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La connaissance de Dieu selon les versets coraniques et les traditions

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La connaissance de Dieu selon les versets coraniques et les traditions
La nécessité de la connaissance de Dieu
Dans la partie de l’éthique divine qui traite de la relation de l’homme avec Dieu, le premier acte qui s’impose à l’âme est celui de la croyance. La foi est une source des autres comportements et des qualités éthiques. Du fait que la croyance soit un acte de libre arbitre et aussi un acte de l’âme, elle relève du champ d’étude de la morale.

La connaissance de l’objet de croyance est une nécessité pour que la foi se réalise. Et comme la connaissance s’acquiert de façon générale volontairement et délibérément, son obtention peut être comptée parmi les actes de grande valeur de la morale. De ce qui précède, nous pouvons tirer la conclusion suivante : acquérir la connaissance de ce qui se rapporte à la foi - comme la connaissance de Dieu, la mission apostolique des prophètes, la révélation des Livres Célestes, la résurrection et le Jugement, etc. -, est indispensable et nécessaire, sous l’angle moral, au point que sans elle, on ne saurait accéder à quoi que ce soit.

Parmi tous les savoirs possibles qui sont donnés à l’homme, la connaissance de Dieu est celui qui a la priorité et la prééminence, car elle est la base et le fondement de toutes les autres sciences.

Les sortes de connaissance de Dieu
La connaissance que l’homme peut avoir de Dieu s’obtient par deux voies : une science présentielle (1) et une science acquise. Cette distinction se fonde sur l’idée que la connaissance résulte soit de l’intuition soit de l’effort intellectuel, en plus de la connaissance immédiate, a priori. Les envoyés de Dieu, les prophètes, reçoivent la connaissance par la voie de la révélation par l’intermédiaire d’un archange. Les saints et les saintes la reçoivent par la voie de la purification du cœur vidé de tout ce qui n’est pas Dieu. Les hommes ordinaires obtiennent les connaissances par les voies de la logique ou de la méthode expérimentale. Les deux premiers cas sont ceux qui sont désignés par l’expression de connaissance présentielle, parce qu’elles sont conditionnées par la présence à / de Dieu, ou des esprits supérieurs qui sont soumis à Dieu.

La connaissance présentielle, elle-même, est aussi de deux sortes :
Premièrement :
Une compréhension innée (fetrî) ou théologie infuse, qui est une connaissance émanant de la Présence divine, non acquise, est indépendante du libre arbitre de son bénéficiaire, et qui pour cette raison, ne relève pas du domaine de l’éthique. Le verset de la Nature divine primordiale, fitra (2) , (Sourate Rûm (Les Romains) ; 30 : 30) :

« Ainsi donc, redresse ta face vers la religion, en croyant originel, en suivant la prime nature selon laquelle Dieu a instauré les humains, sans qu’il y ait de substitution possible à la création de Dieu : c’est là la droite religion, mais la plupart ne le savent pas. » ...

Et le verset du Pacte, mîthâq, (Sourate Al-A’râf (3) ; 7 : 172) :

« Et quand ton Seigneur préleva des Fils d’Adam, de leurs reins leur progéniture et les rendit témoins sur eux-mêmes : " Ne suis-Je pas votre Seigneur ? " –" Mais oui ! Nous en témoignons ", de sorte que vous ne puissiez dire au Jour de la résurrection : " Nous n’y avons pas fait attention" », font état de cette sorte de connaissance.

La compréhension par la nature primordiale (ou prime nature selon la traduction de J. Berque) existe potentiellement chez la majorité des gens et est un don que l’homme peut faire passer en lui de l’état de potentialité à celui de réalité, de quelque chose de flou et d’équivoque à une compréhension infuse consciente.

Deuxièmement :
Une science présentielle acquise qui est une science présentielle claire et consciente. Grâce à ses efforts, et après avoir parcouru les étapes de la perfection, l’homme parvient à mériter que Dieu projette en lui de Sa connaissance. Cette science provenant de la présence divine comporte différents degrés d’intensité, du plus faible au plus fort. La dernière étape de cette sorte de science précieuse est le but réel ultime de la création, autrement dit l’étape la plus élevée de la perfection humaine. Par conséquent, toute action dans le domaine moral devrait être orientée dans le sens de cette perfection.

Dans les textes religieux, cette réalité a été désignée par les termes de vision, de contemplation, et de perception suprasensible, et il y est aussi rapporté que les Amis de Dieu (les saints) obtiennent l’accès à cette connaissance dans un autre monde, et par cela accèdent à la vie éternelle dans la félicité.

Dans les nobles versets du Coran, cette étape de la connaissance divine est évoquée à plusieurs reprises, car certains saints y parviennent dans ce monde même.

« Ainsi découvrions-Nous à Abraham la souveraineté des cieux et de la terre, pour le mettre au premier rang des êtres de certitude. » (Sourate Al-An’âm (Les Bestiaux) ; 6 : 75).

Et : « Il y aura ce Jour des visages éclatants, vers leur Seigneur regardant. » (Sourate Al-Qiyâma (La Résurrection) ; 65 : 22-23).

Bien qu’il ne soit pas donné aux hommes d’accéder directement et à leur guise à la connaissance présentielle, il leur est possible d’obtenir par une décision délibérée l’accès aux étapes préparatoires. A vrai dire, l’effusion de cette perfection est la contrepartie des efforts accomplis volontairement par les hommes dans ce monde : cette récompense divine leur sera parachevée totalement dans l’au-delà.

Même si les degrés inférieurs de cette connaissance présentielle sont accordés sous la forme d’un état spirituel éphémère, ou plus durable encore, il arrive que Dieu octroie cette effusion à des saints ou des saintes. Deux choses sont corollaires de cette sorte de science :

A. La perception acquise et démonstrative que nous pouvons avoir des sujets théologiques concernant les actes et les qualités de Dieu.

B. Les œuvres méritoires librement accomplies qui rapprochent l’homme de la perception suprasensible consciente sont efficientes.

La valeur de la connaissance de Dieu
Nous savons que toutes les valeurs morales ont pour origine la foi en Dieu. Cette foi repose sur la connaissance intuitive ou rationnelle. Plus cette connaissance sera parfaite et vivante, plus cette foi sera parfaite et fructueuse, et plus l’homme qui en est doté bénéficiera d’une plus grande félicité. Ainsi, la science et la connaissance au sujet des choses qui se rapportent à la foi sont les piliers des valeurs morales. En d'autres termes, plus cette connaissance sera parfaite et intense, plus elle aura de valeur précieuse, et plus elle aura un impact profond sur la qualité du bonheur éternel, et cela grâce à l’influence qu’elle aura exercé sur la foi.

Donc, après l’obtention de cette connaissance, et en la gardant vive à l’esprit, il est nécessaire de l’entretenir afin qu’elle ne perde pas de son efficacité. Autrement, elle se flétrirait par manque d’action et cesserait de se manifester.

Dans la sourate 23 intitulée Al-Mu’minûn (Les Croyants), au verset 1, il est question d’une foi vivante, active ayant un effet sur le comportement individuel et social de l’individu.

Impact de la connaissance sur la foi
La connaissance de Dieu exerce une influence sur la perfection de l’homme dans deux directions :

1. Quand la connaissance de l’homme sera ferme, claire, assurée et dénuée de tout doute - c'est-à-dire lorsqu’elle atteindra la certitude et que cette certitude sera augmentée -, il bénéficiera d’une foi plus forte et plus fructueuse et d’un engagement pratique plus profond et plus large.

2. L’homme peut préserver sa foi et la défendre avec le savoir qu’il a acquis, qu’il entretient et améliore, et dont il ne cesse d’accroître l’influence sur sa vie quotidienne. C’est d’ailleurs ce qui explique l’insistance du Coran sur les vertus du savoir et de la connaissance.

Le critère scientifique le plus parfait et le plus complet qui a fait l’objet d’éloges par le Coran est la connaissance de l’Essence, des Noms, des qualités et des actes de Dieu. Certains versets sont exclusivement consacrés à cette connaissance. L’Essence de Dieu est inconnaissable par définition. Dieu est l’E^tre même. Seul Dieu connaît Dieu. Mais le Coran, les traditions prophétiques ainsi que certains théologiens enseignent que si Dieu est inconnaissable en soi, on peut avoir de Lui une certaine connaissance à travers Ses Noms, Ses qualités et Ses Actes. Si dans le Coran, Dieu est présenté comme un E^tre Invisible (Al-Ghayb) et essentiellement Caché, l’examen du monde qui est Sa création nous Le fait découvrir et connaître. Dieu est à la fois Occulté et Manifesté (Al-Bâtin et Al-Zâhir).

La connaissance vraie requiert l’examen du monde en tant que signe renvoyant à Dieu, et en tant que manifestation de la Volonté divine, de la Sagesse divine, de la Puissance divine et de la Bonté divine, etc. Dieu se manifeste intégralement dans le monde. Et si nous n’arrivons pas à percer tous les secrets de l’univers, c’est parce que Dieu, Exalté soit-Il, se manifeste aussi sous Son Nom l’Invisible.

back to 1 Présentielle traduit hozûrî, mot arabe qui signifie présence, au sens d’être présent, et aussi au sent de l’indicatif présent, qui implique une connaissance qui « accompagne » l’homme et qui lui inspire les réponses à toute sortes de questions ou de situations. Sa particularité est qu'elle est directe c'est-à-dire que contrairement à la connaissance spéculative, elle ne se réalise pas par l'intermédiaire de concepts.

back to 2 Fitra, terme coranique désignant la nature originelle de l’homme, telle qu’elle est voulue par Dieu, et dont les créatures s’éloignent parfois au cours de leur vie, par « oubli ».

back to 3 Il y a des titres de sourates, à part les noms propres, comme ceux des sourates qui suivent : 7 : Al-A’râf, 15 : Al-Hijr, 46 : Al-Ahqâf, 50 : Qâf, que certains traducteurs du Coran ne traduisent pas et gardent tels quels. Dans le cas de cette sourate, considérant que le nom Al-A’râf est un nom propre de lieu ou de groupes de personnes, ils s'abstiennent de le traduire, tandis que d'autres ont tenté des traductions comme « entre-deux », Purgatoire ou Limbes ou Redans (J. Berque) en s'appuyant sur les indications fournies par l’exégèse du Coran. Pour plus de précision, voir Régis Blachère, Traduction du Coran, Paris, 1966, Maisonneuve & Larose, p. 180.

La connaissance du monde conduit à la connaissance de Dieu et la connaissance de Dieu nous ramène au monde. Mais le fait est que nous n’avons de science et de savoir qu’en proportion de ce que Dieu nous permet de connaître.

Sur ces points, nous trouvons une insistance particulière dans les paroles des Imâms Purs (as), en particulier dans le Nahj Al-Balâgha.

Dans l’un de ses sermons (Khotba) figurant dans le Nahj Al-Balâgha, l’Imâm 'Alî (as) dit : « Le premier pas à faire en direction de la piété est l’acquisition de la connaissance. Or la perfection de la connaissance consiste dans la confirmation sincère du Seigneur et la croyance en Lui. Et la perfection de la confirmation (approbation) de la foi en Dieu consiste dans le fait d’accepter Son unité. Et la perfection sincère de Son unité consiste en ce que l’on ne courbe la tête que devant Sa présence, et en ce que l’on ne voue d’adoration qu’à Lui. La perfection de la sincérité envers Lui consiste à retenir sa langue de la tentation de Le décrire ou de Le qualifier (1) . Car toute qualification témoigne elle-même qu’Il n’est pas décrit (par une autre qualité). De même que tout ce qui est décrit par une qualité donnée témoigne de ce qu’il n’est pas la qualité elle-même. Il s’ensuit que quiconque restreint Dieu dans une qualité Lui attribue un homologue (qarîn), or celui qui donne un homologue à Dieu (qui fait de Dieu un homologue), aura statué sur Sa dualité. Celui qui statue sur Sa dualité L’aura fractionné et distingué en Lui des parties. Et celui qui aura agi ainsi se sera montré ignorant à Son sujet, et celui qui se sera montré ignorant au sujet de Dieu, sera forcément tenté de Le désigner.

Or celui qui fait de Dieu l’objet de sa désignation Lui aura fixé une limite. Et celui qui aura déterminé une limite à Dieu (dans le temps ou dans l’espace) L’aura compté avec les nombres… » (2)

Ce sermon est l’expression la plus originale qui soit prononcée au sujet de l’unicité divine.

La quintessence de la première partie de ce sermon en est que les étapes les plus parfaites de la connaissance de Dieu sont le fruit de ce que l’on s’abstient de qualifier Dieu de quelque qualité que ce soit.

Le résultat de la deuxième partie du discours, à savoir ce qui dérive de la première partie : « Celui qui attribue une qualité à l’Essence Sacro-Sainte de Dieu, l’aura comparée (aura fait d’Elle un homologue) », est que l’affirmation des qualités divines, entraîne nécessairement l’affirmation de l’unité numérique au sujet de Dieu. Or cette unité numérique implique la limite, tandis que Dieu transcende absolument toute limite.

De ces deux introductions, nous pouvons tirer cette conclusion que la perfection de la connaissance de Dieu nous ramène à cette idée que Son unité n’est pas comparable à l’unité de toutes les créatures, cela parce qu’Elle n’est pas une unité numérique. Son unité appelle un autre sens. Telle est précisément l’intention de l’Emir des Croyants (as) dans ce discours.

Et quand il dit : « La perfection de la connaissance de Dieu consiste à ne pas Le qualifier », la raison en est dans les phrases qui précèdent cette phrase.

A chaque phrase, il décrit une étape de la foi. D’abord, il dit : « La première étape de la religion est de Le connaître (Dieu) ». Et cela est évident, parce que celui qui ne connaît pas Dieu n’a pas encore fait le moindre pas dans la religion.

Puis il dit : « Le connaître avec perfection consiste à avoir foi en Lui (tasdîq) ». Cela aussi est évident parce que la connaissance du Seigneur est de celles qui doivent être accompagnées par les actes, c'est-à-dire qui indiquent une relation du connaissant avec l’E^tre connu, et d’autre part, qui fait état aussi de la grandeur du Connu. Il ne s’agit pas d’une connaissance n’impliquant rien d’autre que le savoir. Il est tout à fait clair que ce genre de connaissance, quand elle s’établit fermement dans l’âme, doit forcément s’accompagner de l’action adéquate. Autrement, l’accomplissement des actes contraires et incompatibles avec la connaissance affaibliront peu à peu cette dernière, et finiront par la rendre inexistante ou pour le moins inopérante.

De même, l’Emir des Croyants (as) a fait allusion à cette idée dans une sentence rapportée dans le Nahj Al-Balâgha. Il dit : « La connaissance est inséparable de l’action. Celui qui a étudié une science se doit d’assumer les implications pratiques de cette science, sinon cette dernière s’effacera de son cœur. » (3)

La science ou la connaissance de toute chose devient achevée lorsque le connaissant acquiert une foi parfaite et sincère dans l’objet connu, et non pas en prenant distance à l’égard de l’objet de connaissance, ou en en plaisantant ou en le traitant comme un jouet. En outre, la foi dans l’objet de connaissance se manifestera dans l’apparence et se percevra dans le for intérieur ainsi que dans la soumission de l’âme et du corps devant l’E^tre connu. Il s’agit ici de cette foi qui réforme l’apparence et le fond de l’homme quand elle gouverne son cœur. Il est donc juste d’affirmer que « la perfection de la connaissance de Dieu consiste à affirmer Son unité ». La preuve en est que la soumission, qui est l’obéissance et la foi en Dieu, peut qualifier aussi l’idolâtre et le polythéiste car ces derniers aussi se soumettent à ce qu’ils pensent être leurs dieux. Sauf que cette soumission est imparfaite et défectueuse. Il va de soi que la soumission devient entière lorsque toutes ses dimensions sont orientées et rattachées à Dieu, parce que se soumettre à des divinités illusoires, revient à se détourner voire à tourner le dos à Dieu. Il s’ensuit que la foi, la confirmation de Dieu et la soumission à Sa dignité, ne sera parachevée que lorsqu’on se détournera du culte des idoles et de la prédication de leurs prêtres. C’est cela que signifie la sentence : « La foi parfaite consiste dans l’affirmation de Son unité ».

Poursuivant son sermon, l’Emir des Croyants (as) dit : « Or, avoir une foi parfaite en Son unicité consiste à être sincère envers Lui ».

Il faut savoir que l’unité de Dieu présente des étapes disposées hiérarchiquement, certaines étant au-dessus des autres. L’homme n’obtient l’étape ultime de la perfection que s’il rend un culte à son objet d’adoration, de la façon qui soit digne de Lui, c’est-à-dire à l’exclusion de toute autre divinité illusoire. Il ne se contentera pas de prononcer par la langue qu’il n’y a qu’un seul dieu. Il montrera qu’il a bien compris le but de sa création. Il mènera donc une vie simple mais bien orientée car il verra la vie dans son sens profond, il n’en attendra donc pas trop. Et il ne se laissera pas duper par les apparences.

Un tel homme attribuera réellement à Dieu toute chose dotée d’une part de perfection et d’être dans ce monde.

Comme a dit Saadî il y a huit siècles :
Be jahân khorram az ânam ke jahân khorram az U-st

‘Asheqam bar hameh ‘âlam ke hameh ‘âlam az U-st

Je suis comblé de joie dans ce monde, car le monde entier est comblé de joie à cause de Sa Présence.

Je suis amoureux du monde entier, car le monde entier Lui appartient

(Sa’adî, Ketâb-e Mawâ’iz, Ghazaliyât (1), Ghazal 12)

La création du monde, la subsistance de tous ceux qui ont besoin de se nourrir, leur donner la vie ou la mort, en résumé tout vient de Lui, l’autre-que-Dieu n’existe pas.

Ke yekî hast o hîch nîst joz U^,

Vahdahu lâ ilâha illâ Hû

Qu’il n’y a que l’UN, et rien d’autre que Lui,

Lui L’unique, point de dieu hormis Lui (4)

En conséquence, il ne s’humiliera et ne s’abaissera que devant Dieu, à l’exclusion de toute autre personne ; sous aucun prétexte, il ne faillira à cette règle. Il ne fondera ses espoirs que dans la miséricorde divine et ne redoutera que le courroux de Dieu. Il ne convoitera que le bien qui lui viendra de Dieu, et ne redoutera que le châtiment de Dieu. En un mot, que ce soit dans le domaine de la connaissance ou dans celui de l’action, il se dévouera entièrement et exclusivement au service de Dieu. C’est pour cela que l’Imâm (as) établit un rapport entre la foi en l’unicité de Dieu et la sincérité envers Lui.

Quand la connaissance au sujet de Dieu parvient à ce pilier, et que Dieu, exalté soit-Il, accorde à l’homme cette station honorable qui le rend fier et qu’Il l’élève jusqu’au degré des saints (awliyâ) et des Rapprochés, c’est là qu’en toute lucidité de son incapacité, il réalisera la connaissance réelle de Dieu et appréhendera qu’il ne pourra jamais Le décrire de façon à rendre pleinement justice à Sa majesté et à Sa grandeur. Il comprendra aussi que chacune des significations dont il se sert pour qualifier Dieu et pour parler de Lui est, de façon générale, un sens qu’il a emprunté à ses observations des possibles, qui sont tous des êtres créés par Dieu.

Bien que ces significations soient en général des images mentales, limitées et contraintes, elles sont des formes qui ne sont pas homogènes, se repoussant les unes les autres. Par exemple, la science, la puissance, la vie, la subsistance, la majesté, la richesse, et autres qualités sont des concepts qui sont tous différents et distincts les uns des autres. La science est autre chose que la puissance, et inversement, chaque signification possède son champ propre. Quand, par exemple, nous nous représentons l’idée de la science, notre esprit cesse de saisir au moment même le concept de la puissance, et dans la notion de la science, nous ne retrouvons pas celle de la puissance. Les mots ont chacun une signification propre, de même que les réalités qu’ils désignent.

Et lorsque nous nous représentons la notion de la science en tant que qualité parmi d’autres, nous l’abstrayons indépendamment de l’essence qui en est ou qui en sera qualifiée. Et c’est ici que nous comprenons que ces notions, ces informations et ces perceptions sont incapables de s’appliquer au Seigneur quand elles sont envisagées dans ces limites que leur donne l’esprit humain.

Ainsi, une personne qui serait parvenue au degré de la sincérité et de la pureté ne pourra que reconnaître son inhabilité et son incapacité à décrire Dieu. Et d’ailleurs quelle incapacité ! Une déficience irrémédiable et une inaptitude irréparable ! En outre, elle est obligée de constater que la voie qu’elle avait jusqu’ici suivie dans ce domaine lui fait rebrousser chemin. Elle se repent alors de toutes les qualités qu’elle a pu attribuer à Dieu et s’empresse d’essayer de L’en dépouiller. Pour finir, elle se retrouve égarée, livrée à une perplexité de laquelle elle ne peut sortir.

Telle est l’intention de l’Imâm (as) quand il dit : « La perfection de la sincérité envers Lui consiste dans la négation des qualités à cause de ce que toute qualité témoigne qu’elle est autre que le qualifié, et du témoignage de tout qualifié qu’il est autre que la qualité ».

Si l’on prête attention à cela, on comprendra que ce commentaire que nous faisons du premier paragraphe du sermon consiste dans une signification qui corrobore celle des premiers paragraphes du sermon, parce que l’Imâm (as) y dit : « …(Un Dieu) que ne perçoit guère la portée des ambitions spirituelles lointaines, et ne s’obtient pas par les plongées des plus grands experts des fonds de l’océan, Celui à la Qualité de Qui il n’est point de limite déterminée, ni d’adjectif existant, ni de temps mesuré ni de temps prolongé. »

Mais quand l’Imâm (as) dit : « Celui qui décrit Dieu par des qualités lui attribue un homologue… », il s’agit d’une expression qui s’obtient par la voie de la décomposition et de l’analyse de la démonstration de l’attribut (wasf) et qui aboutit à la conclusion que : Dieu n’est pas limité, ni sujet au nombre. De la même façon que dans le premier énoncé, on parvenait à la conclusion par la voie de la décomposition et de l’analyse de la connaissance (ma’refat), selon laquelle : quiconque décrit Dieu par une ou plusieurs qualités, fait de Lui L’homologue de cette qualité (attribut). Cela, parce que nous avions vu précédemment que l’attribut (wasf) n’est pas le sujet (mawsûf).

Il y a une distinction nette entre les deux termes, et rassembler ces deux choses distinctes est justement la signification de les rendre homologues. « Et quiconque fait de Dieu l'homologue d’une chose aura statué sur Sa dualité » : d’une part Lui-même, de l’autre la qualité (qu’on Lui attribue). Et celui qui affirme Sa dualité, L’aura décomposé en deux parties. Et celui qui décompose Dieu Lui attribue l’ignorance et Le désigne en orientant vers Lui une allusion mentale. Et celui qui Le désigne ainsi Lui assigne une limite parce que la désignation implique une séparation du démonstrateur et du démontré. Jusqu’à ce que la désignation - même mentale -, qui est un espace entre celui qui désigne et le désigné, crée une liaison entre les deux dont un bout commence du côté du désignant et l’autre se termine du côté du désigné.

« Wa man haddah faqad ‘addah » Celui qui Lui assigne une limite, Lui assigne un nombre.

Cela signifie que l’unité de Son Essence n’est pas multiple, car le concomitant de la division, de la limite et de la distinction est d’être dénombrable.

A la transcendance de Dieu !

back to 1 Dans toute cette citation, l’Imâm considère l’Essence divine en tant que telle. Elle est indescriptible, comme nous l’avons dit. Sans rejeter bien entendu les Noms, Attributs et Actes de Dieu qui sont confirmés par le Coran et par lesquels Dieu S’est manifesté (tajallî), l’Imâm les repousse pour empêcher que certains n’aient l’illusion de connaître Dieu, alors qu'ils limitent l’Essence en la qualifiant par l'un de ces Noms. Dieu est Un (ahad), un TOUT Indissociable.

back to 2 Nahj al-Balâgha, édition de Sobhi Sâlih, p. 3. Sobhi Sâleh, Libanais, mort à la fin du XXe siècle., a réalisé une édition du Nahj Al-Balâgha (La voie de l’Eloquence), ce célèbre recueil de sermons, lettres et maximes de l’Imâm 'Alî ibn abî Tâleb (as), justement réputé pour son éloquence. L’ouvrage a été compilé par Al-Sharîf Al-Radhî, né en 970 et mort en 1015.

back to 3 Voir Nahj Al-Balâgha, Sobhî Sâleh, p. 366.

back to 4 Célèbre refrain d'un poème de Seyyed Ahmad Hâtef Esfahânî (en persan: س?د احمد هاتف اصفهان?), chanté dans les séances des tarîqa iraniennes. Hâtef Esfahânî est un poète iranien qui vécut au XVIIIème siècle, sous le règne de plusieurs rois. Il est l'auteur de poèmes dans plusieurs genres poétiques, dont l'un est le « tarji’ band », qui signifie quelque chose comme « retour de lien », et que l'on traduirait en français comme poème strophique avec refrain.

Références :
Motaharî, Mortezâ, Ashenâyî bâ Qor’ân, (Initiation au Coran), Vol. 4, p. 115 ; Shîrvânî, 'Alî, Akhlâq-e eslâmî va mabânî-ye nazarî-ye ân, (L’éthique musulmane et ses fondements théoriques), p. 124 ; Allameh Seyed Mohammad Hossein Tabâtabâ'î, commentaire du Coran intitulé Tafsîr-e Al-Mizân, traduction persane, Vol. 6, pp. 136-139.

La connaissance de Dieu selon les versets coraniques et les traditions
La nécessité de la connaissance de Dieu
Dans la partie de l’éthique divine qui traite de la relation de l’homme avec Dieu, le premier acte qui s’impose à l’âme est celui de la croyance. La foi est une source des autres comportements et des qualités éthiques. Du fait que la croyance soit un acte de libre arbitre et aussi un acte de l’âme, elle relève du champ d’étude de la morale.

La connaissance de l’objet de croyance est une nécessité pour que la foi se réalise. Et comme la connaissance s’acquiert de façon générale volontairement et délibérément, son obtention peut être comptée parmi les actes de grande valeur de la morale. De ce qui précède, nous pouvons tirer la conclusion suivante : acquérir la connaissance de ce qui se rapporte à la foi - comme la connaissance de Dieu, la mission apostolique des prophètes, la révélation des Livres Célestes, la résurrection et le Jugement, etc. -, est indispensable et nécessaire, sous l’angle moral, au point que sans elle, on ne saurait accéder à quoi que ce soit.

Parmi tous les savoirs possibles qui sont donnés à l’homme, la connaissance de Dieu est celui qui a la priorité et la prééminence, car elle est la base et le fondement de toutes les autres sciences.

Les sortes de connaissance de Dieu
La connaissance que l’homme peut avoir de Dieu s’obtient par deux voies : une science présentielle (1) et une science acquise. Cette distinction se fonde sur l’idée que la connaissance résulte soit de l’intuition soit de l’effort intellectuel, en plus de la connaissance immédiate, a priori. Les envoyés de Dieu, les prophètes, reçoivent la connaissance par la voie de la révélation par l’intermédiaire d’un archange. Les saints et les saintes la reçoivent par la voie de la purification du cœur vidé de tout ce qui n’est pas Dieu. Les hommes ordinaires obtiennent les connaissances par les voies de la logique ou de la méthode expérimentale. Les deux premiers cas sont ceux qui sont désignés par l’expression de connaissance présentielle, parce qu’elles sont conditionnées par la présence à / de Dieu, ou des esprits supérieurs qui sont soumis à Dieu.

La connaissance présentielle, elle-même, est aussi de deux sortes :
Premièrement :
Une compréhension innée (fetrî) ou théologie infuse, qui est une connaissance émanant de la Présence divine, non acquise, est indépendante du libre arbitre de son bénéficiaire, et qui pour cette raison, ne relève pas du domaine de l’éthique. Le verset de la Nature divine primordiale, fitra (2) , (Sourate Rûm (Les Romains) ; 30 : 30) :

« Ainsi donc, redresse ta face vers la religion, en croyant originel, en suivant la prime nature selon laquelle Dieu a instauré les humains, sans qu’il y ait de substitution possible à la création de Dieu : c’est là la droite religion, mais la plupart ne le savent pas. » ...

Et le verset du Pacte, mîthâq, (Sourate Al-A’râf (3) ; 7 : 172) :

« Et quand ton Seigneur préleva des Fils d’Adam, de leurs reins leur progéniture et les rendit témoins sur eux-mêmes : " Ne suis-Je pas votre Seigneur ? " –" Mais oui ! Nous en témoignons ", de sorte que vous ne puissiez dire au Jour de la résurrection : " Nous n’y avons pas fait attention" », font état de cette sorte de connaissance.

La compréhension par la nature primordiale (ou prime nature selon la traduction de J. Berque) existe potentiellement chez la majorité des gens et est un don que l’homme peut faire passer en lui de l’état de potentialité à celui de réalité, de quelque chose de flou et d’équivoque à une compréhension infuse consciente.

Deuxièmement :
Une science présentielle acquise qui est une science présentielle claire et consciente. Grâce à ses efforts, et après avoir parcouru les étapes de la perfection, l’homme parvient à mériter que Dieu projette en lui de Sa connaissance. Cette science provenant de la présence divine comporte différents degrés d’intensité, du plus faible au plus fort. La dernière étape de cette sorte de science précieuse est le but réel ultime de la création, autrement dit l’étape la plus élevée de la perfection humaine. Par conséquent, toute action dans le domaine moral devrait être orientée dans le sens de cette perfection.

Dans les textes religieux, cette réalité a été désignée par les termes de vision, de contemplation, et de perception suprasensible, et il y est aussi rapporté que les Amis de Dieu (les saints) obtiennent l’accès à cette connaissance dans un autre monde, et par cela accèdent à la vie éternelle dans la félicité.

Dans les nobles versets du Coran, cette étape de la connaissance divine est évoquée à plusieurs reprises, car certains saints y parviennent dans ce monde même.

« Ainsi découvrions-Nous à Abraham la souveraineté des cieux et de la terre, pour le mettre au premier rang des êtres de certitude. » (Sourate Al-An’âm (Les Bestiaux) ; 6 : 75).

Et : « Il y aura ce Jour des visages éclatants, vers leur Seigneur regardant. » (Sourate Al-Qiyâma (La Résurrection) ; 65 : 22-23).

Bien qu’il ne soit pas donné aux hommes d’accéder directement et à leur guise à la connaissance présentielle, il leur est possible d’obtenir par une décision délibérée l’accès aux étapes préparatoires. A vrai dire, l’effusion de cette perfection est la contrepartie des efforts accomplis volontairement par les hommes dans ce monde : cette récompense divine leur sera parachevée totalement dans l’au-delà.

Même si les degrés inférieurs de cette connaissance présentielle sont accordés sous la forme d’un état spirituel éphémère, ou plus durable encore, il arrive que Dieu octroie cette effusion à des saints ou des saintes. Deux choses sont corollaires de cette sorte de science :

A. La perception acquise et démonstrative que nous pouvons avoir des sujets théologiques concernant les actes et les qualités de Dieu.

B. Les œuvres méritoires librement accomplies qui rapprochent l’homme de la perception suprasensible consciente sont efficientes.

La valeur de la connaissance de Dieu
Nous savons que toutes les valeurs morales ont pour origine la foi en Dieu. Cette foi repose sur la connaissance intuitive ou rationnelle. Plus cette connaissance sera parfaite et vivante, plus cette foi sera parfaite et fructueuse, et plus l’homme qui en est doté bénéficiera d’une plus grande félicité. Ainsi, la science et la connaissance au sujet des choses qui se rapportent à la foi sont les piliers des valeurs morales. En d'autres termes, plus cette connaissance sera parfaite et intense, plus elle aura de valeur précieuse, et plus elle aura un impact profond sur la qualité du bonheur éternel, et cela grâce à l’influence qu’elle aura exercé sur la foi.

Donc, après l’obtention de cette connaissance, et en la gardant vive à l’esprit, il est nécessaire de l’entretenir afin qu’elle ne perde pas de son efficacité. Autrement, elle se flétrirait par manque d’action et cesserait de se manifester.

Dans la sourate 23 intitulée Al-Mu’minûn (Les Croyants), au verset 1, il est question d’une foi vivante, active ayant un effet sur le comportement individuel et social de l’individu.

Impact de la connaissance sur la foi
La connaissance de Dieu exerce une influence sur la perfection de l’homme dans deux directions :

1. Quand la connaissance de l’homme sera ferme, claire, assurée et dénuée de tout doute - c'est-à-dire lorsqu’elle atteindra la certitude et que cette certitude sera augmentée -, il bénéficiera d’une foi plus forte et plus fructueuse et d’un engagement pratique plus profond et plus large.

2. L’homme peut préserver sa foi et la défendre avec le savoir qu’il a acquis, qu’il entretient et améliore, et dont il ne cesse d’accroître l’influence sur sa vie quotidienne. C’est d’ailleurs ce qui explique l’insistance du Coran sur les vertus du savoir et de la connaissance.

Le critère scientifique le plus parfait et le plus complet qui a fait l’objet d’éloges par le Coran est la connaissance de l’Essence, des Noms, des qualités et des actes de Dieu. Certains versets sont exclusivement consacrés à cette connaissance. L’Essence de Dieu est inconnaissable par définition. Dieu est l’E^tre même. Seul Dieu connaît Dieu. Mais le Coran, les traditions prophétiques ainsi que certains théologiens enseignent que si Dieu est inconnaissable en soi, on peut avoir de Lui une certaine connaissance à travers Ses Noms, Ses qualités et Ses Actes. Si dans le Coran, Dieu est présenté comme un E^tre Invisible (Al-Ghayb) et essentiellement Caché, l’examen du monde qui est Sa création nous Le fait découvrir et connaître. Dieu est à la fois Occulté et Manifesté (Al-Bâtin et Al-Zâhir).

La connaissance vraie requiert l’examen du monde en tant que signe renvoyant à Dieu, et en tant que manifestation de la Volonté divine, de la Sagesse divine, de la Puissance divine et de la Bonté divine, etc. Dieu se manifeste intégralement dans le monde. Et si nous n’arrivons pas à percer tous les secrets de l’univers, c’est parce que Dieu, Exalté soit-Il, se manifeste aussi sous Son Nom l’Invisible.

back to 1 Présentielle traduit hozûrî, mot arabe qui signifie présence, au sens d’être présent, et aussi au sent de l’indicatif présent, qui implique une connaissance qui « accompagne » l’homme et qui lui inspire les réponses à toute sortes de questions ou de situations. Sa particularité est qu'elle est directe c'est-à-dire que contrairement à la connaissance spéculative, elle ne se réalise pas par l'intermédiaire de concepts.

back to 2 Fitra, terme coranique désignant la nature originelle de l’homme, telle qu’elle est voulue par Dieu, et dont les créatures s’éloignent parfois au cours de leur vie, par « oubli ».

back to 3 Il y a des titres de sourates, à part les noms propres, comme ceux des sourates qui suivent : 7 : Al-A’râf, 15 : Al-Hijr, 46 : Al-Ahqâf, 50 : Qâf, que certains traducteurs du Coran ne traduisent pas et gardent tels quels. Dans le cas de cette sourate, considérant que le nom Al-A’râf est un nom propre de lieu ou de groupes de personnes, ils s'abstiennent de le traduire, tandis que d'autres ont tenté des traductions comme « entre-deux », Purgatoire ou Limbes ou Redans (J. Berque) en s'appuyant sur les indications fournies par l’exégèse du Coran. Pour plus de précision, voir Régis Blachère, Traduction du Coran, Paris, 1966, Maisonneuve & Larose, p. 180.

La connaissance du monde conduit à la connaissance de Dieu et la connaissance de Dieu nous ramène au monde. Mais le fait est que nous n’avons de science et de savoir qu’en proportion de ce que Dieu nous permet de connaître.

Sur ces points, nous trouvons une insistance particulière dans les paroles des Imâms Purs (as), en particulier dans le Nahj Al-Balâgha.

Dans l’un de ses sermons (Khotba) figurant dans le Nahj Al-Balâgha, l’Imâm 'Alî (as) dit : « Le premier pas à faire en direction de la piété est l’acquisition de la connaissance. Or la perfection de la connaissance consiste dans la confirmation sincère du Seigneur et la croyance en Lui. Et la perfection de la confirmation (approbation) de la foi en Dieu consiste dans le fait d’accepter Son unité. Et la perfection sincère de Son unité consiste en ce que l’on ne courbe la tête que devant Sa présence, et en ce que l’on ne voue d’adoration qu’à Lui. La perfection de la sincérité envers Lui consiste à retenir sa langue de la tentation de Le décrire ou de Le qualifier (1) . Car toute qualification témoigne elle-même qu’Il n’est pas décrit (par une autre qualité). De même que tout ce qui est décrit par une qualité donnée témoigne de ce qu’il n’est pas la qualité elle-même. Il s’ensuit que quiconque restreint Dieu dans une qualité Lui attribue un homologue (qarîn), or celui qui donne un homologue à Dieu (qui fait de Dieu un homologue), aura statué sur Sa dualité. Celui qui statue sur Sa dualité L’aura fractionné et distingué en Lui des parties. Et celui qui aura agi ainsi se sera montré ignorant à Son sujet, et celui qui se sera montré ignorant au sujet de Dieu, sera forcément tenté de Le désigner.

Or celui qui fait de Dieu l’objet de sa désignation Lui aura fixé une limite. Et celui qui aura déterminé une limite à Dieu (dans le temps ou dans l’espace) L’aura compté avec les nombres… » (2)

Ce sermon est l’expression la plus originale qui soit prononcée au sujet de l’unicité divine.

La quintessence de la première partie de ce sermon en est que les étapes les plus parfaites de la connaissance de Dieu sont le fruit de ce que l’on s’abstient de qualifier Dieu de quelque qualité que ce soit.

Le résultat de la deuxième partie du discours, à savoir ce qui dérive de la première partie : « Celui qui attribue une qualité à l’Essence Sacro-Sainte de Dieu, l’aura comparée (aura fait d’Elle un homologue) », est que l’affirmation des qualités divines, entraîne nécessairement l’affirmation de l’unité numérique au sujet de Dieu. Or cette unité numérique implique la limite, tandis que Dieu transcende absolument toute limite.

De ces deux introductions, nous pouvons tirer cette conclusion que la perfection de la connaissance de Dieu nous ramène à cette idée que Son unité n’est pas comparable à l’unité de toutes les créatures, cela parce qu’Elle n’est pas une unité numérique. Son unité appelle un autre sens. Telle est précisément l’intention de l’Emir des Croyants (as) dans ce discours.

Et quand il dit : « La perfection de la connaissance de Dieu consiste à ne pas Le qualifier », la raison en est dans les phrases qui précèdent cette phrase.

A chaque phrase, il décrit une étape de la foi. D’abord, il dit : « La première étape de la religion est de Le connaître (Dieu) ». Et cela est évident, parce que celui qui ne connaît pas Dieu n’a pas encore fait le moindre pas dans la religion.

Puis il dit : « Le connaître avec perfection consiste à avoir foi en Lui (tasdîq) ». Cela aussi est évident parce que la connaissance du Seigneur est de celles qui doivent être accompagnées par les actes, c'est-à-dire qui indiquent une relation du connaissant avec l’E^tre connu, et d’autre part, qui fait état aussi de la grandeur du Connu. Il ne s’agit pas d’une connaissance n’impliquant rien d’autre que le savoir. Il est tout à fait clair que ce genre de connaissance, quand elle s’établit fermement dans l’âme, doit forcément s’accompagner de l’action adéquate. Autrement, l’accomplissement des actes contraires et incompatibles avec la connaissance affaibliront peu à peu cette dernière, et finiront par la rendre inexistante ou pour le moins inopérante.

De même, l’Emir des Croyants (as) a fait allusion à cette idée dans une sentence rapportée dans le Nahj Al-Balâgha. Il dit : « La connaissance est inséparable de l’action. Celui qui a étudié une science se doit d’assumer les implications pratiques de cette science, sinon cette dernière s’effacera de son cœur. » (3)

La science ou la connaissance de toute chose devient achevée lorsque le connaissant acquiert une foi parfaite et sincère dans l’objet connu, et non pas en prenant distance à l’égard de l’objet de connaissance, ou en en plaisantant ou en le traitant comme un jouet. En outre, la foi dans l’objet de connaissance se manifestera dans l’apparence et se percevra dans le for intérieur ainsi que dans la soumission de l’âme et du corps devant l’E^tre connu. Il s’agit ici de cette foi qui réforme l’apparence et le fond de l’homme quand elle gouverne son cœur. Il est donc juste d’affirmer que « la perfection de la connaissance de Dieu consiste à affirmer Son unité ». La preuve en est que la soumission, qui est l’obéissance et la foi en Dieu, peut qualifier aussi l’idolâtre et le polythéiste car ces derniers aussi se soumettent à ce qu’ils pensent être leurs dieux. Sauf que cette soumission est imparfaite et défectueuse. Il va de soi que la soumission devient entière lorsque toutes ses dimensions sont orientées et rattachées à Dieu, parce que se soumettre à des divinités illusoires, revient à se détourner voire à tourner le dos à Dieu. Il s’ensuit que la foi, la confirmation de Dieu et la soumission à Sa dignité, ne sera parachevée que lorsqu’on se détournera du culte des idoles et de la prédication de leurs prêtres. C’est cela que signifie la sentence : « La foi parfaite consiste dans l’affirmation de Son unité ».

Poursuivant son sermon, l’Emir des Croyants (as) dit : « Or, avoir une foi parfaite en Son unicité consiste à être sincère envers Lui ».

Il faut savoir que l’unité de Dieu présente des étapes disposées hiérarchiquement, certaines étant au-dessus des autres. L’homme n’obtient l’étape ultime de la perfection que s’il rend un culte à son objet d’adoration, de la façon qui soit digne de Lui, c’est-à-dire à l’exclusion de toute autre divinité illusoire. Il ne se contentera pas de prononcer par la langue qu’il n’y a qu’un seul dieu. Il montrera qu’il a bien compris le but de sa création. Il mènera donc une vie simple mais bien orientée car il verra la vie dans son sens profond, il n’en attendra donc pas trop. Et il ne se laissera pas duper par les apparences.

Un tel homme attribuera réellement à Dieu toute chose dotée d’une part de perfection et d’être dans ce monde.

Comme a dit Saadî il y a huit siècles :
Be jahân khorram az ânam ke jahân khorram az U-st

‘Asheqam bar hameh ‘âlam ke hameh ‘âlam az U-st

Je suis comblé de joie dans ce monde, car le monde entier est comblé de joie à cause de Sa Présence.

Je suis amoureux du monde entier, car le monde entier Lui appartient

(Sa’adî, Ketâb-e Mawâ’iz, Ghazaliyât (1), Ghazal 12)

La création du monde, la subsistance de tous ceux qui ont besoin de se nourrir, leur donner la vie ou la mort, en résumé tout vient de Lui, l’autre-que-Dieu n’existe pas.

Ke yekî hast o hîch nîst joz U^,

Vahdahu lâ ilâha illâ Hû

Qu’il n’y a que l’UN, et rien d’autre que Lui,

Lui L’unique, point de dieu hormis Lui (4)

En conséquence, il ne s’humiliera et ne s’abaissera que devant Dieu, à l’exclusion de toute autre personne ; sous aucun prétexte, il ne faillira à cette règle. Il ne fondera ses espoirs que dans la miséricorde divine et ne redoutera que le courroux de Dieu. Il ne convoitera que le bien qui lui viendra de Dieu, et ne redoutera que le châtiment de Dieu. En un mot, que ce soit dans le domaine de la connaissance ou dans celui de l’action, il se dévouera entièrement et exclusivement au service de Dieu. C’est pour cela que l’Imâm (as) établit un rapport entre la foi en l’unicité de Dieu et la sincérité envers Lui.

Quand la connaissance au sujet de Dieu parvient à ce pilier, et que Dieu, exalté soit-Il, accorde à l’homme cette station honorable qui le rend fier et qu’Il l’élève jusqu’au degré des saints (awliyâ) et des Rapprochés, c’est là qu’en toute lucidité de son incapacité, il réalisera la connaissance réelle de Dieu et appréhendera qu’il ne pourra jamais Le décrire de façon à rendre pleinement justice à Sa majesté et à Sa grandeur. Il comprendra aussi que chacune des significations dont il se sert pour qualifier Dieu et pour parler de Lui est, de façon générale, un sens qu’il a emprunté à ses observations des possibles, qui sont tous des êtres créés par Dieu.

Bien que ces significations soient en général des images mentales, limitées et contraintes, elles sont des formes qui ne sont pas homogènes, se repoussant les unes les autres. Par exemple, la science, la puissance, la vie, la subsistance, la majesté, la richesse, et autres qualités sont des concepts qui sont tous différents et distincts les uns des autres. La science est autre chose que la puissance, et inversement, chaque signification possède son champ propre. Quand, par exemple, nous nous représentons l’idée de la science, notre esprit cesse de saisir au moment même le concept de la puissance, et dans la notion de la science, nous ne retrouvons pas celle de la puissance. Les mots ont chacun une signification propre, de même que les réalités qu’ils désignent.

Et lorsque nous nous représentons la notion de la science en tant que qualité parmi d’autres, nous l’abstrayons indépendamment de l’essence qui en est ou qui en sera qualifiée. Et c’est ici que nous comprenons que ces notions, ces informations et ces perceptions sont incapables de s’appliquer au Seigneur quand elles sont envisagées dans ces limites que leur donne l’esprit humain.

Ainsi, une personne qui serait parvenue au degré de la sincérité et de la pureté ne pourra que reconnaître son inhabilité et son incapacité à décrire Dieu. Et d’ailleurs quelle incapacité ! Une déficience irrémédiable et une inaptitude irréparable ! En outre, elle est obligée de constater que la voie qu’elle avait jusqu’ici suivie dans ce domaine lui fait rebrousser chemin. Elle se repent alors de toutes les qualités qu’elle a pu attribuer à Dieu et s’empresse d’essayer de L’en dépouiller. Pour finir, elle se retrouve égarée, livrée à une perplexité de laquelle elle ne peut sortir.

Telle est l’intention de l’Imâm (as) quand il dit : « La perfection de la sincérité envers Lui consiste dans la négation des qualités à cause de ce que toute qualité témoigne qu’elle est autre que le qualifié, et du témoignage de tout qualifié qu’il est autre que la qualité ».

Si l’on prête attention à cela, on comprendra que ce commentaire que nous faisons du premier paragraphe du sermon consiste dans une signification qui corrobore celle des premiers paragraphes du sermon, parce que l’Imâm (as) y dit : « …(Un Dieu) que ne perçoit guère la portée des ambitions spirituelles lointaines, et ne s’obtient pas par les plongées des plus grands experts des fonds de l’océan, Celui à la Qualité de Qui il n’est point de limite déterminée, ni d’adjectif existant, ni de temps mesuré ni de temps prolongé. »

Mais quand l’Imâm (as) dit : « Celui qui décrit Dieu par des qualités lui attribue un homologue… », il s’agit d’une expression qui s’obtient par la voie de la décomposition et de l’analyse de la démonstration de l’attribut (wasf) et qui aboutit à la conclusion que : Dieu n’est pas limité, ni sujet au nombre. De la même façon que dans le premier énoncé, on parvenait à la conclusion par la voie de la décomposition et de l’analyse de la connaissance (ma’refat), selon laquelle : quiconque décrit Dieu par une ou plusieurs qualités, fait de Lui L’homologue de cette qualité (attribut). Cela, parce que nous avions vu précédemment que l’attribut (wasf) n’est pas le sujet (mawsûf).

Il y a une distinction nette entre les deux termes, et rassembler ces deux choses distinctes est justement la signification de les rendre homologues. « Et quiconque fait de Dieu l'homologue d’une chose aura statué sur Sa dualité » : d’une part Lui-même, de l’autre la qualité (qu’on Lui attribue). Et celui qui affirme Sa dualité, L’aura décomposé en deux parties. Et celui qui décompose Dieu Lui attribue l’ignorance et Le désigne en orientant vers Lui une allusion mentale. Et celui qui Le désigne ainsi Lui assigne une limite parce que la désignation implique une séparation du démonstrateur et du démontré. Jusqu’à ce que la désignation - même mentale -, qui est un espace entre celui qui désigne et le désigné, crée une liaison entre les deux dont un bout commence du côté du désignant et l’autre se termine du côté du désigné.

« Wa man haddah faqad ‘addah » Celui qui Lui assigne une limite, Lui assigne un nombre.

Cela signifie que l’unité de Son Essence n’est pas multiple, car le concomitant de la division, de la limite et de la distinction est d’être dénombrable.

A la transcendance de Dieu !

back to 1 Dans toute cette citation, l’Imâm considère l’Essence divine en tant que telle. Elle est indescriptible, comme nous l’avons dit. Sans rejeter bien entendu les Noms, Attributs et Actes de Dieu qui sont confirmés par le Coran et par lesquels Dieu S’est manifesté (tajallî), l’Imâm les repousse pour empêcher que certains n’aient l’illusion de connaître Dieu, alors qu'ils limitent l’Essence en la qualifiant par l'un de ces Noms. Dieu est Un (ahad), un TOUT Indissociable.

back to 2 Nahj al-Balâgha, édition de Sobhi Sâlih, p. 3. Sobhi Sâleh, Libanais, mort à la fin du XXe siècle., a réalisé une édition du Nahj Al-Balâgha (La voie de l’Eloquence), ce célèbre recueil de sermons, lettres et maximes de l’Imâm 'Alî ibn abî Tâleb (as), justement réputé pour son éloquence. L’ouvrage a été compilé par Al-Sharîf Al-Radhî, né en 970 et mort en 1015.

back to 3 Voir Nahj Al-Balâgha, Sobhî Sâleh, p. 366.

back to 4 Célèbre refrain d'un poème de Seyyed Ahmad Hâtef Esfahânî (en persan: س?د احمد هاتف اصفهان?), chanté dans les séances des tarîqa iraniennes. Hâtef Esfahânî est un poète iranien qui vécut au XVIIIème siècle, sous le règne de plusieurs rois. Il est l'auteur de poèmes dans plusieurs genres poétiques, dont l'un est le « tarji’ band », qui signifie quelque chose comme « retour de lien », et que l'on traduirait en français comme poème strophique avec refrain.

Références :
Motaharî, Mortezâ, Ashenâyî bâ Qor’ân, (Initiation au Coran), Vol. 4, p. 115 ; Shîrvânî, 'Alî, Akhlâq-e eslâmî va mabânî-ye nazarî-ye ân, (L’éthique musulmane et ses fondements théoriques), p. 124 ; Allameh Seyed Mohammad Hossein Tabâtabâ'î, commentaire du Coran intitulé Tafsîr-e Al-Mizân, traduction persane, Vol. 6, pp. 136-139.

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