Le site des Imams Al Hassan et Al Houssein pour le patrimoine et la pensseé islamique.

L'Imam caché

2 votes 04.5 / 5
L'Imam caché
: L'Imam caché / auteur :Charles d'Hooghvorst
ô Allah ! Prie sur Mohammed et sur les gens de sa Famille

Extrait du Livre d'Adam, Editions Beya, 2008, p. 185.

auteur :Charles d'Hooghvorst

Les musulmans shî‘ites, qui ont occupé principalement les provinces d’Iran, rapportent que, même si Mahomet fut le dernier prophète à avoir révélé une loi religieuse ( sharî‘a ), il a cependant eu douze descendants que l’on connaît sous le nom d’imams. Ces imams sont les guides qui initient leurs disciples et les conduisent jusqu'au sens caché ( bâtin ) des révélations prophétiques ( zâhir ). L'imam a pour mission d'enseigner le sens ésotérique de la « lettre » coranique et de guider les fidèles vers le sens spirituel.

L'IMAM CACHE
Le Coran est l'imam1 silencieux, l'imam est le Coran qui parle.

Henry Corbin fut le premier à réaliser une étude monumentale sur le shî`isme iranien, dans un ouvrage qui est d'un grand intérêt pour les lecteurs2. Sa compétence, son objectivité et sa profondeur suscitent l'admiration de tous ceux qui désirent se plonger dans la richesse de l'enseignement de l'islam shî`ite.

Les musulmans shî`ites, qui ont occupé principalement les provinces d'Iran, rapportent que, même si Mahomet fut le dernier prophète à avoir révélé une loi religieuse (sharî`a ) - et en cela, ils rejoignent les musulmans orthodoxes appelés sunnites ou traditionnels -, il a cependant eu douze descendants que l'on connaît sous le nom d'imams. Ces imams sont les guides qui initient leurs disciples et les conduisent jusqu'au sens caché (bâtin ) des révélations prophétiques (zâhir ).

L'imam a pour mission d'enseigner le sens ésotérique de la « lettre » coranique et de guider les fidèles vers le sens spirituel, intérieur, de la révélation littérale, annoncée par le prophète.

Le zâhir pourrait être comparé à ce que les juifs et les chrétiens appellent la « lettre », alors que le bâtin représente le sens spirituel ou messianique.

Il faut donc savoir que si les révélations prophétiques contiennent un substrat caché, quelque chose que le prophète n'a pas la mission de révéler, il reviendrait à l'imam d'enseigner cette gnose.

Si l'imam ne vous a pas guidé lui-même vers ces choses, s'il n'y a pas en vous l'aptitude à les comprendre, toutes les paroles que l'on peut vous adresser de l'extérieur frapperont en vain votre oreille3.

Le premier de ces imams fut `Alî, l'émir des croyants, le cousin du prophète et l'époux de Fâtima, sa fille. Il est le premier héritier spirituel du prophète. Les deuxième et troisième sont les fils de `Alî et de Fâtima. A partir du quatrième imam, la succession s'effectue par la lignée paternelle. Tous sont morts martyrs, sauf le dernier, le douzième, qui disparut mystérieusement.

La lignée de ces douze imams est confirmée par de nombreuses sources traditionnelles ou ahâdîth4. Citons, par exemple, celle où le prophète Mahomet lui-même déclare que les imams qui lui succéderont seront au nombre de douze. Le premier est `Alî ibn Abî Tâlib et le douzième « le Résurrecteur », al Qâ'im, appelé encore al Mahdî, littéralement « le Guidé » (qui, pour cette même raison, est al Hâdî, « le Guide »), par la main duquel Dieu fera conquérir l'Orient et l'Occident de la terre.

Un autre hadîth rapporte que le nombre d'imams correspond à celui des mois de l'année, ou au nombre des sources que le bâton de Moïse fit jaillir en frappant le rocher de Horeb, ou encore à celui des tribus d'Israël.

S'adressant à son propre wâçî ou « héritier spirituel », le prophète déclare : O Alî ! les imams guidés et guides, tes descendants les très-purs, seront au nombre de douze [c'est-à-dire onze avec toi]. Tu es le premier ; le nom du dernier sera mon propre nom [Mahomet] ; quand il paraîtra, il remplira la terre de justice et d'harmonie, comme elle est maintenant remplie d'iniquité et de violence [...].

Il combattra pour reconduire au sens spirituel comme j'ai moi-même combattu pour la révélation du sens littéral 5.

Une autre révélation rapporte :
[...] une tablette d'émeraude apportée [...] par l'ange Gabriel [...] au prophète et donnée par lui en présent à sa fille [on se rappellera ici le thème de la Table d'émeraude dans la tradition hermétiste]. Cette tablette d'émeraude portait en lignes d'écriture dont l'or flamboyait comme la lumière du soleil, les noms du prophète et de ses douze imams6.

Parmi les envoyés, ou nabiyy mursal, il y a sept grands prophètes. Ce nombre est évidemment symbolique, tout comme le nombre d'imams.Les sept prophètes sont Adam, Noé, Abraham, Moïse, David, Jésus et Mahomet, qui correspondent aux sept sphères planétaires traditionnelles. Chacun des sept prophètes, envoyé avec un livre, est suivi de douze imams, de même que les sept planètes s'inscrivent dans les douze signes du zodiaque.

L'imamologie shî`ite connaît les noms de tous les imams correspondant à chaque prophète. Nous ne ferons mention que des premiers : Seth pour Adam ; Sem pour Noé ; Ismaël et Isaac pour Abraham ; Aaron et Josué pour Moïse ; Salomon pour David ; pour Jésus, Simon Pierre, puis la lignée qui aboutit à Bohayra ou Bahîra, moine chrétien que Mahomet rencontra lors d'un voyage, et qui le confirma dans sa vocation prophétique.

Les douze imams du Christ, ou les douze apôtres, se présentent ici successivement, et non simultanément comme dans le christianisme. Ils représentent la transmission du message jusqu'à la manifestation d'un autre prophète.

Examinons plus en détail la fonction de l'imam par rapport à celle du prophète, dans la doctrine shî`ite.

La principale distinction entre le bâtin, « sens spirituel » et le zâhir, « sens littéral », est en corrélation avec les différentes fonctions de l'imam et du prophète.

Il s'agit de l'ésotérisme et de l'exotérisme, qui ne peuvent exister séparément. Le prophète et l'imam sont deux flammes issues d'une seule et même lumière. Comme nous l'avons dit auparavant, la fonction de l'imam consiste à transmettre l'aspect ésotérique de la mission du prophète. Le prophète représente la lettre de la révélation, et l'imam en représente l'esprit, mais ils ne peuvent en aucun cas être séparés l'un de l'autre.

La loi religieuse positive possède un sens secret, une vérité gnostique, mais elle doit s'appuyer sur l'écriture prophétique. On ne peut séparer le contenu du contenant.

Cette affirmation, fondamentale dans l'imamologie shî`ite, s'accorde parfaitement avec ce que les juifs enseignent sur le mariage de la tradition écrite et de la tradition orale.

La patristique chrétienne a, elle aussi, souvent insisté sur ce point : « L'esprit n'est pas séparé de la lettre, il est contenu et caché en elle ». La lettre est bonne et nécessaire parce qu'elle mène à l'esprit : « Elle est un outil et son serviteur ». On pourrait dire, métaphoriquement, que la transparence de l'esprit ne se fait que par la présence de la lettre.

D'une part, le rejet de la lettre mène au délire du songe mystique ; d'autre part, le rejet de l'esprit maintient le croyant dans la prison pharisaïque de l'histoire, des rites et des prescriptions littérales. On ne peut maintenir le ciel et la terre séparés.

S'il est vrai que le prophète Mahomet eut comme successeurs spirituels les douze imams, pourrait-on penser qu'il n'y a eu personne après le douzième imam pour guider le fidèle shî`ite et pour l'initier à la gnose du Coran ?

Pour répondre à cette question, il faut comprendre ce que représente le douzième imam de la tradition shî`ite. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer la merveilleuse histoire d'amour et la rencontre entre la princesse chrétienne Narkès, fille de l'empereur de Byzance et descendante de Simon Pierre, et le jeune Hasan al-`Askarî, le onzième imam ; ni comment cette union fut bénie par le Seigneur Christ et par le prophète Mahomet ; ou comment naquit, de manière tout à fait surnaturelle, le douzième et dernier imam : la figure mystérieuse appelée le « Résurrecteur » (Qâ'im), le « Guidé » ( Mahdî), l'« attendu », la « preuve » ou le « garant de Dieu », le maître invisible de ce temps, l'imam caché 7.

Né à Samarra, en Irak, en 869, le douzième imam disparut le 24 juillet 874, le jour même de la mort de son père. Il avait alors cinq ans, mais son apparence était celle d'un homme parfait. C'est à ce moment que commence le temps de l'« occultation » du douzième imam :

Pendant les quelques soixante-dix ans que va durer l'« occultation mineure », l'imam sera invisible non seulement au commun des hommes mais à ses adeptes ; avec ces derniers cependant, il communiquera par l'intermédiaire de quatre délégués ou mandataires, qui se succéderont les uns aux autres. Leurs noms et leurs personnes sont connus en détail dans les livres shî`ites [...]8.

Au terme des soixante-dix ans commence la période de l'« occultation majeure », qui dure encore actuellement. C'est l'histoire secrète du douzième imam, l'imam caché.

Après plus de dix siècles, la figure du douzième imam domine toujours toute la conscience religieuse shî`ite, qui vit dans l'attente du moment final de la résurrection de toutes les choses, le moment de la parousie9 de l'imam, appelé pour cette raison le « Résurrecteur »10.

Le même imam affirme dans son dernier message avant l'« occultation majeure » :

Il se lèvera des gens qui prétendront m'avoir vu matériellement. Attention ! Celui qui prétendra m'avoir matériellement vu avant les événements de la fin, celui-là sera un menteur et un imposteur11.

Les théologiens shî`ites prétendent que cet avertissement de l'imam a pour objet de discréditer d'avance toute tentative des agitateurs ou aventuriers qui tenteraient d'utiliser la personne de l'imam à des fins politiques.

En revanche, il faut savoir que l'imam n'a jamais cessé de se manifester en privé.

Beaucoup d'hommes, écrit l'un de nos théologiens 'Ali Asghar Borûjardî, ont vu la beauté parfaite de cet élu (le douzième imam), mais ils ne l'ont reconnu qu'ensuite, après qu'il les eût quittés12.

L'imam caché est aussi l'imam « attendu » ou l'imam « de ce temps », et c'est pourquoi il est présent dans le cœur de ses enfants qui, ainsi, ne sont pas dépourvus de guide. Lui les voit, mais eux ne le voient pas. Le sens profond de l'occultation est que « ce sont les hommes qui ont eux-mêmes voilé l'imam, ils se sont rendus incapables ou indignes de le voir ». Attendre l'imam c'est attendre sa parousie. C'est pour cette raison que lorsque le fidèle shî`ite nomme l'imam caché, il n'oublie jamais d'ajouter : « Que Dieu hâte pour nous la joie de sa venue ! »

Il y a lieu ici de souligner la différence entre l'imam

caché des shî`ites, c'est-à-dire le guide personnel « invisible aux sens, mais présent dans le cœur », et le maître investi d'une fonction, comme par exemple la personne du shaykh soufi13 dans son tariqat, ou le gourou en Inde.

L'imam caché représente l'initiateur. Le sixième imam affirmait :
Nous, les imams, nous sommes les sages qui instruisons ; nos shî`ites, ce sont ceux qui sont initiés par nous ; quant au reste, c'est l'écume roulée par le torrent14.

Certains traités shî`ites l'identifient à Melchisédech, ou au Paraclet 15 annoncé dans l'Evangile selon saint Jean :

Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre intercesseur (paraklêtos) pour être avec vous à jamais, l'Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu'il ne le voit ni ne le connaît. Mais vous, vous le connaissez, parce qu'il demeure chez vous et qu'il est en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins ; je reviendrai vers vous. Encore un peu et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez, parce que moi, je vis et que vous aussi, vous vivrez. En ce jour-là, vous reconnaîtrez, vous, que moi je suis en mon Père, et vous en moi, et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c'est celui-là qui m'aime, et celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et moi aussi, je l'aimerai et me manifesterai à lui [...]. Je vous ai dit ces choses, quand je demeurais auprès de vous. Mais l'intercesseur (paraklêtos), l'Esprit Saint, qu'enverra le Père en mon nom, lui vous enseignera toutes choses (Jean xiv, 16 à 26).

Voilà la manifestation de l'imam attendu. Dans le Coran, on trouve aussi un verset qui fait allusion à ce mystère :

Jésus, fils de Maryam, disait : O enfants d'Israël ! je suis envoyé de Dieu vers vous, confirmant la Torah qui est dans vos mains, et annonçant un envoyé qui viendra après moi et dont le nom sera Ahmad 16 (Coran lxi, 6).

L'exégèse islamique courante préfère lire periklytos à parakletos dans le texte de l'Evangile selon saint Jean que nous venons de citer. Periklytos signifie le « très loué », le « très glorieux », dont l'équivalent en arabe est Ahmad ou Muhammad (Mahomet).

Ainsi, selon cette exégèse, le Paraclet annoncé par Jésus est bien le prophète Mahomet.

Cependant, l'exégèse shî`ite reporte l'annonciation du Paraclet sur l'imam de la résurrection, l'imam caché, qui s'appelle également Muhammad, descendant du prophète Mahomet et qui, par ailleurs, en parle comme d'un autre lui-même17.

Dans un hadîth, le prophète parle du premier imam en le désignant comme son frère, et parle du douzième comme s'il était son enfant.

L'interlocuteur lui demande : Ô envoyé de Dieu ! qui est ton enfant ? - Le Mahdî 18, celui en vue duquel j'ai été missionné comme annonciateur19.

Le prophète déclare aussi dans un autre hadîth :
S'il ne restait à ce monde qu'un seul jour de durée, Dieu allongerait ce jour pour y susciter un homme de ma descendance dont le nom sera mon nom et dont le surnom mon surnom [...]20.

Il combattra pour reconduire au sens spirituel, comme j'ai moi-même combattu pour la révélation du sens littéral21.

[...]

Le Paraclet annoncé ne serait pas l'énonciateur d'une nouvelle loi, mais celui qui révélerait le sens intérieur, ésotérique, de toutes les lois anciennes.

Or le prophète Mahomet avait apporté une loi nouvelle, tandis que la mission dévolue au douzième imam est la révélation du sens caché22.

Haydar Amolî, un des grands maîtres shî`ites du xive siècle, disciple de ibn `Arabî, commente le hadîth que nous venons de citer, et qui annonce l'imam de la résurrection :

C'est à cela même que fit allusion Jésus lorsqu'il dit : Nous vous apportons la lettre de la révélation. Quant à son interprétation spirituelle, c'est le Paraclet qui vous l'apportera à la fin de ce temps23.

Or le Paraclet en terminologie des chrétiens, c'est l'imam attendu (le Mahdî ) des musulmans shî`ites. Le fond de la pensée du prophète est donc :

[...] C'est le Paraclet qui vous apportera le sens spirituel et la vraie compréhension du Coran, de même que je vous en ai apporté la révélation de la lettre et l'exégèse littérale, parce que le Coran comporte un sens exotérique et un sens ésotérique, une exégèse littérale et une exégèse spirituelle [...].

[...]

Il résulte donc en toute clarté que le Paraclet annoncé par Jésus n'est autre que le douzième imam, présentement invisible, annoncé par le prophète Mahomet ; c'est à l'Imam-Paraclet, comme l'ont dit aussi bien Jésus que Mahomet, de révéler le sens caché de la révélation [...]24.

Adossé au temple saint de la Ka'ba, l'imam proclame que quiconque veut argumenter avec lui au sujet d'Adam, sache qu'il est, lui, l'imam, de tous les humains le plus proche d'Adam. Il répète la même affirmation à propos de tous les prophètes : « Je suis le plus proche de Noé, d'Abraham, de Moïse, de Jésus, de Mahomet. Je suis le plus proche du Coran, le plus proche de la tradition du prophète ». Ou, avec plus de force encore, nommant successivement la bi-unité formée par chaque prophète et son premier imam :

« Que celui dont la conscience est fixée sur Adam et Seth [fils et imam d'Adam], sache que je suis Adam et Seth ». Ainsi de suite : « Je suis Noé et Sem ; je suis Abraham et Ismaël ; je suis Moïse et Josué ; je suis Jésus et Sham'ûn [Simon] ; je suis Mahomet et l'émir des croyants [`Alî, le premier imam] ; je suis Hasan [deuxième imam] et Husayn [troisième imam] ; je suis tous les imams. Quiconque a lu les anciens livres de Dieu, les livres d'Adam, de Noé et d'Abraham, la Torah, les Psaumes et l'Evangile, doit me reconnaître, car tous ces livres parlent de moi [...]. [...] Je suis celui qui dans l'Evangile est appelé &Elie25.

Il est aussi écrit dans l'Evangile :

Je ne vous laisserai pas orphelins ; je reviendrai vers vous. Encore un peu et le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez (Jean xiv, 18 et 19).

C'est la parousie du Christ, son retour annoncé, la venue de l'initiateur, la manifestation de celui qui ressuscite ; c'est celui qui enseigne le vrai sens de l'Ecriture.

Le fait de connaître le sens de l'Ecriture suppose celui d'avoir été initié à une gnose, à une connaissance. C'est pourquoi, les imams ont dit : « Celui qui nous connaît, connaît son Seigneur », se faisant l'écho de la phrase : « Celui qui se connaît lui-même, connaît son Seigneur », et aussi : « Celui qui disparaît sans connaître son imam, meurt de la mort des inconscients ».

Le pèlerin qui chemine dans la nuit de la quête vient en secret, et c'est alors que se lève l'aurore. Cette nuit sainte est appelée la « nuit du destin », dont parle le Coran :

Au nom du Dieu très miséricordieux, très compatissant, en vérité, nous l'avons révélé dans la nuit du destin.

Et qui est celui qui te fera savoir ce qu'est la nuit du destin ? La nuit du destin est meilleure que mille mois !

Les anges et l'esprit [l'ange Gabriel] descendent du ciel avec la permission de leur Seigneur, chargés de régler l'ordre.

C'est une nuit de paix jusqu'au lever de l'aurore (Coran, xcvii).

Ce sont les versets qui furent récités dès sa naissance [du douzième imam], concernant l'imam de ce temps, précisément parce qu'il est cette nuit 26.

Quand l'imam se manifeste, le livre s'ouvre, et alors le Coran n'est plus « silencieux », mais « parlant ». C'est la parousie de l'imam : il rend le sens perdu. Il est écrit dans les Evangiles : « Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Ecritures » (Luc xxiv, 45). La parousie de l'imam attendu, c'est la Présence divine. Pour les cabalistes juifs, c'est le Messie qui revient et qui enseigne comment il faut lire les saintes Ecritures.

Comment ne pas être surpris de l'extraordinaire similitude entre la parousie de l'imam et celle du Christ après sa résurrection, lors de sa manifestation aux disciples d'Emmaüs, par exemple27 ? Nous lisons dans l'Evangile :

Or, comme ils conversaient et discutaient, Jésus en personne s'approcha, et fit route avec eux ; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître [...].

Alors il leur dit : « O cœurs sans intelligence, lents à croire à tout ce qu'ont annoncé les prophètes ! » [...]

Et, partant de Moïse et de tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Ecritures ce qui le concernait [...].

Or, une fois à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis il le rompit et le leur donna. Leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent [...], mais il avait disparu de devant eux (Luc xxiv, 15 à 29).

Nous avons cité précédemment ces paroles de l'imam :

Quiconque a lu les anciens livres de Dieu, les livres d'Adam, de Noé et d'Abraham, la Torah, les Psaumes et l'Evangile, doit me reconnaître, car tous ces livres parlent de moi28.

Que Dieu hâte pour nous la joie de sa venue !

Nous reproduisons ci-dessous une des prières que les pèlerins, dans leur quête, adressent au mystérieux personnage du douzième imam, la prière du pèlerin qui implore le retour de l'imam caché :

Salut sur toi, ô khalife de Dieu et khalife de tes pères les bien guidés. Salut sur toi, héritier des héritiers spirituels des temps passés [...], Rejeton de la famille Immaculée29, Mine des connaissances prophétiques, Seuil de Dieu à qui l'on n'accède qu'en le franchissant, Voie de Dieu que l'on ne peut quitter sans s'égarer. Toi qui contemples l'arbre Tûbâ et le Lotus de la limite [...], Garant de Dieu pour les célestes et les terrestres, le salut soit sur toi, de ceux qui te reconnaissent tel que Dieu leur a fait te connaître, et qui te décernent quelques-unes des qualifications que tu mérites, bien que tu sois au-dessus d'elles.

J'atteste que tu es le Garant de Dieu pour ceux des temps passés et ceux des temps à venir ; que les triomphants, ce sont tes adeptes, et les frustrés, ceux qui te rejettent. Tu es celui qui conserve toute connaissance, celui qui fait s'ouvrir tout ce qui était scellé [...]. O mon suzerain ! je t'ai choisi comme imam et comme guide, comme protecteur et comme instructeur et je ne désire personne à ta place.

J'atteste que tu es la vérité constante en laquelle il n'y a point d'altération ; certaine est la promesse divine te concernant ; si longue soit ton occultation, si éloigné le délai, je n'éprouve aucun doute ; je ne partage pas l'égarement de ceux qui, par ignorance de toi, disent des folies sur toi. Je reste dans l'attente de ton jour, car tu es l'intercesseur sur lequel on ne discute pas, tu es l'ami que l'on ne renie pas [...].

J'en atteste Dieu ! J'en atteste ses anges ! Je te prends toi-même à témoin de mon vœu : il est intérieurement tel qu'il est extérieurement, il est dans le secret de ma conscience tel que ma langue le profère. Sois donc le témoin de ma promesse envers toi, du pacte de fidélité entre toi et moi [...], tel que me le commande le Seigneur des mondes. Dussent les temps se prolonger, dussent les années de ma vie se succéder, je n'en aurai sur toi que plus de certitude, pour toi que plus d'amour, en toi que plus de confiance. Je n'en attendrai que davantage ta Parousie et ne m'en tiendrai que plus prêt encore pour le combat à mener près de toi.

Car ma personne, mes biens, ma famille, tout ce que mon Dieu m'a accordé en ce monde, je t'en fais don à toi pour que tu en disposes, ô mon imam !

Si ma vie dure assez pour que je voie se lever ton jour éclatant et briller tes étendards, alors, me voici, moi, ton fidèle. Qu'il me soit donné de rendre à tes côtés le suprême témoignage ! Mais si la mort m'atteint avant que tu n'aies paru, alors je te demande à toi, ton intercession, la tienne et celle de tes pères, les imams immaculés, afin que Dieu me mette au nombre de ceux à qui il accordera de revenir à l'heure de ta Parousie lorsque ton jour se lèvera, afin que mon dévouement pour toi me conduise au terme de mon désir 30.

En guise de conclusion, nous citons un passage de Corbin qui fait allusion au retour de l'imam caché :

Tout se passe comme si la résurrection ne pouvait être annoncée qu'en éveillant l'alarme de tous ceux qui se sont emparés de « la chose divine » ou de « la cause divine » pour asservir les hommes aux desseins de leur ambition de séquestrer le destin personnel de chaque être.

Une tradition remontant au cinquième imam, Muhammad al-Bâqir, nous montre le dernier imam, « le Résurrecteur », se dirigeant vers la ville de Koufa. Alors voici que sort de la ville à sa rencontre un cortège de plusieurs milliers d'hommes. Il n'y a là que des gens très bien : des lecteurs professionnels du Coran, des docteurs de la Loi etc., bref tout ce que la piété officielle a pu constituer socialement en dévots autoritaires. Et tous s'adressent à l'imam pour le récuser : « O fils de Fâtima ! Retourne d'où tu viens. Nous n'avons pas besoin de toi. Nous n'avons pas besoin d'un fils de Fâtima ».

Lorsque je lus ce texte pour la première fois, il me sembla avoir lu déjà ailleurs certaines paroles résonnant en écho lointain. C'est ainsi que je fus reconduit jusqu'au refus que le grand inquisiteur, dans un célèbre roman de Dostoïevsky 31, oppose au Christ revenu à Séville, la nuit où il le tient prisonnier : « Pourquoi es-tu revenu nous déranger ?... As-tu le droit de nous révéler un seul des mystères du monde d'où tu viens ?... Avais-tu oublié que la quiétude et la mort même sont préférables pour l'homme à la liberté de discerner le bien et le mal ?... Va et ne reviens plus, plus jamais »32.

________________________________________

1. Le mot arabe imam peut se traduire par « celui qui chemine devant », le « guide ».

2. H. Corbin, En Islam iranien : aspects spirituels et philosophiques, 4 tomes, Gallimard, Paris, 1971-1972.

3. Ibidem, t. i, p. 7.

4. Cf. El-Bokhâri, Les Traditions islamiques, op. cit., t. i. Les shî`ites possèdent un corpus de ahâdîth des imams, longtemps demeuré pratiquement inconnu en Occident.

5. H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., t. i, pp. 57 et 59.

6. Ibidem, p. 57.

7. Cf. ibidem, t. iv, pp. 309 et ss.

8. Ibidem, p. 323

9. Le terme parousia signifie « présence ».

10. Les juifs ne vivent-ils pas dans l'attente de la venue du Messie, et les chrétiens dans l'attente de la seconde venue du Christ, autrement dit de sa parousie ?

11. H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., t. iv, p. 332.

12. Ibidem, p. 333.

13. H. Corbin nous parle du mot arabe soufi : « En bref, Seth fut le premier soufi, et il y a d'exquises légendes pour le dire et l'expliquer :

tandis que les autres fils d'Adam se vouent à des métiers qui leur permettront de conquérir ce monde, Seth se voue totalement au service divin.

L'ange Gabriel apporte du paradis une robe de laine (sûf ) verte, dont il revêt Seth. Les anges viennent le visiter, et retournant au ciel annoncent aux autres : Il y a un certain vêtu de laine (sâfî ) qui se voue sur terre au service divin ! C'est ainsi que depuis le prophète Seth, la désignation de « vêtus de laine » est conférée au groupe des soufis. Ce récit illustre l'explication la plus courante du mot soufi. Bîrûnî en donnait une autre, en rapprochant l'arabe soufi et le grec sophos, sage », dans En Islam iranien, op. cit., t. iv, pp. 413 et 414, n. 91. Ainsi donc, il ne peut y avoir aucune différence entre le vrai soufi et le vrai shî`ite.

14. Ibidem, t. i, p. 117.

15. Du grec paraklêtos, « défenseur », « intercesseur » ; ce mot vient du verbe parakaleô, « appeler à soi ».

16. Ahmad, le « très loué », le « très glorieux ».

17. Cf. H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., t. iv, p. 437.

18. Le Mahdî, un des noms de l'imam caché : « le Guidé » qui guide vers Dieu, ou bien celui vers qui l'on est guidé et qui dès lors vous guide. 19. Ibidem, t. iv, p. 304.

20. Idem.

21. Ibidem, t. iv, p. 305.

22. Ibidem, t. iv, pp. 437 et 438.

23. Ibidem, t. iv, p. 438.

24. Ibidem, t. iv, p. 438.

25. Ibidem, t. iv, pp. 440, 441 à 442.

26. Ibidem, t. iv, p. 440.

27. Les premiers textes chrétiens font clairement allusion à cette parousie du Seigneur. Voyons par exemple l'Épître suivante : « Prenez donc patience, frères, jusqu'à la parousie du Seigneur. Voyez le laboureur : il attend les précieux fruits de la terre, il attend avec patience les pluies d'automne et celles du printemps. Patientez, vous aussi ; affermissez vos cœurs, parce que la parousie du Seigneur est toute proche » (Jacques v, 7 et 8). Lisons aussi l'extraordinaire témoignage de Pierre (autre témoin de la parousie au mont Thabor, comme Jacques et Jean), dans sa deuxième Épître : « Car ce n'est pas pour avoir cru en des fables inventées que nous vous avons fait connaître la puissance et la parousie de notre Seigneur Jésus-Christ, mais c'est pour avoir été des témoins oculaires de sa majesté » (cf. ii Pierre i, 16) ; cf. aussi la suite du texte.

28. Cf. supra, p.9.

29. La famille Immaculée : le prophète Mahomet, sa fille Fâtima et les douze imams.

30. H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., t. iv, pp. 458 et 459.

31. Les Frères Karamazov.

32. H. Corbin, En Islam iranien, op. cit., t. iv, p. 441

Ajouter votre commentaire

Commentaires des lecteurs

Il n\y a pas de commentaires
*
*

Le site des Imams Al Hassan et Al Houssein pour le patrimoine et la pensseé islamique.