La connaissance de Dieu selon les versets coraniques et les traditions (1)
La nécessité de la connaissance de Dieu
Dans la partie de l’éthique divine qui traite de la relation de l’homme avec Dieu, le premier acte qui s’impose à l’âme est celui de la croyance. La foi est une source des autres comportements et des qualités éthiques. Du fait que la croyance soit un acte de libre arbitre et aussi un acte de l’âme, elle relève du champ d’étude de la morale.
La connaissance de l’objet de croyance est une nécessité pour que la foi se réalise. Et comme la connaissance s’acquiert de façon générale volontairement et délibérément, son obtention peut être comptée parmi les actes de grande valeur de la morale. De ce qui précède, nous pouvons tirer la conclusion suivante : acquérir la connaissance de ce qui se rapporte à la foi - comme la connaissance de Dieu, la mission apostolique des prophètes, la révélation des Livres Célestes, la résurrection et le Jugement, etc. -, est indispensable et nécessaire, sous l’angle moral, au point que sans elle, on ne saurait accéder à quoi que ce soit.
Parmi tous les savoirs possibles qui sont donnés à l’homme, la connaissance de Dieu est celui qui a la priorité et la prééminence, car elle est la base et le fondement de toutes les autres sciences.
Les sortes de connaissance de Dieu
La connaissance que l’homme peut avoir de Dieu s’obtient par deux voies : une science présentielle (1) et une science acquise. Cette distinction se fonde sur l’idée que la connaissance résulte soit de l’intuition soit de l’effort intellectuel, en plus de la connaissance immédiate, a priori. Les envoyés de Dieu, les prophètes, reçoivent la connaissance par la voie de la révélation par l’intermédiaire d’un archange. Les saints et les saintes la reçoivent par la voie de la purification du cœur vidé de tout ce qui n’est pas Dieu. Les hommes ordinaires obtiennent les connaissances par les voies de la logique ou de la méthode expérimentale. Les deux premiers cas sont ceux qui sont désignés par l’expression de connaissance présentielle, parce qu’elles sont conditionnées par la présence à / de Dieu, ou des esprits supérieurs qui sont soumis à Dieu.
La connaissance présentielle, elle-même, est aussi de deux sortes :
Premièrement :
Une compréhension innée (fetrî) ou théologie infuse, qui est une connaissance émanant de la Présence divine, non acquise, est indépendante du libre arbitre de son bénéficiaire, et qui pour cette raison, ne relève pas du domaine de l’éthique. Le verset de la Nature divine primordiale, fitra (2) , (Sourate Rûm (Les Romains) ; 30 : 30) :
« Ainsi donc, redresse ta face vers la religion, en croyant originel, en suivant la prime nature selon laquelle Dieu a instauré les humains, sans qu’il y ait de substitution possible à la création de Dieu : c’est là la droite religion, mais la plupart ne le savent pas. » ...
Et le verset du Pacte, mîthâq, (Sourate Al-A’râf (3) ; 7 : 172) :
« Et quand ton Seigneur préleva des Fils d’Adam, de leurs reins leur progéniture et les rendit témoins sur eux-mêmes : " Ne suis-Je pas votre Seigneur ? " –" Mais oui ! Nous en témoignons ", de sorte que vous ne puissiez dire au Jour de la résurrection : " Nous n’y avons pas fait attention" », font état de cette sorte de connaissance.
La compréhension par la nature primordiale (ou prime nature selon la traduction de J. Berque) existe potentiellement chez la majorité des gens et est un don que l’homme peut faire passer en lui de l’état de potentialité à celui de réalité, de quelque chose de flou et d’équivoque à une compréhension infuse consciente.
Deuxièmement :
Une science présentielle acquise qui est une science présentielle claire et consciente. Grâce à ses efforts, et après avoir parcouru les étapes de la perfection, l’homme parvient à mériter que Dieu projette en lui de Sa connaissance. Cette science provenant de la présence divine comporte différents degrés d’intensité, du plus faible au plus fort. La dernière étape de cette sorte de science précieuse est le but réel ultime de la création, autrement dit l’étape la plus élevée de la perfection humaine. Par conséquent, toute action dans le domaine moral devrait être orientée dans le sens de cette perfection.
Dans les textes religieux, cette réalité a été désignée par les termes de vision, de contemplation, et de perception suprasensible, et il y est aussi rapporté que les Amis de Dieu (les saints) obtiennent l’accès à cette connaissance dans un autre monde, et par cela accèdent à la vie éternelle dans la félicité.
Dans les nobles versets du Coran, cette étape de la connaissance divine est évoquée à plusieurs reprises, car certains saints y parviennent dans ce monde même.
« Ainsi découvrions-Nous à Abraham la souveraineté des cieux et de la terre, pour le mettre au premier rang des êtres de certitude. » (Sourate Al-An’âm (Les Bestiaux) ; 6 : 75).
Et : « Il y aura ce Jour des visages éclatants, vers leur Seigneur regardant. » (Sourate Al-Qiyâma (La Résurrection) ; 65 : 22-23).
Bien qu’il ne soit pas donné aux hommes d’accéder directement et à leur guise à la connaissance présentielle, il leur est possible d’obtenir par une décision délibérée l’accès aux étapes préparatoires. A vrai dire, l’effusion de cette perfection est la contrepartie des efforts accomplis volontairement par les hommes dans ce monde : cette récompense divine leur sera parachevée totalement dans l’au-delà.
Même si les degrés inférieurs de cette connaissance présentielle sont accordés sous la forme d’un état spirituel éphémère, ou plus durable encore, il arrive que Dieu octroie cette effusion à des saints ou des saintes. Deux choses sont corollaires de cette sorte de science :
A. La perception acquise et démonstrative que nous pouvons avoir des sujets théologiques concernant les actes et les qualités de Dieu.
B. Les œuvres méritoires librement accomplies qui rapprochent l’homme de la perception suprasensible consciente sont efficientes.
La valeur de la connaissance de Dieu
Nous savons que toutes les valeurs morales ont pour origine la foi en Dieu. Cette foi repose sur la connaissance intuitive ou rationnelle. Plus cette connaissance sera parfaite et vivante, plus cette foi sera parfaite et fructueuse, et plus l’homme qui en est doté bénéficiera d’une plus grande félicité. Ainsi, la science et la connaissance au sujet des choses qui se rapportent à la foi sont les piliers des valeurs morales. En d'autres termes, plus cette connaissance sera parfaite et intense, plus elle aura de valeur précieuse, et plus elle aura un impact profond sur la qualité du bonheur éternel, et cela grâce à l’influence qu’elle aura exercé sur la foi.
Donc, après l’obtention de cette connaissance, et en la gardant vive à l’esprit, il est nécessaire de l’entretenir afin qu’elle ne perde pas de son efficacité. Autrement, elle se flétrirait par manque d’action et cesserait de se manifester.
Dans la sourate 23 intitulée Al-Mu’minûn (Les Croyants), au verset 1, il est question d’une foi vivante, active ayant un effet sur le comportement individuel et social de l’individu.
Impact de la connaissance sur la foi
La connaissance de Dieu exerce une influence sur la perfection de l’homme dans deux directions :
1. Quand la connaissance de l’homme sera ferme, claire, assurée et dénuée de tout doute - c'est-à-dire lorsqu’elle atteindra la certitude et que cette certitude sera augmentée -, il bénéficiera d’une foi plus forte et plus fructueuse et d’un engagement pratique plus profond et plus large.
2. L’homme peut préserver sa foi et la défendre avec le savoir qu’il a acquis, qu’il entretient et améliore, et dont il ne cesse d’accroître l’influence sur sa vie quotidienne. C’est d’ailleurs ce qui explique l’insistance du Coran sur les vertus du savoir et de la connaissance.
Le critère scientifique le plus parfait et le plus complet qui a fait l’objet d’éloges par le Coran est la connaissance de l’Essence, des Noms, des qualités et des actes de Dieu. Certains versets sont exclusivement consacrés à cette connaissance. L’Essence de Dieu est inconnaissable par définition. Dieu est l’Être même. Seul Dieu connaît Dieu. Mais le Coran, les traditions prophétiques ainsi que certains théologiens enseignent que si Dieu est inconnaissable en soi, on peut avoir de Lui une certaine connaissance à travers Ses Noms, Ses qualités et Ses Actes. Si dans le Coran, Dieu est présenté comme un Être Invisible (Al-Ghayb) et essentiellement Caché, l’examen du monde qui est Sa création nous Le fait découvrir et connaître. Dieu est à la fois Occulté et Manifesté (Al-Bâtin et Al-Zâhir).
La connaissance vraie requiert l’examen du monde en tant que signe renvoyant à Dieu, et en tant que manifestation de la Volonté divine, de la Sagesse divine, de la Puissance divine et de la Bonté divine, etc. Dieu se manifeste intégralement dans le monde. Et si nous n’arrivons pas à percer tous les secrets de l’univers, c’est parce que Dieu, Exalté soit-Il, se manifeste aussi sous Son Nom l’Invisible.
(à suivre)
Notes :
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1-Présentielle traduit hozûrî, mot arabe qui signifie présence, au sens d’être présent, et aussi au sent de l’indicatif présent, qui implique une connaissance qui « accompagne » l’homme et qui lui inspire les réponses à toute sortes de questions ou de situations. Sa particularité est qu'elle est directe c'est-à-dire que contrairement à la connaissance spéculative, elle ne se réalise pas par l'intermédiaire de concepts.
2-Fitra, terme coranique désignant la nature originelle de l’homme, telle qu’elle est voulue par Dieu, et dont les créatures s’éloignent parfois au cours de leur vie, par « oubli ».
3-Il y a des titres de sourates, à part les noms propres, comme ceux des sourates qui suivent : 7 : Al-A’râf, 15 : Al-Hijr, 46 : Al-Ahqâf, 50 : Qâf, que certains traducteurs du Coran ne traduisent pas et gardent tels quels. Dans le cas de cette sourate, considérant que le nom Al-A’râf est un nom propre de lieu ou de groupes de personnes, ils s'abstiennent de le traduire, tandis que d'autres ont tenté des traductions comme « entre-deux », Purgatoire ou Limbes ou Redans (J. Berque) en s'appuyant sur les indications fournies par l’exégèse du Coran. Pour plus de précision, voir Régis Blachère, Traduction du Coran, Paris, 1966, Maisonneuve & Larose, p. 180.