Introduction Livre des règles spirituelles de la prière
Livre des règles spirituelles de la prière
Au Nom de Dieu, le Tout-Miséricordieux, le Très-Miséricordieux,
la louange est à Dieu, Seigneur des mondes.
Que Dieu prie sur Mohammad et sa pure famille
et que la malédiction divine soit sur tous leurs ennemis, maintenant et jusqu’au lever du Jour de la Religion.
Mon Dieu, nous sommes bien incapables de parcourir la voie qui conduit à Ta sainte audience et, dans notre quête, nous ne pouvons toucher à l’intimité de Ton giron : les voiles de la convoitise et de l’inattention empêchent notre regard intérieur de contempler Ta superbe beauté et les écrans épais de l’amour de ce monde et de la malignité interdisent à nos cœurs de se tourner vers la grandeur de Ta majesté. Le chemin de l’autre monde est étroit et la voie de l’humanité périlleuse, et nous autres, malheureux, nous restons là, hébétés, tels des araignées préoccupées de leur proie, voire comme des vers à soie qui se sont enfermés dans un cocon de convoitises et d’ambitions et ont totalement renoncé au monde de l’au-delà et au cercle des intimes. A moins qu’une lueur divine n’illumine nos regards et qu’une incandescence venue de l’au-delà nous ravisse à nous-mêmes…
« ô mon Dieu, accorde-moi de me consacrer parfaitement à Toi et illumine les regards de nos cœurs de l’éclat d’un regard vers Toi, afin que les regards des cœurs traversent les voiles de lumière et parviennent à la source de l’immensité, et que nos esprits soient attachés à la grandeur de Ta sainteté. »
J’ai, quelque temps auparavant, composé une épître dans laquelle j’ai évoqué ce que j’ai pu des secrets spirituels de la Prière rituelle, et comme cela ne convient pas à l’état du commun des gens, j’ai fait le projet de mettre par écrit un certain nombre des règles spirituelles de cette ascension de l’esprit, dans l’espoir que cela soit un rappel suggestif pour mes frères dans la foi et fasse quelque effet sur mon propre cœur endurci. [Ce faisant], je prends refuge en Dieu contre toute intrusion de Satan et contre l’abandon [à moi-même], car Il est un ami tout-puissant.
J’ai disposé cela en une introduction, plusieurs thèmes et une conclusion.
Introduction
Sache que, en dehors de cette forme et de cette apparence extérieure, la Prière a une réalité spirituelle et intérieure. Or, tout comme l’apparence extérieure a des règles dont le non-respect entraîne l’invalidité ou l’imperfection de la Prière formelle, de même la réalité intérieure a des règles qui relèvent du cœur et du for intérieur, en sorte que, si on ne les respecte pas, la Prière spirituelle se trouve invalidée ou imparfaite, alors que si on les respecte, la Prière se voit dotée d’un esprit relevant du malakût. Il se peut qu’après s’être montré vigilant et préoccupé de ces règles spirituelles et intérieures, l’orant pénètre quelque peu le secret divin de la Prière des gens de la connaissance et des compagnons du cœur, or ce [secret] est la joie des gens du pèlerinage spirituel et la réalité de l’ascension auprès du Bien-aimé.
Outre le fait que ce qui vient d’être dit – à savoir que la Prière a une réalité intérieure et une forme suprasensible relevant du malakût – est conforme à une certaine forme de démonstration et correspond aux dévoilements contemplatifs des compagnons du pèlerinage spirituel et de l’ascèse, il y a aussi de nombreux versets coraniques et hadiths qui l’indiquent, de manière générale ou spécifiquement, et nous allons bénir ces pages en citant certains d’entre eux.
Ainsi, la parole de Dieu le Très-Haut : « Le jour où toute âme trouvera présent ce qu’elle a fait de bien et de mal, elle souhaitera s’en trouver fort loin » (Cor. 2.30). Ce noble verset indique que toute personne verra ses bonnes et mauvaises actions présentes et qu’elle contemplera leur forme intérieure et suprasensible. De même, dans un autre noble verset, Il dit : « Ils trouveront ce qu’ils ont fait présent » (Cor. 18.49), et dans un autre encore : « Celui qui fait un atome de bien le verra et celui qui fait un atome de mal le verra » (Cor. 99.7-8), ce qui indique que l’âme verra les actes.
Quant aux nobles hadiths à ce propos, ils sont trop nombreux pour tenir dans ces pages et nous nous contenterons d’en citer quelques uns.
Ainsi, dans les Wasâ’el [ash-shî‘a], il est rapporté de l’Imam %âdeq, que la Paix divine soit avec lui, qu’il a dit : « Celui qui fait les Prières obligatoires au début de leur temps et en observe les normes, un ange fait monter [sa Prière] au ciel blanche et immaculée, et elle dit : “Que Dieu te préserve comme tu m’as préservée ; tu m’as confiée à un ange noble !”. Et celui qui les prie après leur temps sans aucune raison valable et qui n’en observe pas les normes, un ange fait monter [sa Prière] noire et ténébreuse, et elle crie : “Que Dieu te gâche comme tu m’as gâchée et qu’il n’aie pas d’égard pour toi comme tu n’en as pas eu pour moi”. »
En plus d’indiquer l’existence des formes suprasensibles du malakût, ce hadith indique aussi qu’elles sont vivantes, ce qui est prouvé par ailleurs et encore indiqué par d’autres versets et hadiths. Ainsi, Dieu le Très-Haut dit : « En vérité, c’est la demeure de l’autre monde qui est vie » (Cor. 29.64). Il y a encore d’autres hadiths allant dans le même sens que celui [qui vient d’être cité], mais il serait trop long de les mentionner.
Une tradition rapportée de l’Imam %âdeq, que la Paix divine soit avec lui, dit : « Lorsque le fidèle entre dans sa tombe, la Prière se trouve à sa droite, la zakât se trouve à sa gauche, le bien qu’il a fait le recouvre de son ombre [ou, selon certains manuscrits, le surplombe] et l’endurance se trouve là dans un coin. Lorsque les deux anges chargés de l’interroger entrent, l’endurance dit à la Prière, à la zakât et au bien : “A vous d’aider votre compagnon, et si vous en êtes incapables, je suis là.” » Ce noble hadith a été rapporté dans le vénérable Kâfî selon deux chaînes de transmetteurs et le Shaykh %adûq, que Dieu lui fasse miséricorde, l’a rapporté dans Thawâb al-a‘mâl. Il indique clairement l’existence de formes suprasensibles dans le monde intermédiaire ainsi que le fait qu’elles sont dotées de vie et de conscience. Et les hadiths évoquant les formes sous lesquelles apparaissent le Coran et la Prière dans le malakût sont légion.
Quant à ce qui a été dit, comme quoi la Prière et les autres actes de culte ont, en dehors de leurs règles formelles, des règles spirituelles, sans lesquelles la Prière est imparfaite, voire même totalement refusée, cela sera évoqué, si Dieu veut, au courant de ces pages qui seront un inventaire de ces règles spirituelles.
Ce qu’il faut savoir à ce propos, c’est que se contenter de la forme extérieure et de l’écorce de la Prière et rester privé de ses bénédictions et de ses perfections intérieures qui amènent la félicité éternelle et, plus encore, qui conduisent au voisinage du Seigneur Tout-Puissant et sont les marches de l’ascension aboutissant à l’union avec le Bien-aimé absolu – ce qui est la suprême ambition des awliyâ’, l’ultime aspiration des compagnons de la connaissance et même la joie du seigneur des Envoyés, que Dieu prie sur lui et sa famille –, [rester privé de tout cela] constitue un des plus hauts degrés de dommage et de perte et entraînera, après la sortie de cet état d’être et l’arrivée là où se font les comptes avec Dieu, des regrets que notre intelligence ne peut saisir. Tant que nous sommes dans le voile du Royaume de ce monde et dans l’engourdissement de la nature, nous ne pouvons saisir quelque chose de cet autre monde, alors que, de loin, nous avons la main sur le feu [de l’Enfer]. Quels regrets et remords, quelles pertes et dommages pourraient être plus grands que cela ? Ce qui est pour l’homme le moyen d’arriver à la perfection et à la félicité, qui est le remède aux imperfections du cœur et qui est en sa réalité essentielle la forme de perfection de l’être humain, après y avoir peiné quarante ou cinquante ans, nous n’en avons pas tiré le moindre profit spirituel, et cela peut facilement devenir le germe de ternissures en nos cœurs et de voiles ténébreux ! Ce qui est la joie du plus noble Envoyé, que Dieu prie sur lui et sa famille et leur donne la Paix, entraîne l’affaiblissement de notre regard intérieur ! « Hélas ! Que n’ai-je pas gâché du côté de Dieu ! » (Cor. 39.56).
Très cher, retrousse donc les manches des hautes aspirations et mets-toi virilement en quête : aussi pénible et fatiguant que ce soit, réforme tes états d’âmes, acquiers les conditions spirituelles de la Prière des gens de la connaissance et tire profit de ce baume divin qui nous est venu par le parfait dévoilement de Mohammad, que Dieu prie sur lui et sa famille, pour remédier à tous les maux et imperfections des âmes ! Tant que c’est encore possible, sors de cette demeure de ténèbres, de regrets et de remords et du puits profond de l’exil loin du saint parvis de la Seigneurie sublime et majestueuse ! Sauve-toi et attache-toi au moyen d’ascension vers l’union et vers la proximité de la perfection, car si ce moyen fait défaut, les autres moyens sont sans espoir : « Si [la Prière] est acceptée, le reste [des œuvres] l’est aussi, et si elle est rejetée, le reste l’est aussi. »
Nous allons exposer, dans la mesure du possible et de ce qui s’impose, les règles intérieures de ce pèlerinage spirituel : peut-être que l’un de mes frères dans la foi en profitera quelque peu, ce qui à son tour vaudra peut-être la miséricorde divine et la sollicitude de l’au-delà à [l’auteur de ces lignes], resté en plan sur la voie de la félicité et de l’humanité et enchaîné dans les geôles de la nature physique et de l’égocentrisme, car Il est celui qui décide des faveurs et de la grâce.
Premier thème
A propos des règles spirituelles qui sont nécessaires dans tous les états de la Prière et même dans tous les rites et actes de culte
(en plusieurs chapitres)
Chapitre 1
Avoir conscience de la grandeur de la Seigneurie et de l’humble condition de la servitude
L’une des règles spirituelles des actes de culte et l’un des devoirs intérieurs du pèlerin de la voie de l’autre monde est d’avoir conscience de la grandeur de la Seigneurie et de l’humble condition de la servitude (‘ezz-e robûbiyyat-o dhell-e ‘obûdiyyat). C’est une étape importante pour le pèlerin, car l’intensité du cheminement de chacun est à la mesure de l’intensité de ce sentiment. Plus encore, la perfection et l’imperfection de l’humanité [de chaque homme] sont fonction de la perfection et de l’imperfection de ce [sentiment] : autant le sentiment qui domine l’homme est égoïste et égocentrique, ne voyant et ne voulant que lui-même, autant il est éloigné de la perfection humaine et exilé loin de la station de la proximité du Seigneur. Le voile de la vision exclusive et de l’idolâtrie du “moi” est plus épais, plus ténébreux et plus difficile à traverser que les autres voiles : il doit être traversé en premier, avant tous les autres, et cette traversée est la clé des clés des mondes sensibles et suprasensibles et la porte des portes de l’ascension vers la perfection spirituelle. Tant que l’homme se voit lui-même ainsi que la perfection et la beauté qu’il s’imagine être siennes, il est éloigné et voilé à l’égard de la Beauté absolue et de la Perfection pure. La première condition du pèlerinage vers Dieu, c’est de dépasser cette étape, et c’est même là le critère qui permet de distinguer l’ascèse authentique de la fausse. Tout pèlerin spirituel qui parcourt les étapes de ce pèlerinage en avançant dans le voile de l’égoïsme et de l’individualisme, avançant “avec” lui-même et en ne voyant que lui-même, son ascèse est fausse et son pèlerinage n’est pas vers Dieu, mais vers son ego : « La mère de toutes les idoles, c’est l’idole de votre ego. »
Dieu le Très-Haut a dit : « Celui qui sort de chez lui pour émigrer vers Dieu et Son envoyé, puis que la mort atteint, sa récompense incombe à Dieu » (Cor. 4.100). L’émigration formelle et la forme extérieure de l’émigration, c’est d’émigrer physiquement de chez soi vers la Kaaba ou les sanctuaires des Awliyâ’, que la Paix soit avec eux. L’émigration spirituelle, c’est de sortir d’une demeure qui est soi-même et d’un lieu de séjour qui est ce bas monde vers Dieu et Son envoyé — l’émigration vers l’Envoyé ou le Walî étant elle-même émigration vers Dieu. Tant que l’âme a de l’attachement pour elle-même et porte de l’attention à l’ego, elle n’est pas en voyage : tant que le pèlerin spirituel aperçoit encore quelque chose de son “moi” et que les murs de la cité de “lui-même” et l’appel proclamant son propre vouloir n’ont pas disparus, il a le statut de résident, pas de voyageur et d’émigrant.
« La servitude est un joyau dont le tréfonds est Seigneurie »
On lit dans le Flambeau de la Loi révélée que [l’Imam] Sâdeq, que la Paix soit avec lui, a dit : « La servitude est un joyau dont le tréfonds est Seigneurie : ce qui est perdu dans la servitude est retrouvé dans la Seigneurie et les aspects cachés de la Seigneurie sont atteints dans la servitude. »
Celui qui chemine dans la servitude et marque son front du fer rouge de l’humble condition de l’asservissement trouve accès à la grandeur de la Seigneurie, car le moyen d’accéder aux réalités de la Seigneurie est de cheminer à travers les degrés de la servitude : ce qu’il perd de sa personnalité et de son individualité dans la servitude, il le retrouve sous l’égide de la Seigneurie, jusqu’à en arriver à un niveau où c’est la Réalité sublime qui est son ouïe, son regard, sa main et son pied, ainsi que cela est rapporté dans un hadith authentique et fameux parmi les deux branches [de la communauté musulmane]. Du fait qu’il a mis de côté son propre pouvoir d’action, qu’il a entièrement soumis le royaume de sa propre existence à la Réalité divine, qu’il a remis le logis à son propriétaire et qu’il s’est éteint dans la grandeur de la Seigneurie, c’est le Propriétaire Lui-même qui s’occupe des affaires : son activité devient donc activité divine ; son œil devient divin et c’est par l’œil de la Réalité divine qu’il regarde ; son ouïe devient divine et c’est par l’ouïe de la Réalité divine qu’il entend… [A l’inverse], dans la mesure où l’âme, obnubilée par sa propre grandeur, se comporte en seigneur, dans cette mesure même la grandeur de la Seigneurie lui manque et lui fait défaut, car ces deux [grandeurs] sont antagoniques : « Ce bas monde et l’autre monde sont [comme] deux rivales. »
Il est donc indispensable que le pèlerin vers Dieu prenne conscience de son humble condition et garde son regard fixé sur l’humble condition de la servitude et sur la grandeur de la Seigneurie. Plus ce sentiment se renforcera, plus son culte sera spirituel et plus l’esprit de son culte sera puissant, jusqu’à ce que, si la Réalité divine et les Awliyâ’ accomplis le prennent par la main et qu’il parvient à la réalité essentielle et au tréfonds de la servitude, il saisisse une effluve du secret spirituel du culte. Ces deux niveaux – à savoir le niveau de la grandeur de la Seigneurie, qui est la réalité essentielle, et le niveau de l’humble condition de la servitude, qui en est la réalité diluée – sont symboliquement présents dans tous les actes de culte, tout particulièrement dans la Prière, qui a le rang de synthèse et dont la position parmi les actes de culte est celle de l’Homme universel et du Nom suprême — mieux : elle est le Nom suprême lui-même ! L’imploration (qonût), parmi les actes surérogatoires, et la prosternation (sodjûd), parmi les actes obligatoires, ont [à ce propos] une spécificité que j’indiquerai par la suite, si Dieu le veut.
Il faut savoir que la servitude absolue est l’un des plus éminents degrés de perfection et des plus hauts niveaux d’humanité, [un degré] auquel nul n’a part en dehors de la plus parfaite des créatures de Dieu, Mohammad, que Dieu prie sur lui et sa famille, à qui [cette station] appartient originellement, et les autres Awliyâ’ parfaits [qui en sont qualifiés] par participation. Quant aux autres, leur servitude est boiteuse et leur culte défectueux, or l’on ne peut parvenir à l’ascension réelle et absolue que par la servitude, et c’est pourquoi [Dieu] dit dans un noble verset [qui évoque l’ascension du Prophète] : « Gloire à Celui qui a emporté de nuit Son serviteur… » (Cor. 17.1). Un cheminement dans la servitude [d’une part] et l’attraction de la Seigneurie [d’autre part], voilà ce qui a fait faire à cette sainte âme l’ascension jusqu’à la proximité et à la jonction. Et dans l’attestation de foi (tashahhod) de la Prière – qui est le retour faisant suite à l’extinction absolue qui s’est produite dans la prosternation –, et bien là encore l’attention va à la servitude avant même la mission prophétique : il se peut que ce soit là une indication comme quoi la station de la mission prophétique est elle aussi un fruit du joyau de la servitude. Il y aurait encore de quoi développer longuement ce thème, mais cela sortirait du rôle assigné à ces pages.
Chapitre 2
Des degrés des stations des adeptes du pèlerinage spirituel
Sache que les gens du pèlerinage spirituel ont, en cette station comme dans les autres, d’innombrables degrés et niveaux. Nous allons sommairement en évoquer certains, car dénombrer tous les degrés et en cerner tous les aspects est au-delà des capacités de votre humble serviteur : « Les voies vers Dieu sont aussi nombreuses que les souffles des créatures. »
L’un de ces degrés est celui du savoir (‘elm). Il consiste à montrer par une démarche scientifique et par démonstration philosophique l’humble condition de la servitude et la grandeur de la Seigneurie. C’est là une des connaissances primordiales : il est en effet clairement établi dans les hautes sciences et la philosophie transcendante que tout le domaine de la réalité et l’ensemble de l’existence est pur lien et dépendance et totale pauvreté et dénuement, que la puissance, la possession et la souveraineté sont réservées en propre à la Sainte Essence divine toute de grandeur, que nul n’a quelque part que ce soit à la grandeur et à la puissance, et que l’humble condition de la servitude et de la pauvreté est inscrite au front de chacun [des existants] et immuablement établie dans leur réalité essentielle. La réalité de la gnose et de la contemplation et le résultat de l’ascèse et du pèlerinage spirituel consistent à écarter le voile qui recouvre cette vérité et à voir en soi-même et dans tous les existants l’humble condition de la servitude ainsi que l’état fondamental de pauvreté et de dépendance. Il se peut que l’invocation « ô mon Dieu, montre-moi les choses telles qu’elles sont », [invocation] attribuée au seigneur des créatures, que Dieu prie sur lui et sa famille, fasse allusion à cette station, à savoir qu’il demandait à contempler l’humble condition de la servitude, [contemplation] qui implique celle de la grandeur de la Seigneurie.
Si celui qui avance sur la route de la vérité et voyage sur le chemin de la servitude en suivant une démarche scientifique et en avançant par la réflexion a parcouru cette étape, il prend place dans le voile du savoir et atteint au premier degré d’humanité. Or c’est là un voile épais dont on a dit : « Le savoir est le plus grand voile » (al-‘elm howa l-hedjâb al-akbar). Il faut que le pèlerin spirituel ne reste pas dans ce voile et qu’il le traverse. S’il se contente de cette station et enferme son cœur dans cette prison, il se peut qu’il régresse progressivement. A ce niveau, la régression (estedrâdj) consistera à s’occuper des multiples ramifications de ce savoir, à user de sa réflexion pour multiplier les preuves de cette question, à rester privé des autres étapes, à attacher son cœur à cette station, à négliger ce qui est le but de la quête – à savoir d’arriver à l’extinction en Dieu – et à passer sa vie dans le voile de la démonstration et de ses branches — et plus elles se ramifieront, plus le voile s’épaissira et plus il sera voilé à l’égard de la vérité essentielle. Le pèlerin spirituel ne doit donc pas se laisser tromper par Satan à ce niveau et en rester là de sa quête, voilé à la Réalité divine et à la vérité par la multiplicité et l’abondance des savoirs ainsi que par la force des démonstrations. Il doit retrousser les manches des hautes aspirations, ne pas négliger de rechercher avec zèle ce qui est le véritable objet de la quête et se hisser au niveau suivant qui est le second niveau.
Celui-ci consiste à graver sur la surface du cœur, au moyen du stylet de l’intelligence, tout ce que l’intelligence a saisi à force de démonstration et par la démarche scientifique, à faire réellement saisir à son cœur l’humble condition de la servitude et la grandeur de la Seigneurie, et à en finir avec les voiles et les chaînes du savoir. Nous ferons très bientôt allusion à ce niveau, si Dieu le veut. Le résultat de ce second niveau est l’obtention de la foi (îmân) en les vérités essentielles.
Le troisième niveau est celui de la sérénité et de la quiétude de l’âme (exmînân-o xoma’nîne), qui est en réalité le degré accompli de la foi. Le Très-Haut a dit, en s’adressant à Son ami intime [le Prophète Abraham, que la Paix soit avec lui] : « “N’as-tu pas la foi ?” Il répondit : “Si ! Mais afin que mon cœur se rassérène” » (Cor. 2.260). Peut-être sera-t-il aussi fait allusion à ce degré par la suite.
Le quatrième niveau est celui de la contemplation (moshâhada), laquelle est une lumière divine et une théophanie du Tout-Miséricordieux qui accompagne l’apparition des théophanies des Noms et Attributs divins dans le for intérieur du pèlerin spirituel et qui illumine totalement son cœur d’une lumière contemplative. Ce niveau comporte beaucoup de degrés dont la mention dépasse la capacité de ces pages. A ce niveau paraît un avant-goût de la “proximité relevant des œuvres surérogatoires” (qorb an-nawâfel) – « Je suis son ouïe, son regard, sa main… » – et le pèlerin spirituel se voit lui-même noyé dans l’océan de l’infini. Il pénètre dès lors dans un océan fort profond dans lequel un aperçu des mystères de la prédestination lui sera dévoilé.
Il existe, pour chacun de ses niveaux, des modalités propres de régression, en lesquelles il y a grand risque de perdition pour le pèlerin spirituel. A tous les niveaux, le pèlerin doit se dégager de l’égoïsme et de l’égocentrisme, ne pas tout ramener à lui et à son propre vouloir, car c’est là le principe de la plupart des choses funestes, tout particulièrement pour un pèlerin spirituel. Nous ferons allusion à cela par la suite, si Dieu le veut.
Chapitre 3
De l’humble soumission
Au nombre de ce qui est indispensable au pèlerin spirituel dans tous les actes de culte – et tout particulièrement dans la Prière qui est le plus éminent de tous et qui a [parmi eux] le rang de synthèse –, il y a l’humble soumission (khoshû‘), qui consiste en une attitude de docilité (khozû‘) totale mêlée d’amour ou de crainte et qui s’obtient lorsque l’on perçoit ce qu’il y a de grandiose, d’imposant et de solennel dans la Beauté et la Majesté divines. De manière plus explicite, disons que les cœurs des pèlerins spirituels sont naturellement et foncièrement différents :
Certains cœurs sont des cœurs aimants et des lieux d’apparition de la Beauté divine. Ils se tournent par nature vers la beauté de l’Aimé et, lorsque dans leur pèlerinage spirituel ils perçoivent un reflet du Beau ou contemplent le Principe de la beauté, la grandeur cachée dans les tréfonds de la beauté les ravit à eux-mêmes et les plonge dans un état d’inconscience (ma). Il y a en effet de la majesté cachée en toute beauté et de la beauté voilée en toute majesté, ce à quoi Sa Seigneurie le Maître des gnostiques et le Commandeur des fidèles et des pèlerins spirituels, [‘Alî fils d’Abû Xâleb] que Dieu prie sur lui et sur sa famille toute entière, a pu faire allusion en disant : « Gloire à Celui dont la miséricorde s’étend à Ses amis dans l’intensité même de Sa vengeance et dont la vengeance frappe Ses ennemis dans l’ampleur même de Sa miséricorde ». Ce qu’il y a de solennel, de grandiose et d’imposant dans la Beauté divine les domine alors et un état d’humble soumission devant la beauté de l’Aimé se fait jour en eux. Au début, cet état ébranle et trouble le cœur, mais après qu’il se soit stabilisé (ba‘d az tamkîn), une intimité paraît, l’effroi et le trouble engendrés par cette grandeur font place à l’intimité et à l’apaisement, et un état de quiétude se fait jour, tel l’état du cœur de l’Ami intime du Tout-Miséricordieux, [le Prophète Abraham] que la Paix soit avec lui.
D’autres cœurs sont des cœurs craignants et des lieux d’apparition de la Majesté divine. Ceux-là perçoivent sans cesse la grandeur, la gloire et la majesté : leur humble soumission découle de la crainte et ce sont les Noms de Majesté et de Domination qui se manifestent en leurs cœurs, comme c’était le cas de Sa Seigneurie Jean [le Baptiste], que la Paix soit avec notre Prophète, avec sa famille et avec lui.
Ainsi, l’humble soumission est mêlée tantôt d’amour et tantôt de crainte et d’effroi – bien qu’il y ait de l’effroi en tout amour et de l’amour en toute crainte –, et ses degrés sont fonction du degré avec lequel sont perçues la Grandeur, la Majesté et la Beauté divines. Or, comme nous sommes, nous et nos semblables, privés de la lumière des dévoilements contemplatifs, nous devons inévitablement nous employer à trouver cet état d’humble soumission par un savoir accompagné de foi.
Dieu le Très-Haut a dit : « Les fidèles, ceux qui sont humblement soumis dans leur Prière, ont certes trouvé le salut » (Cor. 23.1-2), faisant de l’humble soumission dans la Prière une des caractéristiques et des marques de la foi. Donc, en vertu de ce qu’a dit la Sainte Réalité divine, toute personne qui n’est pas humblement soumise dans sa Prière est exclue du groupe des fidèles, et nos Prières à nous autres, qui ne sont pas accompagnées d’humble soumission, sont le résultat d’un manque ou d’une absence de foi. Du fait que la conviction et le savoir sont autre chose que la foi, la connaissance de la Réalité divine et de Ses Noms et Attributs, ainsi que toutes les autres connaissances spirituelles qui se trouvent en nous, sont autre chose que la foi. Comme en témoigne la Sainte Réalité divine, Satan a connaissance du Principe des choses et de leur retour final à Dieu (‘elm be mabda’-o ma‘âd), et malgré cela, c’est un infidèle. [Satan] dit : « Tu m’as créé de feu et Tu l’as créé d’argile » (Cor. 7.12) ; il reconnaît donc l’existence de la Réalité suprême et Son activité créatrice. Il dit [encore] : « Donne-moi un délai jusqu’au jour où ils seront ressuscités » (Cor. 7.14) ; il est donc convaincu du retour final à Dieu.
Il connaît les Livres révélés, les Prophètes et les Anges, et malgré cela Dieu l’a appelé “infidèle” et l’a exclu du groupe des fidèles. Il y a donc une distinction entre gens de savoir et gens de foi : tout homme de savoir n’est pas homme de foi. Il faut donc, suite à la démarche scientifique, entrer dans les rangs des fidèles et faire saisir au cœur la grandeur, la majesté, la splendeur et la beauté de la Réalité divine à la grandeur ô combien majestueuse, afin que le cœur se fasse humblement soumis, car le savoir seul n’amène pas cet état : vous voyez bien en vous-mêmes que, tout en étant convaincu de l’existence du Principe et du retour final à Dieu, tout en étant convaincu de la grandeur et de la majesté de la Réalité divine, votre cœur n’est pas humblement soumis.
Quant à la parole divine : « N’est-il pas temps, pour ceux qui ont la foi, que leur cœurs se soumettent humblement au rappel de Dieu et à la vérité qui a été révélée ? » (Cor. 57.16), peut-être concerne-t-elle la foi formelle, qui consiste à être convaincu de ce qu’a apporté le Prophète, que Dieu prie sur lui [et sa famille], car la foi véritable est inséparable d’un certain degré d’humble soumission ; à moins qu’il ne soit question, dans ce noble verset, de degrés accomplis de l’humble soumission. De manière analogue, [le terme de] “savant” est parfois appliqué à quelqu’un qui est passé du degré du savoir à celui de la foi, et il est probable que ce soit à de telles personnes qu’il est fait allusion dans le verset : « Seuls craignent Dieu les savants d’entre Ses serviteurs » (Cor. 35.28). Dans le langage du Coran et de la Sunna, “savoir”, “foi” et “islam” ont été appliqués à des degrés divers dont l’exposé sortirait du cadre de ces pages.
Bref, il est indispensable que, grâce à la lumière du savoir et de la foi, le pèlerin de la voie de l’au-delà – tout particulièrement celui qui avance avec ce moyen d’ascension qu’est la Prière – se fasse humblement soumis et enracine autant que possible en son cœur ce frêle reflet d’une réalité divine et cette lueur provenant du Tout-Miséricordieux, voire qu’il puisse préserver cet état dans toute sa Prière. Même s’il est au début quelque peu ardu et difficile, pour des gens comme nous, d’en faire un état stable et constant, avec un peu de pratique et d’ascèse du cœur, c’est une chose fort réalisable.
Très cher, l’acquisition de la perfection et d’un viatique pour l’autre monde exige une quête zélée : plus ce qui est recherché est grand, plus il convient de se montrer zélé pour y atteindre. Assurément, l’ascension jusqu’à la proximité divine et la station du proche voisinage du Seigneur Tout-Puissant ne s’obtiendront pas avec un tel état d’indolence, de tiédeur et de nonchalance : il faut se mettre virilement à l’ouvrage pour atteindre au but recherché ! Vous avez foi en l’autre monde et vous considérez que ce monde-là n’est en rien comparable à celui-ci, car ce monde-là est un monde permanent et éternel qui ne connaît pas la mort ni l’anéantissement : celui qui y est heureux vit dans un bien-être, une gloire et un délice perpétuels, un bien-être sans pareil en ce monde, une gloire et une souveraineté divines qui n’ont pas d’équivalent en ce monde et des délices que personne n’a même imaginé ; et il en va de même pour le malheur en ce monde-là, dont les tourments, les représailles et les sanctions n’ont pas d’équivalent en ce monde. Or le moyen d’atteindre à ce bonheur est d’obéir au Seigneur Tout-Puissant, et parmi les actes d’obéissance et de culte, aucun n’atteint le rang de cette Prière, qui est un baume divin, synthèse [de tous les remèdes], qui garantit le bonheur de l’être humain et dont l’acceptation [par Dieu] entraîne l’acceptation de toutes les œuvres. Il vous faut donc faire preuve du plus grand zèle dans la quête de ce [baume], n’épargner aucun effort et supporter pour cela les peines. Or il n’y a même pas là de peine : si vous êtes quelque peu assidu et que cela devienne familier à votre cœur, vous trouverez en ce monde même dans les entretiens intimes avec la Réalité divine des plaisirs qui ne sont comparables à aucun des plaisirs de ce monde, comme cela apparaît clairement lorsqu’on lit les biographies des familiers de ces entretiens intimes avec la Réalité divine.
Brièvement dit, l’essentiel de ce que nous avons évoqué dans ce chapitre est que, après avoir pris conscience de la grandeur, de la beauté et de la majesté de la Réalité divine par la démonstration ou par ce qu’en ont dit les Prophètes, que la Paix soit avec eux, il faut en faire prendre conscience au cœur et, peu à peu, par la remémoration et un rappel incessant de la grandeur et de la majesté de la Réalité divine, faire pénétrer en lui une attitude d’humble soumission jusqu’à obtenir le résultat recherché. Et dans chaque état, le pèlerin spirituel ne doit pas se satisfaire du niveau qui est le sien, car les niveaux que des gens comme nous obtiennent ne valent pas un sou sur le marché des gens de la connaissance et ne pèsent pas lourd sur celui des gens du cœur : dans tous les états, le pèlerin doit se remémorer ses manques et ses défauts, peut-être qu’une voie vers le bonheur s’ouvrira de cette manière, Dieu en soit loué.
Chapitre 4
De la quiétude
L’une des règles spirituelles importantes des actes de culte, en particulier des actes cultuels consistant en invocations (‘ebâdât-e dhekriyye), est la quiétude (xoma’nîne), qui est autre chose que la tranquillité que les docteurs de la Loi, que Dieu soit satisfait d’eux, envisagent à propos de la Prière. Elle consiste en ce que le pèlerin spirituel accomplisse l’acte de culte avec un cœur tranquille et un esprit serein, car s’il l’accomplit avec le cœur troublé et en étant agité, le cœur ne sera pas influencé par cet acte de culte, il n’en résultera aucun effet dans le malakût du cœur et la réalité essentielle de l’acte cultuel ne deviendra pas la forme intérieure du cœur.
[En effet] l’une des raisons de la répétition des actes de cultes et de la multiplication des invocations et des litanies (adhkâr-o awrâd) est qu’elles aient une influence sur le cœur et y produisent un effet, afin que, peu à peu, la réalité essentielle de l’invocation et de l’acte cultuel façonne le for intérieur du pèlerin et que son cœur ne fasse plus qu’un avec la réalité spirituelle du culte. Or, tant que le cœur n’a pas de sérénité, de paix, de quiétude et de pondération, les rites et invocations n’ont aucun effet sur lui, ils ne dépassent pas les limites de la forme extérieure et du molk du corps vers la réalité intérieure et le malakût de l’âme, et ce qui revient au cœur dans l’acte de culte n’a pas été accompli. C’est là quelque chose de clair, qui ne nécessite pas d’explication et que l’on comprendra si l’on y réfléchit un tant soit peu.
Du grand danger que l’on court à délaisser la quiétude du cœur
Si un acte de culte est tel que le cœur n’en a connaissance sous aucun rapport et qu’aucun effet ne s’en produit dans le for intérieur, il n’aura pas d’existence permanente dans les autres mondes et ne s’élèvera pas du domaine du molk vers celui du malakût, et il est même possible, à Dieu ne plaise, qu’au moment des tourments de l’agonie, des affres terribles de la mort et des terreurs et épreuves qui y font suite, la forme de [cet acte de culte] soit totalement effacée et éliminée de la surface du cœur et que l’on aille se présenter devant la Sainte Réalité divine les mains vides.
Si quelqu’un prononce, par exemple, la noble invocation « Il n’est de dieu que Dieu, Mohammad est l’envoyé de Dieu » avec un cœur tranquille et serein et qu’il enseigne cette noble invocation à son cœur, peu à peu la langue de son cœur se déliera et sa langue physique suivra celle du cœur :
c’est d’abord le cœur qui fera l’invocation, et derrière lui la langue. Son Excellence l’Imam %âdeq, que la Paix soit avec lui, a fait allusion à cela dans une tradition rapportée dans le Flambeau de la Loi révélée : « Fais de ton cœur la Qibla de ta langue et ne la mets en mouvement que sur signe du cœur, en accord avec l’intelligence et avec l’agrément de la foi ». Au début, alors que la langue du cœur ne s’est pas déliée, le pèlerin de la voie de l’autre monde doit lui enseigner l’invocation et la lui inspirer dans la quiétude et la paix. Dès que la langue du cœur se délie, le cœur devient la Qibla de la langue et de tous les autres membres, et lorsqu’il invoque, l’être tout entier fait l’invocation.
Mais s’il prononce cette noble invocation sans quiétude ni paix du cœur, en étant pressé, troublé et dispersé, aucun n’effet ne s’en produira dans le cœur : elle ne dépassera pas les limites de la langue et de l’ouïe extérieures et animales pour atteindre le for intérieur et l’ouïe [véritablement] humaines, sa réalité essentielle ne se concrétisera pas dans le cœur et elle ne deviendra pas une forme de perfection impérissable du cœur. De ce fait, si des terreurs et des tourments surviennent – tels, en particulier, les terreurs et affres de la mort et les tourments de l’agonie –, il oubliera totalement cette invocation et elle sera effacée de la surface du cœur. Il oubliera même les noms de la Réalité suprême, du Sceau des Envoyés, que Dieu prie sur lui et sa famille, de la noble religion de l’islam, du Saint Livre divin, des Imams de la guidance et toutes les autres connaissances qui ne sont pas parvenues au cœur, et au moment de l’interrogatoire dans la tombe, il ne pourra donner de réponse. Lui souffler les réponses ne lui sera même d’aucun profit, car il ne verra en lui-même aucune trace des réalités [auxquelles réfèrent] la Seigneurie, la Prophétie et les autres connaissances. Ce qui était prononcé du bout de la langue et qui n’a pas pris forme dans le cœur sera effacé de son esprit et il ne lui restera rien de l’attestation de la Seigneurie et de la Prophétie, ni des autres connaissances.
Il est rapporté dans les hadiths que l’on fera entrer en Enfer un groupe de la communauté du plus noble Envoyé, que Dieu prie sur lui et sa famille et leur donne la Paix, et qu’en raison de la frayeur que leur inspirera l’ange maître de l’Enfer, ils en oublieront le nom du Prophète ; or il est précisé dans le même hadith qu’ils sont des gens de foi et que leurs cœurs et leurs visages brillent et resplendissent de la lumière de la foi !
L’éminent traditionniste Madjlesî, que Dieu lui fasse miséricorde, dit dans les Miroirs des cœurs – en commentaire du noble hadith « Je suis son ouïe, son regard… » – quelque chose que je rendrai ainsi : « Celui qui n’emploie pas ses yeux, ses oreilles et ses autres organes dans l’obéissance à la Réalité suprême n’aura pas d’yeux ni d’oreilles spirituelles, or ces yeux et oreilles de chair relevant du molk ne vont pas dans cet autre monde : il sera donc dans le monde de la tombe et de la résurrection sans yeux et sans oreilles, or ce par quoi se déroule l’interrogatoire dans la tombe, ce sont ces organes spirituels ».
Pour faire bref, les nobles hadiths concernant cette sorte de “tranquillité” et ses effets sont fort nombreux : le Noble Coran ordonne de psalmodier le Coran (Cor. 74.4) et il est dit dans les nobles hadiths que « si quelqu’un oublie une sourate du Coran, elle prendra pour lui, au Paradis, un forme d’une beauté inégalable ; lorsqu’il la verra, il lui dira : “Qui est-tu ? Comme tu es belle ! Si seulement tu étais de moi !”. Elle lui répondra alors : “Tu ne me reconnais pas ? Je suis telle sourate : si tu ne m’avais pas oubliée, je t’aurais fait parvenir à ce degré élevé” ». Il est [aussi] dit que « quelqu’un qui récite le Coran quand il est jeune, le Coran se mélange à sa chair et à son sang » : la raison en est que dans la jeunesse le cœur a moins de préoccupations et de ternissures, et de ce fait, le cœur est plus et plus vite réceptif, et l’effet reçu est également plus durable. Les hadiths sur ce thème [du Coran] sont nombreux et nous en ferons état, si Dieu veut, dans le chapitre sur la récitation du Coran. Il est [encore] dit dans les hadiths que « rien n’est plus aimable à Dieu le Très-Haut qu’un acte accompli de manière continue, même si cet acte est peu de chose » : il se peut que la raison profonde en soit que l’acte devient [alors] la forme intérieure du cœur, ainsi que cela a été dit.
Chapitre 5
Du fait de préserver le service divin des interventions de Satan
L’une des importantes règles spirituelles de la Prière et des autres actes de service divin, règle fondamentale dont l’accomplissement est une tâche aussi grandiose que délicate, est de les préserver des interventions sataniques. Le noble verset qui décrit les fidèles comme étant « ceux qui préservent leurs Prières » (Cor. 23.9, 70.34) peut faire allusion à tous les degrés de préservation, dont l’un, qui en est le plus important, est la préservation de l’intervention de Satan.
Pour expliciter cet abrégé, [disons qu’]il est clair pour les gens de la connaissance et les maîtres spirituels que, tout comme il est pour les corps une nourriture charnelle dont ils se nourrissent et qui doit convenir à leur état et correspondre à leur condition afin que la formation physique et la croissance végétative se fassent, de même il est pour les cœurs et les esprits une nourriture qui doit être appropriée à leur état et convenir à leur condition pour qu’ils s’en nourrissent, en soient formés et qu’en résultent croissance spirituelle et progrès intérieur. Or, la nourriture qui convient à la condition des esprits, ce sont les connaissances métaphysiques, du Principe suprême de l’existence à l’ultime limite du monde de l’existence, comme l’ont exprimé les vénérables maîtres de l’art [philosophique] en disant qu’il consiste à « faire de l’homme un microcosme coïncidant avec le macrocosme en sa forme et sa perfection ». C’est là une allusion à cette nourriture spirituelle, et de même les cœurs se nourrissent des vertus de l’âme et des pratiques spirituelles.
Il faut savoir que si chacune de ces nourritures est pure de [toute] intervention de Satan et préparée de la main sanctifiée du Sceau des Envoyés et du suprême Proche-Ami de Dieu [‘Alî fils d’Abû Xâleb], Dieu les bénisse eux et les leurs, le cœur et l’esprit s’en nourrissent et réalisent la perfection qui convient à l’être humain et l’ascension jusqu’à la proximité de Dieu. La pureté de [toute] intervention de Satan, prémisse de la dévotion pure (ikhlâù), ne peut être véritablement réalisée que si, dans son cheminement, le pèlerin spirituel ne considère que Dieu et foule aux pieds l’égoïsme et l’« egolâtrie », mère de tous les vices et matrice des maux intérieurs. Cela ne saurait être pleinement réalisé chez d’autres que l’Homme universel [le Prophète Mohammad, Dieu le bénisse lui et les siens], et à sa suite l’élite des Proches-Amis, que la Paix soit avec eux, mais le pèlerin n’en doit pas désespérer des grâces occultes de la Réalité divine, car désespérer de la consolation divine surpasse tous les découragements et lassitudes et c’est l’un des plus grands péchés mortels : ce qui en est également accessible au commun des mortels fait le bonheur des gens de la connaissance.
Il incombe et s’impose donc au pèlerin de la voie de l’au-delà de mettre tout son zèle à épurer ses connaissances et pratiques de l’intervention de Satan et de l’ego impérieux, de scruter avec la plus grande acuité et pénétration ses actions et inactions ainsi que sa quête et son objet, de mettre en évidence l’objectif de son cheminement et de ses études et les origines de ses mouvements intérieurs et de ses nourritures spirituelles, de ne pas négliger les ruses de l’ego et de Satan ni être inattentif aux pièges de l’ego impérieux et du Diable, de faire preuve en tous ses faits et gestes de la plus grande défiance envers son ego sans jamais lui lâcher la bride — que n’arrive-t-il qu’à la moindre indulgence il prenne le dessus sur l’homme, le réduise à sa merci et le conduise à sa ruine et à sa perte.
En effet, si les nourritures spirituelles ne sont pas pures de l’intervention de Satan et qu’il ait quelque part à leur préparation, outre que les esprits et cœurs n’en seront pas formés ni n’arriveront à leurs perfections propres, il se produira en eux une terribles dégradation qui peut rabaisser celui qui en est atteint au rang des démons, des bêtes et des fauves, ce qui est le ferment de la félicité, de la perfection humaine et de l’accession aux états supérieurs donnant ainsi le résultat contraire et précipitant l’homme dans le gouffre ténébreux de la désolation. Nous avons ainsi vu parmi certains adeptes de la gnose terminologique des personnes que ces termes et leur approfondissement avaient conduites à l’égarement et dont elles avaient perverti les cœurs et enténébré les consciences.
La pratique des connaissances métaphysiques avait renforcé leur ego et leur égoïsme et ils proféraient des prétentions inconvenantes et des divagations sans queue ni tête. De même, il est parmi les adeptes des pratiques ascétiques et du cheminement spirituel des personnes dont l’ascèse et la pratique de la purification de l’âme ont rendu les cœurs plus troubles et les consciences plus enténébrées. Tout cela vient de ce qu’ils n’ont pas préservé leur cheminement spirituel et leur émigration vers Dieu et qu’avec l’intervention de Satan et de l’ego, leur cheminement intellectuel et ascétique fut vers Satan et vers l’ego. De même [encore], nous avons vu parmi les étudiants en sciences religieuses traditionnelles des personnes sur lesquelles le savoir avait eu une influence néfaste et dont il avait accru les vices moraux. Le savoir qui devait les conduire au salut et à la réussite avait causé leur perte et les avait conduites à l’ignorance, à la polémique, à la prétention et à la tricherie. De même [enfin], parmi les pratiquants assidus au service divin et aux rites et respectant scrupuleusement les règles et recommandations traditionnelles, il en est que le service divin et les rites, qui sont le ferment de la réforme des états intérieurs et des âmes, rendent plus troubles et enténébrés et poussent à l’infatuation, au narcissisme, à l’orgueil, à la superbe, à l'esprit de dénigrement et à avoir mauvais caractère et mauvaise opinion des serviteurs de Dieu. Cela vient là encore de n’avoir pas bien veillé sur ces potions divines.
Bien évidemment, des potions à la préparation desquelles l’infâme Démon et l’ego rebelle ont eu part ne sauraient donner jour qu’à des caractères sataniques, et comme le cœur s’en nourrit quoi qu’il en soit et qu’elles forment intérieurement l’âme, l’homme devient après quelque temps d’assiduité une engeance de Satan, éduqué de sa main et grandissant sous son contrôle. Lorsqu’il fermera ses yeux de chair pour ouvrir ceux de l’au-delà, il se trouvera être un démon et n’avoir ainsi que la perdition pour tout fruit, les regrets et lamentations ne lui servant de rien.
Donc, tel un médecin affectueux et un soignant compatissant, le pèlerin des voies de l’au-delà, dans quelque branche religieuse et voie spirituelle qu’il soit, doit en premier lieu surveiller avec le plus grand soin son état et scruter avec minutie les vices de son cheminement spirituel, puis, ce faisant, ne pas oublier dans ses moments de solitude de chercher refuge auprès de la Sainte Essence de la Réalité divine sublime et majestueuse et d’implorer et supplier au sanctissime seuil du Maître de Majesté :
« Seigneur, tu connais notre faiblesse et notre misère. Tu sais que si ta Sainte Essence ne nous prend par la main, nous ne saurions échapper à un ennemi si fort et si puissant qu’il s’en est pris aux grands Prophètes et aux sublimes Saints parfaits. Sans la lueur de ta grâce et de ta miséricorde, ce puissant ennemi nous fera mordre la poussière de la perdition et nous fera errer dans les ténèbres et la désolation. Je t’en conjure par les élus de ton parvis et les intimes de ta cour, prends nos mains d’éperdus dans le val de l’égarement, de fourvoyés dans les solitudes de l’errance, et purifie nos cœurs de la fausseté, de l’idolâtrie et du doute, car tu es en vérité le maître de la guidance. »