Le Conclave en l'An 24 A.H. Osman, le troisième calife
Osman, le troisième calife
Le Conclave en l'An 24 A.H.
A propos de la mort du Calife `Omar, nous avons déjà relaté comment, de son lit de mort, il avait nommé six électeurs parmi les Compagnons du Prophète afin qu'ils choisissent l'un d'entre eux comme successeur, et comment il avait posé une condition au déroulement de cette élection; celle-ci devait avoir lieu coûte que coûte en trois jours et ne pas dépasser ce délai. Après la mort de `Omar, lorsque l'enterrement fut terminé, Miqdâd réunit les électeurs, en l'occurrence `Abdul-Rahmân, `Othmân, Sa`d, Zobayr et `Alî, conformément à la volonté de `Omar. Talha n'était pas encore arrivé. Le conclave eut lieu dans la maison de Miswâr, un cousin de `Abdul-Rahmân.
La porte de la maison était gardée par cinquante soldats sous le commandement d'Abû Talhah, afin d'empêcher quiconque, mis à part `Abdullâh, le fils de `Omar, d'y entrer. Celui-ci devait participer au vote, si nécessaire. Moghîrah B. Cho`bah et `Amr B. Al-`âç, se tinrent cependant près de la porte afin de laisser croire qu'ils avaient, eux aussi, un rôle à jouer dans cette affaire. Bien que, à présent, n'importe qui, et si insignifiant fut-il dans ses antécédents, ait pu croire avoir droit au Califat, vu l'exemple de la façon dont avaient pu accéder au pouvoir les deux premiers Califes, parmi les six candidats - électeurs, `Alî avait de loin le plus de titres pour revendiquer cette dignité, puisqu'il était : de noble naissance, le plus proche parent du Prophète et la personne la plus en contact avec lui depuis son enfance, et en raison de sa très profonde connaissance du Coran, de ses raisonnements judicieux, et enfin et surtout - mais ce n'est pas tout - parce que le Prophète l'avait proclamé comme étant son lieutenant et celui qui occupait auprès de lui la même position qu'occupait Aaron auprès de Moïse. Cependant, `Omar avait improvisé cinq autres candidats officiels pour rivaliser avec lui et ils gaspillèrent deux jours dans des disputes inutiles, chacun mettant en évidence son propre droit. Finalement `Abdul-Rahmân proposa de retirer sa revendication du Califat si les autres s'engageaient à élire un Calife de son choix.
`Othmân fut évidemment le premier à accepter sa proposition. Les autres le suivirent, sauf `Alî qui resta silencieux. Lorsque `Abdul-Rahmân demanda à `Alî de donner son consentement, il lui dit : "Il faut tout d'abord me promettre que ton choix ne sera pas dicté par des considérations de parenté ni d'amitié, et que tu ne tiendras compte que du droit seul". `Abdul-Rahmân répondit : "Je te demande de t'engager à accepter le choix que je ferai et à t'opposer à tous ceux qui s'y opposeraient". Et `Abdul-Rahmân d'ajouter : "Pour ma part, je m'engage à ne pas être mû par un intérêt personnel ni par des considérations d'amitié et de parenté". `Alî accepta alors comme les autres, la proposition, et l'élection du Calife dépendit désormais de `Abdul-Rahmân seul. `Abdul-Rahmân eut une longue consultation avec chacun des électeurs séparément. Zobayr était en faveur de `Alî. On nesait pas avec certitude comment ni pour qui Sa`d vota. `Othmân vota pour lui-même, et `Alî fit de même. L'élection se restreignit désormais entre ces deux derniers, et on était à la troisième et dernière nuit de délibération.
L'Election en l'an 24 A.
Au lever du jour, la Mosquée grouillait inhabituellement de monde. La foule comprenait aussi bien des gouverneurs et des chefs des différentes provinces que de simples citoyens de Médine venus assister à la Prière du matin et attendre par la même occasion le résultat de l'élection de leur nouvel Emir. `Abdul-Rahmân monta sur la chaire pour renseigner les gens sur l'élection. `Ammâr B. Yâcir, un Compagnon vétéran du Prophète et le dernier Gouverneur de Kûfa, se leva et dit : "Sivous désirez vraiment éviter la division des Musulmans, saluez alors `Alî comme Calife". Miqdâd fit de même. Mais une autre voix se leva tout de suite, criant : "Non ! Si vous ne voulez pas qu'il y ait division entre les Quraych, saluez `Othmân".
C'était `Abdullâh B. Abî Sarh, soutenu par Ibn Rabî`ah. Alors, le vénérable `Ammâr se tourna vers Ibn Abî Sarh et lui dit dédaigneusement : "ô apostat ! As-tu jamais auparavant conseillé les Musulmans pour que tu oses intervenir aujourd'hui ?" Puis s'adressant à la foule, `Ammâr, poursuivit : "ô gens ! Le Messager de Dieu était l'homme honoré qui nous a élevés au faîte de l'honneur par la Religion Divine, pourquoi laisserions nous sortir cet honneur de sa Maison". Un homme de Banî Makhzûm (la tribu à laquelle appartenait Khâlid Ibn al-Walîd) s'écria alors avec colère : "Tu dépasses les limites, ô fils de Somayyah ! Qui es-tu pour te permettre de te mêler des affaires des Quraych en choisissant leur propre Emir ?". La tension montait, allait grandissant, lorsque Sa`d intervint et s'écria au visage de `Abdul-Rahmân : "Fais ton travail avant que n'éclatent des troubles. Choisis celui que tu veux choisir". "Oui, ma décision est prise", répondit `AbdulRahmân qui, ensuite, s'adressant à la foule, dit :
"Silence !" Il appela `Alî pour s'avancer au premier rang et lui dit : "Si je t'élis Calife, tu dois t`engager par la convention du Seigneur à agir selon le Livre de Dieu, l'exemple du Prophète et les précédents de ses successeurs". "J'espère le faire. J'agirai selon ma meilleure connaissance et mon meilleur jugement'. Puis s'adressant à `Othmân, `Abdul-Rahmân lui posa la même question. ll répondit promptement : "Oui, je le ferai". Là, soit parce qu'il était insatisfait de la réponse de `Alî, soit parce qu'il avait préalablement pris une décision contre sa candidature, `Abdul-Rahmân prit tout de suite la main de `Othmân, leva le visage vers le Ciel et pria à haute voix : "ô Seigneur ! Entends-moi et sois mon témoin. Ce que (la charge) j'avais autour de mon cou, je le place autour du cou de `Othmân". Ce faisant, il salua sur-le-champ `Othmân en tant que nouveau Calife.
Les gens suivirent son exemple." Ce n'est pas la première fois que je suis privé de mes droits légitimes, mais quant à toi, tu n'as pas agi sans regarder tes intérêts personnels ni impartialement", dit `Alî à `AbdulRahmân, lequel ne perdit pas une minute pour lancer à `Alî sèchement cet avertissement : "Prends garde à toi, sinon tu te dénonces toi-même", faisant allusion à l'ordre donné par `Omar de décapiter ceux qui résisteraient à sa décision. "Patience ! C'est à Dieu qu'il faut demander secours contre ce que vous racontez" (Sourate Yûsuf, l8).
Un Désastre Durable
Sir W. Muir écrit dans son "Annals of the Early Caliphate" : "Le Choix fait par `Abdul-Rahmân posa les germes du désastre de l'Islam en général, et du Califat en particulier. Il conduisit à des dissensions qui plongèrent le monde musulman dans un bain de sang durant de longues années, menacèrent l'existence même de la Foi, et continuent jusqu'à nos jours à faire vivre les croyants dans un schisme désespérant et amer."
L'Inauguration du Califat de `Othmân et son Premier Discours
C'est le 3, le 4 ou le 5 Moharrem 24 A.H. (Novembre 644 A.J.C.) que le Califat de `Othmân fut inauguré. Le vendredi suivant cette inauguration, il monta sur la chaire pour prononcer son discours inaugural devant le public. Mais il trouvait difficilement ses mots. Aussi s'écria-t-il : "ô gens ! Le premier essai est une tâche difficile, mais, après aujourd'hui, il y a encore d'autres jours, et si je suis toujours vivant, le discours vous sera livré après l'habitude, car nous n'avons jamais été prêcheurs et c'est Dieu qui nous apprendra." (Ibn Sa`d) ("L'Histoire du Califat" de Suyûtî, trad. ang. de Jarret, p.l69)
La Première Cour de Justice de `Othmân
A peine entré en fonctions, `Othmân se vit confronté à une affaire complexe dans laquelle il avait à prendre une décision contre le fils de `Omar, son prédécesseur au Califat. L'affaire en question était la suivante : `Obaydullâh, le fils de `Omar, avait appris de `Abdul-Rahmân, fils d'Abû Bakr, que la veille de l'assassinat de `Omar il avait vu Abû Lu'lu', l'assassin de `Omar, discuter en privé avec le prince persan, Hormûzan et un esclave chrétien, nommé Jofina, et que surpris par sa présence, ils s'étaient séparés précipitamment, laissant tomber dans leur hâte un poignard à double lame avec le manche au milieu. La description du poignard correspondait à celui avec lequel fut blessé `Omar. Ayant entendu ce récit, `Obaydullâh avait estimé qu'il y avait donc eu une conspiration. Rendu furieux par cette idée, il avait dégainé son épée et couru pour venger son père. Une fois tombé sur Hormûzan, il l'avait tué. Puis se dirigeant vers le lieu où se trouvait l'esclave, Jofina, il l'avait tué également. Et enfin il avait tué la fille d'Abû Lu'lu' également. Il avait fini par être arrêté par Sa`d Ibn Abî Waqqâç et mis en prison, en attendant la fin du conclave qui était alors en délibération. Le lendemain, après l'inauguration du Califat de `Othmân, Sa`d avait amené `Obaydullâh à `Othmân pour le punir conformément à la loi pour l'assassinat d'un Croyant, car Hormuzân professait la foi musulmane, recevait une allocation de deux mille dirhams de la Trésorerie, et était sous la protection de `Abbâs, l'oncle du Prophète. Ainsi, `Othmân fut devant un dilemme : l'obligation de respecter la lettre de la Loi et sa répugnance à sanctionner le meurtre du père (`Omar) par l'exécution du fils (`Obaydullâh). Il n'y avait pas la moindre preuve, ni même aucune présomption contre le prince persan. Convoquant un conseil, `Othmân demanda aux membres leurs avis sur l'affaire. `Alî et plusieurs autres déclarèrent que la loi devait être appliquée et le coupable exécuté.
D'autres dirent qu'ils étaient choqués à l'idée de voir condamner à mort aujourd'hui le fils du Commandeur des Croyants qui avait été assassiné lui-même peu de temps auparavant. A la fin, et au grand soulagement de `Othmân, `Amr Ibn al-`?ç recourut à un stratagème et suggéra qu'étant donné que l'acte de `Obaydullâh avait eu lieu pendant l'interrègne situé entre le Califat de `Omar et celui de `Othmân, il n'entrait dans la compétence d'aucun d'entre eux. `Othmân se mit ainsi avec bonheur à l'abri des ergoteurs et ordonna de relâcher `Obaydullâh. Il voulait dédommager le meurtre par une somme d'argent tirée du Trésor public, mais `Alî protesta. `Othmân. paya alors la somme de sa propre poche . `Obaydullâh s'enfuit et resta impuni, et le meurtre de Hormuzân, l'ex-somptueux prince persan ne fut pas vengé. Un sentiment de malaise s'empara de certains et les gens dirent que le Calife déviait déjà la Loi. Ziyâd Ibn Lobid, un poète de Médine satirisa à la fois le meurtrier et le Calife qui l'avait acquitté, par un vers mordant. Mais on le réduisit au silence et l'affaire fut classée. Au troisième jour de son Califat (Moharram 24 de l'Hégire), `Othmân évinça al-Moghîrah Ibn Cho`bah du gouvernement de Kûfa et nomma à sa place Sa`d Ibn Abî Waqqâç (Rawdhat al-Ahbâb).
L'Année de l'Hémorragie
En cette année (24 A.H.) les gens assistèrent à l'apparition d'une maladie dont les victimes souffraient de saignements de nez. De là cette appellation de "l'année de l'hémorragie" (Ibid). `Othmân lui-même fut atteint par cette maladie qui l'empêcha même d'aller au Pèlerinage du Hajj et qui l'obligea à envoyer une autre personne à sa place (Al-Suyûtî, trad. ang. De Jarret, op. cit. p.l59). Il est à noter ici que selon un hadith cité par Ibn Hajar dans son "Tahrîr al-Tinân", p.141, le Prophète avait prédit : "L'un des oppresseurs, issu des Omayyades, sera atteint d'une maladie qui le fera saigner du nez".
La Nomination de Walid comme Gouverneur de Kûfa
En l'an 25 A.H. `Othmân nomma son frère utérin, Walîd B. `Oqbah B. Mo`ayt, Gouverneur de Kûfa, en destituant son prédécesseur Sa`d B. Abî Waqqâç. Walîd était un alcoolique, un débauché notoire et un homme célèbre pour ses scandales. Son père `Oqbah avait été fait prisonnier lors de la bataille de Badr, et alors qu'on allait l'exécuter, il dit avec désespoir : "Qui prendra en charge mes enfants ?", ce à quoi le Prophète répondit : "Le feu de l'Enfer". Walîd était l'un de ces enfants. Le Calife se fit la mauvaise réputation de favoritisme envers ses proches parents sans mérites.
L'Extension des Limites de la Ka`bah
En l'an 26 A.H., lors du pèlerinage de la Mecque `Othmân, désireux de procéder à l'extension de l'enclos de la Ka`bah, ordonna l'acquisition des maisons contiguës aux murs de bornage existants de l'édifice. Quelques propriétaires refusèrent de céder leurs maisons, et `Othmân donna l'ordre de les acquérir de force. Lesdits propriétaires se rendirent alors à Médine pour protester auprès du Calife contre cette acquisition forcée. Ils furent arrêtés et emprisonnés, mais relâchés par la suite sur la recommandation de `Abdullâh B. Khâlid B. Osayd (Ibn Athîr).
La Nomination de `Abdullah B. Abî Sarh, Gouverneur d'Egypte
La même année, `Othmân démit `Amr B. Al-`?ç, le conquérant de l'Egypte, de ses fonctions de Gouverneur d'Egypte pour nommer à sa place son propre frère de lait, `Abdullah B. Abî Sarh. Il s'agit de ce même `Abdullah à qui avait fait allusion le verset 93 de la Sourate al-An`âm. `Amr retourna à Médine pour y séjourner, tout comme l'avait fait l'ex-Gouverneur de Kûfa, Sa`d B. Abî Waqqâç. Ces deux hommes s'appliquèrent à critiquer l'action publique et privée du Calife. Et (selon Habîb al-Sayyâr) l'opposition au Calife atteignit un tel degré que `Amr, qui était marié à une sœur de `Othmân, se sépara d'elle. Désormais toutes les bouches étaient pleines d'accusations contre `Othmân, à qui on reprochait son népotisme poussé à l'extrême.
Des Cadeaux Faramineux
En cette année, et l'année suivante (c'est-à-dire 26-27), les conquêtes musulmanes s'étendirent en Afrique de l'Egypte à l'est au Maroc à l'ouest, en passant par presque toute la côte, soit Tripoli, Tunis, l'Algérie et le Maroc. Les conquérants obtinrent d'immenses butins de guerre dont le cinquième fut envoyé au Calife pour être déposé dans le Trésor public et destiné aux pauvres. `Othmân offrit la totalité de ces biens, y compris la part qui revenait à la famille du Prophète, à son secrétaire Marwân. Le montant de ce cadeau était de cinq cent mille dinars. Or, il est à noter à propos de Marwân, que son père Hakam B. al-`?ç avait été banni à vie de Médine par le Prophète et que pour cette raison il n'avait pas été rappelé par les prédécesseurs de `Othmân, en l'occurrence Abû Bakr et `Omar. Mais Hakam et Marwân étaient des proches parents de `Othmân, le premier étant son oncle et le second son cousin. Pour cette raison il les fit revenir et se rétablir tous les deux à Médine. Il maria sa fille à Marwân et le nomma son propre Secrétaire. Outre le cadeau du butin de guerre mentionné plus haut, il lui céda Fadak (la propriété réclamée par Fâtimah) qui resta en sa possession et en la possession de ses descendants jusqu'à l'époque où `Omar Ibn `Abdul-`Azîz (au deuxième siècle de l'Hégire) la remit à ses propriétaires légitimes, les descendants de Fâtimah. `Othmân prodigua des cadeaux somptueux à ses proches et parasites. Par exemple, une fois il offrit cent mille dinars à al-Hakam. Il accorda à son cousin Hârith B. al-Hakam, qui était marié à sa fille, le droit de prélever la taxe sur les ventes (un dixième du montant de la vente) effectuées à Médine. Or, ce revenu avait été destiné aux pauvres par le Prophète. Trois cent mille dinars furent alloués à `Abdullah B. Khâlid B. Osayd, un parasite, fils du cousin du père de `Othmân. De même, `Othmân donna cent mille dinars à son frère de lait `Abdullah B. Abî Sarh, l'apostat, qu'il avait nommé Gouverneur d'Egypte. `
La Nomination de `Abdullah B. 'Amir comme Gouverneur de Basra
En l'an 28 A.H., le Calife destina Abû Musa al-Ach`arî de sa fonction à la tête du gouvernement de Basra, et nomma à sa place son propre cousin, `Abdullah B. `Amir, un jeune homme de vingt-cinq ans. La même année, `Othmân se maria avec une dame chrétienne, Naela. II construisit un palais pour elle à Médine. C'est cette année-là que Chypre et Rhodes furent pris.
Révolte en Perse
En l'an 29 de l'Hégire, une révolte éclata en Perse. Astakhar, Isfahân et Chirâz durent être reconquis.
Une Décision Brutale et Injuste
Durant la même année, une femme qui venait de donner naissance à un enfant après seulement six mois de mariage fut présentée devant le Calife pour être jugée sur des présomptions d'adultère. `Othmân ordonna qu'elle fût lapidée jusqu'à la mort. Elle fut emmenée pour subir la sentence.
Entre-temps `Alî fut informé de l'affaire. Il s'entretint tout de suite avec `Othmân pour lui expliquer que selon la Loi du Seigneur, la durée minimale d'une grossesse est de six mois, et que par conséquent aucune femme qui accouche après ce délai ne doit être suspectée d'adultère, à moins qu'il ait des preuves contre elle. `Othmân eut honte de son jugement dur et injuste, et il dépêcha des hommes pour empêcher son exécution. Mais une fois les messagers arrivés sur le lieu de l'exécution, ils constatèrent que celle-ci avait déjà eut lieu.
Retour aux Coutumes Païennes
En l'an 29 A.H. toujours, alors que `Othmân accomplissait le pèlerinage de la Mecque, il y introduisit de nombreuses innovations, dont celle qui consistait à poursuivre la pratique des païens en dressant une tente spacieuse dans la plaine de Minâ, sous laquelle il distribua des provisions diverses aux pèlerins, et ce, bien que le Prophète eût soigneusement aboli cette coutume, en tant que vestige du paganisme.
Des Actions Contraires aux Enseignements et aux Pratiques du Prophète
Le Prophète et ses deux premiers successeurs, Abû Bakr et `Omar - et même `Othmân lui-même, à Minâ et à `Arafat réduisaient à deux Rak`ah toutes les prières de quatre Rak`ah. Mais cette fois-ci (Pèlerinage de 29 H.). `Othmân n'écourta pas ses prières. Ce comportement contraire aux enseignements et aux pratiques de la Foi suscita l'indignation des Musulmans en général et des éminents Compagnons du Prophète en particulier et fut très préjudiciable au Calife.
La Compilation du Coran en 30 A.H.
"Des différends éclatèrent à propos de la récitation du texte sacré du Coran dans de vastes provinces de l'empire musulman : Basra suivit la lecture d'Abû Musa al-Ach`arî, alors que Kûfa adopta celle d'Abû Mas`ûd, son chancelier et le texte de Himç était différent de celui de Damas. Hothayfah exhorta `Othmân à restaurer l'unité de la Parole Divine. Le Calife demanda qu'on rassemblât des échantillons des manuscrits en usage dans les différentes régions de l'empire, puis il désigna un Conseil pour collecter ces copies et les comparer avec les originaux sacrés gardés par Hafçah.
Sous le contrôle de ce Conseil, les variations furent réconciliées pour en sortir un exemplaire faisant autorité. Des copies de cet exemplaire furent déposées à la Mecque, Médine, Kûfa et Damas. Et à partir de ces copies on multiplia des exemplaires conformes qui furent envoyés à travers l'empire. Tous les précédents manuscrits furent retirés pour être brûlés. Le texte standard devint le seul texte en usage. A Kûfa, Ibn Mas`ûd, qui vantait sa récitation parfaite, faisant autorité et aussi pure que si elle sortait des lèvres du Prophète, fut très mécontent de cette action.
L'accusation de sacrilège porté contre `Othmân et dû au fait d'avoir brûlé les précédentes copies du Texte Sacré commença à circuler parmi les citoyens factieux. Bientôt les accusations contre le Calife se répandirent à l'étranger et furent reprises avec zèle par les ennemis de `Othmân (Muir's Annals, p. 307).
La Déposition de Walid et la Nomination de Sa`îd
Walid, le Gouverneur de Kûfa, conduisit un jour la prière du matin en assemblée en faisant quatre Rak`ah au lieu des deux Rak`ah réglementaires prescrites. Et pour cause ! Il était en état d'ébriété. L'assemblée, qui comprenait un bon nombre de personnes pieuses, telles qu'Ibn Mas`ûd, était encore courroucée et sous le choc de cette violation flagrante de la prescription divine, lorsque Walîd, terminant la quatrième Rak`ah, s'écria à l'adresse des priants : "Quel beau matin ! J'aimerais bien prolonger encore la prière, si vous êtes d'accord". Or, déjà des plaintes répétées étaient parvenues au Calife contre Walid, à cause de sa débauche, mais souvent rejetées. `Othmân était désormais accusé de ne pas écouter les griefs des plaignants et de favoriser un tel scélérat. Les gens réussirent par hasard à ôter la Chevalière de la main du Gouverneur alors qu'il était encore insensible sous l'effet de l'alcool, pour la remettre, à Médine au Calife comme, preuve du péché commis. Et malgré cela, le Calife se montrait hésitant et ne se décidait pas à infliger la peine requise contre le Gouverneur, son cousin utérin, ce qui lui valut l'accusation d'ignorer la Loi. Toutefois, à la fin `Othmân accepta de se rendre à l'évidence et de démettre le Gouverneur de ses fonctions. Le Calife nomma à sa place, Sa`îd B. al-`âç, un cousin.
Les Menaces de `Othmân à l'Adresse du Peuple. `Ammâr, Maltraité
Ce qu'on reprochait le plus à `Othmân, c'était les cadeaux faramineux qu'il avait offerts, au détriment du Trésor Public, à ses proches et à ses parasites, qui avaient été haïs et abhorrés par le Prophète. Prenons-en quelques exemples. `Othmân offrit cent mille dinars à al-Hakam, quatre cent mille à `Abdullah B. Abî Sarh, cinq cent mille à Marwân. On commença à murmurer un peu partout contre cette attitude, et la grogne allait chaque jour grandissant, et les critiques devenaient de plus en plus virulentes. Sa conduite aussi bien privée que publique était scrutée. "A la fin, `Othmân dit à ses détracteurs lors d'une réunion publique que l'argent qui se trouvait dans la Trésorerie était sacré et appartenait à Dieu, et qu'il allait (étant le successeur du Prophète) en disposer à sa guise malgré eux. Il proféra des menaces, lança des anathèmes contre tous ceux qui censuraient et critiquaient ce qu'il disait". Là, `Ammâr B. Yâcir, l'un des premiers Musulmans, dont le Prophète lui-même avait dit qu'il était rempli de foi de la pointe de la tête à la plante des pieds, exprima audacieusement sa désapprobation et se mit à reprocher à `Othmân sa propension invétérée à ignorer l'intérêt public, et à l'accuser de faire renaître les coutumes païennes, abolies par le Prophète, au mépris total de la tradition sacrée instaurée par le Fondateur de l'Islam. `Othmân n'hésita pas à ordonner que fût fouetté ce Compagnon courageux, et l'un des Umayyades, parent du Calife, se jeta sur le vénérable `Ammâr, à qui `Othmân lui-même donna un coup de pied, le jetant par terre. Puis il fut battu jusqu'à l'évanouissement. Les Banû Makhzûm, les descendants de l'oncle de `Ammâr, ayant appris ce qui s'était passé, ramenèrent ce dernier et jurèrent que s'il mourait des suites des coups reçus, ils se vengeraient sur `Othmân lui-même. L'écho de cet outrage à la personne du Compagnon favori du Prophète fut propagé à travers le territoire de l'empire musulman et contribua largement à soulever un mécontentement général.
Changement dans le Caractère National des Arabes
La conquête de la Perse, de la Syrie et de l'Egypte produisit un grand effet sur le caractère et les habitudes des très simples Arabes. Le Luxe permanent et la douce sensualité des magnifiques cités royales des pays conquis sapèrent la rude simplicité des habitants des déserts arabes. Les splendides palais, les foules d'esclaves, les multitudes de chevaux, de chameaux, le menu et gros bétail, une abondance de vêtements coûteux, la chère somptueuse, des parties de divertissements et de sports futiles devinrent désormais à la mode à travers l'Empire. Par exemple, `Othmân avait construit pour lui-même un palais, un bâtiment imposant, avec des colonnes en marbre, de grands portails et des jardins à Médine. Il avait construit six autres palais dont un pour Nâela, sa femme, et un pour chacune de ses filles. Il avait d'innombrables esclaves, des milliers de chevaux, de chameaux et de têtes de bétail. Ses propriétés à Wâdî al-Qorâ, à Honayn, étaient évaluées à plus de cent mille dinars. On dit qu'il avait amassé d'immenses trésors. A sa mort, cent cinquante mille dinars et un million de dirhams en pièces se trouvaient dans son trésor. Zobayr avait construit des palais à Kûfa, à Fostat, à Alexandrie et dans la plupart des grandes villes de l'empire. Celui de Basrah existera jusqu'au quatrième siècle. Ses propriétés foncières en Irak lui rapportaient mille pièces d'or par jour. Il avait acquis pas moins de mille chevaux et de nombreux esclaves. Talha avait acquis des palais à Kûfa, à Médine, etc... Sa rente journalière en Irak et à Nahiya Sarah se montait à plus de deux mille dinars.
`Abdul-Rahmân avait mille chameaux, dix mille moutons et cent chevaux. Il laissa derrière lui une fortune évaluée à trois ou quatre mille dinars.
Zayd, quant à lui, laissa comme héritage une grande quantité de lingots d'or et d'argent, et une propriété foncière évaluée à dix mille dinars.
Mu`âwiyeh, en Syrie, dépassa tous les autres par la pompe et l'éclat de ses richesses.
Le Bannissement d'Abû Thar Al-Ghifârî
Abû Thar al-Ghifâri, un vénérable Compagnon du Prophète, et un ascète dans son train de vie, qui vivait en Syrie, fulminait contre l'émergence des riches et de l'extravagance, deux maux qui étaient à l'opposé de la simplicité du Prophète et qui, faisant irruption comme un torrent, ne cessaient de corrompre les gens. Cet ascète fut irrité par la pompe et la vanité qui sévissaient tant autour de lui, et il prêchait la repentante aux habitants et rappelait aux dilapidateurs ce qui les attendait : "Annonce un Châtiment douloureux à ceux qui thésaurisent l'or et l'argent (. . .) le Jour où ces métaux seront portés d'incandescence dans le Feu de la Géhenne et qu'ils serviront à marquer leurs fronts, leurs flancs et leur dos".
(Sourate al-Tawbah, verset 34-35). Il s'élevait contre l'invasion de la débauche, de la consommation de l'alcool, et des pratiques interdites de certains divertissements, musique et jeux de hasard. La foule s'attroupait pour l'écouter. Mécontent des troubles que provoquaient ces diatribes dans les esprits, Mu`âwiyeh écrivit au Calife pour dénoncer Abû Thar. `Othmân donna l'ordre de le bannir tout de suite à Médine. Mu`âwiyeh, en accord avec le Calife, ordonna qu'on amenât Abû Thar à Médine sur un chameau grincheux dessellé et conduit par un chamelier rude et brutal. Ainsi, Abû Thar qui était un vieillard aux cheveux et aux poils blancs de la tête aux pieds, grand, maigre et décharné, arriva à Médine les jambes meurtries et sanguinolentes, et souffrant de douleurs dans toute son ossature. Il fut reçu par le Calife chaleureusement. Mais Abû Thar dit furieusement à ce dernier : "J'ai entendu le Prophète dire : "Lorsque la postérité d'Abul-`?ç sera au nombre de trente, elle fera siennes les richesses du Seigneur et traitera le peuple de Dieu comme s'il était ses propres serviteurs et esclaves. Elle déviera du droit chemin. Puis le peuple sera libéré d'elle par le Seigneur". `Othmân fut très irrité par ce qu'il avait dit et le proscrit par la suite à Rabadha, un endroit sauvage dans le désert de Najd, où il mourra deux ans après dans la pénurie et l'abandon. Abû Thar avait été l'une des quatre personnes dont l'amour avait été ordonné aux gens par le Prophète qui avait déclaré à leur propos qu'elles étaient aimées de Dieu. Il avait été traité en ami par le Prophète. Lorsqu'il sentit que sa fin approchait, l'ermite demanda à sa fille de tuer un chevreau et de le préparer pour un groupe de voyageurs qui, dit-il, passeraient bientôt par là pour l'enterrer. Puis une fois que sa fille lui eut fait tourner la face vers la Ka`bah, il expira tranquillement.
Bientôt le groupe attendu arriva. Il comprenait entre autres Mâlik al-Achtar de Kûfa, (et selon certains, Ibn Mas`ûd) qui l'enterra dans le lieu où il était mort, en se lamentant sur lui. Le récit touchant du rude traitement qui avait été réservé au prêcheur de la droiture sortait de toutes les bouches comme une plainte contre le Calife. Quelques jours après la mort d'Ibn Mas`ûd, qui avait été lui aussi maltraité par `Othmân qui lui avait coupé son allocation à cause de son refus de céder son manuscrit du Coran pour qu'il soit brûlé, rendit encore plus pathétique le récit du drame d'Abû Thar.
La Perte de la Chevalière de `Othmân
La septième année de son Califat, un incident de mauvais augure survint à `Othmân. Celui-ci perdit sa chevalière en la laissant tomber accidentellement dans le puits d'Aris dans la banlieue de Médine. C'était une bague en argent sur laquelle il y avait l'inscription : "Mohammad, le Messager de Dieu". Elle appartenait originellement au Prophète, qui l'avait fait faire en l'an 6 A.H. pour signer les lettres qu'il envoyait aux cours étrangères. Après sa mort, la bague avait été portée et utilisée par Abû Bakr et `Omar comme symbole de Commandement. `Othmân aussi l'utilisa de la même façon, et sa perte fut considérée comme ayant une signification sinistre. Tous les efforts déployés pour retrouver la précieuse relique furent vains. Ce mauvais présage pesait lourd sur l'esprit de `Othmâne, bien que la bague eût été remplacée par une autre, du même modèle.
La Fin de l'Empereur Perse et de son Empire
En l'an 3l A.H., Yezdjird, l'Empereur perse, qui fuyait d'une forteresse à une autre pour échapper à la poursuite des Musulmans, fut tué à Merv par un propriétaire de moulin chez qu'il avait cherché refuge. Le Gouvernement perse prit fin avec son dernier monarque, et tous les territoires lui appartenant tombèrent finalement sous le contrôle de l'Islam Emeute à Basrah
En l'an 32 A.H. une émeute éclata à Basra, mais elle fut rapidement et momentanément étouffée par Ibn 'Amir, le Gouverneur de cette ville.
Révolte à Kûfa
Vers l'an 33 A.H., une révolte eut lieu à Kûfa. Elle avait pour cause principale la tyrannie du Gouvernement, Sa'îd B. al-`?ç, un cousin de `Othmân.
Il avait suscité en général la haine des principaux citoyens, mais depuis qu'il avait offensé tout particulièrement Mâlik al-Achtar qui était un chef notoire et le favori des Kûfites, ceux-ci se réunissaient chaque jour chez Mâlik al-Achtar pour critiquer l'action publique et privée du Gouverneur, saisissant toutes les occasions pour afficher leur mépris non seulement de l'administration de Sa'îd, mais aussi du Calife. Un jour, Sa`îd envoya un officier pour disperser l'une de ces réunions, mais les participants se précipitèrent sur lui et le frappèrent jusqu'à ce qu'il perdit conscience. Sa`îd se plaignit auprès du Calife des machinations des chefs actifs. `Othmân ordonna que vingt d'entre eux fussent expulsés en Syrie afin d'y être étroitement surveillés par Mu`âwiyeh. Ainsi, Mâlik al-Achtar, Thabit B. Qays, `?mir B. Qays, Kumayl B. Ziyâd, Jondab B. Ka`b, Zayd B. Sohan, `Orwah B. al-Jo`d, So`so`ah B. Sohan, `Omay B. Sabi, `Amr B. al-Homaq et dix autres furent-ils bannis en Syrie. Mu`âwiyeh les logea dans l'Eglise de Saint Mary et, compte tenu de leurs rangs et positions, s'efforça de les réconcilier par la douceur, mais ils ne cessèrent jamais d'injurier la famille Omayyade en général et le Calife en particulier. Un jour, au cours d'une vive discussion sur ce sujet avec Mu`âwiyeh, ils l'attaquèrent et le saisirent par la barbe. Mu`âwiyeh se contenta de crier : "Attention ! Vous n'êtes pas à Kûfa ! Si jamais les Syriens apprenaient vos insultes, par le Ciel, je ne serais pas capable de les empêcher de vous mettre en pièces". Mais Mu`âwiyeh ayant désespéré de les pacifier, écrivit à `Othmân tout à leur sujet. Le Calife lui donna pures instructions de transférer ses hôtes incommodes à `Abdul-Rahmân fils de Khâlid B.
al-Walîd, qui était le Gouverneur de Himç et dont on prévoyait, d'après ses manières rudes, de les traiter comme ils le mériteraient Lorsqu'ils arrivèrent à Himç, `Abdul-Rahmân ne leur accorda aucune audience pendant un mois. Finalement il les reçut très sèchement, et il les insultait chaque fois qu'ils paraissaient devant lui, les faisant poursuivre par son cheval et ne leur adressant la parole que lorsqu'il descendait du cheval. De cette façon, il put les soumettre rapidement et à la longue, il leur permit de retourner à Kûfa. Mais Mâlik continua à résider à Himç jusqu'à ce qu'il ait appris que Sa`îd était absent de Kûfa et qu'il se trouvait à Médine.
Le Retour de Mâlik à Kûfa. Abû Mûsâ AI-Ach`arî, nommé Gouverneur
Mâlik al-Achtar réapparut à Kûfa en l'an 34 A.H., pendant l'absence de Sa`îd, le Gouverneur, et il reprit sa place à la tête des opposants Kûfites au régime. Lorsque Sa`îd revint à Kûfa, il constata que sa route était barrée par les habitants de la ville, qui s'étaient rassemblés en grand nombre sur les remparts pour l'intercepter au passage. Alarmé par leur attitude hostile, il rebroussa chemin pour regagner Médine. Le Calife pour faire de nécessité vertu, accéda au désir des Kûfites de remplacer Sa`îd par Abû Mûsâ al-Ach`arî.
Les Gens Prennent Conscience de la Faiblesse de `Othmân
Bien que `Othmân eût déjà perdu l'estime du peuple comme en témoignent les illustrations ci-après, l'erreur qu'il commit en cédant par faiblesse aux rebelles fut encore plus fatale à son gouvernement. Alors que les gens autour de lui le regardaient avec mépris, ceux qui se trouvaient dans les provinces lointaines de l'empire et qui souffraient de la sévérité et de la tyrannie des gouverneurs despotiques, constatant la faiblesse de `Othmân, s'enhardirent jusqu'à élever la voix pour appeler à un soulèvement. Des lettres séditieuses s'échangeaient désormais librement, et des messages partaient même de Médine vers les différentes provinces, professant que l'épée serait vite plus nécessaire, ici même, à l'intérieur, que dans les territoires étrangers.
Des illustrations des Agissements outrageants de `Othman
Sa`îd B. al-âç, le Gouverneur de Kûfa, étant en colère contre Hichâm B. `Otbah, un neveu de Sa`d B. Abî Waqqâç, brûla la maison de Hichâm à Kûfa et la réduisit en cendres. Sa`d B. Abî Waqqâç, un des premiers Compagnons du Prophète, l'ex-Gouverneur de Kûfa et actuellement un citoyen notable de Médine, vint voir `Othmân et lui demanda de punir en représailles Sa`îd et d'indemniser la victime. Il attendit quelque temps, mais constatant que le Calife ne faisait rien pour satisfaire à sa demande, Sa`d, soutenu par `Aicha, brûla la maison de Sa`îd à Médine, et le Calife ne put entreprendre aucune mesure contre lui. " `Abdul-Rahmân B. `Awf, qui n'avait pas oublié sa part de responsabilité dans l'élection de `Othmân, était lui-même mécontent des agissements de ce dernier, et on lui attribue la première dénonciation de l'irrespect de la Loi affiché par le Calife. Un beau chameau faisant partie de la Zakât d'une tribu bédouine fut offert comme une rareté par le Calife à l'un de ses proches parents. `Abdul-Rahmân, scandalisé par le détournement des biens religieux destinés aux pauvres, mit la main sur l'animal, l'égorgea et en distribua la viande entre les gens. La révérence personnelle attachée jadis au successeur du Prophète de Dieu laissa la place désormais au manque d'égards et à l'irrespect".
"Même dans les rues, `Othmân était accueilli par des cris lui réclamant de déposer Ibn `?mir et `Abdullâh Ibn Abî Sarh, l'impie, et de s'écarter de Marwân, son principal conseiller et confident". " `Amr (B. al-`âç), qui était devenu un mécontent notoire depuis sa déposition, est présenté comme parlant à Othmân, et bien en face, outra eusement et Othmân est présenté comme lui rendant la monnaie de sa pièce en le traitant de pou dans ses vêtements."
La Liste des Charges contre `Othmân
Il ne serait pas déplacé de citer ici, du long chapitre des charges contre `Othmân, une liste des reproches plus marquants du grand public. l. D'avoir fait revivre certaines coutumes que le Prophète avait pris soin d'abolir.
2. D'avoir violé les enseignements et les pratiques du Prophète en accomplissant les prières de Mina à `Arafât.
3. D'avoir agi en violation des précédents d'Abû Bakr et de `Omar en s'asseyant sur la marche supérieure de la chaire place que seul le Prophète avait l'habitude d'occuper.
4. Le fait d'avoir réhabilité et fait revenir al-Hakam et Marwân qui avaient été bannis par le Prophète (Abul-Fidâ').
5. D'avoir commis le sacrilège de brûler les manuscrits sacrés du Coran.
6. D'avoir offert à ses proches des cadeaux faramineux, soutirés des biens religieux destinés aux pauvres.
7. D'avoir démis de leurs fonctions de vénérables Compagnons du Prophète pour mettre à leur place ses propres proches impies.
8. D'avoir maltraité `Ammâr B. Yâcir, un vénérable Compagnon du Prophète.
9. D'avoir maltraité et banni le pieu Abû Thar, le Compagnon favori du Prophète, dans un endroit désert où il mourut dans le besoin, son allocation ayant été supprimée.
l0. D'avoir maltraité `Abdullah B. Mas`ûd et d'avoir coupé son allocation.
11. D'avoir banni de Kûfa, Mâlik al-Achtar et Ka`b.
12. D'avoir banni `Obaydah B. Samit pour avoir déchiré l'outre à vin apportée à Mu`âwiyeh. (Târîkh al-Khamîs; Al-Imâmah Wal Siyâsah).
l3. D'avoir accordé à ses proches l'utilisation exclusive de l'eau de pluie rassemblée dans des réservoirs pour l'usage commun. (Ibid)
14. D'avoir réservé les terres pastorales pour l'usage exclusif de ses propres bêtes. (Ibid)
15. D'avoir restreint l'exclusivité des Mers à ses propres vaisseaux de commerce. (Ibid)
16. D'avoir dénigré `Abdul-Rahmân B. `Awf comme un hypocrite. Les gens disaient que si celui-ci était un hypocrite, son choix de `Othmân comme Calife avait donc été illégal, ou bien s'il était dénigré par malveillance par `Othmân, dans ce cas-là, ce dernier ne méritait pas le Califat. (Ib : d)
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Des Voix Menaçantes d'Avertissement Osman, le troisième calife Des Voix Menaçantes d'Avertissement
Lorsque Mâlik al-Achtar avait été banni avec les autres notables de Kûfa, Ka`b B. `Abdah, un homme célèbre pour sa piété, écrivit de Kûfa à `Othmân une lettre de protestation contre le bannissement et le mit en garde contre les dangers imminents que représentait la tyrannie de Sa`îd. En recevant le message `Othmân se mit en colère et demanda qu'on emprisonnât ou frappât impitoyablement le messager, mais sur intervention de `Alî, il lui permit finalement de retoumer sans être puni. Cependant `Othmân écrivit à Sa`îd pour faire fouetter Ka`b et le punir. Sur ce point Talha et al-Zubayr firent des remontrances à `Othmân et l'avertirent que sa mauvaise administration aboutirait à une explosion pareille à un volcan de feu qui l'engloutirait. Rendu sensible à cet avertissement, il écrivit de nouveau à Sa`îd pour lui demander de faire revenir Ka`b de l'exil.
Entre-temps, des messages affluèrent de toutes les provinces vers Médine pour demander aux notables de la ville les moyens de se débarrasser de l'oppression et de la cruauté auxquelles les gouverneurs despotiques les avaient soumis. Mû par ces appels au secours, `Alî se rendit chez `Othmân et dit :
"Les gens se plaignent de tes gouverneurs et sont venus réclamer une réforme, et ils te tiennent pour responsable des agissements de tes gouverneurs. Ils te reprochent de ne pas écouter leurs griefs réitérés. Prends donc garde à la trahison, sinon elle tempêtera comme les vagues furieuses de la mer. Crains Dieu et rends-leur justice, afin qu'ils retournent satisfaits." `Othmân répondit : "J'ai fait de mon mieux. Concernant les gouverneurs, ne concèdes-tu pas que mes gouverneurs ne sont autres que Moghîrah B. Cho`bah qui avait été nommé par `Omar comme gouverneur de Basrah et déposé par la suite pour avoir été accusé d'adultère, avant d'être nommé à nouveau par le même `Omar gouverneur de Kûfa ? Et Mu`âwiyeh aussi a été choisi par `Omar ! Je n'ai fait que le nommer Commandant principal de la Syrie". "Oui, répondit `Alî, mais `Omar avait le contrôle total de ses fonctionnaires. Ils obéissaient à ses ordres, et lorsqu'ils commettaient une faute, il les punissait, alors que tu les traites avec mollesse et que tu ne les sanctionnes pas en raison de tes liens de parenté avec eux. N'admets-tu pas que les serviteurs de `Omar ne le craignaient pas autant que le craignait Mu`âwiyeh?" `Othmân acquiesça. `Alî continua : "Mais maintenant, il fait ce qui lui plaît en ton nom, et toi tu sais tout cela, sans lui demander des comptes". Ayant fait cette mise en garde au Calife, `Alî repartit. Selon les termes de Sir W. Muir : "Etant donné que le message qu'avait apporté `Alî provenait du peuple, `Othmân se dirigea immédiatement vers la chaire où il appela la foule rassemblée là, à la prière à la mosquée. S'adressant aux gens, il leur reprocha de donner libre cours à leurs langues et de suivre des dirigeants méchants dont l'objectif était de noircir sa réputation, d'exagérer ses fautes et de taire ses vertus : "Vous me blâmez, s'écria-t-il, pour des choses que vous supportiez gentiment de `Omar. Il vous piétinait, il vous battait avec son fouet et il abusait de vous.
Et malgré cela vous acceptiez tout de lui avec patience : aussi bien ce que vous aimiez que ce que vous détestiez. J'ai été gentil avec vous, je vous ai tourné le dos, j'ai retenu ma langue de vous injurier et ma main de vous frapper. Et vous voilà qui vous soulevez contre moi". Puis après s'être appesanti sur la prospérité intérieure et extérieure de son règne, il conclut ainsi : "Abstenez-vous donc, je vous adjure, d'abuser de moi et de mes gouverneurs pour éviter d'allumer les flammes de la sédition et de la révolte à travers l'empire". Cet appel, dit-on, fut gâché par son cousin Marwân qui s'écria alors : "Si vous vous opposez au Calife, nous ferons appel à l'épée". "Silence !", cria `Othmân à son visage. Marwân se tut et `Othmân descendit de la chaire. La harangue n'eut pas un long effet. Le mécontentement s'étendit et les rassemblements contre le Calife se multiplièrent. (W. Muir's Annals)
Conférence des Gouverneurs à Médine (34 A.H., 655 A.J.C.)
Il était de coutume que les gouverneurs des différentes provinces se rendent à la Cour Califale à Médine à leur retour du Pèlerinage de la Mecque. La saison du Pèlerinage de la onzième année du Califat de `Othmân s'étant approchée `Othmân promulgua un édit demandant aux citoyens qui avaient une raison ou une autre de se plaindre de leurs gouverneurs de se présenter à cette occasion afin qu'ils puissent s'exprimer en présence des gouverneurs mis en cause et que justice leur fût rendue. Après le Pèlerinage, les gouverneurs furent présents à la Cour du Calife, mais les plaignants n'osèrent pas demander justice en présence de leurs gouverneurs respectifs contre lesquels ils avaient des griefs. Le Calife discuta cependant de la situation avec les gouverneurs et leur demanda leur avis sur le meilleur moyen d'endiguer le mécontentement croissant. L'un de ces gouverneurs (Sa`îd) suggéra que l'on passât par l'épée les meneurs; un autre (`Abdullâh) proposa que ces derniers soient réduits au silence grâce à des cadeaux généreux; un troisième (Ibn `?mir) conseilla que l'on envoie quelques-uns des chefs des émeutiers dans des forces expéditionnaires afin de les détourner ainsi de leurs activités actuelles. La conférence fit long feu et n'aboutit à aucun accord. Rien ne fut fait pour mettre fin aux crises menaçantes, et le Calife donna aux gouverneurs l'autorisation de repartir en leur disant seulement qu'ils devaient user de tous les moyens pour contrôler la situation.
Les Prédictions de Ka`b al-Ahbar
Pendant son séjour à Médine, Mu`âwiyeh rencontra Ka`b al-Ahbar, un Juif converti et un célèbre diseur de bonne aventure. Il lui demanda de prédire l'issue du mécontentement actuel. Ka`b lui dit : "La fin de `Othmân est proche. C'est le mulet gris qui gagnera dans la longue course après beaucoup d'effusion de sang", c'est-à-dire Mu`âwiyeh lui-même, lequel depuis ce moment-là fixa résolument un œil sur le Califat.
Les Délégations demandent la Réforme et `Othmân fait Preuve d'Inconstance
A leur retour à leurs sièges, les gouverneurs se montrèrent encore plus arrogants et plus cruels. Les opprimés quant à eux, se réunissant en secret, décidèrent d'envoyer leurs représentants une fois de plus à `Othmân pour le prévenir, et se donnèrent un nouveau rendez-vous ici même au cas où leurs efforts en vue de faire entendre raison à `Othmân n'aboutiraient pas - pour se diriger vers Médine et demander à `Othmân, sous la menace de leurs forces combinées, d'abdiquer le Califat. Les délégations arrivèrent à Médine au mois de Rabî` I, 35 A.H. et présentèrent une longue liste de griefs, demandant la réparation des préjudices subis et, à défaut, l'abdication du Calife. Ils furent toutefois calmés par l'intercession de `Alî et la promesse de réparations et des dons généreux de la Trésorerie.
Lorsqu'ils furent partis, Marwân, le mauvais génie de `Othmân, reprocha à ce dernier d'avoir fait preuve de faiblesse par son arrangement et lui conseilla d'annoncer du haut de sa chaire que les délégations étant guidées par de faux motifs, ne pouvaient espérer obtenir grand chose et les délégué ne purent faire mieux que retourner chez eux désappointés. Othmân suivant aveuglément les conseils de son secrétaire, prononça le lendemain un sermon du haut de la chaire, rejetant les revendications des délégations. `Amr Ibn `âç qui était présent dans l'assemblée protesta contre le discours en disant que les délégations n'étaient pas retournées de leur propre initiative, mais qu'on les avait fait partir avec le plus grand soin possible pour éviter une crise. Des murmures s'élevèrent contre le discours indélicat du Calife et `Othmân lui demanda de présenter des excuses pour sa mauvaise conduite. Mécontent, `Othmân échangea insolemment des mots durs avec `Amr. Mais, sur-le-champ, des voix s'élevèrent de tous les coins de la mosquée pour demander à `Othmân de faire acte de contrition pour sa faute. Le Calife alarmé par l'attitude irrespectueuse de l'assemblée (laquelle, au lieu de s'adresser à lui par son titre "Amîr al-Mu'minîne" comme d'habitude, l'appela par son nom seul : `Othmân), manifesta la repentante exigée; et descendant de la chaire, déconfit, il regagna sa maison. En apprenant le contenu du discours de `Othmân, `Alî l'admonesta pour la futilité de sa conduite et lui conseilla de corriger la mauvaise image qu'il avait donnée de lui-même aux gens en exprimant son sincère regret pour ce qui s'était passé.
`Othmân s'exécuta, et pour prouver sa sincérité, il invita les gens qui désiraient parler librement avec lui à venir dans son palais. Lorsque quelques hommes influents allèrent voir Othmân dans son palais, Marwân, là encore, fit des reproches au Calife, insinuant que le fils d'Abû Tâlib (`Alî) l'avait intelligemment induit en erreur et qu'en lui faisant avouer ses fautes, il atteignait son objectif de prouver les accusations portées contre le Calife. Il persuada facilement l'inconstant Calife de lui donner la permission de mettre les visiteurs à la porte, et Marwân parla à ces derniers sur un ton tellement brutal qu'il les rendit rapidement furieux. Ils allèrent tous voir directement `Alî pour lui raconter ce qui s'était passé. S'étant assuré des faits, `Alî fut très indigné et déclara qu'il n'aurait plus rien à voir avec les affaires de `Othmân. Nâ'ilah (Naelah), la femme de `Othmân, qui avait entendu la parole de Marwân et ressenti la profonde colère des visiteurs, prévint son mari contre la tempête qu'il était en train de provoquer contre lui-même, et obtint de lui une fois encore de manifester de l'amitié envers `Alî qui seul, dit-elle, pourrait vraiment être l'intermédiaire auprès de ses opposants. Plusieurs petites délégations attendirent de la même façon la réforme promise par `Othmân, mais celui-ci, sous l'influence renouvelée de Marwân, ne tint pas ses promesses. Selon Major Price : "Le sénile Calife était souvent conseillé par `Alî, mais l'influence maligne de son secrétaire Marwân intervenait perpétuellement pour l'empêcher de tirer avantage des bons conseils qu'il avait reçus.
En fait, Marwân avait un grand ascendant sur `Othmân et était l'esprit insinuateur et actif de son gouvernement et le mauvais génie de `Othmân. II peut être justement considéré comme la principale cause de la ruine de `Othmân".
Des Délégations Menaçantes d'Egypte, de Kûfa et de Basra
Les délégations dont il était question plus haut retournèrent à leurs bases, mais les délégués égyptiens furent arrêtés dès leur arrivée par le Gouverneur qui en tua les dirigeants et emprisonna les autres. Enragés par cette injustice, six à sept cents Egyptiens, dont des notables tels que `AbdulRahmân B. Adis, Amr B. Homa Kinânah B. Bochar, Sodan B. Ahmar sortirent de Fostat et se mirent en marche sous le commandement d'al-Ghâfiqî B.
Harb. Muhammad, le fils d'Abû Bakr, était lui aussi avec eux. De même, quelques deux à trois cents hommes, incluant beaucoup de personnalités influentes, tels que Ziyâd B. Sohan, Ziyâd Ibn Naçr, Yazîd B. Qays, partirent de Kûfa sous le commandement de Mâlik al-Achtar. Basra aussi envoya un contingent dirigé par Hurquç B. Zubayr et comptant autant d'hommes que ceux de Kûfa. Sous prétexte du Pèlerinage de la Mecque, ils entreprirent leur voyage deux mois avant le Pèlerinage annuel et campèrent comme une armée dans des camps séparés, à une lieue de Médine, au mois de Chawwâl, 35 A.H.
Les Egyptiens dressèrent leurs tentes à Thi-Marwa, les Kûfites à Al-A`was et les hommes de Basra à Thi-Khachab, endroits qui se trouvaient dans le proche voisinage de la ville. Désespérés d'obtenir de `Othmân toutes mesures de réparation et de réforme, ils prirent la résolution d'obliger le Calife, qui avait l'habitude de trahir ses promesses, à abdiquer et d'élire un autre à sa place. Ils envoyèrent un message au Calife lui demandant de choisir entre déposer leurs gouverneurs respectifs et de démissionner lui-même. Alarmé par cette attitude menaçante de la foule, `Othmân envoya Moghîrah B. Cho`bah et `Amr B. al-?ç pour les persuader que toute suite à donner à leurs plaintes serait décidée conformément au Coran et à la Sunnah. Mais les contestataires repoussèrent les deux messagers en les traitant avec des mots vulgaires et grossiers. Consterné par ce résultat, et poussé par sa femme Naelah, `Othmân fit appel une fois encore à `Alî et le pria d'aller pacifier la foule rebelle. `Alî consentit, à condition que `Othmân fasse l'expiation de ses erreurs du haut de la chaire. Harassé et épouvanté, le Calife monta sur sa chaire et admit d'une voix brisée par les sanglots et les larmes, ses erreurs et implora le pardon de Dieu tout en exprimant sa repentance et son regret. Toute l'assistance fut émue et attendrie.
Le repentir public de `Othmân et l'intervention de `Alî, qui était révéré en raison de sa position de plus proche parent du Prophète et de ses qualités personnelles, produisirent l'effet escompté sur les insurgés.
La Nomination de Mohammad Ibn Abî Bakr pour Remplacer Ibn Abî Sarh en Egypte
Les Egyptiens insistèrent toutefois et dirent qu'ils n'accepteraient rien de moins que la déposition de `Abdullâh Ibn Abî Sarh, le Gouverneur d'Egypte, et son remplacement par un homme de leur choix. `Othmân céda et ils demandèrent que `Alî fût le garant de l'exécution de l'engagement de `Othmân. "Ils désignèrent à l'unanimité, Mohammad, le frère de `Aicha, qui avait été en fait utilisé comme boutefeu pour allumer cette insurrection par sa sœur intriguante, dans le but de porter Talhah au Califat" (W. Irving : "Successors of Mohammad").
Un document fut rédigé, signé et scellé par le Calife, attesté par `Alî, Talhah, Zubayr et `Abdullâh Ibn `Omar, et remis aux mains des Egyptiens.
L'Interception de la Lettre Perfide
Cette action du Calife satisfit manifestement les insurgés qui levèrent leur campement et prirent le chemin du retour. Mohammad B. Abî Bakr se dirigea avec les Egyptiens vers l'Egypte pour y prendre ses nouvelles fonctions. Au troisième jour de leur voyage de retour, Mohammad et sa suite virent un esclave noir monté sur un dromadaire rapide passer à la hâte à une courte distance d'eux. Il fut arrêté et emmené devant Mohammad.
Interrogé sur sa destination et sa mission, il dit qu'il était l'esclave de `Othmân et qu'il avait une commission importante à faire au gouverneur d'Egypte. On lui dit alors qu'il était maintenant devant le Gouverneur à qui il devrait faire la commission. Il répondit que son message était destiné à `Abdullâh Ibn Abî Sarh. Il nia être en possession d'aucune lettre, mais en procédant à une fouille de sa personne et de ses bagages, on découvrit la lettre en déchirant son outre d'eau. La lettre fut ouverte tout de suite devant tous ceux qui étaient rassemblés là. Elle contenait des instructions du Calife à `Abdullâh B. Abî Sarh, ordonnant à ce dernier de faire disparaître secrètement Mohammad B. Abî Bakr avec plusieurs dirigeants de son parti aussit6t qu'ils arriveraient en Egypte, de détruire l'ordre de nomination de Mohammad, et d'emprisonner tous ceux qui avaient envoyé des plaintes à Médine.
Il est plus facile d'imaginer que de décrire ce que Mohammad B. Abî Bakr et les Egyptiens qui se trouvaient avec lui ressentirent à l'ouverture de ladite lettre. Leur indignation n'avait pas de limites et aucun mauvais langage ne semblait suffire à qualifier l'attitude perfide du Calife. Aussi décidèrent-ils de se venger eux-mêmes de l'auteur de cette perfidie. Ils firent ainsi demi-tour vers Médine et dépêchèrent des messagers rapides aux délégations de Basrah et de Kûfa qui étaient elles aussi sur leur chemin de retour, afin de les informer du complot du Calife et de leur demander de revenir immédiatement à Médine pour les aider à déposer `Othmân. Ils hâtèrent eux-mêmes le pas en direction de Médine sans cesser de maudire le calife, tout au long de leur trajet, pour son lâche plan attenter à leur vie, et de se féliciter de leur chance d'échapper au danger imminent qui les attendait.
Des Sentiments de Colère contre `Othmân
Les nouvelles du retour des Egyptiens à Médine et de l'interception de la lettre du Calife suscitèrent des sentiments de colère chez toute la population qui ne se retenait plus de dire du mal du Calife. A l'exception des proches parents de `Othmân tout le corps des Mohâjirines et tous les citoyens de Médine criaient d'une seule voix leur indignation à l'égard du Calife et leur sympathie envers les malheureux Egyptiens. On entendit même `Aicha, la Mère des Croyants, dire : "Tuez le Na`thal. Que Dieu le tue". Les Egyptiens trouvèrent dans cette incitation au meurtre du Calife, exprimée par la Mère des Croyants une justification de leur furie meurtrière contre `Othmân. Bref, le Calife était universellement condamné et détesté. Entre-temps, les hommes de Basrah et de Kûfa, alarmés par les mauvaises nouvelles, retournèrent à Médine pour soutenir les Egyptiens qui reçurent aussi l'assistance d'une faction de mécontents de Médine. Ainsi, dix mille contestataires se réunirent contre le Calife pour le forcer à abdiquer.
Les Dénégations de `Othmân à propos de la Lettre Perfide
`Ali revint chez le Calife pour lui expliquer les circonstances dans lesquelles les insurgés étaient revenus à Médine. `Othmân nia avoir connaissance de la lettre et accepta de recevoir une délégation des dirigeants des rebelles. Les délégués présentèrent la lettre mais `Othmân jura solennellement qu'il n'en savait rien. Les délégués demandèrent au Calife qui en était alors l'auteur, et le Calife répéta qu'il n'en savait rien. "Mais, dirent-ils, elle était pourtant portée par ton propre esclave, monté sur ton propre chameau, sur ton propre ordre, avec ton propre sceau, et malgré tout cela tu continues à affirmer n'en avoir pas connaissance !" `Othmân répéta encore que malgré tout, il n'en savait rien. "Cela doit donc être une manigance de Marwân, dirent-ils alors, et ils le prièrent de le convoquer pour lui demander des explications à ce sujet. Mais `Othmân ne voulut pas appeler son Secrétaire, qui était à la fois son cousin et son gendre. Courroucés par les dénégations de `Othmân et son refus d'appeler Marwân qui se trouvait cependant en ce moment dans la même maison, ils insistèrent que même si la lettre était l'œuvre de Marwân, et que `Othmân dise la vérité ou non, dans les deux cas, il était soit un fripon soit un imbécile indigne du Sceptre qu'il détenait, et devait par conséquent abdiquer. `Othmân répondit qu'il n'ôterait pas les vêtements dont le Seigneur l'avait revêtu, et leur offrit de donner satisfaction à tout ce qu'ils lui demanderaient de raisonnable, et leur exprima sa repentance de ce qui était arrivé. Les délégués répondirent qu'ils ne pouvaient avoir aucune confiance en lui étant donné qu'il leur avait promis souvent réparation, mais sans jamais tenir ses promesses. Le ton de l'altercation monta. `Alî se leva alors et partit chez lui. Tout de suite après son départ, les délégués quittèrent les lieux pour rejoindre leurs troupes. `Alî quitta Médine, dégoûté des affaires de `Othmân.
La Part de `Aicha dans l'Incitation au mauvais Traitement Réservé à `Othmân
Aicha participa avec zèle à l'excitation du mécontentement et incita les insurgés à considérer `Othmân comme apostat. Elle l'accusa d'avoir détourné l'argent public au bénéfice de ses proches parents et d'avoir disposé du Trésor public comme s'il était le sien. Elle le maudit comme étant privé des Bénédictions de Dieu pour avoir laissé les gens à la merci de ses proches parents païens auxquels il avait confié le commandement des populations pour régner sur elles comme maîtres absolus. Elle dit que si elle n'avait pas été Musulmane, elle aurait voulu le voir égorgé comme un chameau. En entendant ces propos, `Othmân, voulant lui rendre la monnaie de sa pièce, récita le verset l0 de la Sourate al-Tahrîm (qui fait allusion à la trahison de `Aicha et Hafçah) : "Dieu a proposé en exemple aux incrédules la femme de Noé et la femme de Loth. Elles vivaient toutes deux sous l'autorité de deux hommes justes d'entre Nos serviteurs; elles les trahirent mais cela ne leur servit en rien contre Dieu. On leur dit : "Entrez toutes deux dans le Feu avec ceux qui y pénètrent". Elle ameuta les mécontents contre `Othmân en disant que les chemises qui enveloppaient le corps du Prophète n'avaient pas encore changé de couleur que déjà ses articles de foi avaient été faussés et traités comme lettres mortes par `Othmân.
Etant donné que la saison du Hajj approchait, et que `Aicha voulait partir en Pèlerinage, elle paracheva sa participation dans le meurtre du Calife en ameutant les insurgés et en leur disant continuellement : "Tuez ce vieux magicien ! Que Dieu le tue !" Lorsqu'elle prit la route vers la Mecque, Marwân lui dit qu'elle se dégageait des conspirateurs après leur avoir commandé de supprimer le Calife. Elle rétorqua qu'elle aurait aimé le voir pendu par le cou, enfermé dans un sac et traîné jusqu'à la Mer Rouge. Simon Ockley écrit dans "History of the Saracens" : "`Aicha, la veuve de Mohammad, était l'ennemi mortel de `Othmân. Toutefois, il aurait certainement mieux valu à une personne qui prétendait être la femme d'un prophète inspiré de passer les jours de son veuvage dans la dévotion et les bonnes actions plutôt que dans la méchanceté et en infraction avec l'état. Mais elle était si engagée aux côtés de Talhah et du fils d'al-Zubayr, qu'elle voulait faire accéder au Califat, qu'aucune considération de vertu ou de décence ne pouvait la retenir de faire tout ce qui était en son pouvoir pour comploter en vue de la mort de `Othmân".
L'Attitude Violente contre `Othmân
Le palais de `Othmân fut encerclé par les insurgés, mais pendant plusieurs semaines le Calife put sortir pour conduire les prières habituelles dans la Mosquée. Les insurgés eux aussi assistaient avec les autres fidèles aux prières. Mais un jour, ils jetèrent de la poussière sur le visage de `Othmân. Le vendredi suivant, une fois la prière terminée, `Othmân monta sur la chaire, appela tout d'abord les priants à un meilleur sens civique, et se tournant ensuite vers les insurgés, il dit à leur adresse : "Le Prophète a maudit les gens qui se rebellent contre le Calife (le Successeur) et le lieutenant du Prophète, et le peuple de Médine condamne cette attitude illégale". Il leur conseilla de se repentir de leurs mauvaises actions et de les expier en faisant le bien. Ce sermon souleva tout de suite un tumulte et les gens jetèrent des pierres en direction du Calife, dont l'une atteignit `Othmân et le fit tomber de sa chaire par terre, il perdit connaissance, mais sans être grièvement atteint, puisqu'il put résider pendant quelques jours encore aux prières.
A une autre occasion, alors que le Calife s'adressait à l'assemblée des priants à la Mosquée sur le même ton en s'appuyant sur le bâton du Prophète (une relique sacrée passée du Prophète à ses successeurs), un Arabe prit le bâton et le brisa sur la tête de `Othmân.
Le Blocus du Palais de 'Othmân
L'attitude violente de la bande d'émeutiers obligea `Othmân à s'enfermer dans son palais, et un blocus s'ensuivit. L'entrée du palais, où une garde d'hommes armés avait été postée par `Othmân, restait toutefois en sûreté. Etant donné que la saison du Hajj (Pèlerinage) était toute proche, les amis de `Othmân lui conseillèrent de partir en Pèlerinage à la Mecque afin que la piété de cet acte, l'inviolabilité sacrée de l'habit de pèlerin, et l'immunité des mois de trêve fussent une source de protection pour lui, mais il rejeta le conseil, et montant sur le toit de son palais, il appela `Abdullâh, le fils de `Abbâs, qui faisait partie de la garde de la porte, et lui ordonna de conduire les rites de Pèlerinage à la Mecque. Ce dernier s'exécuta et se dirigea vers la Mecque.
Dès que `Othmân fut convaincu que les rebelles étaient prêts à aller jusqu'au bout comme ils l'avaient déjà montré, il envoya des messages d'appel au secours à Mu`âwiyeh en Syrie, `Abdullâh B. `?mir à Basrah et `Abdullâh B. Abî Sarh en Egypte, et il expédia une lettre à Ibn `Abbâs pour qu'il en fasse la lecture aux pèlerins et qu'il se dépêche à son secours.
La Collusion de Talhah avec les Insurgés
Talhah pressait les Insurgés de renforcer le blocus du palais afin que les privations dues au siège se fassent sentir plus durement aux assiégés. `Othmân, qui écoutait parfois de l'intérieur du palais ce qui se disait parmi les assiégeants à l'extérieur, entendit cette demande de Talhah. Il fut étonné de voir Talhah vraiment de collusion avec les insurgés, et il le maudit pour ses buts ambitieux. Les insurgés renforcèrent donc vigoureusement le blocus et toutes les approches du palais furent interdites, ne laissant ouverts aucune sortie et aucun accès. L'approvisionnement du palais en eau fut coupé et la pénurie pesait de plus en plus lourd sur les assiégés. Lorsque `Othmân constata qu'il était réduit à ce point aux abois, il fit appel à `Alî et lui demanda de venir à son secours. Selon certains historiens, `Alî réprimanda les insurgés pour avoir coupé l'approvisionnement en eau, et envoya ses fils, al-Hassan et al-Hussayn avec quelques outres pleines d'eau au palais de `Othmân. Les insurgés, respectueux de la mémoire du Prophète qui avait caressé ces deux enfants (devenus maintenant de jeunes hommes) dans son giron de longues années, les laissèrent entrer sans les toucher, et l'eau parvint ainsi à `Othmân et à tous ceux qui étaient enfermés avec lui.
Craignant, au vu de la férocité avec laquelle son palais était mis sous pression, que sa fin ne fût très proche, `Othmân, du toit en terrasse de son palais, fit les salutations usuelles préparatoires à une ouverture de dialogue avec les insurgés en contrebas, mais personne ne répondit à la salutation. Il demanda alors si Talhah se trouvait parmi eux. Ayant reçu une réponse affirmative de Talhah lui-même, le Calife lui reprocha de n'avoir pas répondu à sa salutation, ce à quoi, Talhah rétorqua qu'il avait répondu, mais que sa voix n'était pas parvenue jusqu'à ses oreilles.
Puis `Othmân demanda si al-Zubayr et Sa`d Ibn Abî Waqqâç étaient aussi parmi eux. Tous deux firent entendre leur voix. Le Calife s'adressa alors à eux dans les termes suivants que nous résume Sir W. Muir : "Mes compatriotes. J'ai prié Dieu qu'Il remette le Califat à qui le mériterait". Ensuite il parla de sa vie passée et dit comment le Seigneur avait fait de lui le successeur de Son Prophète, et le Commandeur des Croyants. Et d'ajouter :
"Maintenant vous vous êtes soulevés pour assassiner l'élu du Seigneur. Attention, vous les hommes ! (en s'adressant aux assiégeants). Oter la vie à quelqu'un n'est légal que sous trois conditions : qu'il soit apostat, meurtrier ou adultère. Prendre ma vie sans ces conditions, c'est poser l'épée sur vos propres nuques. La sédition et l'effusion de sang ne vous quitteront jamais". Les insurgés l'avaient écouté jusqu'au bout, et à la fin ils crièrent qu'il y avait une quatrième raison qui justifiait l'exécution de quelqu'un, à savoir l'étouffement de la vérité par l'iniquité, et du droit par la violence, et que, en raison de son impiété et de sa tyrannie, il devait abdiquer ou mourir. Sur le moment `Othmân resta silencieux. Puis, se levant calmement, il ordonna aux gens de retourner chez eux, et il repartit vers sa môme demeure avec un faible espoir de soulagement. Selon certaines traditions, `Othmân décida `Alî à lui obtenir une trêve de trois jours sous prétexte de vouloir faire parvenir aux gouverneurs des ordres de réforme de l'administration, alors qu'il consacra traîtreusement ce délai à renforcer ses positions défensives et, le délai expiré, il présenta comme excuse à l'absence de réformes le trop bref délai (Muir's Annals, pp. 335-336).
L'Assassinat de `Othmân
Le siège avait duré quarante jours. Après le premier soulèvement, `Othmân avait continué à présider aux prières pendant plus de trois semaines, et par la suite, il s'était enfermé dans son palais en raison de l'attitude violente des insurgés et du renforcement de l'encerclement. Les nouvelles parvenues aux insurgés, et faisant état de la demande de secours envoyée par le Calife aux provinces, doublées de l'incident ci-dessus relaté, poussèrent les rebelles à précipiter les choses afin de terminer leurs opérations. Selon Major Prise : "Pendant le siège, l'un des Compagnons du Prophète s'avança et demanda que `Othmân apparaisse sur la terrasse, car il avait quelque chose à son avantage qu'il voulait lui communiquer. Le Calife consentit et la conférence fut ouverte. Alors, l'un des assiégés sortit subitement son arc et tira à partir de l'un des remparts du palais, tuant le conseiller officieux sur-le-champ. Les assiégeants se mirent à vociférer et exigèrent que le meurtrier leur fût livré, mais `Othmân refusa fermement, déclarant que ceux dont le seul crime était le loyalisme et la dévotion ne devaient jamais subir une punition. Mais l'issue de l'épreuve de force fut considérablement hâtée par cet acte de trahison gratuit. Les assaillants mirent donc le feu aux entrées du palais et firent irruption avec férocité à travers les portes en passant par les toits à terrasse.
D'un autre côté, Marwân et Sa`îd Ibn al-`?ç, à la tête de cinq cents soldats, s'étaient préparés à faire l'accueil qui convenait aux rebelles. Le vieux Calife s'efforça de dissuader ses partisans de toute résistance inutile. Entre-temps, les insurgés avaient frayé leur chemin à l'intérieur du palais, et une courte et sanglante épreuve de force s'engagea dans les cours. Marwân, qui était debout et bien en évidence à la tête de ses hommes, reçut un coup de cimeterre qui lui fit perdre conscience, alors que Sa`îd fut obligé, peu après, par une blessure de quitter cette scène de sang et d'outrage. Le combat faisait néanmoins rage avec la même férocité jusqu'à ce que Mohammad, le fils d'Abû Bakr, pénétrant dans l'appartement où `Othmân était assis, les yeux fixés intentionnellement sur les pages sacrées du Coran. Il saisit son souverain par la barbe, mais `Othmân ayant évoqué la mémoire de son père, il se retira sans lui faire plus de mal. Kinânah, le fils de Bochr, entra par la suite dans la chambre et s'apprêtait à le frapper, mais plusieurs autres y firent irruption avec des épées nues et firent couler le premier sang du monarque sans défense. Nâ'ilah, la femme de `Othmân, se jeta sur son mari et s'efforça de parer les coups de cimeterre, mais dans ces efforts de tendresse elle perdit les doigts de la main et le malheureux Calife expira bientôt sous les coups incessants. Trois jours s'écoulèrent avant que les meurtriers n'autorisent l'inhumation de son corps. C'est grâce à l'intercession de `Alî que cette autorisation fut obtenue finalement. Et ayant placé son corps sur l'une des portes du palais qu'ils arrachèrent et utilisèrent en guise de civière, ils enfouirent ses restes mutilés dans un recoin, entre la fosse commune de Médine et celle des Juifs, trois hommes des Ançâr ayant insisté pour que son corps ne soit pas laissé parmi ceux des vrais croyants. Toutefois, plus tard, Mu`âwiyeh transférera le tombeau dans le cimetière musulman.
`Othmân fut assassiné à l'âge de quatre-vingt-deux ans, le 18 Thilhajh, 35 A.H., après avoir régné pendant onze ans, onze mois et quatorze jours.
Salmân Al-Fârecî
A la fin du règne de Othmân, au cours de l'année 35 A.H., Salmân al-Fârecî, qui était reconnu comme un membre de la famille du Prophète, mourut à l'âge de deux cent cinquante ou (selon certaines sources) de trois cent cinquante ans.
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