L'Imam Ali, un compagnon intime pour le Prophète
Abû-l-Hasan ’Alî ibn Abî-Tâlib(AS) considéré comme étant l’un des premiers, avec la première épouse du Prophète Khadija, a avoir cru en la mission divine de Mohammad et à se convertir à la nouvelle religion révélée. Tout au long de son existence, il fut un compagnon intime du Prophète et l’accompagna dans ses multiples pérégrinations à Médine, ou encore combattit à ses côtés lors de nombreuses batailles, dont la plus fameuse reste celle de Uhud.
Il est né vers l’année 600 à la Mecque, soit environ dix ans avant le début de la Révélation prophétique. Son père, Abû Tâlib, était lui-même l’oncle du Prophète Mohammad(SAWA). Dès son enfance, ’Alî (AS) quitta le foyer familial pour suivre ce dernier et épousa sa première fille, Fâtima(SA), qui lui donna deux fils qui devinrent eux-mêmes deux Imâms vénérés du chiisme : Hassan(AS) et Hossein(AS). Il fait donc partie de Ahl al-Bayt ("les gens de la Maison", c’est-à-dire des proches du Prophète) dont l’importance spirituelle en Islam est immense. (1)
Selon les chiites, il aurait été désigné par le Prophète(SAWA) lui-même comme son successeur. Cette position fut rejetée par la future communauté sunnite, qui désigna Abû Bakr comme premier calife après la mort du Prophète(SAWA), malgré les protestations des partisans (shî’a) d’ ’Alî(AS). Ces derniers faisaient notamment valoir le lien privilégié ayant existé entre ’Alî(AS) et le Prophète(SAWA), et tiennent pour acquis que ce dernier l’aurait même, au travers d’allusions répétées, désigné comme son successeur. (2)
Au sein même de ce groupe, une faction s’insurgea contre le fait qu’’Alî(AS) n’ait pas davantage cherché à faire valoir ses droits à la succession, et cessèrent de lui apporter leur appui : on les nomma par la suite les "Kharidjites", c’est-à-dire ceux qui sortent (du rang des partisans d’ ’Alî(AS). Peu après, cette scission interne se transforma en opposition ouverte et les "sortants" engagèrent une lutte effrénée contre ’Alî(AS), lutte qui se solda par son assassinat en 661 dans le mihrab de la mosquée de Koufa, alors qu’il était en train de diriger la prière.
Très proche du Prophète(SAWA), il fut fortement influencé par ses enseignements. Le Prophète(SAWA) le tenait par ailleurs en haute estime et le considérait comme un véritable guide spirituel menant à la connaissance de la sagesse prophétique. Dans ce sens, le Prophète Mohammad (SAWA) aurait déclaré : "Je suis la cité de la connaissance et ’Alî est la porte de cette cité". (3)
En outre, dans son Mustadrak, Nîshâbûrî (4) indique que le Prophète(SAWA) aurait affirmé à son sujet : "’Alî est avec le Coran et le Coran est avec ’Alî. Ils ne se sépareront que lors de leur retour au hawd (piscine du paradis)", ou encore "Véritablement, ’Alî vient de moi et je viens de lui, il est le walî (maître spirituel) de tout croyant venant après moi". (5)
Prolongeant les enseignements du Prophète(SAWA), l’Imâm ’Alî(AS) eut par la suite un rôle central dans le développement de la jurisprudence (fiqh), la théologie (kalâm), l’exégèse coranique (tafsîr) et la rhétorique (balâgha). Plusieurs titres lui ont été donnés dont l’Imâm (guide, ou "celui qui se tient en avant"), al-Sâdiq (le véridique, le sincère), ou encore al-Murtadha (l’élu). Avec ses onze descendants, il est considéré par les chiites comme infaillible. Il est également défini comme qutb ou "pôle spirituel", et se situe au sommet de nombreuses chaînes spirituelles (salâsil) de divers ordres mystiques et soufis.
Au-delà de sa dimension historique, l’Imâm(AS) (6) est une figure religieuse et mystique centrale de la piété chiite en ce qu’il est le dépositaire de vérités ésotériques concernant le sens profond de l’ensemble des révélations prophétiques faites à l’homme. (7)
Nous touchons ici à un aspect essentiel du chiisme selon lequel au-delà de la lettre de la Révélation apportée par le Prophète Mohammad(SAWA), il existe également un sens caché et secret que tout croyant doit chercher à saisir.
Cependant, incapable de réaliser seul cette entreprise, le fidèle à besoin d’un guide pour l’initier à ses significations cachées. Ce rôle est assumé par l’Imâm(AS) (8), à la fois pôle et guide personnel de chaque croyant lui permettant d’établir un lien avec son Créateur. (9) Dans ce sens, de nombreux commentateurs chiites l’ont défini comme la "face" (wajh) par laquelle Dieu se révèle à l’homme. L’Imâm a donc une double dimension : il faut ainsi distinguer les Douze Imâms(AS) qui se sont incarnés dans l’histoire, de l’Imâm dans sa dimension métaphysique, en tant que guide invisible et personnel présent dans le cœur de chaque croyant.
Après la prophétie de Mohammad(SAWA) (nubûwwa ou nobovvat en persan), il inaugure l’entrée dans le cycle de la walâya (ou velâyat en persan, l’Imâm étant lui-même qualifié d’ "ami" (walî) de Dieu) devant aboutir à révéler "l’ésotérique de la prophétie" (bâtin al-nubûwwa). L’Imâm est ainsi une sorte de "Coran parlant" qui en explicite les significations profondes et sans qui la Révélation serait condamnée à demeurer dans le domaine du monde sensible et à rester en quelque sorte lettre morte. (10)
Source: La revue de Téhéran
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Notes
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(1) Le contenu de cette expression diffère pour les sunnites et les chiites. Dans la doctrine chiite, l’Ahl al-Bayt est en général composé du Prophète Mohammad, de sa fille Fâtima, et des douze Imâms. Ils sont également parfois surnommés les « quatorze immaculés » (tchâhârdah ma’sûm) et font l’objet de dévotions particulières. Ce « plérôme des quatorze » a également nourri les réflexions de nombreux théosophes, notamment dans le domaine de la cosmologie.
(2) Les partisans de ‘Alî ont donc été nommés les "shi’ites", terme dérivant du mot "shî’a" signifiant le parti, la faction, et donc par extension "les partisans d’‘Alî". Au sein même de ce groupe, une faction s’insurgea contre le fait que ce dernier n’ait pas davantage cherché à faire valoir ses droits à la succession, et cessèrent de lui apporter leur appui : on les appela par la suite les « Kharidjites », c’est-à-dire ceux qui sortent (du rang des partisans d’ ‘Alî).
(3) "ana madînatu-l-’ilm wa ’Alî bâbuhâ", hadîth cité dans Nîshâbûrî, Mustadrak.
(4) Hakîm al-Nîshâbûrî était un érudit musulman qui rédigea Al-Mustradrak ’alaa al-Sahîhain rassemblant et attestant l’authenticité de nombreux hadîths au début du XIe siècle.
(5) "inna ’Alî minnî wa anâ minhu", ibid.
(6) La notion d’Imâm fait ici référence à l’ensemble des Douze Imâms reconnus par les chiites duodécimains.
(7) En effet, selon le Coran, l’ensemble des révélations prophétiques sont reconnues et considérées de manière égale : "Le Messager a cru en ce qu’on a fait descendre vers lui venant de son Seigneur, et aussi les croyants : tous ont cru en Allah, en Ses anges, à Ses livres et en Ses messagers (en disant) : "Nous ne faisons aucune distinction entre Ses messagers". Et ils ont dit : "Nous avons entendu et obéi. Seigneur, nous implorons Ton pardon. C’est à Toi que sera le retour", (2:285).
(8) Les Imâms sont au nombre de douze pour les chiites duodécimains majoritaires en Iran et en Irak, et de sept pour les ismaéliens qui sont davantage présents en Inde, au Pakistan, en Syrie ou au Yémen.
(9) "Il symbolise la réalité essentielle de l’homme, son Alter Ego spirituel, d’où la sentence "Celui qui meurt sans connaître son Imâm (c’est-à-dire sans connaître son Soi), meurt de la mort des inconscients", in Daryush Shayegan, Henry Corbin, la topographie spirituelle de l’Islam iranien, Editions de la différence, 1990. Il a également une fonction hiérophanique et est le " "pôle du monde" ou "pôles des pôles" sans lequel l’existence terrestre ne pourrait subsister un instant de plus", Ibid.
(10) Si le Prophète à "fait descendre" (tanzîl) le Coran, l’Imâm a pour rôle de reconduire le croyant à sa signification première et originelle, qui se situe à un niveau ésotérique (ta’wîl) dont le nom vient de la racine arabe "awwala" et implique l’idée de reconduire, ou de faire remonter quelque chose à son origine. Sans les Imâms, la Révélation serait donc confinée à son sens littéral et extérieur, et les croyants se limiteraient à en suivre aveuglément la "lettre" sans en comprendre le sens profond.