islamo-chrétien, initié, de part et d'autre par des hommes et des femmes de bonne volonté, qui essayent de rapprocher les deux communautés sur la base des éléments communs aux deux religions, mais l'hostilité, du côté chrétien, l'emporte souvent sur l'esprit de conciliation.

En 2006, le nouveau pape de Rome a jeté l'huile sur le feu en déclarant publiquement que l'Islam est une religion de guerre et de violence, oubliant les crimes de l'Eglise.

Mais les plus grands assauts viennent des médias, notamment des chaînes satellitaires européennes et américaines d'expression arabe (mais qui parlent également dans d'autres langues des pays musulmans) qui distillent à longueur de journée des discours hostiles à l'Islam. Le Prophète Mohammed est accusé d'être un imposteur et un assassin un site Internet le classe même parmi les plus grands criminels de l'humanité, avec Hitler et Staline- le Coran est décrit comme un tissu de mensonges, appelant à la violence et à la guerre. L'amalgame est vite fait entre Islam et terrorisme. A l'inverse, le

christianisme est présenté comme une religion de vérité, de paix et de tolérance. Des jeunes se laissent séduire par le discours lénifiant des missionnaires, surtout quand on joint, aux Evangiles et aux cassettes vidéo, des promesses de visa pour l'Europe et l'Amérique, voire de l'argent pour aider ceux et celles qui sont dans le besoin. En échange, les néophytes doivent ''répandre la parole de Dieu'' et gagner à leur nouvelle foi, leurs amis et leurs proches ! La démission des autorités religieuses musulmanes, enfermées dans des discours figés, incapables de renouveler leur argumentation, la corruption, la violence et la misère qui minent les Etats, facilitent le travail des nouveaux Apôtres.

Ce n'est un secret pour personne que la religion chrétienne, ne cesse, depuis un siècle de reculer, après avoir été la religion dominante dans le monde. Il y a eu d'abord la déchristianisation de la classe ouvrière, l'Eglise, qui s'est toujours rangée du côté des puissants et qui a justifié l'exploitation des pauvres par les riches, a perdu le contrôle qu'elle exerçait sur les classes laborieuses. Les combats du laïcisme ainsi que les progrès de la civilisation industrielle ont entraîné un recul du sacré et la perte du sentiment religieux dans les autres classes. Même quand ils se déclarent ''chrétiens'' de nombreux Européens et Américains ne vont plus à l'Eglise et n'observent plus les préceptes de leur religion.

Dans les pays du Tiers monde où le christianisme a souvent été imposé par la force, on assiste également, depuis les indépendances, à un recul : le rejet du colonialisme s'accompagne souvent d'un rejet de sa religion, du moins du rejet de sa forme occidentale. En revanche, on assiste, dans de nombreux pays à un renouveau des religions locales, généralement réfractaires, voire hostiles aux missions chrétiennes, comme c'est le cas de l'Inde ou des pays musulmans. Depuis, les Eglises se sont dotées de puissants instruments de propagande -notamment les médias, pour investir ces pays et réussir là où les guerres coloniales n'ont pas réussit: obtenir des conversions ! Les musulmans, parce qu'ils croient en Jésus Fils de Marie et à son Message, ont jusque là observé une attitude de réserve face au christianisme : même s'ils en critiquent les dogmes, ils ne s'opposent pas à lui de façon systématique et ils continuent à voir dans les chrétiens des Gens du Livre, proches de leur foi.

Aujourd'hui, avec la virulence des attaques, il est temps d'organiser la riposte, de montrer la réalité du christianisme, détourné, dès les origines, de l'enseignement de Jésus, et des crimes que l'Eglise a commis en son nom.

Ce livre, écrit par un musulman, se veut avant tout un rétablissement de la vérité historique. S'il remet en cause les fondements historiques de la religion chrétienne, il ne doute à aucun moment de l'existence de Jésus ni de sa qualité de prophète ni de la véracité de l'Evangile authentique. Il n'est pas non plus hostile aux chrétiens mais les informe par devoir de vérité des errements de l'Eglise. Puisse ce livre les aider à prendre conscience de la vérité et à rendre justice à Jésus, le prophète calomnié et vilipendé depuis 2000 ans !

I- De l'Evangile céleste aux Evangiles terrestres
A- La notion de révélation et sa transmission dans le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam.
C'est une évidence de dire que la Révélation monothéiste est la communication, la manifestation d'une vérité cachée, sous la forme d'un message ou Ecriture, mais il faut à chaque fois préciser que la conception de la révélation diffère dans les trois religions.

Dans l'Islam, révélation se dit tanzîl, du verbe nazala ''descendre'', la révélation est ce qui descend, autrement ce que Dieu veut bien révéler de sa parole, par l'intermédiaire des prophètes et des envoyés, parce que ''il n'a pas été donné à un être humain que Dieu lui parle autrement que par révélation ou derrière un voile ou par l'envoi d'un messager (ange) qui révèle, avec sa permission, ce qu'il veut.'' (sourate 42, La Consultation, v. 51)

La Parole de Dieu révélée aux prophètes est contenue dans des écrits kutûb- : la Torah, le Psautier, l'Evangile et le Coran sont les livres porteurs de législations, mais il existe aussi d'autres écrits, tels les feuillets s'h'ûf- d'Abraham. Ces écrits révélés aux hommes par l'intermédiaire des prophètes et des envoyés, sont extraits de la Parole Incréée de Dieu, figurant dans la Table Gardée. Si cette Parole est inaltérable, parce que inaccessible aux hommes, les écrits révélés, c'est-à-dire mis à la portée des hommes, peuvent l'être. Ce fut justement le cas de la Thora et de l'Evangile, diffusés longtemps après leur révélation, mais non celui du Coran, qui a été, transcrit du vivant même du Prophète.

Dans le judaïsme et le christianisme on retrouve aussi la conception d'un Dieu inaccessible aux hommes.

Sur le mont Sinaï, Dieu dit à Moïse : ''Tu ne pourras pas voir ma face car l'homme ne peut me voir et vivre''.( Exode, 36, 20).

Le judaïsme mentionne que les prophètes sont inspirés par le souffle divin, le ruh'. Ainsi, David, en mourant, aura ces dernières paroles : ''L'esprit de l'Eternel a parlé par moi, et sa parole est sur ma langue'' (Samuel, livre 2, 23, 2).

L'hébreu emploie le verbe galah pour dire ''révéler'' et le mot gilut pour ''révélation'' : les deux mots signifie aussi ''dévoilement, déploiement'', c'est-à-dire de ce qui était caché et qui devient apparent.

La révélation (ou ce qu'il convient d'appeler la révélation monothéiste) n'est pas donnée une fois pour toutes, les prophètes et les envoyés ne recevant qu'une partie de la Parole divine.

Le Deutéronome énonce clairement qu'il y aura d'autres prophètes après Moïse :

''L'Eternel me dit : ce qu'ils ont dit est bien. Je leur susciterai du milieu de leur frères un prophète comme toi, je mettrai mes paroles dans sa bouche, et il leur dira tout ce que je lui commanderai'' (18, 18).

Dans les Actes des Apôtres, Pierre interprète ce verset comme l'annonce de Jésus :

''Repentez-vous donc et convertissez-vous, pour que vos péchés soient effacés, afin que des temps de rafraîchissement viennent de la part du Seigneur, et qu'il envoie celui qui vous a été destiné, le Christ Jésus (…) Moïse a dit : ''Le Seigneur votre Dieu vous suscitera d'entre vos frères un prophète comme moi ; vous l'écouterez en tout etc. '' (3, 19-23). Mais la révélation ne s'arrête pas là, puisque, dans l'Evangile, aussi, il est question de l'annonce d'un autre prophète, qui apporterait la Révélation et la consolation aux croyants :

''Quand il sera venu, l'Esprit de vérité, il vous conduira dans toute la vérité car ses

paroles ne viendront pas de lui-même, mais il parlera de tout ce qu'il aura entendu et vous annoncera les choses à venir. Lui me glorifiera parce qu'il prendra de ce qui est à moi et vous l'annoncera''. (Evangile de Jean, 16, 13-14) : ce verset est interprété, par les musulmans comme l'annonce du Prophète Mohammed. :

Dans le judaïsme comme dans le christianisme, l'idée première de révélation était aussi la Parole de Dieu révélée, telle qu'il l'a fait descendre ou révélée aux prophètes.

C'est ainsi que le Livre des Jubilés (3, 10) fait allusion à un commandement inscrit dans des Tables Célestes et le Talmud de Babylone recommandant aux scribes de recopier fidèlement les textes sacrés et de ne pas omettre une seule lettre. A une époque même, on détruisait systématiquement toutes les copies qui comportaient des fautes (Jew. Ency., article manuscrips).

Mais cette attention donnée à la transmission de la Révélation allait, malheureusement, s'estomper au cours des siècles, jusqu'à disparaître. Les traductions en grec, puis en latin de la Bible allaient modifier profondément les textes. La Bible hébraïque n'échappera pas non plus aux transformations ainsi que le montrent les différences importantes qu'il y a entre elles et les manuscrits de la Mer Morte, écrits vers 250 avant JC.

La notion d'Ecriture est secondaire dans le christianisme. Selon l'Eglise, la Révélation est contenue dans le Christ qui, étant Dieu, est lui-même la Parole de Dieu.

''Après avoir autrefois, à plusieurs reprises et de plusieurs manières, parlé à nos pères par les prophètes, Dieu nous a parlé par le fils en ces jours qui sont les derniers. Il l'a établi héritier de toutes choses, et c'est par lui qu'il a fait les mondes. Ce fils, qui est le rayonnement de sa gloire et l'expression de son être, soutient toutes choses par sa parole puissante : après avoir accompli la purification des péchés, il s'est assis à la droite de la majesté divine, dans les lieux très hauts…'' (Epître aux Hébreux, 1, 4) C'est par le baptême que le fidèle accède à la Vérité et non par le Livre.

C'est ainsi qu'on ne conservera pas dans sa langue d'origine l'araméen- l'Evangile : c'est en grec, puis en latin, des langues totalement différentes des langues sémitiques, qu'il sera réécrit et diffusé. Aujourd'hui, les théologiens chrétiens admettent eux-mêmes que leurs textes sacrés ne sont pas la transcription de la Parole révélée mais seulement des textes produits par des hommes qui auraient vécu au temps de Jésus et rapporté des événements de sa vie et des éléments de son enseignement. C'est aussi la position des théologiens israélites pour qui les livres de l'Ancien Testament ont été inspirés à des prophètes et à des patriarches, qui les ont rédigés.

Dès lors, la Révélation, chez les chrétiens, comme chez les juifs, n'est plus, comme dans l'Islam, une transcription fidèle de la Parole divine, mais des témoignages personnels, que l'on dit inspirés par Dieu, mais qui racontent à leur façon, c'est-à-dire dans leur style et selon leurs états psychologiques et leurs préoccupations du moment, les événements.

C'est ainsi qu'il n'y aura pas un seul Evangile mais plusieurs, avec, comme nous le verrons, des variantes importantes, voire des contradictions. La différence est grande avec le Coran qui, de la tradition monothéiste, est le seul à conserver la notion de Révélation, Parole de Dieu inchangée parce que conservée telle qu'elle a été révélée et dans sa langue d'origine.

B-De l'Evangile céleste aux Evangiles terrestres
Les disciples de Jésus n'ayant pas pris la précaution de faire transcrire la Révélation, l'Evangile céleste a disparu.

Les premières communautés chrétiennes, aussi bien celles de la Palestine que celle de la diaspora, se sont d'abord appuyées, pour faire la prédication, sur les faits et les paroles de Jésus, rapportés par la tradition orale. La communauté devenant importante, on a éprouvé le besoin de consigner par écrit cette tradition. Ce sera les recueils de logia ou paroles de Jésus qui devaient servir à composer les premiers Evangiles.

L'existence de tels recueils est attestée par Papias, évêque d'Hiérapolis, qui a vécu dans la première partie du 2ième siècle. Papias est l'auteur d'un recueil en cinq livres, Explication des paroles du Seigneur, aujourd'hui perdu, mais dont des fragments nous ont été conservés par Eusèbe de Césarée, dans son Histoire ecclésiastique.

Un de ces fragments mentionne justement que l'apôtre Matthieu a réuni en langue hébraïque (entendre sans doute en araméen) les logia de Jésus ''que chacun a interprété à sa manière''. C'est en se basant sur cette affirmation de Papias, de l'existence d'un recueil de logia, qu'on a supposé que les Evangiles de Matthieu et de Luc s'inspirent d'un texte commun qu'on a dénommé source Q (voir plus loin).

Dès le premier siècle, l'Eglise est confrontée à une multitude de textes qui prétendent tous transmettre la parole du Seigneur Jésus. On recourt également aux Ecritures juives, notamment celles qui contiennent des prophéties sur la venue du Messie que les chrétiens identifient à Jésus. D'ailleurs, les docteurs juifs, en réaction à la propagande chrétienne, vont exclure de leur canon, une partie de ces textes.

C'est seulement au 2ième siècle que l'Eglise va penser à établir, sur le modèle du Canon juif, sa liste de livres sacrés. De la masse de textes en présence, on retiendra vingt-sept, qui vont constituer ce que l'on appellera plus tard le Nouveau Testament, par opposition à l'Ancien Testament, constitué, lui, des livres juifs. Il s'agit :

- de quatre Evangiles : l'Evangile selon Matthieu, l'Evangile selon Marc, l'Evangile selon Luc et l'Evangile selon Jean,

- des Actes des Apôtres

- de quatorze épîtres de Paul

- d'une épître de Jacques

- de deux épîtres de Pierre

- de trois épîtres de Jean

- d'une épître de Jude

- de l'Apocalypse de Jean.

Nous aborderons plus loin le problème des actes des apôtres et des épîtres. Examinons ici les Evangiles et faisons remarquer tout de suite la préposition selon accolée à chaque texte. Si on ne dit pas l'Evangile de Matthieu, l'Evangile de Marc, l'Evangile de Luc et l'Evangile de Jean, c'est parce qu'on n'est pas sûr de l'identité des auteurs de ces textes. Et le doute n'est pas le fait des critiques contemporains puisque la préposition selon figurait déjà dans les copies grecques et latines les plus anciennes.

L'établissement du Canon a suscité d'après discussions au sein des Eglises et l'Eglise catholique a dû user de force, pour imposer ses choix. Si l'Eglise avait décidé d'établir un corpus, c'était surtout pour contrer la formation de ''partis'' qui avaient commencé à surgir dans les communautés chrétiennes. L'exemple le plus célèbre est celui de Marcion, né en 85 à Pont (aujourd'hui en Turquie) qui a fondé une Eglise dissidente de

celle de Rome qui allait avoir beaucoup de succès en Orient et perdurer jusqu'au 5ième siècle.

Contrairement aux théologiens de son époque, Marcion rejetait en bloc l'Ancien Testament que le message de Jésus avait, selon lui, aboli. Des livres chrétiens, il ne retenait que l'Evangile de Luc (dont il avait supprimé certaines parties) et une dizaine d'épîtres de Paul. Il s'était signalé aussi par des positions doctrinales opposées à celles de l'Eglise. Ainsi, il rejetait l'adoration de la croix et ne reconnaissait pas la double nature (divine et humaine) du Christ. Ces positions lui ont valu l'excommunication mais cela ne l'a pas empêché de continuer à diffuser ses idées et à se faire des disciples.

En établissant son canon, l'Eglise devait non seulement combattre les hérésies mais aussi imposer les textes qui cadrent le mieux avec les conceptions et les dogmes qu'elle avait choisis.

Les auteurs catholiques vont justifier ces choix en prétendant que les auteurs des Evangiles retenus avaient côtoyé Jésus et avaient donc été témoins des grands faits de sa vie et rapporté fidèlement sa parole et son enseignement.

Ainsi, Saint Irénée, dans Adversus Haereses (Contre les Hérétiques), rédigé vers 170, écrit que Matthieu avait rédigé son Evangile en Palestine, au temps où Pierre et Paul fondaient l'Eglise à Rome, Marc était un disciple de Pierre et avait rédigé son livre à la demande de celui-ci, Luc était disciple de Paul et avait rédigé à sa demande son témoignage, enfin, Jean, compagnon de Jésus, avait écrit son Evangile alors qu'il séjournait à Ephèse. Le même Irénée soutient que l'Evangile est un et que les quatre Apôtres n'ont fait qu'apporter, chacun de son côté, son témoignage sur la vie et l'oeuvre du maître. Il ignore ou feint d'ignorer les différences et les contradictions qui existent entre les quatre témoignages, sensés rapporter les mêmes faits.

A la différence d'Irénée, d'autres auteurs chrétiens, comme Ignace d'Antioche, qui écrivait pourtant au début du 2ième siècle, ignorent les Evangiles et ne les citent pas dans leurs textes. Et quand d'autres, comme Justin, les citent, les passages retenus ne se retrouvent pas dans les Evangiles canoniques !

C'est qu'en plus des Evangiles canoniques, il existait d'autres textes que ces chrétiens, aussi respectables que les autres, considéraient comme dignes d'intérêt et auxquels ils se référaient. Ces Evangiles, qualifiés d'apocryphes, mot grec signifiant ''caché, mystérieux'' voire ''douteux'' ont été longtemps combattus et interdits de lecture par l'Eglise. Aujourd'hui, ils font l'objet de recherches et il n'est pas exclu qu'on y découvre, ainsi que nous le verrons, des fragments de l'Evangile authentique !

Signalons que la liste des Evangiles canoniques a été de nouveau contestée au moment de la Réforme (16ième siècle), Luther ayant retiré du Nouveau Testament l'Epître de Jacques. L'Eglise catholique dut recourir au concile de Trente (1546) pour affirmer de nouveau l'autorité de son Canon.

En l'absence d'un témoignage, transcrit du vivant même de Jésus, les Evangiles se sont multipliés, apportant chacun une version différente de la vie et de l'enseignement de Jésus. L'établissement d'un canon n'a pas résolu le problème, les textes qui y figurent étant eux-mêmes contradictoires, donc sujets à caution.

C-Les Evangiles canoniques
1- datation
Selon les dates retenues par le Vatican, l'Evangile de Matthieu, le plus ancien, a été rédigé entre 65 et 70, soit entre 35 et 40 ans après la mort présumée de Jésus (30), celui de Marc avant 70, parce qu'il prophétise la ruine de Jérusalem, qui a eu lieu en 70, celui de Luc entre 80 et 90, enfin, celui de Jean, vers 90. Mais on admet aussi qu'avant les Evangiles proprement dits, il y eu une mise par écrit des paroles de Jésus, les logias, qui fourniront une source pour les Evangiles et qui dateraient de 50. Des auteurs chrétiens, tels le Français Philippe Rolland, sont même partisans d'une datation plus ancienne : les Evangiles synoptiques auraient été rédigés dans une fourchette allant de 62 à 67.

On comprend le souci de l'Eglise de rapprocher le plus possible les textes de son Canon de l'époque où Jésus a vécu, pour soutenir leur authenticité. Le Concile Vatican II a encore reconduit, dans sa session de Novembre 1965, (constitution dogmatique, Dei Verbum) ces dates et décrété l'historicité des Evangiles, mais malheureusement, ces dates comme l'historicité, ne peuvent être retenues.

Signalons d'abord que nous disposons de milliers de copies du Nouveau Testament (Evangiles et Actes des Apôtres), le texte le plus ancien, un fragment de l'Evangile de Jean, conservé à la Bibliothèque John Rylands de Manchester, en Angleterre, ne remonte guère au-delà de la deuxième moitié du 2ième siècle.

Faute de trouver dans les textes eux-mêmes des éléments de datation, on a essayé de chercher des témoignages du côté des auteurs chrétiens. La question est de savoir quels sont les textes que les plus anciens d'entre eux citent, pour tenter de retrouver leur ordre d'apparition.

La plus ancienne référence aux Evangiles canoniques date de la seconde moitié du 2ième siècle. Le fragment dit de Muratori (appelé ainsi du nom du bibliothécaire milanais qui l'a découvert en 1740) date du 8ième siècle mais rapporte qu'à l'époque de Pie, l'évêque de Rome, mort en 150, on lisait les quatre Evangiles.

En 172, Tatien les fait fusionner en un seul livre, le Diatessaron, mais l'Eglise ne retiendra pas la formule et continuera à distinguer les quatre textes. Quelques années avant, le maître de Tatien, Justin, était décapité à Rome. Ce célèbre apologiste, originaire de Palestine, a laissé quelques écrits, mais contrairement à son élève, il ne fait pas référence aux Evangiles et pour raconter la vie de Jésus, il se réfère aux logias ou recueil de sentences qui lui sent attribuées par la tradition.

Dans son Histoire ecclésiastique (III, XXXIX Eusèbe, 2-4), l'historien Eusèbe laisse entendre que Papias, l'évêque de Hériapolis, en Phrygie (aujourd'hui en Turquie), ne connaissait pas, en 150, le Canon. Sa foi, écrivait-il, s'appuyait sur les traditions rapportées par André, Pierre, Philippe, Thomas ou Jacques. Il cite Jean et Matthieu mais pour ces auteurs aussi, il s'agit de traditions et non d'Evangiles.

Les traditions devaient être nombreuses, et, c'est à partir d'elles que seront confectionnés les Evangiles et, même après l'établissement du Canon, de nombreux auteurs continueront à les utiliser.

Quant à l'historicité des Evangiles, nous verrons que tout en empruntant des éléments historiques, ils versent tous dans l'hagiographie, voire, ce que nous essayerons de démontrer, dans les légendes et les mythes du paganisme.

L'affirmation de l'Eglise selon laquelle les Evangiles ont été rédigés par des compagnons de Jésus est des plus douteuses, en tout cas, elle n'a aucun fondement historique. Quand aux épisodes relatés, ils ont souvent pour source des légendes et des mythes païens.

2- la langue des Evangiles
On a beaucoup polémiqué sur la langue d'origine des Evangiles. Selon une hypothèse courante, l'Evangile de Matthieu a d'abord été écrit en hébreu avant d'être traduit en grec koine, la langue commune de la culture qui s'était imposée dans l'ancien monde à la suite des conquêtes d'Alexandre.

Cette hypothèse laisse croire que la langue d'origine de l'Evangile est l'hébreu. Or, des études récentes, à partir d'une critique interne des textes, ont montré qu'il n'en était rien et que la langue d'origine des Evangiles, comme celle de Jésus et de ses compagnons, d'ailleurs, était l'araméen, une langue sémitique proche de l'hébreu, mais différente de lui. En plus de la quarantaine de mots araméens, relevés dans les textes, comme abba, ''père'' ou la fameuse plainte de Jésus lors de son supplice : Eloï, Eloï, lama sabaqtani, ''mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?'', il y a une foule d'expressions, de passages du texte grec, réputés difficiles à interpréter, mais qui s'expliquent par des calques araméens (voir les travaux récents de P. Tequi et E. Edelmann).

Appartenant, comme l'hébreu, le phénicien ou l'arabe au groupe des langues sémitiques, branche de la grande famille afro-asiatique (on disait autrefois, chamitosémitique), à laquelle appartiennent également l'égyptien ancien (et sa forme moderne le copte), le berbère et des langues africaines, l'araméen a été, du 3ième siècle avant J.C, jusqu'au milieu du 6ième siècle après, la principale langue du Proche-Orient.

Au cours de leurs déportations, par les Assyriens, puis les Babyloniens, la plupart des juifs ont abandonné l'hébreu pour l'araméen, et, de retour en Palestine, ont continué à le parler, si bien qu'à l'époque de Jésus, c'était cette langue qu'on parlait. Seuls les rabbins continuaient à employer l'hébreu pour la lecture des textes liturgiques. Par ailleurs, on sait que le livre de Daniel et celui d'Esdras ont été en partie rédigés en araméen, ainsi que le Talmud dit de Babylone. On sait aussi que plusieurs manuscrits de la Mer Morte ont été rédigés en araméen, autre preuve que cette langue était très répandue.

Si au Proche-Orient, l'araméen régnait en maître, dans la diaspora juive, c'est le grec qui prédominait. Ptolémée Philadelphe (285-247 avant J.C) fera même traduire par soixante dix- savants juifs la Bible hébraïque en grec. C'est cette traduction que l'on appelle Septante (soixante-dix en latin, par référence au nombre de traducteurs) et qui sera utilisée par les rédacteurs des Evangiles. Produits hors de Palestine, c'est également en grec que seront écrits les Evangiles.

L'emploi du latin se généralisant, on a procédé aussi à la traduction des Evangiles dans cette langue. Mais les versions sont de valeur inégale et il faut attendre la fin du 4ième siècle pour voir le pape Damase charger son secrétaire particulier, Jérôme, de préparer une traduction définitive. Ce sera la Vulgate, qui va être utilisée pendant plusieurs siècles dans le monde chrétien.

Avec l'expansion du christianisme, l'Eglise procède également à la traduction des livres juifs et chrétiens, dans différentes langues : arménien, géorgien, syriaque, arabe, slave… des alphabets, comme le gothique, au 5ième siècle, ou le cyrillique, au 9ième siècle, sont même inventés à cet effet.

Aujourd'hui, on estime à 500, le nombre de copies des Evangiles conservées en grec et à 800, le nombre de copies conservées dans d'autres langues. Mais il n'existe aucune copie en araméen, la langue de Jésus, ni même en hébreu, une langue apparentée.

Comment, dès lors soutenir, comme le fait l'Eglise, que les Evangiles sont conformes au texte originel ? Bien au contraire, les différences relevées d'un manuscrit à autre, les contradictions montrent que les textes disponibles à l'heure actuelle sont de seconde main et qu'il ont eu tout le temps d'être manipulés.

3- les Evangiles synoptiques
Les trois premiers Evangiles Matthieu, Marc et Luc- se ressemblent : c'est pourquoi on les appelés synoptiques, d'un mot grec signifiant ''semblables''. Les éditeurs les mettent ensemble pour montrer justement ces ressemblances; cependant les différences qui subsistent sont telles que personne n'a songé à les faire fusionner en un seul texte.

Pour expliquer les similitudes on a supposé qu'un texte, plus ancien que les autres, les a inspirés.

L'Evangile de Marc serait le plus ancien, parce que, pense-t-on, c'est le plus bref, se contentant de résumés, que les autres textes amplifient. Cependant, certains épisodes de Matthieu et de Luc, semblent s'inspirer d'autres sources. Ainsi, l'épisode de Jean- Baptiste prêchant le repentir est absent de Marc mais figure dans Matthieu et, avec quelques variantes, dans Luc, ce qui a fait supposer l'existence d'une source commune entre ces textes.

Selon une théorie, dite des deux sources, la première source est un texte attribué à Marc, qu'on pense être un recueil de traditions orales, et la seconde un texte hypothétique, appelé par les érudits allemands, Quelle, abrégée en Q, signifiant ''source'', également un recueil de sentences ou logia. Deux Evangiles, l'Evangile de Matthieu et celui de Marc ont été composés à partir de ces sources : l'auteur du premier serait un ecclésiastique, le diacre Philippe, et le second, Luc, qui l'a rencontré lors de son séjour en Palestine.

S'il est vrai que les deux Evangiles présentent des ressemblances, ils présentent aussi des différences notables. Ainsi, l'épisode de la montée de Jésus à Jérusalem figure dans Luc (9, 5 et 8) et non dans Matthieu. Par ailleurs, Luc présente des ressemblances avec Jean, ce qui peut signifier que les deux textes, pourtant différents, ont pu s'inspirer de sources identiques, du moins pour certains épisodes.

On a aussi expliqué les différences entre les évangiles synoptiques par les visions de leurs auteurs. Ainsi Matthieu, destiné aux juifs, multiplie les références à l'Ancien Testament pour prouver que Jésus est le Messie annoncé par les Ecritures. Marc insiste sur le secret messianique pour révéler ce qui est caché, Luc qui s'adresse aux païens, veut montrer le caractère universel de la Révélation. Des sources différentes, des objectifs différents : le Message de Jésus est devenu ainsi l'objet de toutes les manipulations et de toutes les manoeuvres.

L'établissement du Canon n'allait pas réduire la disparité des textes. En plus des Evangiles apocryphes écartés par l'Eglise (voir plus loin), il existait des copies divergentes des quatre Evangiles, que les copistes remaniaient sans scrupules, à leur gré. Au 4ième siècle, Saint Jérôme se plaindra encore des falsifications de l'Ecriture. Il faut attendre le 3ième Concile de Carthage (397) pour voir le Nouveau Testament (sans l'Apocalypse, cependant) prendre sa forme définitive.

En dépit des ressemblances que l'on s'efforce de faire ressortir entre eux, les Evangiles dits synoptiques sont différents les uns des autres et parfois, s'opposent, sur des épisodes et des enseignements fondamentaux.

4- l'Evangile de Matthieu
C'est celui-là que l'on trouve, en premier, dans les éditions du Nouveau Testament, mais il est établi, ainsi que nous l'avons dit, qu'il n'est pas le plus ancien, puisqu'il serait précédé par Marc.

L'Evangile ne porte pas le nom de son auteur mais la tradition l'attribue à Matthieu, un collecteur d'impôt que Jésus a recruté, comme disciple, alors qu'il se trouvait au bureau des péages. L'épisode est rapporté par Matthieu lui-même :

''En passant plus loin, Jésus vit un homme appelé Matthieu assis au bureau des péages. Il lui dit : suis-moi. Il (Matthieu) se leva et le suivit'' (9, 9).

Selon la tradition rapportée par Eusèbe de Césarée (début du 4ième s.), Matthieu a d'abord prêché aux Juifs et c'est dans sa langue maternelle, l'araméen, qu'il aurait rédigé son texte, un recueil de logia. C'est Eusèbe qui dit encore que ce premier Evangile a été traduit en grec. Cette opinion a longtemps perduré, avant d'être contestée : en effet, rien n'indique que cet Evangile est une traduction, s'il y a bien des logias, dont se serviront les autres évangélistes, le texte a été écrit en grec, par un auteur qu'on n'est pas arrivé à identifier.

Selon une hypothèse, dite du diacre Philippe, aujourd'hui reprise par de nombreux exégètes, l'auteur réel de l'Evangile de Matthieu est le diacre Philippe, évoqué dans les Actes des Apôtres. Dans 6, 5, Philippe est présenté parmi les premiers diacres institués par les Apôtres :

''Ils élirent Etienne, Philippe, Prochore etc.''

Philippe résidait en Césarée maritime où Paul avait été retenu prisonnier. C'est là que Philippe a rencontré Luc, compagnon de Paul et c'est là aussi où ils auraient utilisé les mêmes sources pour rédiger leurs Evangiles. La première source est fournie par les logias, rédigées en araméen par Matthieu et la seconde par l'Evangile de Marc, rédigé à partir du témoignage de l'Apôtre Pierre.

Chacun des deux auteurs a produit, en grec un ouvrage utilisant les mêmes sources, mais indépendant l'un de l'autre : l'ouvrage de Philippe a été produit en Palestine et l'ouvrage de Luc à Rome. Si l'Evangile de Philippe a été appelé Evangile de Matthieu, c'est non seulement parce qu'il emploie des logias relevé par Matthieu mais surtout parce que le nom d'un Apôtre, pour un Evangile, est plus indiqué que celui d'un diacre pour un texte de cette importance.

Cette théorie expliquerait que l'Evangile de Matthieu, écrit en Palestine, fait des efforts pour convaincre les juifs et leurs docteurs de la véracité de Jésus-Christ, en insistant sur les prophéties de l'Ancien Testament qui l'annonce. Si le titre de Fils de Dieu revient à plusieurs reprises, il y a aussi celui de Fils de David qui montre que Jésus est bien de la lignée de David, à laquelle, selon la tradition appartiendrait le Messie.

L'Evangile de Matthieu réutilise la quasi-totalité de l'Evangile de Marc, avec cependant des déplacements parfois importants, ce qui laisse planer le doute sur la chronologie de certains événements.

Ainsi, par exemple, dans Matthieu, la guérison de la belle mère de Pierre, intervient après les béatitudes et le choix des douze Apôtres (7, 14) alors que dans Marc, le miracle intervient après (1, 29). Cependant, en dépit de ces déplacements, les textes sont presque identiques. Luc reprend les mêmes épisodes, en les déplaçant moins.

C'est là une preuve que c'est l'Evangile de Marc qui est bien à la base de tous ces textes.

A partir de Matthieu 14, 1, et de Marc, 6, 14, les deux textes se suivent plus fidèlement, même s'il y a encore des ajouts et des suppressions. La concordance est encore plus forte qu'avec Luc qui supprime des passages importants. Mais il faut aussi signaler qu'à certains points, il est vrai de moindre importance, Matthieu et Luc s'accordent contre Marc, ce qui apporte un argument supplémentaire à la thèse des deux sources des exégètes allemands qui ont supposé l'existence d'une version différente, à laquelle on a donné le nom d'Urmarkus, que Matthieu et Luc auraient utilisé. Ce serait cette version que Luc aurait communiqué au diacre Philippe, et qui est différente de Marc qui nous soit parvenue.

Si Marc est la source première de l'Evangile, quelle est la version ''authentique'' :

l'Evangile de Marc ou l'Urmarcus ? Et quelle confiance accorder aux autres Evangiles qui manipulent, au gré de leurs auteurs, les données ?

5- l'Evangile de Marc
Il occupe la deuxième position dans la classification du Nouveau Testament, mais nous avons vu qu'il a inspiré les deux autres Evangiles, Matthieu et Luc. En effet, Matthieu aurait repris la quasi-totalité des versets de Marc, et Luc un peu plus de la moitié. L'Evangile de Jean est moins redevable de l'Evangile de Marc, qu'il n'a peutêtre pas connu, mais comme il présente des affinités avec l'Evangile de Luc, on suppose qu'il reprend des éléments empruntés à Marc.

Cependant, selon une autre hypothèse, Jean aurait connu Marc, puisqu'il reprend des épisodes figurant dans Marc mais pas dans Luc. Ainsi, l'épisode de la marche sur l'eau (6, 16-21) est absent dans Luc, de même que l'épisode de la flagellation et de la couronne d'épines (19, 1-3). Ce dernier épisode, absent de Luc, se retrouve cependant dans Marc (15, 15-20).

Son auteur, Marc, est généralement identifié à Marc, compagnon de Pierre, dont parlent les Actes des Apôtres et les Epîtres de Paul. On croit que c'est à lui que Marc pense quand il décrit, lors de l'épisode de l'arrestation de Jésus, le jeune homme qui s'enfuit :

''Alors tous l'abandonnèrent et prirent la fuite. Un jeune homme le suivait, vêtu seulement d'un drap. On se saisit de lui, mais il lâcha le drap et s'enfuit tout nu'' (Marc 14, 50-52).

Mais il n'est pas sûr qu'il s'agisse là du véritable auteur de cet Evangile, l'attribution des noms pour les textes ayant été faite tardivement.

Selon Eusèbe de Césarée, qui écrivait au début du 4ième siècle, c'est à la demande de fidèles, que le projet d'un témoignage écrit a été produit. L'enseignement dispensé par Pierre jusqu'à lors ne suffisait pas et on avait besoin aussi, lors des prières, de réciter des passages de la vie et de l'enseignement du Seigneur. Toujours selon Eusèbe, la demande a été répétée à plusieurs reprises, avant que Marc, qui était le plus proche compagnon de Pierre, ait été forcé de rédiger un ouvrage. D'autres auteurs, tels Clément d'Alexandrie ou Papias, confirment ce témoignage, que l'Eglise a fait également sien.

La date de composition de cet Evangile est hypothétique (voir plus haut) : mais si la thèse des deux sources évoquée à propos de l'Evangile de Matthieu et de Luc est vraie, Marc est plus ancien que Matthieu et Luc.

On ignore où l'Evangile a été rédigé, mais on pense, comme Eusèbe de Césarée, à Rome. L'Evangéliste est sans nul doute d'origine palestinienne, ainsi que le montre le nombre de mots araméens qui émaillent son discours, mais certains détails montrent qu'il n'écrivait pas pour un public juif mais pour un public païen, puisqu'il éprouve le besoin d'expliquer certaines coutumes juives. Il y a aussi l'épisode où Marc précise, en monnaie romaine, la valeur de deux pièces, deux leptes, selon la traduction de Segond, c'est-à-dire la moitié d'un quadrant, environ un centime-or (12, 42).

La critique a vu parfois, dans l'Evangile de Marc, une sorte de haggadah chrétienne : ce serait un texte destiné, à l'instar des haggadah juives, à être récité la veille de pâque.

C'est pourquoi, on relève une insistance sur les derniers instants de Jésus, sa Passion et sa résurrection. Des références constantes à l'Ancien Testament, lient la pâque chrétienne à la pâque juive. Contrairement à Matthieu et à Luc, qui s'inspire en grande partie de lui, l'Evangile de Marc ne fait pas de référence ni à la généalogie de Jésus, ni à sa naissance.

L'Evangile de Marc est ainsi présenté : ''Commencement de l'Evangile de Jésus- Christ, Fils de Dieu''. Même si la mention de Fils de Dieu, manque, dans certains manuscrits, elle va prendre une dimension primordiale dans cet Evangile : le témoignage que Jésus est le Messie est confondue avec celle de Fils de Dieu : c'est ce qui ressort de la déclaration de Jean-Baptiste, au moment du baptême, mais aussi des démons qui parlent par la voix d'un possédé (5, 7). Le Christ, divinisé, reste quand même un homme, puisqu'il souffre et se plaint au moment de la crucifixion.

Selon les exégètes, la dernière partie de Marc (à partir de 6, 9-20) n'aurait pas été écrite par l'évangéliste. La preuve, c'est que cette partie manque dans d'importants manuscrits comme les manuscrits Vaticanus et Sinaïcus ; dans d'autres manuscrits, la finale est différente. D'après les hypothèses, cette partie aurait été perdue du texte original, et un rédacteur a été chargé de l'écrire pour finir l'Evangile. On a supposé que c'est Luc (parfois Jean) qui aurait conclu l'Evangile, mais aucune preuve ne vient étayer cette hypothèse.

Cet Evangile est parfois attribué à l'Apôtre Pierre, en tout cas, il l'aurait beaucoup inspiré. Mais les témoignages qu'il rapporte, notamment ce titre qui revient avec insistance, montre qu'il a été rédigé à l'époque où le christianisme, délivré de la loi juive (ce n'était pas le cas de l'apôtre Pierre, ''apôtre des juifs''), s'hellénise et se laisse contaminer par les idées païennes.

6- l'Evangile de Luc
Il occupe la troisième place dans le nouveau Testament. Il aurait été écrit par Luc, un compagnon de Paul, qui exerçait la médecine. Luc serait également l'auteur des Actes des Apôtres qui constitue en quelque sorte la suite de son Evangile : les deux ouvrages sont dédiés à la même personne, un certain Théophile, sur lequel nous ne disposons pas d'information historique, à moins qu'il ne s'agisse du grand prêtre Théophile, qui vivait au temps de Jésus. Mais cette hypothèse n'est pas recevable puisqu'il faudrait alors dater l'Evangile entre 37 ou 41 et lui donner une ancienneté qu'il n'a pas. .

Nous avons évoqué, avec l'Evangile de Matthieu, la question des deux sources, ou source Q : Matthieu, ou l'auteur de l'Evangile attribué à Matthieu, et Luc auraient puisé l'essentiel de leur information dans Marc, le plus ancien document du Nouveau Testament et à un ouvrage de logia qui réunit des propos attribués à Jésus. Dans l'hypothèse dite du diacre Philippe, c'est Philippe, qui vivait en Césarée, c'est le diacre qui est l'auteur de l'Evangile de Matthieu et il l'a composé en concertation avec Luc, lors de son séjour en Palestine, ce qui explique les fortes correspondances entre les deux textes..

Le texte contient des informations géographiques qui montrent que l'auteur connaissait le milieu où Jésus a vécu. Les références à la religion juive, à la Synagogue, au sabbat, sont nombreuses : soit l'auteur, qui écrit pour un auditoire juif, cherche à s'inscrire dans la lignée du judaïsme, soit, s'adressant à des païens, il cherche à l'informer du milieu d'origine de Jésus.

A la différence des autres Evangiles, Jésus n'est pas en rupture de banc avec le judaïsme. C'est même un juif qui respecte les préceptes et les obligations de sa religion. Mais il arrive à dépasser le cadre étroit du judaïsme, puisque le salut n'est pas réservé aux seuls israélites, mais à tous les pécheurs et à toutes les nations.

Les Evangiles de Matthieu, de Marc et de Luc, auxquels on donne le nom de synoptiques, parce qu'ils empruntent à des sources communes, n'empruntent pas à une source authentique, qui relaterait vraiment l'histoire de Jésus et son enseignement : sans cesse remaniés, ils ont été, comme les autres écrits de l'Ancien Testament, réécrits, pour se conformer aux enseignements imposés par l'Eglise.

7- la singularité de l'Evangile de Jean
Selon la tradition chrétienne, Jean, le dernier apôtre en vie, aurait écrit son Evangile vers 98, après son retour d'exil de l'île de Patmos où Domitien l'avait envoyé, lors des persécutions. Il s'est retiré à Ephèse, dans la 3ième année de Trajan, et c'est là qu'il aurait composé son oeuvre. Certains auteurs chrétiens le considèrent comme l'Evangile par excellence, parce qu'il proclame, conformément le salut par la foi dans le Seigneur ressuscité et interprète les événements de sa vie, conformément à la prophétie de l'Ancien Testament.

Clément d'Alexandrie voyait dans cet ouvrage ''une oeuvre du Saint Esprit'', illuminant l'esprit de l'Apôtre Jean, que, rappelle-t-on, Jésus aimait (Rapporté par Eusèbe de Césarée).

En réalité, on a démontré, aujourd'hui, que cet Evangile a été composé, non par l'Apôtre Jean mais par plusieurs rédacteurs, qui ont procédé par étapes.

On pense que le fonds originel a pu être composé par des souvenirs de l'Apôtre Jean, transmis par la tradition orale. Dans une seconde étape, des disciples de Jean, que l'on désigne parfois sous le nom collectif de ''Ecole johannique'', ont ajouté à ce fonds des développements, récits et discours, glanés également dans la tradition orale. Un auteur anonyme a ensuite organisé l'ensemble, puis un autre y a ajouté des chapitres (15 à 17) qui tranchent avec le reste du texte. C'est pourquoi, dès la fin du 19ième siècle, la critique refuse d'accorder un intérêt historique à ce document qui n'apporte aucune information sur le Jésus historique, alors qu'on accorde un intérêt pour les autres Evangiles, en dépit des transformations qu'ils ont subies.

L'hypothèse de Rudolf Bultmann, formulée au cours des années 1940, selon laquelle Jean puiserait à une tradition orale ou même à un ouvrage, ignorés des auteurs synoptiques, et comportant des informations historiques, n'a pas été suivie. De toutes façon, Jean est, sur certains épisodes, plus proche de Marc, la principale source des synoptiques, qu'on le croit (voir, plus haut, Evangile de Marc).

Cependant, les différences de cet Evangile avec les autres Evangiles sont importantes.

Ainsi, Jean ne contient pas, contrairement à Matthieu, Luc et Marc des paraboles, des récits plus ou moins longs, qui renferment un enseignement, mais des historiettes, certes également à portée morale, des allégories, des sortes de métaphores dont le sens littéral est caché.

Jean donne des détails chronologiques qui suggèrent que la mission de Jésus a duré trois années (il a célébré trois pâques), alors que les autres Evangiles parlent d'une seule pâque (ministère d'une année). La date de la crucifixion est déplacée d'un jour dans Jean : le 15 du mois de nisan du calendrier juif, au lieu du 14, dans les synoptiques.

L'ordre de certaines scènes communes avec les synoptiques est bouleversé. Ainsi, la scène des marchands chassés du temple, qui figure à la fin des synoptiques, et qui apparaît peu avant la crucifixion, se trouve au début chez Jean (2, 13 et s.)

Au point de vue de l'enseignement christologique, le Royaume de Dieu, une notion importante, n'est citée que deux fois. Or, qu'est, pour les autres Evangiles, l'avènement attendu, avec la venue de Jésus, si ce n'est l'imminence de l'apparition du Royaume de Dieu, c'est-à-dire le remplacement du monde d'alors par un monde plus juste, plus moral ?

Enfin, il n'y a pas de référence à la parousie, c'est-à-dire au retour triomphal du Christ, pour annoncer le Royaume. Faut-il penser que cette croyance qui fonde l'espérance chrétienne est absente chez Jean ou alors, faut-il croire que pour lui le Christ est déjà revenu, c'est-à-dire spirituellement ?

On ne trouve pas les grands sermons des synoptiques, tel le sermon sur la montagne ou le discours sur le mont des Oliviers.

La critique du texte a encore montré qu'en plus des sources chrétiennes, cet Evangile utilise des sources particulières, notamment hermétiques, d'où les aspects ésotériques qu'il présente à certains endroits.

On pense notamment à la pensée gnostique, une doctrine d'inspiration orientale, qui a tenté, au début du 2ième siècle de l'ère chrétienne, d'associer le christianisme aux philosophies et aux spiritualités de l'Orient et de la Grèce.

La gnose se définit comme une connaissance des mystères du monde, pour assurer le salut des âmes, la connaissance n'étant révélée qu'aux seuls initiés. Selon les gnostiques, le monde sensible est dominé par les forces du mal. Il est le fait d'un créateur, appelé Démiurge, qui ressemble au Dieu de l'Ancien Testament, dominateur et jaloux. Ce Démiurge feint d'ignorer l'existence d'un Dieu transcendant et bon, qui veut sauver le monde du mal. C'est ce Dieu qui envoie le Sauveur, le Christ, pour assurer le salut de chacun et rassembler les élus dans le Plérôme, le monde de la lumière spirituelle. Ces théories, professées par des chrétiens tel Marcion (fin du 1ier s.)

ou Basilide (1ier s.), étaient considérées comme hérétiques.

Si l'Evangile de Jean n'est pas, à proprement parler gnostique, il comporte des éléments qui attestent d'une influence gnostique. Ainsi, Jean fait de Jésus le Verbe de Dieu, c'est-à-dire le ''logos'', qui rapproche de la théorie gnostique de l'éon, ou émanation de Dieu, venue du Plérôme. Jésus existait bien avant sa naissance charnelle, ce qui correspond à la vision gnostique du Sauveur, qui a existé en tout temps. Enfin, on explique aussi par une influence gnostique, le mépris de la chair affichée dans Jean et la force de l'Esprit, qui non seulement est descendu sur Jésus lors de son baptême, mais qui réside aussi en lui, en toute permanence et qui est donné, après sa mort et sa résurrection, à ses disciples. C'est encore l'Esprit qui aurait guidé Jean dans la rédaction de son Evangile :

''Je vous ai parlé de cela, pendant que je demeure auprès de vous. Mais le Consolateur, le Saint-Esprit que Dieu enverra en mon nom, c'est lui qui vous enseignera toutes chose et vous rappellera tout ce que moi je vous ai dit'' (14, 25-26).

Cet Evangile, que les auteurs chrétiens présentent comme l'Evangile par excellence, est, en fait, le plus composite des textes du Canon. Il utilise, en plus de sources chrétiennes variées, des sources païennes