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LE RAISONNEMENT INTELLECTUE

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1— La pensée philosophique et théologique dans le shi'isme
On a déjà dit que le Coran tient pour légitime et approuve la pensée rationelle, qu'il considère comme une partie de la pensée religieuse. La pensée rationnelle, dans son acception islamique, après avoir confirmé la prophétie de Mohammad fournit des démonstrations intellectuelles de la validité de l'aspect extérieur du Coran, comme de la validité des paroles du Prophète et de sa noble famille.

Les preuves intellectuelles qui aident l’homme à trouver des solutions à ses problèmes à travers la nature que Dieu lui a donnée, sont de deux sortes : démonstratives (burhan) et dialectiques (djadal). La démonstration est une preuve dont les prémisses sont vraies (en accord avec la réalité), même si elles ne sont pas observables ou évidentes. En d'autres termes, c'est une proposition que l'homme comprend et confirme nécessairement par l'intelligence que Dieu lui a donné, comme par exemple lorsqu'il sait que « le chiffre trois est inférieur au chiffre quatre ». Ce type de pensée est appelé pensée rationnelle; et lorsqu'elle se préoccupe des problèmes universels de l'existence, tels que l'origine et la fin du monde et de l’homme, on la nomme pensée philosophique.

La dialectique est une preuve dont les prémisses sont basées, en totalité ou en partie, sur des données observables: par exemple, le cas des fidèles d'une religion dont l'attitude consiste communément à prouver leurs vues religieuses à l'intérieur de cette religion en avançant les principes certains et évidents de cette dernière.

Le Coran a utilisé les deux méthodes, et plusieurs vérsets du Livre Sacré relèvent de ces deux sortes de preuve. Premièrement,le Coran ordonne la recherche libre et la méditation sur les principes généraux de l'ordre cosmique, ainsi que sur des ordres particuliers tels que les cieux, les étoiles, le jour et la nuit, la terre, les plantes, les animaux, les hommes, etc... II loue, dans un langage des plus éloquents, l'investigation rationelle de ces sujets. Deuxièmement, il invite l’homme à mettre en œuvre la pensée dialectique qui habituellement est appelée discussion théologique (Kalâmi) (1), pourvu qu'elle soit menée de la meilleure manière possible, c'est-à-dire dans le but de manifester la vérité sans querelle, et par des hommes qui possèdent les vertus morales nécessaires. II est dit dans le Coran: «Appelle (les hommes) dans le chemin de ton Seigneur par la sagesse et une belle exhortation. Discute avec eux de la meilleure manière» (Coran XVI, 125).

2- L 'initiative shi'ite dans la philosophie et le kalam en Islam
Quand à la théologie, Kalâm, il est clair que dès le début, quand les shi'ites se séparèrent de la majorité sunnite, ils se mirent à débattre avec leurs opposants au sujet de leur point de vue particulier. II est vrai qu'un débat a deux côtés et que les deux partis y prennent part. Toutefois, les shi'ites prenant l'initiative, passèrent continuellement à l'offensive, alors que l'autre parti se tint sur la défensive. Dans le développement graduel du «Kalâm»,qui atteignit son apogée au 2ème/8ème siècle, avec l'expansion de l'école mu'ta-zilite, des savants shi'ites et des hommes de science, disciples de l'école de la famille du Prophète furent au nombre des maitres les plus célèbres du Kalâm (2). Qui plus est, la chaine des théologiens du monde sunnite, qu'ils soient Asharites, Mutazilites, ou autres, remonte au premier Imam des shi'ites, Ali.

Quant à la philosophie (3), ceux qui connaissent les dits et les œuvres des Compagnons du Prophète (parmi lesquels 12.000 furent enregistrés) savent qu'on n'y trouve pratiquement aucune discussion sérieuse de questions philosophiques. Seules les admirables paroles métaphysiques d'Ali contiennent la pensée philosophique la plus profonde.

Les Compagnons et les savants qui les suivirent, et en fait les Arabes de cette époque en général, n'étaient pas habitués à la libre discussion philosophique. Il n'y a aucun exemple de pensée philosophique dans les ceuvres des savants des deux premiers siècles. Seules les paroles profondes des Imams shi'ites, du premier et du huitième en particulier, contiennent un trésor inépuisable de méditations philosophiques. Ce sont eux qui familiarisèrent quelques-uns de leurs élèves avec cette forme de pensée.

Les Arabes ignoraient la pensée philosophique, jusqu'à ce qu'ils en connurent des exemples au 2ème/8ème siècle, par la traduction de certaines œuvres philosophiques en Arabe. Plus tard, pendant le 3ème/9ème siècle, de nombreux écrits philosophiques furent traduits en Axabe à partir du grec, du syriaque et d'autres langues et à travers ces écrits, la pensée philosophique atteignit un vaste public. Pourtant, la plupart des juristes et des théologiens ne considérèrent pas la philosophie et les autres sciences intellectuelles nouvelles venues favorablement. Au début, grâce à l'intérêt que les autorités portaient aux sciences, leur opposition n'eut pas d'effet considérable. Mais les conditions se modifièrent rapidement et des ordres très stricts conduisirent à la destruction de nombreuses œuvres philosophiques. Les Epitres des ((Frères de la Pureté», œuvre d'un groupe d'auteurs inconnus, constituent un rappel de ces jours et attestent des conditions défavorables de cette époque. Après cet période difficile, la philosophie fut revivifiée au début du 4ème/10ème siècle par le célèbre philosophe, Abu Nasr al Farabi. Au 5ème/11ème siècle grâce à l'œuvre du très célèbre philosophe Ibn Sina (Avicenne), la philosophie péripatéticienne atteignait son plein épanouissement. Au 6ème/12ème siècle le cheikh Shihab al Din Sohrawardi systématisa la philosophie de l'Illumination (Hikmat ul ishiaq), ce qui lui valut d'être exécuté sur l'ordre de Salah-el Din Ayyubi. Par la suite, la philosophie cessa d'exister dans la majorité musulmane sunnite. II n'y eut plus de philosophe de marque, sauf en Andalousie, aux confins du monde islamique où, à la fin du 6ème/12ème siècle, Ibn Rushd (Averroês) chercha à faire revivre l'étude de la philosophie (4).

3- Les contributions shi'ites à la philosophie et aux sciences rationnelles
De même qu'il joua dès le début un rôle effectif dans la formation de la pensée philosophique islamique, de même le shi'isme fut un facteur essentiel dans le développement ultérieur et la diffusion de la philosophie et des sciences islamiques. Si la philosophie s'éteignit dans le monde sunnite, après Ibn Rushd, par contre elle survécut dans le shi'isme. A la suite d'Ibn Rushd, apparurent de brillants philosophes tels Khadjah Nasir al Din Tussi, Mir Damad et Sadr al Din Shirazi, qui étudièrent, développèrent et exposèrent la pensée philosophique.

De même, dans les autres sciences rationnelles apparurent plusieurs figures remarquables dont Nasir al Din Tussi (qui fut à la fois philosophe et mathématicien) et Birdjandi qui fut également un mathématicien hors pair.

Toutes les sciences et en particulier la métaphysique ou théosophie (falsafah-yé ilahi ou hikmate-ilahi) firent des progrès notables grâce aux efforts infatigables des savants shi'ites. On le constate en comparant les œuvre de Nasir al Din Tussi, Shams al Din Turkah, Mir Damad et Sadr al Din Shirazi aux écrits de leurs prédécesseurs (5).

4 - Pourquoi la philosophie continua-t-elle à vivre dans le shi'isme
On sait que le facteur décisif dans l'apparition de la pensée philosophique et métaphysique au sein du shi'isme, et à travers le shi'isme, dans d'autres milieux islamiques, fut l’heritage de connaissances laissées par les Imams. La persistance et la continuité de la pensée philosophique est due à la vénération et au respect des shi'ites pour l'héritage des Imams. Pour attester cela, il suffit de confronter le trésor de connaissance laissée par la famille du Prophète avec les œuvres philosophiques écrites au cours des siècles. Dans cette comparaison. on constate clairement que la philosophie islamique n'a cessé de se rapprocher toujours plus, au fil des années, de cette source de connaissance jusqu'à ce qu'au 11ème/17ème siècle la philosophie islamique et l’héritage des Imams convergèrent plus ou moins parfaitement. Ils ne se distinguèrent plus que par certaines différences d'interprétation relatives à quelques principes de philosophie.

5- Certaines figures intellectuelles remarquables du shi'isme
a) Thiqat al islam Mohammad ibn Yaqub Kulayni (m. 329/940) est la première personne au sein du shi'isme, à avoir séparé les hadiths shi'ites des livres appelés «Principes» (Usul) et à les avoir classés et organisés selon les chapitres de la jurisprudence et les articles de foi (chacun des savants shi'ites du hadith avait rassemblé les paroles qu'il avait recueillies des Imams en un livre appelé Asl ou «principe»). Le livre de Kulayni, connu sous le titre de «Kafi», se divise en trois parties: Principes, Branches et articles divers, et contient 16.199 hadiths. II constitue le livre de hadiths le plus célèbre et le plus digne de fois connu dans le monde shi'ite.

Trois autres ceuvres complètent le Kafï. Ce sont le livre du juriste cheikh Saduq Mohammad Ibn Babeviyh Qommi,(m. 381/991) et les livres «Kitab el Tahdhib» et «Kitab al Istibsar», tous deux du cheikh Mohammad Tussi (m. 460/1068).

b) Abul qasim Jafar Ibn Hassan Ibn Yahya Hilli (m. 676/1277), connu comme le Mohaqqiq, fut un génie remarquable en jurisprudence. II

est considéré corrune le plus éminent juriste shi'ite. Parmi ses chefs-d'ceuvies,

Il y a le «Kitab-i-mukhtasar-i-nafi» et le «Kitab Sharayi» qui depuis sept cents ans n'ont cessé d'être considérés avec grand intérêt et émerveillement par les juristes shi'ites.

A la suite de Mohaqqiq, nous devons mentionner Shahid-i-Awwal Shams al Din Mohammed Ibn Makki, qui fut tué à Damas en 786/1384, aprês avoir été accusé de professer le shi'isme. Parmi ses chefs-d'oeuvres juridiques figure le Lumah-i-Dimashqiyah qu'il écrivit en prison en sept jours. Nous devons également mentionner le cheikh jafar Kashif al Ghita Nadjafi (m. 1227/1809) auteur, parmi d'autres ouvrages juridiques remarquables, du «Kitab Kachf al Ghita».

c) Le Cheikh Mortada Ansari Shushtari (m. 1281/1864) réorganisa la science des principes de jurisprudence sur de nouveaux fondements et formula les principes pratiques de cette science. Pendant plus d'un siècle, son école a été suivie diligemment par les savants shi'ites.

d) Khadjah Nasir al Din Tussi (m. 672/1274) est le premier à avoir fait du Kalam une science complète et précise. Parmi ses chefs-d'oeuvres dans ce domaine, figure le Tadjrid al Kalâm qui a conservé son autorité parmi les maitres de cette discipline pendant plus de sept siècles. De nombreux commentaires en ont été écrits aussi bien par les shi'ites que par les sunnites.
Outre son génie dans la science du Kalâm, il fut une des figures les plus remarquables de son époque en philosophie et en mathématiques, comme en témoigne son apport précieux aux sciences intellectuelles. De plus, l'observatoire de Maragheh lui doit son existence.

e) Sadr al Din Mohammad Shirazi (m. 1050/1640) connu sous le nom de Mollah Sadra ou encore Sadr al Motaallihin, fut le philosophe qui, pour la première fois, après des siècles de développement philosophique en Islam, introduisit un ordre rigoureux et une complète harmonie dans la discussion des problèmes philosophiques. II organisa et systématisa ces derniers à la
manière de problèmes mathématiques, en même temps qu'il concilia philosophie et gnose, provoquant ainsi plusieurs développements importants. II donna à la philosophie de nouvelles méthodes pour aborder et répondre à beaucoup de problèmes qui ne pouvaient être résolus par la philosophie péripatéticienne. Il rendit possibles l'analyse et la solution de certains problèmes relatifs à la mystique considérée jusqu'alors comme ressortant d'un domaine supérieur à celui de la raison, dépassant la compréhension de la pensée rationnelle. II clarifia et élucida le sens de beaucoup de trésors de sagesse contenus dans les sources exotériques de la religion et dans les profondes expressions métaphysiques des Imams de la famille du Prophète, qui durant des siècles avaient été considérés comme des énigmes insolubles et courammant prises pour des allégories ou même pour des expressions symboliques. De cette manière, la gnose, la philosophie et l'aspect exotérique de la religion furent parfaitement harmonisés...

En suivant les méthodes qu'il avait instaurées, Molla Sadra réussit à prouver «un mouvement transsubstantiel» (6) et à découvrir parmi d'autres principes remarquables la relation ultime du temps avec les trois dimensions spatiales, d'une manière proche du sens donné en physique moderne à la «quatrième dimension», et qui ressemble aux principes généraux de la théorie de la relativité (relativité dans le monde corporel), bien sûr, hors de l'esprit «zihn», et non dans la pensée «fikr»). II écrivit près de cinquante livres et traités . Parmi ses grands chefs-d'œuvres il y a les quatre volumes de l'Asfar.

II faut noter qu'avant Molla Sadra certains penseurs comme Sohrwardi, le philosophe du 6/12ème siècle, auteur de la «hikmat-al ishraq», et Shams al Din Turkah, un philosophe du 8ème/14ème siècle, s'étaient efforcés d'harmoniser, gnose, philosophie et religion exotérique; mais c'est à Molla Sadra que l'on doit le parfait succès de cette entreprise.

Notes du chapitre IV :
1)- Note de l'éditeur : Le Kalâm est une discipline spéciale en Islam; le mot est habituellement rendu dans les langues européennes comme la théologie, bien que le rôle et l'étendue du Kalâm et de la théologie ne sont pas les mêmes. Désormais, le mot Kalâm lui-même, qui petit à petit s'utilise en français, sera utilisé sous sa forme originale arabe et ne sera pas traduit.

2)- Ibn Abi'l-Hadid, début du vol.I.

3)- Note de l'éditeur: comme noté précédemment, la philosophie dans ce contexte signifie la philosophie traditionnelle qui est basée sur la certitude et non la philosophie spécifiquement moderne qui commence avec le doute et limite l'intellect à la raison.

4)- Ces questions sont amplement traitées dans l'Akhbâr al-hukamâ' d'Ibn al-Qifti, Leipzig, 1903 ; le Wafayât al-a'yân et les autres biographies de savants.

5)- Note de l'éditeur: ce sont tous des philosophes éminents de la dernière période (du 7e13e au 11e/17siècle), presque inconnus en Europe excepté Tusi qui est toutefois plus connu pour ses ouvrages de mathématiques que pour sa contribution à la philosophie.

6)- Note de l'éditeur : les premiers philosophes musulmans croyaient, comme Aristote, que le mouvement est possible seulement dans les accidents des choses, et non dans leur substance. Mulla Sadra affirme, au contraire, que chaque fois que quelque chose participe à un mouvement (dans le sens de la philosophie médiévale), sa substance subit un mouvement et pas seulement les accidents. II y a donc un devenir à l'inténeur des choses par lequel elles montent jusqu'aux plus hauts ordres de l'existence universelle. Cette conception ne doit toutefois pas être confondue avec la théorie moderne de l'évolution.

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