INTRODUCTION HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE

HAUT CONSEIL A L'INTEGRATION DE

L'ISLAM DANS LA REPUBLIQUE

Novembre 2000
INTRODUCTION
La France respecte toutes les croyances

(article 1° de la Constitution)

Le Haut Conseil à l'Intégration occupe une place spécifique parmi les nombreux organismes investis par l'Etat d'un rôle dans la politique de l'immigration.
Il est déjà porteur d'une tradition puisqu'il a été créé il y a juste dix ans par le gouvernement de Michel Rocard. Il bénéficie d'autre part, selon les termes de son décret fondateur, d'une compétence générale sur l'ensemble des questions relatives à l'intégration des résidents étrangers ou d'origine étrangère. S'il est vrai qu'il est dépourvu de tout pouvoir concret, il détient celui de conseiller le Premier Ministre et son autorité réelle est née au fil des ans de la sagesse généralement reconnue de ses avis. Enfin, ses dix sept membres actuels assument des responsabilités dans le monde politique, administratif, universitaire, associatif et économique et un tiers d'entre eux, innovation récente et majeure, est issu des différentes familles de l'immigration.

Ses méthodes de travail ont peu varié depuis sa création et font alterner les auditions de personnalités, les déplacements sur le terrain au contact d'expériences jugées particulièrement significatives ou exemplaires et les débats internes au Conseil complétés par des contributions écrites de ses membres.

Le Haut Conseil a choisi il y a environ deux ans, comme thème de ses travaux, " l'Islam dans la République ", jugeant nécessaire d'aborder de front ce problème aux multiples facettes, central pour l'intégration harmonieuse dans la communauté française d'un très grand nombre de personnes étrangères ou d'origine étrangère proche ou lointaine.

L'étude du sujet et l'élaboration du présent rapport a donné lieu à des discussions approfondies et parfois vives au sein du Conseil, mais il a été adopté en définitive à la quasi-unanimité, un seul de ses membres ayant exprimé un désaccord global sur son contenu.

D'autre part, les recommandations relatives au port du voile par de jeunes musulmanes ont fait l'objet de la part de quelques-uns de nos collègues de fortes réserves qui seront évoquées plus loin.

Au-delà des analyses et des réflexions de tout ordre qui sont rassemblées dans ce rapport, il apparaît que la présence, historiquement nouvelle, d'une forte population musulmane installée durablement sur notre sol devrait nous conduire à nous interroger, littéralement à " revisiter " trois concepts fondamentaux de notre tradition française et républicaine, non pour les récuser mais au contraire pour en dégager les richesses pour notre pays : ce sont la laïcité, la citoyenneté, et finalement l'égalité.

Certains s'étonneront peut-être que le rapport consacre un long chapitre d'introduction à la loi du 9 décembre 1905, fondement de la séparation des Eglises et de l'Etat, élément essentiel de la laïcité, et en évoque la préhistoire sous la forme d'une chronique résumée des rapports souvent conflictuels que l'Etat français a entretenus avec les communautés religieuses et particulièrement avec l'Eglise catholique, au cours des derniers siècles.

Parce que ces conflits sont aujourd'hui heureusement résolus, cette histoire est peu connue, en particulier, on le comprend, par les fidèles de l'Islam, auxquels pourtant le cadre législatif qui en est issu s'applique comme aux autres communautés religieuses.

La loi de 1905, après les compléments que lui ont apportés la jurisprudence et les avis du Conseil d'Etat, a très bien vieilli et apparaît, après un siècle, comme un texte étonnamment moderne, inspirée par un souci de tolérance et assez souple pour répondre aux exigences particulières de chaque communauté, y compris l'Islam. Les ajustements nécessaires dans le cadre de la loi, dont le rapport a cité quelques exemples significatifs, relèvent de l'imagination, de la bonne volonté et de la force de conviction des acteurs locaux.

Les abus, s'il s'en trouve, ne mettent pas en cause la législation mais la vigilance des autorités chargées du contrôle de la légalité. En tout cas le Conseil, dans son ensemble, a considéré que le temps n'est pas venu pour une refondation du régime cultuel français, mais il estime qu'un effort doit être entrepris pour que le droit actuel français soit mieux connu, avec ses limites et ses souplesses, par les responsables des communautés musulmanes.
En définitive, la recommandation du Haut Conseil est de ne céder en ces matières ni à la complaisance ni à la méfiance : c'est ainsi que certains principes, tels que le respect d'autrui, dans sa personne et ses convictions, l'égalité des sexes, la liberté d'expression et de recherche sont intangibles. En particulier, et pour aborder le problème de l'école, il ne serait pas tolérable que des élèves ou des parents récusent, au nom d'une croyance religieuse, telle ou telle partie des programmes concernant la biologie, la littérature, la philosophie voire le dessin ou globalement l'éducation physique.

Mais en même temps, le simple respect de la règle de droit peut rester une solution de facilité, voire de paresse si elle ne s'accompagne pas, vis à vis des enfants et des familles concernés, d'une démarche de compréhension, de dialogue et de persuasion en quoi se résume la pédagogie.
A cet égard, le Haut Conseil a longuement débattu du problème du port du voile islamique. La question est d'importance en ce qu'il est le symbole emblématique des tensions évoquées plus haut et aussi, tout simplement, parce que la question du voile reste ouverte en raison, en particulier, des agissements de certains réseaux prompts à exploiter des revendications identitaires de la part des jeunes musulmanes.

Quelques membres du Haut Conseil souhaitent l'interdiction générale et absolue du port du voile à l'école ainsi que de tout signe d'appartenance religieuse, à l'exemple de ce qui se pratique en Turquie et en Tunisie : tolérer cette pratique serait, selon eux, accepter, à l'encontre du mouvement général des sociétés modernes vers l'émancipation des femmes, le symbole d'une discrimination éminemment sexiste, porter atteinte au principe de la laïcité qui institue, dans l'enceinte de l'école, un lieu de neutralité propre à protéger la liberté des enfants et enfin perpétuer les incertitudes des chefs d'établissements et des enseignants confrontés à ces problèmes.

Ces arguments, qui méritent d'être pris au sérieux, n'ont cependant pas entraîné l'assentiment de la majorité du Haut Conseil ; celui-ci estime qu'une mesure générale d'interdiction, exigerait une disposition législative dont la conformité à la Constitution et aux conventions internationales signées par la France, serait plus que douteuse.

Mais surtout les témoignages de plusieurs acteurs de terrains indiquent que l'expulsion pure et simple de la communauté scolaire des jeunes filles obstinées à porter le voile, contribuerait à les confiner encore davantage dans leur particularisme, quels que soient les motifs, éminemment variés chez une adolescente, de son affichage. Et surtout, une mesure aussi radicale contribuerait à accentuer la différence de traitement entre les garçons et les filles, les premiers pouvant fréquenter l'école quelle que soit leur tenue vestimentaire. Ce serait là une double discrimination que la majorité du Haut Conseil, dans son souci fondamental d'intégration et dans sa confiance envers l'influence émancipatrice de la communauté scolaire, a refusé, préférant s'en remettre à la jurisprudence équilibrée établie par le Conseil d'Etat.

Il a retrouvé néanmoins son unanimité pour reconnaître qu'un effort particulier d'accompagnement et de médiation soit engagé vis à vis des jeunes filles attachées au port du voile et de leurs familles et aussi qu'un large débat soit ouvert entre les enseignants, les élèves, leurs familles et les autorités concernées, afin que chacun soit éclairé sur ses enjeux.

Le deuxième concept qui mérite d'être exploré est celui même de citoyenneté parce qu'il occupe une place sans pareille dans notre tradition historique et politique. Loin d'évoquer je ne sais quelle uniformisation jacobine, la citoyenneté implique l'adhésion active aux valeurs qui fondent la communauté nationale sans que soient gommés pour autant les diversités religieuses et culturelles et le pluralisme des convictions et des identités.

Intégrer les musulmans vivant sur notre sol dans la République, c'est enrichir la nation française de nouveaux apports religieux et culturels et continuer ainsi ce perpétuel travail de recomposition et d'hybridation qui l'a constituée depuis les débuts de sa longue histoire. Remarquons dans ce contexte que l'expression courante " français de souche " n'a guère de sens et que les désignations symétriques de ceux qui sont supposés ne pas l'être, " Musulmans ", "Arabes, " Maghrébins " ou " Immigrés " ne sont que des simplifications abusives vis à vis de personnes dont les références ne sont pas essentiellement religieuses, dont les origines géographiques sont très diverses et qui, de plus en plus, sont nées en France de parents eux-mêmes français. Notre communauté nationale ne se définit pas comme une mosaïque de communautés mais plus que jamais par le plébiscite quotidien de nos concitoyens dont parlait Renan.

Nous avons eu à cet égard la satisfaction d'entendre à plusieurs reprises des témoignages de jeunes musulmans qui ont exprimé devant nous avec une tranquille simplicité leur attachement à l'Islam et à toutes les traditions héritées de leurs pères en même temps que leur bonheur d'être français. Nous avons, à leur exemple, tout à gagner à favoriser, en même temps que la liberté d'exercer leur culte garantie par la loi, l'expression des richesses culturelles dont ils sont porteurs et leur intégration à notre propre culture. Les étonnantes créations musicales nées de la rencontre de folklores algériens et français sont un exemple particulièrement réussi de ce syncrétisme culturel. Souhaitons seulement que notre éducation nationale, à tous les niveaux, travaille à familiariser, au sens propre du mot, nos compatriotes avec l'Islam pour qu'il apparaisse comme une richesse plutôt que comme une menace. Enfin aurons-nous peut-être aussi à réviser notre conception de l'égalité pour qu'elle soit capable de répondre aux exigences d'une population moins homogène que naguère.

Intégrer l'Islam dans la République, c'est donner concrètement aux musulmans toutes les chances de promotion à l'intérieur de la société française. L'accession à la citoyenneté ne serait qu'un leurre si elle n'ouvrait pas l'accès à la plénitude d'une intégration culturelle, sociale et économique : c'est une question d'équité et de dignité.

Nos systèmes statistiques ne livrent guère d'informations sur la place des immigrés à l'intérieur des différents corps sociaux sauf à constater, au vu de données fragmentaires, que l'ascension sociale des immigrés et de leurs enfants est lente et difficile, beaucoup plus que ne le fut il y a un siècle celle des fils de paysans français que la République, grâce en grande partie à l'école, a progressivement intégrés dans ses classes dirigeantes.
Les discriminations dont sont victimes ces populations sont patentes en particulier dans le domaine de l'emploi et du logement et elles expliquent en partie les replis identitaires qui sont évoqués dans le présent rapport. Le Haut Conseil renouvelle son souhait, réitéré dans chacune de ses publications, que ces délits soient plus énergiquement poursuivis et sanctionnés. Dans ses prochains travaux, il reviendra sur cette question et s'efforcera également de discerner les obstacles moins visibles qui, dans la formation ou le recrutement des cadres de la nation, excluent de fait ceux qui n'ont pas eu la chance d'apprendre à déchiffrer les codes dont la clef est chez nous une des conditions de la réussite sociale. Notre société a ses rigidités propres à un vieux peuple : puisse l'immigration nous aider à les surmonter.

Roger FAUROUX

L'Islam dans la République
Avant-propos : la République et les cultes
L'Etat et les Eglises en France
Le régime français de séparation des Eglises et de l'Etat est un modèle peu fréquent en Occident et son enracinement en France même est encore récent. Conséquence de la constitution de la Nation en tant que corps politique autonome soucieux de maîtriser ses relations avec les autres pouvoirs spirituels et temporels, ce régime a succédé à une longue période d'imbrication de l'Etat et de l'Eglise et est le fruit des ajustements parfois violents qui intervinrent à compter de la période révolutionnaire et jusqu'au vote de la loi du 9 décembre 1905.

Pendant huit cents ans, de 987 à 1789, la question religieuse est marquée par le primat du catholicisme, religion d'Etat. Deux problèmes récurrents dominent cette longue période : la gestion du rapport de dépendance réciproque entre Rome et le Royaume de France ; et celle de la place qu'il convient d'accorder aux autres religions (religion juive et, à partir du XVIème siècle, religion réformée).

La rupture révolutionnaire bouleverse cette situation, pour des raisons tant philosophiques que politiques. Au plan philosophique, les idéaux de liberté civile et d'égalité rendent désormais inacceptable l'idée d'une religion officielle et sa contrepartie, l'oppression des autres cultes. Au plan politique, la réaction violente de Rome et de l'Europe aux événements révolutionnaires précipite la rupture. 1789 inaugure une période d'incertitude qui voit se succéder plusieurs formes de relations entre les Eglises et l'Etat.

Commencée dans la liberté, poursuivie dans l'oppression, la Révolution s'achève, pour les Eglises, par un gallicanisme rénové et autoritaire. L'article 10 de la déclaration du 26 août 1789 souligne la rupture voulue par ses rédacteurs : il proclame que "nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses". La liberté et l'égalité religieuses trouvent rapidement une traduction. L'émancipation des juifs est acquise en trois étapes : décret du 28 janvier 1790 pour les juifs portugais et espagnols, décisions locales à Avignon dans les autres villes du Comtat en juin-juillet 1791, décret du 27 septembre 1791 pour tous les autres juifs. Devenus électeurs et éligibles depuis 1789, les protestants avaient recouvré un état civil depuis un édit de 1787.

Intervenue à la fin de 1789, la nationalisation des biens du clergé met à la charge de la nation le fait "de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres". Suivent la suppression des congrégations (février 1790) sauf pour les ordres enseignants et hospitaliers, qui seront abolis en août 1792 et surtout la Constitution civile du clergé (juillet 1790). Cette dénonciation unilatérale du concordat de 1516 bouleverse la carte des diocèses et des paroisses, prévoit l'élection des évêques, curés et vicaires. Le serment des clercs est exigé en janvier 1791. Après la condamnation par le Pape (mars-avril 1791), il en résulte un schisme. Les prêtres réfractaires sont bientôt contraints d'émigrer, quand ils ne sont pas incarcérés ou assassinés. En septembre 1792, au moment de la proclamation de la République, l'état civil est retiré au clergé, première mesure de laïcisation d'un service public. Sous le régime du comité de salut public, une politique inédite de déchristianisation est engagée, qu'illustrent notamment l'adoption du culte de l'Etre suprême et du calendrier révolutionnaire, l'instauration du baptême et de l'enterrement républicains ou la " reconversion " des lieux de culte.
La convention thermidorienne et le Directoire appliquent une politique religieuse nuancée. Trois tendances coexistent :

- la séparation. Le décret du 18 septembre 1794 dispose que "la Nation ne salarie aucun culte", supprimant ainsi le salaire du clergé constitutionnel, disposition reprise par les décrets des 21 février et 29 septembre 1795 ;

- le libre exercice des cultes ;

- la surveillance étroite des autorités. Un serment de "soumission et obéissance aux lois de la République" est exigé des ministres du culte. Les cérémonies extérieures et le port du costume ecclésiastique sont interdits.

L'autoritarisme pragmatique de l'Empire se traduit, pour les cultes, par la maintien de la liberté religieuse assorti d'un contrôle rigoureux sur les hiérarchies ecclésiastiques. Guidé par le souci de préserver les principaux acquis de la révolution mais aussi de mettre un terme aux querelles religieuses, le concordat de 1801, conclu entre Bonaparte et le pape Pie VII, procède d'une ambition clairement gallicane. Promulgué le 8 avril 1802, le concordat fixe le statut de l'Eglise catholique et définit la religion catholique, apostolique et romaine comme "la religion de la grande majorité des Français". Des lois postérieures donneront un statut aux églises protestantes et au culte israélite. L'organisation du culte protestant est ainsi calquée sur le modèle catholique, les pasteurs étant salariés et placés sous le contrôle de l'Etat en 1804.

Le régime concordataire affirme le principe de la liberté des cultes. Certains bénéficient d'une reconnaissance officielle : catholicisme, protestantismes calviniste et luthérien et judaïsme ; les autres sont simplement licites. Le Concordat assure le maintien de l'héritage révolutionnaire (état civil, divorce, égalité entre les cultes) et le clergé, à nouveau pensionné par l'Etat, doit prêter un serment de fidélité : les évêques sont désormais nommés par le gouvernement, cependant que les évêques réfractaires doivent abandonner leur charge. En rupture avec l'héritage révolutionnaire, les principales fêtes chrétiennes et le dimanche recouvrent leur caractère chômé. Les congrégations féminines, dissoutes le 18 août 1792, sont intégrées au concordat en raison de leur utilité sociale.

En ce qui concerne le judaïsme, Napoléon convoque successivement une assemblée des notables (1806) et un Grand Sanhédrin (1807), tous deux composés de rabbins et de laïcs. Il s'agit de tester et d'attester la capacité et la volonté d'intégration des juifs à la société française (mariages mixtes, primat des lois de l'Etat sur les lois religieuses) et de réorganiser le culte et l'enseignement religieux. Sont créés en 1808 une structure hiérarchisée, le consistoire central, à Paris, et des consistoires départementaux. Un autre décret de 1808, dit "décret infâme" édicte, pour dix ans, plusieurs mesures discriminatoires envers les juifs, à l'exception de ceux de Bordeaux, de la Gironde et des Landes. Divers cas de réduction ou d'annulation de leurs créances sont prévus. Les commerçants juifs doivent fournir, chaque année, une patente du préfet subordonnée à un certificat du conseil municipal constatant que l'intéressé ne s'est livré ni à l'usure ni à un trafic illicite ainsi qu'un certificat du consistoire local attestant sa "bonne conduite et sa probité. L'immigration des juifs dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin est interdite. Leur installation dans les autres départements est subordonnée à l'acquisition d'une propriété rurale et à l'exercice d'une activité agricole sans qu'il soit possible de se mêler à aucun commerce, négoce ou trafic, sauf autorisation spéciale. Les conscrits juifs ne peuvent, contrairement aux autres, payer un remplaçant.

Il faut attendre 1831 pour que les rabbins soient salariés et 1846 pour que le serment soit aboli par la Cour de cassation.

De 1815 à 1905, la question scolaire est l'occasion de nouvelles luttes entre l'Etat et les Eglises.

ہ partir de la Restauration, la situation des cultes semble stabilisée autour d'un modèle libéral dans son esprit et gallican dans son organisation. Mais la question de l'école, enjeu symbolique autant que politique, va cristalliser les oppositions entre républicains et catholiques, et mener à une série de crises que seule la loi de 1905 permettra de résoudre.

De 1830 à 1850, la question de la liberté de l'enseignement fait l'objet d'un important débat. Cette liberté est acquise pour l'enseignement primaire grâce à la loi Guizot (1833) et, pour l'enseignement secondaire, par la loi Falloux (1850). Cette dernière loi institue un outre une présence et un contrôle de l'Eglise catholique sur l'enseignement public. Elle limite enfin les subventions des collectivités locales aux établissements d'enseignement privés.

Le Second Empire, soucieux de préserver de bonnes relations avec Rome, multiplie les autorisations aux congrégations religieuses et encourage le développement de l'enseignement confessionnel, ce qui conduit l'opposition républicaine à réclamer la laïcisation de l'enseignement et la séparation de l'Eglise et de l'Etat, que le syllabus de 1864, catalogue pontifical des " principales erreurs de notre temps ", condamne explicitement.

L'absence de reconnaissance par les catholiques de la forme républicaine du gouvernement, adoptée à une voix de majorité en 1875, accrédite l'hypothèse d'une volonté de revanche de la part de l'Eglise. La consolidation de la République conduit à partir de 1880 à l'adoption de mesures emblématiques : retrait des crucifix des salles de classe, loi du 28 mars 1882 n'autorisant l'enseignement religieux qu'en dehors des heures de classe et substituant l'instruction morale et civique à la morale religieuse, loi du 5 avril 1884 interdisant la séparation entre cultes dans les cimetières municipaux, abolition du repos obligatoire du dimanche, rétablissement du divorce.

Après qu'en 1890, le cardinal Lavigerie, évêque d'Alger, eut porté un toast à la République, l'encyclique Au milieu des sollicitudes invite en 1892 les catholiques au ralliement, sans que celui-ci devienne pour autant effectif. Après l'affaire Dreyfus, une nouvelle offensive laïque se développe, visant essentiellement à lutter contre l'enseignement congrégationniste. En 1900, la congrégation des assomptionnistes est dissoute et en 1901 est votée la loi sur les associations, qui soumet les congrégations à un statut spécial et les oblige à demander une autorisation aux deux chambres. Le 7 juillet 1904, une loi interdit l'enseignement aux congrégationnistes, tandis que les relations diplomatiques sont rompues entre le Vatican et la République française.

Chapitre I : la loi du 9 décembre 1905, une tentative de stabilisation des relations entre la République et les cultes


Faisant suite à plus d'un siècle de tensions, la loi de 1905 se présente comme une tentative de stabilisation des relations entre la République et les cultes.

1-1 Les principes de la loi de 1905 : liberté religieuse et séparation des Eglises et de l'Etat
Le cadre juridique actuel de l'exercice des religions est défini par la loi du 9 décembre 1905, et par les lois qui l'ont suivie pour décliner les principes qu'elle a posés. L'adoption de la loi du 9 décembre 1905 a lieu dans un contexte difficile, marqué par la crispation croissante, après la rupture des relations diplomatiques, du camp laïque et des autorités vaticanes autour des questions de l'école et de la nomination des évêques. Il apparaît alors, même aux radicaux modérés, qu'une loi de séparation qui laisserait intacte la liberté religieuse proclamée à la Révolution serait le seul moyen de résoudre la crise. Novatrice par son contenu, la loi de 1905 l'est aussi par sa méthode : elle marque la fin de l'esprit concordataire et la volonté de l'Etat de décider désormais unilatéralement du statut des Eglises - ce qui n'exclut pas la concertation comme le montrent les échanges de lettres de 1923-1924 avec le Vatican sur la question des associations diocésaines.

La loi de 1905, issue d'un conflit entre la République et l'Eglise catholique, est devenue le socle durable de l'exercice de tous les cultes en France, sans que ses principes soient fondamentalement remis en cause. Pour la réception d'une religion nouvelle en France comme l'Islam, cette loi offre un cadre libéral mais pose aussi des contraintes qui sont la contrepartie de la laïcité de l'Etat.

La loi de 1905 est en effet avant tout une loi de liberté. Enracinant dans le droit positif la liberté religieuse, elle a été, depuis son adoption, confortée par des dispositions constitutionnelles et de droit international. La liberté religieuse affirmée par cette loi et les textes qui l'ont suivie comprend trois composantes, dont tout adepte d'une religion peut revendiquer le respect.

La première est la liberté individuelle de conscience, qui permet à tout individu d'avoir la croyance de son choix. Elle est affirmée de façon particulièrement nette à l'article 1er de la loi : "La République assure la liberté de conscience".

La deuxième est la liberté collective d'exercice du culte, qui implique que la pratique de la religion puisse s'exprimer sans entrave dans un espace social et public, et qui est également affirmée à l'article 1er de la loi. Les retouches apportées à la loi de 1905 ont visé à renforcer l'effectivité de cette liberté : si l'exercice du culte était initialement autorisé dans le seul cadre d'une association créée conformément à la loi de 1905, la loi du 2 janvier 1907 l'a rendu possible dans le cadre d'une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou simplement sur le fondement d'initiatives individuelles.

La troisième composante de la liberté religieuse reconnue par la République est le principe d'égalité et de non-discrimination entre les religions. Implicitement contenu dans la loi de 1905, qui traite des "cultes" de façon indifférenciée, il est explicitement énoncé par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La République respecte toutes les croyances". Ce principe est d'ailleurs repris par l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Un projet de protocole additionnel à cette convention contient en outre une clause générale de non-discrimination.

L'autre caractéristique de la loi du 9 décembre 1905 est d'être, ainsi que l'indique son titre, une loi de séparation. L'égalité des cultes implique, dans la conception française, une abstention identique à l'égard de tous. Ainsi la loi implique, selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, que l'Etat ne puisse s'immiscer dans l'organisation interne des Eglises. Il est tenu de prendre acte des décisions de celles-ci concernant par exemple la dévolution des biens ou la perte de la qualité d'aumônier.

Ne pouvant intervenir directement dans les affaires des Eglises, l'Etat s'est borné à définir les structures juridiques utilisables pour l'exercice du culte : ce sont les associations prévues par la loi de 1901 (associations de droit commun) ou par la loi de 1905 (associations ayant exclusivement pour objet l'exercice d'un culte). L'Etat a également défini un cadre juridique pour la création de communautés religieuses (loi sur les congrégations du 8 avril 1942, assouplissant considérablement le régime initial de la loi de 1901). Ces lois offrent un cadre libéral à l'exercice des religions : les associations régies par la loi de 1901 se créent librement sans nécessité d'un aval administratif ; le régime issu de la loi de 1905 ouvre en outre aux associations cultuelles des droits spécifiques, à savoir la possibilité de recevoir des dons et legs (art. 19 de la loi de 1905) et l'exonération d'impôt foncier pour les édifices du culte qu'elles possèdent (art. 1382 du code général des impôts). La contrepartie de ces droits est un contrôle financier par l'Etat.

L'aspect le plus visible de la séparation instituée par la loi de 1905 est la séparation immobilière entre les Eglises et l'Etat. Le schéma retenu en 1905 prévoyait, d'une part, que les immeubles affectés à l'exercice du culte et nationalisés sous la Révolution restaient la propriété des collectivités publiques et étaient mis à disposition des associations cultuelles et, d'autre part, que les immeubles possédés par les Eglises avant le vote de la loi de 1905 étaient attribués en pleine propriété aux associations constituées conformément à cette loi. Dans le premier cas, l'entretien des immeubles est à la charge de la collectivité, dans le second à la charge de l'association propriétaire. Devant le refus de l'Eglise catholique de créer des associations cultuelles, la loi du 13 avril 1908 a prévu le retour aux collectivités publiques des immeubles dont cette Eglise ne demandait pas l'attribution.

Enfin le principe de séparation implique l'absence de soutien financier des collectivités publiques aux Eglises (article 2 de la loi de 1905 : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte"). A ce principe législatif, il ne peut être dérogé que par la voie législative, comme cela a été le cas lorsque le Parlement vota la loi du 19 août 1920 autorisant le versement d'une subvention de 500.000 F pour la construction de la Mosquée de Paris. Ce principe est appliqué strictement par la juridiction administrative.

Sont interdites les subventions directes aux cultes, comme le versement d'un traitement au ministre du culte, l'attribution d'une subvention à une association régie par la loi de 1905, ou à une association régie par la loi de 1901 qui a à la fois des activités cultuelles et des activités à caractère social et culturel. Sont également prohibées les subventions indirectes, comme la location d'un édifice à un prix inférieur à la valeur locative réelle. La loi crée toutefois quelques dérogations à cette interdiction : les collectivités publiques peuvent participer aux dépenses d'aumônerie (art. 2 de la loi de 1905), aux dépenses de réparation, d'entretien et de conservation des édifices du culte leur appartenant (art. 13 et 19 de la loi de 1905) et aux dépenses de réparation des édifices du culte appartenant à des associations régies par la loi de 1905 (art. 19 de la loi).

1-2 La mise en œuvre de la loi de 1905 : des traductions différentes selon les religions et les territoires
Alors que la loi de 1905 était censée créer un statut unique pour toutes les religions sur l'ensemble du territoire, sa mise en œuvre s'est traduite historiquement par des différences de fait et de droit entre les cultes.

La "crise" de la séparation s'est manifestée de la façon la plus visible lors du transfert des biens immobiliers. Devant l'absence de réponse uniforme des Eglises, les pouvoirs publics ont dû adapter la loi, créant des situations différentes qui perdurent encore. Près d'un siècle après le vote de la loi, trois situations différentes peuvent ainsi être distinguées :

- les Eglises qui avaient accepté la logique initiale de la loi (religions juive et protestante) et créé des associations cultuelles dès 1906 sont propriétaires de leurs édifices religieux dont elles doivent assurer l'entretien ;

- l'Eglise catholique, qui a refusé jusqu'en 1924 de se couler dans le moule des associations cultuelles, a la jouissance de bâtiments religieux dont les collectivités publiques doivent assurer l'entretien ;

- quant aux "ministres du culte" et fidèles des religions nouvellement apparues, ils construisent et gèrent leur parc immobilier exclusivement selon les règles du droit privé et avec leurs propres moyens.

Un deuxième élément de différence tient à l'exclusion de certaines régions françaises du champ d'application de la loi de 1905. Si, en vertu de décrets de 1911 et 1913, la loi de 1905 est applicable en Martinique, en Guadeloupe et à la Réunion, la Guyane et les autres collectivités d'outre-mer relèvent de régimes particuliers. Mais le particularisme n'est pas réservé à l'outre-mer.

Le retour à la France des départements d'Alsace-Moselle s'est accompagné du maintien dans ces trois départements du régime des cultes appliqué entre 1870 et 1918, c'est-à-dire du concordat de 1801 et des articles organiques édictés par Napoléon, combinés au droit allemand des associations. Ce régime se distingue sur plusieurs points du régime de séparation issu de la loi de 1905. Il ne s'applique pas à l'ensemble des cultes, mais seulement aux "cultes reconnus", c'est-à-dire expressément agréés et réglementés par l'autorité publique. Depuis l'origine, quatre cultes reconnus existent en Alsace-Moselle : catholique, luthérien, calviniste et juif. L'Islam n'y figure pas. La reconnaissance implique notamment la rémunération des ministres du culte par l'Etat et la participation des collectivités publiques aux dépenses du culte. En outre, le principe de laïcité de l'enseignement ne s'applique pas comme sur le reste du territoire national : l'enseignement religieux des cultes reconnus est assuré pendant les heures de cours, et deux facultés théologiques publiques, une catholique et une protestante, existent à Strasbourg.

Un troisième exemple d'application inégale de la loi de 1905 concerne plus particulièrement l'Islam : il s'agit de la politique suivie par les pouvoirs publics en Algérie avant la décolonisation, caractérisée par ce que F. Frégosi, chercheur à l'université Robert Schuman de Strasbourg, appelle une "exception musulmane à la laïcité".

L'absence d'application de la loi de 1905 aux départements algériens (1905-1962)

Malgré l'extension des dispositions de la loi de 1905 aux trois départements algériens par le décret du 27 septembre 1907, l'Etat n'a jamais cessé d'exercer en fait un contrôle prononcé sur l'exercice du culte musulman, en accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie d'agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées domaniales (circulaire Michel du 16 février 1933).

Les milieux musulmans locaux réagirent en exigeant de bénéficier de la même liberté que les cultes métropolitains. L'Emir Khaled adressa le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Edouard Herriot, président du Conseil. Par la suite, l'Association des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis formula un ensemble de propositions destinées à appliquer à l'Islam algérien le statut de droit commun des religions, qui furent reprises par la plupart des formations politiques musulmanes dès les années 1930 : création d'associations cultuelles et d'un Conseil supérieur islamique, convocation d'un congrès religieux chargé de définir l'organisation définitive du culte musulman conformément à la loi de 1905. Ces initiatives ne trouvèrent aucun écho auprès des autorités métropolitaines.

Bien que la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l'Algérie ait réaffirmé l'indépendance du culte musulman à l'égard de l'Etat dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques ont perduré jusqu'à l'indépendance. L'attitude de la République était dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses. Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux musulmans, les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la dépendance de l'Etat pour mieux en contrôler l'exercice.

Cet épisode de non-application de la loi de 1905 est parfois présenté comme symptomatique de l'incapacité de la République française à considérer l'Islam sur un pied d'égalité avec les autres religions. Il a en tout état de cause eu pour effet de créer un lien entre le religieux et le civil dont on retrouve encore les traces aujourd'hui.

Le régime issu de la loi de 1905 et des lois qui l'ont complétée a donc deux faces. D'un côté, un régime juridique uniforme caractérisé par une grande permanence et qui a permis l'enracinement sur la plus grande partie du territoire de principes reconnus comme au fondement du pacte républicain : liberté religieuse et non-intervention de l'Etat dans les affaires des Eglises. De l'autre, des situations de fait et de droit hétérogènes, selon le sort réservé aux différentes Eglises à l'époque de la séparation, selon le lieu où sont situés les édifices, selon l'époque.

Il reste à examiner comment l'Islam, dont la présence en France métropolitaine est récente, peut être, à travers ce régime, intégré à la société française au même titre que les autres religions.

Chapitre II : les musulmans en France
La République doit être indifférente aux religions en tant que dogme. Elle ne peut légitimement intervenir que pour réglementer leurs manifestations dans l’espace public. Aussi l’analyse des relations entre l’Islam et la République ne peut-elle partir que de l’étude de la situation des musulmans en France, des origines jusqu’aux pratiques actuelles.

Dans cette perspective, il apparaît que les musulmans constituent une population mal définie, aux représentations multiples. Ces difficultés d’approche sont encore accrues par le fait que l’Islam doit être appréhendé comme un fait non seulement religieux mais aussi social et culturel.

Parce que les relations entre l’Islam et la République sont encore aujourd’hui largement marquées par l’histoire de la colonisation, comme par les conditions de l’immigration massive de populations de culture musulmane, il apparaît nécessaire de rappeler, sommairement, les grandes étapes de l’implantation musulmane sur le territoire français.

Les étapes de l’implantation musulmane en France

L’implantation de la religion musulmane en France a été le fruit de vagues d’immigration successives, encouragées en général par les autorités publiques.

Au début du XXème siècle, l’Islam est très peu présent en métropole. A la veille de la première Guerre mondiale, on y compte seulement 4.000 à 5.000 Algériens. L’Islam reste un fait colonial, marqueur d’une identité différente et intimement lié au statut personnel.

La première Guerre mondiale entraîne les premières arrivées massives de populations musulmanes sur le sol métropolitain. D’une part, des troupes sont recrutées dans les populations indigènes d’Afrique du Nord : 170.000 Algériens et 135.000 marocains seront ainsi mobilisés. On compte près de 100.000 morts et blessés musulmans du côté français lors de ce conflit. Cette contribution à l’effort national suscitera, après la guerre, des gestes symboliques de la part de la République :
création de cimetières musulmans, construction de la Grande Mosquée de Paris, inaugurée en 1924, ouverture de l’hôpital Avicenne à Bobigny. D’autre part, 130.000 musulmans sont recrutés entre 1914 et 1918 pour remplacer les travailleurs partis au front.

Le mouvement d’immigration de main d’œuvre s’accroît après la guerre. Il est soutenu par les pouvoirs publics et le patronat et favorisé par la suppression à l’égard des Algériens, en 1919, du permis de voyage. Si cette politique est stoppée à partir de 1924, en raison de la montée du chômage, l’immigration musulmane se poursuit malgré tout. En 1939, on compte 200.000 Algériens en métropole.

Après la seconde Guerre mondiale, deux éléments renforcent cette présence. La reconstruction du pays impose de faire appel à de la main d’œuvre étrangère. Ceci se traduit par la modernisation des conditions d’entrée sur le territoire métropolitain (adoption de l’ordonnance du 2 novembre 1945) et par le retour à la liberté de circulation pour les Algériens. L’immigration algérienne est prépondérante jusqu’à l’indépendance de ce pays (on compte 330.000 Algériens en métropole en 1962) et reste significative après la décolonisation. ? partir de 1960 se développe également une immigration marocaine. En 1975, on compte 260.000 ressortissants marocains sur le sol français. Jusqu’aux années 1970, ces populations connaissent un fort taux de rotation. N’ayant pas vocation à s’enraciner, elles s’accommodent, pour leur pratique religieuse, de conditions provisoires. L’Islam est désormais présent sur le sol français, mais encore peu visible.

D’autre part, le rapatriement après la guerre d’Algérie de 80.000 harkis crée la première communauté de “Français musulmans” sur le sol métropolitain. L’Islam est alors, pour les autres Français, l’une des caractéristiques de cette communauté.

La suspension de l’immigration de travail en 1974 n’empêche pas la diversification de la communauté musulmane, par arrivée de familles originaires de Turquie et d’Afrique sub-saharienne. Surtout, la nouvelle situation favorise l’expression d’un Islam jusqu’alors discret. Le gouvernement soutient dans les années 1970 la création de lieux de culte musulmans dans les foyers d’accueil, les grandes entreprises de main d’œuvre et les immeubles HLM. Cette politique répond à un objectif de paix sociale, d’intégration des populations destinées à s’enraciner, mais elle vise aussi à maintenir un lien avec leur culture chez ceux qui souhaitent retourner dans leur pays d’origine. A cette attitude répond celle des familles qui choisissent de s’installer en France. Pour elles, la transmission des valeurs religieuses reste un des éléments essentiels du respect de leur patrimoine culturel dans un contexte étranger. Les enfants issus de ces familles étant en général de nationalité française, cette situation aboutit à l’émergence d’un Islam français, qui ne se dissimule plus et cherche sa place dans le paysage religieux national.

2-1 L’Islam : un fait religieux, social et culturel.
Comme toutes les religions, l’Islam ne peut être appréhendé dans sa seule dimension spirituelle. La réalité de l’Islam en France doit être également saisie aux plans social et culturel.

2-1-1 Un fait religieux
Si la diversité des pratiques de l’Islam dans le monde musulman interdit de dresser un portrait exhaustif et fidèle de celles des musulmans de France, l’exercice du culte est, quelles que soient les interprétations, nombreuses, qui peuvent en être faites, structuré par le respect des cinq piliers de l’Islam.

Les cinq piliers de l’Islam, pratiques obligatoires et codifiées, sont la profession de foi, l’aumône légale, le jeûne du mois de ramadan, la prière et le grand pèlerinage à La Mecque.

La profession de foi consiste en l’énonciation, en arabe, de la formule : “ j’atteste qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mohamed est l’envoyé de Dieu ”. Prononcée devant deux témoins musulmans, elle suffit à faire entrer dans la Communauté des Croyants. Elle a une double signification : la croyance au monothéisme et celle en la mission de Mohamed.

L’aumône légale, versée par tout musulman qui en a la possibilité à la Communauté des Croyants, frappe toutes les formes de revenu. Elle est fondée sur le principe, essentiel dans l’Islam, de la solidarité communautaire.

Le jeûne du mois de Ramadan, le neuvième de l’année musulmane, consiste à ne pas manger, ne pas boire, ne pas fumer, ne pas avoir de relation sexuelle du lever au coucher du soleil. A cette abstinence physiologique, le musulman doit associer une modération dans le comportement. La rupture quotidienne du jeûne est un moment de fête, de célébration familiale. L’Aïd-el-Fitr, première journée où l’on peut se nourrir normalement, est célébrée par une grande prière collective. Sa date correspond à la réapparition du premier filet de croissant de lune.

La prière canonique est une obligation quotidienne du musulman, elle ne peut se faire qu’en état de pureté rituelle. Les ablutions sont codifiées. Le croyant se tourne vers La Mecque pour chacune des cinq prières quotidiennes. Suivant les moments, les prières sont plus ou moins longues (elles comportent un nombre variable de raka, unités de prière) et elles sont dites à voix haute ou silencieusement, en arabe, puisque c’est dans cette langue que Dieu s’est adressé aux hommes.

L’appel à la prière est la voix humaine. Le lieu de la prière peut être la mosquée mais ce n’est pas une obligation sauf pour les hommes le vendredi midi.

Le grand pèlerinage à La Mecque est un rite exceptionnel que le musulman doit accomplir une fois dans sa vie, si sa santé et ses moyens le lui permettent. Il se déroule pendant le mois où a lieu l’Aïd-el-Kébir, la grande fête musulmane qui commémore le sacrifice d’Abraham. Le hadj (pèlerin) se voit reconnaître une piété particulière parce qu’il s’est rendu et a respiré au lieu de naissance de l’Islam, là-même où était descendue la Parole divine. Cette signification considérable du grand pèlerinage se traduit par l’accomplissement de nombreux rites symboliques.

Si ces piliers sont communs à l’ensemble du monde musulman, plusieurs écoles se sont développées à partir de l’enseignement de Mohamed. L’Islam est ainsi composé de différents courants : les sunnites, les chi’ites et les kharijites.

Les différents courants de l’Islam

L’existence de différents courants procède d’une querelle sur le choix du chef de la communauté, le Calife. Premier converti, cousin germain puis, par Fatima, gendre du Prophète, Ali est élu quatrième Calife, en 656, en concurrence avec un membre du clan des Omeyades, Mu’awiya. Afin d’éviter l’affrontement, Ali accepte un arbitrage sur l’attribution du califat au résultat duquel il ne se soumet pas.

Lors de l’arbitrage décidé à Siffîn (en 656), les sunnites se sont soumis à la victoire de Mu’awiya tandis que les partisans d’Ali, calife destitué, devinrent les chi’ites. Le sunnisme se définit comme la communauté du “juste milieu”. Elle est définie par le Coran, les hadiths, c’est-à-dire les dits, faits et gestes du prophète rapportés par ses compagnons immédiats, auxquels se rajoutent ceux des quatre premiers califes et les suivants immédiats.

Les chi’ites sont à l’origine des partisans d’Ali. Dans le chi’isme, l’imam est le successeur spirituel du prophète. Des divisions significatives à l’intérieur du chi’isme sont apparues au moment de la succession du sixième imam, avec l’émergence du chi’isme duodécimain (présent en Iran, en Irak et au sud du Liban) pour lequel la lignée d’Ali s’arrête au douzième imam et l’ismaélisme (présent sur la côte occidentale de l’Inde), pour lequel elle s’arrête au septième imam, Ismaël, considéré comme “ caché ” et qui doit revenir à la fin des temps. En matière de droit, le chi’isme n’est pas fondamentalement différent du sunnisme avec cependant quelques variantes. Le Coran, les hadiths du Prophète, auxquels se rajoutent ceux des imams, constituent les deux premières sources du droit, vient ensuite le consensus de la communauté (ijma) mais conditionnée par l’approbation de l’imam. Autre différence avec le sunnisme : les chi’ites ont maintenu ouvertes les portes de l’interprétation. Sur le plan cultuel, les pratiques sont semblables à l’exception du mariage qui peut être temporaire pour les chi’ites.

Les kharijites sont présents dans le sultanat d’Oman mais aussi au Maghreb (Tunisie, Algérie, Lybie), ils réuniraient un million de personnes. Ils sont les héritiers des musulmans qui firent scission au moment de la bataille de Siffîn, au sujet de la succession du prophète. A l’origine partisans d’Ali, ils s’en sont séparés lorsque celui-ci accepta l’arbitrage humain pour décider de la succession du Prophète. Dans ce courant de l’Islam, l’origine de l’imam est indifférente si ses vertus le qualifient pour une telle charge.